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Etat espagnol-Catalogne. D’un «dommage irréparable» au 1er octobre
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Par Teresa Rodríguez et Miguel Urbán
«Afin d’empêcher un “dommage irréparable”, le PP saisit la Cour constitutionnelle [Tribunal constitutionnel] sur le Statut de la Catalogne». Voici le titre du quotidien El País le 1er août 2006 au sujet du recours présenté par les dirigeants de ce parti (Parti populaire de Mariano Rajoy) au Tribunal constitutionnel contre la réforme du Statut qui avait été adoptée au Parlament catalan avant d’être partiellement amputée par le Parlement espagnol, puis finalement approuvée par référendum en Catalogne. La résolution du Tribunal constitutionnel annulera presque quatre ans [2010] plus tard 14 articles du Statut de la Catalogne [statut catalan] et en interprétera de manière restrictive 27 autres. Rajoy, Acebes [ministre de l’intérieur entre 2002 et 2004, puis président du PP entre 2004 et 2008] et Sáenz de Santamaría [actuelle vice-présidente du gouvernement], bien qu’ils ne furent pas pleinement satisfaits, applaudirent cette décision alors que José Luis Rodríguez Zapatero [PSOE], alors président du gouvernement [entre 2004 et 2011], constatait que ce dénouement signifiait «la fin de la décentralisation politique».
Il n’y avait donc rien de surprenant à ce que, quelques jours plus tard, le 10 juillet 2010, une manifestation citoyenne batte le pavé de Barcelone avec le slogan unitaire «Som una nació: Nosaltres decidim» [Nous sommes une nation : à nous de décider] afin de montrer l’indignation face à ce jugement. La conclusion d’être face à la fermeture d’une voie – dans un sens fédéraliste – d’une réforme du statut d’autonomie de l’Etat catalan a conduit au développement d’un mouvement souverainiste et d’indépendance plus ample et pluriel que celui qui existait jusqu’alors. Ce mouvement parvint même à emporter une formation telle que Convergència [Convergence démocratique de Catalogne – CDC], parti qui était jusqu’alors un pilier nécessaire pour assurer la stabilité du régime central issu de la Transition [notamment en apportant ses suffrages au Parlement central, dans des moments «délicats» et pour l’adoption de certaines lois]. La CDC, au même titre que le PP et le PSOE, a aussi été frappée, comme nous avons pu le vérifier par la suite, par divers scandales de corruption. Cette formation, malgré certaines analyses intéressées d’un côté ou de l’autre, n’est en fait qu’une partie, ni majoritaire et ni hégémonique, de ce mouvement souverainiste.
L’annonce de la convocation à un référendum le 1er octobre 2017 par le Govern de la Generalitat, avec le soutien de la majorité du Parlament, pour que la population se prononce sur la question suivante: «Souhaitez-vous que la Catalogne soit un Etat indépendant sous la forme d’une République?» est, en réalité, la réponse au «dommage irréparable» que le PP a fait au peuple catalan en saisissant le Tribunal constitutionnel en 2006. Il est même probable qu’aujourd’hui de nombreux dirigeants du PP reconnaissent en privé que cette saisie – et, surtout, la campagne de propagande qui a été déployée à cette occasion – fut une erreur. Car elle s’est révélée être un facteur décisif dans l’ascension de l’indépendantisme en Catalogne au cours des dernières années.
Sáenz de Santamaría: «Je ne vais pas raconter à Puidgdemont ce que je vais faire pour enlever les urnes»
Toutefois, en dépit de la réaction citoyenne immédiate face à ce que [le constitutionnaliste] Javier Pérez Royo a qualifié de «rupture de l’accord constitutionnel» suite à la décision du Tribunal constitutionnel, aucun effort n’a été entrepris pour trouver un nouveau cadre de négociation ainsi que le recommandait le Tribunal constitutionnel lui-même dans une résolution datant de mars 2014. Le PP est arrivé au gouvernement en novembre 2011 (après l’adoption expresse de la contre-réforme marquée par l’article 135 de la Constitution, qui priorise le remboursement de la dette au plan budgétaire). Le PP fit le contraire de ce que le Tribunal constitutionnel recommandait. Il s’engagea dans une défense fondamentaliste, à la lettre, de la première partie de l’article 2 de la Constitution : «l’unité indissoluble de la Nation espagnole, patrie commune et indivisible de tous les Espagnols». Une formule dictée par la hiérarchie militaire en 1978 et qui a toujours fait figure «d’argument», accompagné d’une nouvelle tendance à la recentralisation politique et financière [1], voire même d’attaques contre la langue catalane, à la tête desquelles figurait l’ancien ministre de l’Intérieur, de triste mémoire, Jorge Fernández Díaz, occupant ce poste entre 2011 et 2016.
