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En Algérie, une "baignade républicaine" géante organisée le 7 août

Algérie

Lien publiée le 7 août 2017

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Alors que la contestation des femmes contre le harcèlement et l'islamisme prend de l'ampleur, la plage de Tichy, en Kabylie, devient le rendez-vous de toutes celles et ceux qui veulent vivre des vacances libres.

Tichy prépare sa « baignade républicaine » géante. Rien de moins. La petite station balnéaire, lovée comme une libre sirène au nord de Bejaïa, est solidaire des associations féministes algériennes qui multiplient, depuis le début de l'été, les baignades contestataires contre les brimades, les violences et le diktat islamistes. Une riposte à l'aggravation de la condition féminine : pendant le ramadan, des députés ultraréacs ont déposé un projet de loi qui vise à « réglementer les tenues vestimentaires des femmes pour garantir le respect de la pudeur et des bonnes mœurs ». Les associations salafistes plongent dans le marigot bigot et appellent tout mâle qui se respecte à « empêcher les femmes de se baigner nues [en bikini] ». S'ils ne peuvent l'empêcher, la consigne est de « les prendre en photo et les ficher sur les réseaux sociaux ». Trempette sous tchador : circulez, elles ne nagent plus ! L'opinion s'enflamme, intellectuels et écrivains - le romancier Amin Zaoui, le dramaturge H'mida Ayachi et le poète Achour Fenni -s'insurgent contre « la daechisation des esprits ». Les Algériennes enragent, et Tichy leur ouvre les bras. Sa « baignade républicaine » se déroulera pendant le Festival annuel des couleurs : on y jette des poudres multicolores symbolisant la joie de vivre et la victoire du bien sur le mal.

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C'est que la ville en sait long sur la résistance à l'obscurantisme. Si, plus de dix ans après la défaite de l'islamisme armé, deux Algérie irréconciliables continuent à s'affronter à travers le statut des femmes, Tichy - 17 000 habitants, 300 000 l'été -constitue une humble forteresse de la liberté. Plus qu'une plage, c'est un symbole. A commencer par son nom : tiré du berbère ancien tecci, il désigne l'éclat de lumière qui se faufile, dès l'aube, entre les tuiles des maisons kabyles. Un éclat qui a rayonné durant la décennie sanglante, dans les années 90. Tichy, déjà, était un refuge pour des milliers d'Algériens et d'Algériennes à qui les islamistes interdisaient non seulement de se baigner, mais tout simplement de vivre.

On ne se pencha pas beaucoup à l'époque sur la tragédie du sable, de la mer et du soleil interdits sur la terre natale d'Albert Camus. Pourtant, elle symbolisait la féroce réécriture du tempérament algérien par l'intégrisme. L'Algérie compte le plus long littoral du bassin méditerranéen. De 1993 à 1998, à cause de la terreur du Groupe islamique armé (GIA), les 1 400 km de côtes algériennes ont été désertés par les baigneurs. Seule ou presque, Tichy, avec ses 4 km de sable fin, osa se rebeller, irréductible plage kabyle qui défiait l'islamisation forcée. Elle est pourtant située à quelques dizaines de kilomètres seulement des corniches de Jijel, qui accueillaient, à l'époque, le principal maquis de l'Armée islamique du salut (AIS), bras armé du Front islamique du salut (FIS).

AU MÉPRIS DES LOIS

Bien avant les années de sang, Tichy était déjà une légende. Tout le pays la connaissait depuis 1980, grâce au film Kahla ba beida (Noir et blanc), d'Abderrahmane Bouguermouh. Icône des cinéphiles algériens nostalgiques, l'œuvre célébrait la victoire de l'équipe de football de Sétif, l'Entente sportive de Sétif, qui venait de remporter la Coupe d'Algérie. Un mémorable road-movie durant lequel un groupe de supporteurs, voulant célébrer la victoire, se lançaient dans un long périple, à travers les hauts plateaux algériens, à destination de la plage de Tichy. Le film célébrait une jeunesse éprise de liberté et habitée par de grandes espérances. Cet hymne à la joie fut rattrapé par le cauchemar intégriste. La ville s'imposa alors comme un « modèle de résistance par la vie », selon l'expression du poète arabophone Adel Sayad. « Il m'est arrivé de me rendre à Tichy, à plusieurs reprises, durant ces années-là, se souvient-il. Pouvoir savourer mes bières tranquillement, au bord de la plage, valait tous les bonheurs du monde. » Sayad, qui a consacré aux années noires du terrorisme un recueil intitulé Je ne vais pas bien, a été bluffé en découvrant la petite station : « En arrivant ici, j'ai été subjugué par la tolérance qui y régnait. Les femmes en bikini se promenaient ou se baignaient sans subir la moindre remarque désobligeante. C'est grâce à cet état d'esprit que nous avons gardé espoir et tenu bon face au fanatisme. »

Mais l'extrémisme rôde tout près, vers Jijel, le fief de Madani Mezrag, ex-émir de l'AIS. Quatre mille djihadistes « repentis » ont ainsi organisé, en 2011, à quelques encablures de Tichy, une « université d'été » ! Car, même si l'extrémisme islamiste a été vaincu militairement, les largesses de la loi dite de « concorde nationale » ont offert l'impunité à plus de 10 000 djihadistes. En contrepartie de leur renoncement à la violence armée, ils ont bénéficié d'une amnistie qui leur a permis de blanchir l'argent du racket imposé aux populations lorsqu'ils étaient au maquis. Ils ont ainsi pu se reconvertir dans le commerce, notamment dans l'importation de tissus en provenance de Turquie. Une filière qui avait déjà servi à financer le FIS, à la fin des années 80.

« L'université d'été » des anciens djihadistes fut autorisée par le gouvernement algérien. A l'époque, en 2011, le régime redoutait d'être touché, à son tour, par une révolution de type printemps arabe. Encouragés par cette bienveillance inattendue, les anciens soldats d'Allah se sont lancés à l'assaut de Tichy la frondeuse. Sous couvert de « lutter contre la prostitution et la dépravation des mœurs », les réseaux islamo-conservateurs ont tenté de saborder son été. Les huit discothèques et la quinzaine de bars furent désignés comme « lieux de dépravation ». « Une véritable expédition punitive a été menée. Les agresseurs ont saccagé les façades des bars et des hôtels… » se souvient Ali, un restaurateur. Au lieu d'intervenir pour rétablir l'ordre et protéger les infrastructures touristiques de la ville, la préfecture de Béjaïa a pris un arrêté ubuesque ordonnant la fermeture de la majorité des discothèques. Il fallait calmer les ardeurs des islamo-conservateurs. Au mépris des lois.

Tichy la rebelle recommença à respirer avec l'arrivée à la tête de la municipalité de Madjid Kadi, un maire progressiste. L'homme défend la laïcité et l'écologie. Contre les assauts renouvelés de l'islamisme, il ne cède rien, et surtout pas sur le droit des baigneuses : « L'été, notre ville est une véritable mosaïque des 48 wilayas du pays, résume-t-il en souriant, Tichy, c'est l'Algérie ! » Ce sera en tout cas le 7 août, jour de la « baignade républicaine », le sourire des Algériennes.