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La France insoumise de Mélenchon vise l’hégémonie à gauche
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(Mediapart) Fort de ses sept millions de voix au premier tour de la présidentielle, le mouvement de Jean-Luc Mélenchon partira sans le PCF aux législatives. L’ancien candidat se présente à Marseille face au socialiste sortant Patrick Mennucci. La rupture avec l’allié communiste est consommée et le combat avec le PS est engagé.
« Monsieur Pierre Laurent ment ! » Par une phrase sèche, mercredi matin, Jean-Luc Mélenchon a acté pour de bon le désaccord de son mouvement, La France insoumise, avec le Parti communiste français et son secrétaire national. Les deux formations partiront chacune de son côté pour les élections législatives. Après de longues séances de négociations infructueuses et tendues, les événements se sont précipités mardi.
Au lendemain d’une énième réunion, Pierre Laurent a convoqué la presse mardi pour « renouveler avec gravité mais un peu de colère » son « appel à la France insoumise, pour que nous allions le plus largement possible ensemble sous une bannière commune ». Cet accord est « la condition de l’élection d’un maximum de députés », insistait le leader communiste, qui annonçait dans le même temps la tenue, jeudi soir à Paris, d’une réunion publique de présentation de ses candidats à la députation.
Il n’en a pas fallu plus que pour que La France insoumise ne voie rouge. Manuel Bompard, directeur de campagne de Jean-Luc Mélenchon et lui-même candidat aux législatives à Toulouse, publie dans la soirée un communiqué dans lequel il accuse Pierre Laurent d’avoir « décidé de rompre les discussions ». « Je le déplore. Mais je ne suis pas surpris », ajoute Bompard. « Cette rupture, ni moi, ni la direction du PCF, ne l’avons ni décidée, ni souhaitée », répond Laurent dans un autre communiqué mardi soir, « ceux qui affirment le contraire mentent et cherchent à se dédouaner de leurs responsabilités ».
Au jeu du « c’est pas moi c’est l’autre », Jean-Luc Mélenchon réplique à son tour mercredi matin sur BFM TV. Des communistes, affirme l’ancien candidat à la présidentielle, « la France insoumise en a déjà investi, écoutez-moi bien les gens, dix. Il y a des accords avec deux fédérations communistes, celle de l’Ariège et celle des Deux-Sèvres. Vous voyez bien que je ne bloque d’aucune façon ». Mercredi après-midi, Pierre Laurent est invité à répondre à la réponse de la réponse. Le secrétaire national du PCF tente de se montrer sous un jour un peu plus arrangeant, et déclare « espérer que [cette rupture] n’est pas définitive ». « J’espère que les négociations reprendront au plus vite », ajoute-t-il sans grande conviction.
Le 23 avril, à l’occasion du premier tour de la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon est arrivé en tête dans 67 circonscriptions législatives et certaines grandes villes comme Montpellier, Lille, Toulouse, Grenoble ou Marseille, et deuxième dans 167 autres. Le candidat a dépassé le seuil des 12,5 % des inscrits (requis pour se maintenir au second tour) dans 451 circonscriptions. Une situation exceptionnelle pour la gauche hors PS.
Comme en 2012 à Hénin-Beaumont (où il défia en vain Marine Le Pen), le héraut insoumis a décidé de se jeter lui-même dans la bataille législative. Selon Le Monde et Marsactu, le candidat, en déplacement jeudi à Marseille, va confirmer son choix pour la quatrième circonscription. C’est ici qu’il a réalisé le 23 avril son meilleur score : 39,09 %. Marine Le Pen n’arrivait dans cette circonscription qu’en troisième position avec 14,36 % des voix, derrière Emmanuel Macron (21,81 %). Et c'est non loin de cette circonscription qu'il avait tenu l'un des plus gros meetings en plein air de sa campagne.
Le rassemblement de la France insoumise sur le Vieux Port à Marseille, avec Jean-Luc Mélenchon, le 9 avril 2017 © CG
Mercredi matin sur BFM, Jean-Luc Mélenchon s’était contenté de juger « assez probable » son atterrissage marseillais. Son équipe avait simplement confirmé que l’option était à l’étude. Dans un courrier publié dans l’après-midi par Marsactu, Mélenchon envoie un « message personnel » aux Insoumis marseillais. Il y affirme avoir été « convaincu » par les animateurs nationaux de La France insoumise de présenter sa candidature dans la cité phocéenne.