Dans l’intervalle, la Catalogne a été le théâtre du développement de manifestations massives et pacifiques durant toutes ces années ainsi que d’une consultation populaire, le 9 novembre 2014, à laquelle – bien qu’elle n’ait pas été reconnue par l’Etat central – ont participé plus de 2 millions de personnes. C’était une fausse illusion que de penser que ce mouvement s’écroulerait sous les effets des frustrations et des divisions internes face à l’obstruction systématique du gouvernement. Même si ce dernier a toujours pu compter sur le soutien sans cesse plus étendu et agressif de la «caverne» médiatique et des chefs d’Etat européens. Compter là-dessus s’est révélé être un échec fracassant.
L’ouverture timide du PSOE de Pedro Sánchez à la reconnaissance de la «plurinationalité» [de l’Etat] n’a pas non plus obtenu d’appuis significatifs en Catalogne. A tel point que la posture de Pedro Sánchez a amorcé un virage vers le soutien au verrouillage de Rajoy, en qualifiant le référendum d’illégal et laissant la porte ouverte au retrait des urnes [déposées pour le 1er octobre dans les bâtiments publics des municipalités] par la police.
• Le problème n’est pas tant de trouver «l’emboîtement» [à l’image d’une poupée russe] d’une nation culturelle dans une nation politique espagnole, mais plutôt la reconnaissance sur une base égale de l’identité nationale catalane, de l’identité espagnole et du reste des nationalités à commencer par celles qui sont déjà reconnues dans l’actuelle Constitution: les nationalités galicienne, basque et andalouse. La proportion de personnes, surtout âgées de moins de 45 ans, favorables à la tenue du référendum catalan – réclamé de manière persistante et par une majorité – augmente y compris au sein de la société espagnole. Il s’agit là d’un progrès significatif et qui, dans une large mesure, se doit au concours politique apporté par une force comme Podemos.
Il ne faut donc pas être trompé par ceux qui décrédibilisent avec les pires accusations ces millions de personnes qui, de manière continue tout au long des dernières années, réclament le droit à décider de leur avenir, y compris l’indépendance. Dès lors que la voie fédérale du Statut a été épuisée, tout comme la volonté d’organiser un référendum négocié avec l’Etat [espagnol] – semblable à ceux qui se sont tenus au Québec ou en Ecosse –, du point de vue démocratique il ne restait que la seule option consistant à reconnaître la légitimité de la convocation au référendum du 1er octobre prochain permettant à la population catalane elle-même de décider si elle souhaite ou non se séparer de l’Etat espagnol pour, comme cela serait souhaitable, aboutir ensuite à un nouveau type de relation, fondé sur la volonté et non la contrainte, entre tous les peuples de l’Etat espagnol.
Nous considérons, en outre, que notre soutien est cohérent avec ce qui était affirmé dans le Manifeste de fondation de Podemos dans la perspective des élections européennes de mai 2014: «une candidature qui, face à des gouvernements au service de la minorité du 1%, revendique une “démocratie réelle” basée sur la souveraineté des peuples et de leur droit à décider librement et de manière solidaire de leur avenir. La démocratie ne nous effraie pas, nous autres démocrates; nous sommes heureux du fait que les Ecossais et les Catalans puissent discuter et décider de l’avenir qu’ils souhaitent. Par conséquent, une candidature qui soutient la tenue de la consultation convoquée en Catalogne le 9 novembre».
• Face à ceux qui regardent atterrés, d’en haut, le référendum du 1er octobre comme une sorte de cataclysme, nous, ceux et celles d’en bas, devrions observer la scène comme un moment – qui ne peut être différé – de régénération démocratique, de redéfinition des logiques de la participation en politique entre égaux. Car nous sommes convaincues que la tenue dans des conditions de liberté et avec toutes les garanties possibles du référendum du 1er octobre, et non son interdiction, contribuera – quel qu’en soit le résultat – à l’approfondissement de la démocratie. Et cela encouragera ceux et celles, en dehors de la Catalogne, qui continuent à miser sur le droit à décider sur tout ce qui touche à nos vies ainsi qu’à nos droits et libertés face au régime et à la troïka [FMI, BCE, Commission européenne].
