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Ce que nous dit le déferlement politico-médiatique anti-Mélenchon
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
« Il y a un péril face aux simplifications, face aux falsifications, qui fait que l’on regarde le spectacle du tribun plutôt que le contenu de son texte ». En une phrase, en 28 petits mots, en une déclaration concise nichée au cœur d’une interview donnée auPoint, François Hollande a fait son retour sur la scène politico-médiatique française. Lui qui avait ostensiblement montré son indifférence lors de la primaire organisée par le Parti Socialiste et ses satellites, lui qui s’est soigneusement gardé de soutenir le candidat issu de ladite primaire, le voilà qui sort du bois pour attaquer Jean-Luc Mélenchon sans le nommer – ce qui n’est pas la preuve d’une très grande classe.
Le président pour encore quelques semaines a également affirmé que cette campagne « [sentait] mauvais ». François Hollande a donc décidé de prendre la parole pour énoncer ce jugement au moment même où Jean-Luc Mélenchon fait une percée dans les sondages – comme à mon habitude je ne parlerai pas desdits sondages au fil de ce papier puisqu’aujourd’hui comme hier je ne leur accorde aucune crédibilité. Alors que Marine Le Pen caracole en tête depuis des mois dans les mêmes sondages, le président de la République n’a jugé utile d’intervenir qu’au moment où le candidat de la France Insoumise semble en mesure de se hisser au deuxième tour. Sa prise de parole s’insère dans une vaste offensive politico-médiatique et fleure bon l’apocalypse – la révélation selon l’étymologie du mot – tant François Hollande est le symbole de ce système exténué et à bout de souffle dont nous ne voulons plus. Autant dire les choses tout de suite, ce billet n’a pas pour objet de démonter les accusations des politiques et des médias à l’encontre de Jean-Luc Mélenchon, cela ne m’intéresse pas et d’autres l’ont fait bien mieux que je ne le ferai. Ce qui m’intéresse en revanche, c’est de questionner les tenants, les aboutissants et les présupposés d’une telle offensive médiatico-politique.
La tornade ridicule
Dimanche dernier, Jean-Luc Mélenchon a réuni près de 70 000 personnes (selon les organisateurs) sur le Vieux-Port et le bas de la Canebière à Marseille. Cette démonstration de force, couplée à la remontée du candidat dans les sondages, a indéniablement marqué une nouvelle rupture dans cette campagne présidentielle. De trublion absolument pas pris au sérieux par les politiciens et les médias dominants, voilà Mélenchon transformé en président en puissance. Il n’a pas fallu plus que cela pour voir une coalition allant des forces de l’argent à ceux qui ont tout intérêt à ce que rien ne change se former pour taper à bras raccourcis sur le candidat de la France Insoumise. Dans cette entreprise de propagande à grande échelle, la palme revient sans doute au Figaro tant sa une de mercredi était outrancière. Elle l’était d’ailleurs tellement qu’elle prête bien plus à rire qu’autre chose.
A y regarder de plus près, toutes ces forces coalisées m’ont fait penser au choc qu’avait constitué les résultats du premier tour de la primaire socialiste lorsque Benoit Hamon était arrivé largement en tête. D’ailleurs, Ruth Elkrief – qui avait mené la charge du parti du Réel ce soir-là – est repartie dans une forme de névrose obsessionnelle en affirmant que Mélenchon était l’équivalent de l’URSS des années 1950 (à ce propos l’excellent article de Samuel Gontier résume bien les choses). Il y a, selon moi, quelque chose de risible à voir des journalistes (Ruth Elkrief n’est pas la seule loin de là, Les Echos y sont également allés de leur fiel) proférer des énormités auxquelles eux-mêmes ne peuvent souscrire si tant est qu’ils soient doués d’un minimum d’intelligence. Comme si tout cela ne suffisait pas, nous avons vu Messieurs Verhofstadt et Schaüble s’ingérer dans la campagne électorale française en appelant à voter pour Emmanuel Macron. Cet état de fait n’a suscité aucune réaction outragée. Imagine-t-on l’émoi qu’aurait suscité Vladimir Poutine s’il avait exprimé explicitement sa préférence ?
Leur piège se refermant sur eux
Si tel avait été le cas, il ne fait guère de doute que Vladimir Poutine aurait soutenu Marine Le Pen tant la Russie – notamment par l’intermédiaire de ses médias Russia Today et Sputnik – soutient activement les partis d’extrême-droite dans toute l’Europe. Le tir de barrage dont est victime Mélenchon depuis quelques jours est, à mes yeux, révélateur du fait que le piège de la caste politicienne qui nous dirige depuis des décennies est en train de se refermer sur elle-même. Pendant des années elle a en effet utilisé sciemment le Front National pour conserver le pouvoir dans une espèce de jeu à la fois cynique et morbide. Le parti d’extrême-droite a, effectivement, longtemps été l’idiot utile du système en place. Toute la psychologie et la sociologie nous le montre, pour tenir en respect un peuple il faut jouer sur ses peurs.
Le FN a longtemps joué ce rôle en permettant au système en place de se maintenir en place dans la mesure où il était agité comme un épouvantail. Dans son Discours de la servitude volontaire, Etienne de La Boétie le dit très clairement, c’est parce que les peuples sont à genoux que les dirigeants sont grands. En effet, c’est sur la soumission du peuple que repose la puissance de la caste. Machiavel dans son traité politique, Le Prince, ne dit pas autre chose : le dirigeant doit savoir jouer de la force et de la ruse pour demeurer en place. Sans cela point de salut. Pendant des années le FN a donc joué ce rôle, si bien que dans la tête des dirigeants de ce système il suffisait d’arriver face à lui pour s’imposer sans la moindre difficulté. En cela, Emmanuel Macron ou François Fillon était promis à une victoire sans souci face à Marine Le Pen au deuxième tour. La potentialité d’un deuxième tour entre Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen a créé l’affolement dans la tête de ceux qui pensent que même un poisson rouge battra le FN au deuxième tour. Le plan qu’ils ont savamment mis en place depuis des années se fissurent sous leurs yeux sans qu’ils ne puissent y faire grand-chose.