« On ne veut pas de soupe de logos »
Problème tout de même, un candidat France insoumise était déjà désigné dans cette circonscription. Gérald Souchet, professeur de sciences économiques et sociales de 43 ans, n’a pas vraiment apprécié l'initiative et l’a dit dans Le Monde : « J’ai dit à Jean-Luc Mélenchon qu’une candidature dans cette circonscription serait une très mauvaise idée. Il faut prendre en compte la réalité marseillaise. Le FN n’est pas fort ici et symboliquement, il n’a rien à gagner à battre un socialiste. Je pensais qu’il se présenterait dans la 3e où il y a un vrai défi avec le Front national. Mais son équipe est traumatisée par l’échec de 2012 à Hénin-Beaumont. »
Quant à son adversaire socialiste, Patrick Mennucci – qui connaît bien Mélenchon depuis la création du courant de la Gauche socialiste à la fin des années 1980 au PS –, il juge que son ancien camarade « clarifie sa vision de la démocratie. Après avoir tenu des grands discours sans grande précision sur la VIe République, nous découvrons maintenant qu'en réalité, elle consiste en une reproduction en pire de la vieille politique : parachutage, petits arrangements pour son propre intérêt, manœuvre dans le microcosme politique marseillais ». Et Mennucci de poursuivre : « En venant dans la seule circonscription de l’arc méditerranéen où le Front national n’a aucune chance d’être au second tour, où la droite ne peut l’emporter (10,8 % au premier tour de la présidentielle), il montre que son seul combat, le sens de son engagement politique est le combat gauche contre gauche. »
Patrick Mennucci a sans doute raison. Depuis le résultat de La France insoumise au premier tour, plusieurs interlocuteurs du mouvement de Jean-Luc Mélenchon se sont entendu dire que le but à présent était de s’imposer comme la seule force de gauche contre Emmanuel Macron. L’intransigeance avec le PCF, mais aussi avec EELV qui avait tenté une approche, va dans ce sens : assurer l’hégémonie de La France insoumise. « Nous avons reçu une fin de non-recevoir de La France insoumise puisque son exigence, c’est la soumission », a regretté vendredi dernier David Cormand, secrétaire national d'EELV.
S'estimant récompensés de leur stratégie d'indépendance totale du PS depuis 2012, ainsi que de leur discours « hors partis », Mélenchon et La France insoumise entendent continuer à profiter des incohérences et des tergiversations de leurs concurrents à gauche, quand, eux, ne s'encombrent plus avec des discussions d'appareils jugées stériles, voire issues d'un « vieux monde » qu'ils entendent remplacer.
Une volonté qui ne colle décidément pas avec les communistes. Olivier Dartigolles, porte-parole du PCF, rappelle que pour son parti, « il n’a jamais été question de voir l’avenir politique à l’aune d’un seul individu. On ne se range derrière personne ». Dénonçant la « brutalité » et la « stratégie de démolition » de la FI, Dartigolles grince : « La France insoumise consulte pour le second tour mais par contre, la décision de rompre les négociations est prise par une poignée de personnes. Si Jean-Luc Mélenchon, plutôt que de monter dans les tours, prenait le temps de consulter ses électeurs, il verrait bien que l’unité est désirée. »
« On ne veut pas de soupe de logos et ce n’est pas juste un coup de com’ », réplique Danielle Simonnet, coordinatrice du Parti de gauche et elle-même candidate aux législatives à Paris. « Le débat France insoumise contre gauche plurielle, on l’a tranché », poursuit celle qui s'est fait réélire en 2014 au Conseil de Paris à la tête d'une liste municipale opposée à une liste d'union PS-PCF-écologistes. Simonnet estime que le paysage politique se trouve aujourd’hui « dans une redéfinition totale » : « Est-ce qu’il faut mettre le vieux monde sous perfusion ? », s'interroge-t-elle.
Le conflit avec le PCF porte aussi sur des points plus prosaïques. Les communistes reprochent ainsi aux Insoumis d’avoir investi Alexis Corbière, porte-parole de Mélenchon pendant la campagne, à Montreuil, face à Gaylord Le Chequer, maire adjoint à l'urbanisme du communiste Patrice Bessac. Ils reprochent également l’investiture de Mathilde Panot, coordinatrice des groupes d’appui à la candidature de Jean-Luc Mélenchon, dans le Val-de-Marne, un des derniers bastions PCF, face à Pascal Savoldelli, responsable des élections du parti.
En face, La France insoumise reproche aux communistes leurs liens avec les socialistes. Par exemple à Paris. Mais aussi dans la Somme, dans le Jura ou dans les Landes, comme l’a précisé mercredi matin Manuel Bompard lors d’une conférence de presse. Dans ces trois départements, les communistes sont accusés d’avoir passé des accords avec les socialistes.
Jean-Luc Mélenchon veut croire qu’il est le mieux placé pour remporter le bras de fer, fort de ses 7 millions de voix obtenus au premier tour de la présidentielle. Il peut déjà s’enorgueillir d’avoir avancé deux pions dans la partie d'échecs en cours. À Nice, un candidat PCF a signé la charte de La France insoumise, a indiqué Manuel Bompard jeudi matin. Le même diffusait sur Twitter, quelques heures plus tôt, un communiqué de Stéphane Peu, candidat PCF à Saint-Denis, annonçant lui aussi qu’il s’apprêtait à signer la charte.
Olivier Dartigolles minimise le mouvement : rappelant son « amitié » pour Stéphane Peu, le porte-parole estime que « ce cas de figure ne sera pas fréquent ». Il n’en faudrait cependant pas beaucoup pour que cela devienne symbolique.