Le moment est venu de briser les cadenas de la transition de 1978, dont la fermeture a été justifiée en raison du «bruit des sabres» [la menace d’un coup de force militaire]. Le premier de ces cadenas n’est autre que le modèle d’Etat. Viendra peut-être ensuite l’ouverture d’autres, tels que la fin du régime de l’oubli et de l’impunité des crimes du franquisme, de la nécessité que les droits sociaux tout comme ceux du logement et du travail soient effectifs et donc que soit obligatoire le respect de ces derniers par les pouvoirs publics ou le chef de l’Etat [monarchique], d’origine héréditaire et congénital [allusion aux Bourbons]. Nous voulons, en effet, rompre les cadenas. Mais si le gouvernement du parti le plus corrompu d’Europe – le PP – a décidé, de connivence avec le PSOE de Pedro Sánchez, pas si nouveau que cela [allusion au changement de direction du PSOE, sur la base d’un discours plus «à gauche»], place des cadenas à l’entrée des collèges électoraux et séquestre les urnes, selon une mise en scène honteuse rappelant la dictature orwéllienne, que cela ne soit pas fait, au moins, en notre nom, ni en celui de la démocratie.
• Teresa Rodríguez est militante et députée de Podemos au Parlement d’Andalousie, et responsable de Podemos pour cette région. Miguel Urbán Crespo est cofondateur de Podemos et eurodéputé pour cette formation. Ttous les deux sont membres du courant Anticapitalistas de Podemos. (Article publié le 13 septembre par le quotidien La Vanguardia, traduction A l’Encontre)
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[1] Notamment par le biais de mécanismes automatiques d’austérité imposés par le ministère des Finances aux communautés autonomes et aux municipalités. (Réd. A l’Encontre)
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Catalogne. Madrid criminalise les maires
Par Mathieu de Taillac
La trêve aura été de courte durée. Deux jours après la grande mobilisation indépendantiste de lundi [la DIADA, la fête nationale de Catalogne], les autorités espagnoles ont repris les offensives pour empêcher le référendum que le gouvernement catalan veut organiser le 1er octobre malgré sa suspension par la Cour constitutionnelle.
José Manuel Maza
L’initiative la plus spectaculaire vient de la justice. Le procureur général de l’Etat, José Manuel Maza, a réclamé aux responsables du parquet en Catalogne de mettre en examen plus de 700 maires qui se sont engagés à participer à l’organisation du scrutin. Selon l’Association des communes indépendantistes (AMI), ils étaient 712 en début de semaine, auxquels il faut ajouter quelques maires non adhérents. Tous sont accusés de désobéissance, de forfaiture et de malversation.
«Je vais ignorer cet ordre»
Face à l’ampleur de la tâche, Maza veut commencer par interroger les représentants des plus grandes villes. Si les maires sécessionnistes représentent 74 % des communes, la population qu’ils gouvernent n’atteint que 41 % des habitants de la Catalogne. Le parquet anticipe le cas de figure où les maires refuseraient de répondre à la convocation et ordonne à la police régionale, les Mossos d’Esquadra [la police de Catalogne], d’arrêter les récalcitrants. L’ordre de Maza sera l’occasion de tester la loyauté des 17’000 agents, de loin la force de police la plus nombreuse en Catalogne. Mardi dernier, le chef des Mossos a transmis à ses hommes l’instruction du parquet d’empêcher le scrutin, au grand dam des indépendantistes.
Rebelles parmi les rebelles, les militants de la formation d’extrême gauche Candidatura d’Unitat Popular (CUP) ont déjà déclaré que les 28 maires du parti n’obtempéreraient pas. «Je vais ignorer cet ordre», annonce au téléphone Montse Venturos, maire de Berga, une ville de 16 000 habitants à 100 kilomètres au nord de Barcelone. «Ce n’est qu’un élément de plus parmi les obstacles que prépare l’Etat espagnol pour empêcher le droit à l’autodétermination du peuple catalan.» Déjà arrêtée l’an passé pour avoir laissé au balcon de l’hôtel de ville un drapeau indépendantiste en période électorale, Venturos se dit prête à aller en prison. «Si tant est que les autorités espagnoles soient capables de faire arrêter 700 maires. »
Le roi Felipe VI a joint sa voix au concert des unionistes. «La Constitution [de la Monarchie espagnole] prévaudra sur ceux qui prétendent briser le vivre ensemble», a-t-il déclaré mercredi 13 septembre. De son côté, la Cour constitutionnelle a averti les membres de la commission électorale ad hoc de sa capacité à les sanctionner.
Quant à la Garde civile, elle a fermé le site d’information sur le référendum, avant que le président catalan, Carles Puigdemont, ne divulgue les adresses de deux répliques hébergées à l’étranger. Dernier défi en date: le ministre régional de l’Economie a annoncé jeudi sa décision de ne plus soumettre ses comptes au contrôle de Madrid. Tout semblait à point pour que les indépendantistes lancent dans la soirée leur campagne «officielle» – mais «illégale» – par un grand meeting à Tarragone. [Le meeting «clandestin» a réuni le jeudi soir plus de 10’000 participant·e·s qui clamaient: «Nous voterons».] (Publié dans Le Figaro, daté du 15 septembre 2017)