L’odieux opportunisme
Je ne suis personnellement pas d’accord avec le postulat qui est le leur. Je ne crois pas, en effet, que Marine Le Pen s’inclinera face à n’importe lequel des candidats face à elle. Que les choses soient bien claires, je ne dis pas qu’elle l’emportera dans un peu moins d’un mois (je ne suis d’ailleurs pas persuadé qu’elle sera présente au deuxième tour tant l’incertitude autour de cette campagne est grande). Je crois, en revanche, que sa victoire n’est ni impossible ni improbable. Au vu de l’état actuel de notre pays, rien n’est inenvisageable. Bien qu’aveuglés par leurs certitudes, je ne pense pas que les pontes du système politico-économique en place rejettent en bloc la moindre possibilité d’une victoire du Front National. Mon intime conviction, en revanche, c’est que les milieux d’affaires sont bien moins effrayés à l’idée d’une victoire de Madame Le Pen plutôt qu’à celle de Monsieur Mélenchon.
Nous avons vu la mécanique se mettre en place il y a quelques mois aux Etats-Unis lors de la victoire de Donald Trump. Passée l’incertitude inhérente à la victoire surprise (aux yeux des médias dominants et autres analystes aveugles), Wall Street a accueilli très positivement l’arrivée du magnat de l’immobilier dans le Bureau Ovale. Il lui a d’ailleurs rendu la pareille en affirmant qu’il allait déréguler la finance. De la même manière, l’arrivée de Marine Le Pen au pouvoir fait moins peur aux milieux d’affaires que l’arrivée de Jean-Luc Mélenchon pour la simple et bonne raison que,comme je l’avais déjà démontré il y a quelques semaines, le programme économique de la présidente du FN est une vaste escroquerie qui n’est ni financée ni ambitieuse socialement en dépit de ses multiples dénégations. Les puissants de ce monde se sont régulièrement accommodés du fascisme, ils s’accommoderont également du néofascisme porté par Madame Le Pen. De la même manière que le système en place a descendu en flèche Bernie Sanders aux Etats-Unis parce qu’il représentait le seul véritable danger pour l’oligarchie économique, la stratégie à l’encontre de Jean-Luc Mélenchon vise à éteindre l’étincelle qui pourrait prendre dans toute l’Europe.
Stratégie de la peur ou réelle panique ?
Depuis quelques jours c’est à une véritable entreprise de terrorisme intellectuel à laquelle nous assistons. Le mot peut sembler fort mais il me parait juste. Que définit, en effet le terrorisme, sinon le procédé qui consiste à faire peur à la population ? En nous promettant les supplices dignes des dix plaies d’Egypte, médias dominants et politiciens jouent le jeu de la peur. En ce sens, il ne me semble pas exagéré de parler de stratégie de terreur de la part d’une caste politicienne et d’une grande partie de la presse en réalité aux abois. Il ne me paraît en effet pas absurde de voir dans la stratégie de la peur déployée à grands renforts de petites phrases et d’articles chocs le révélateur d’une panique nouvelle dans les sphères dirigeantes de notre pays et, in fine, de l’oligarchie néolibérale au sein de l’Union Européenne. La peur a désormais changé de camp.
Ils ont peur parce qu’ils savent. Ils savent qu’en 2012 Mariano Rajoy n’attendait que le refus de l’austérité de la part de François Hollande pour s’allier à lui et renverser l’ordre pour desserrer l’étau autour de son pays. Ils savent qu’à l’été 2015 il s’en est fallu de peu pour que Tsipras allume définitivement le feu de la contestation franche des politiques d’austérité. Ils savent que leur modèle accroît les inégalités et que de cet accroissement ne peut naître que la révolte et la colère. Depuis le Brexit, l’Union Européenne attend avec fébrilité le résultat des scrutins nationaux en espérant que le candidat qu’elle a adoubé sortira vainqueur. En France, ce candidat adoubé est Emmanuel Macron. Ce spasme du système ainsi que le décrit Fréderic Lordon dansson dernier billet de blog devait garantir la survivance d’un système anémié qui ne représente plus personne sinon ce qui veulent avoir toujours plus de pouvoir et gagner toujours plus d’argent. Le candidat du vide ainsi que le définit Lordon est en réalité un candidat du plein : plein de morgue, plein de mépris, plein d’arrogance. S’il est creux c’est parce qu’il porte un projet innommable, celui de donner toujours plus à ceux qui ont déjà et de renvoyer toujours plus de personne dans la pauvreté. Finalement, Emmanuel Macron est le « encore un instant monsieur le bourreau » de ce système atrophié et réduit à peau de chagrin. Leur peur est visible, par effet de miroir, dans les multiples unes et propos outranciers qu’ils tiennent pour lutter contre la vague qui monte dans le pays. A bien des égards, la situation actuelle ressemble à celle du referendum sur la constitution européenne en 2005. A cette époque la caste politicienne, les forces de l’argent et les médias triomphants s’étaient mobilisés pour défendre le oui. En vain. Il se pourrait bien que, finalement, les étoiles se rallument plus tôt que prévu dans cette nuit noire qui s’est posée sur nous depuis bien trop longtemps.