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Catalogne: La CUP dresse bilan et perspectives

Catalogne

Lien publiée le 7 décembre 2017

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://blogs.mediapart.fr/antoine-montpellier/blog/061217/catalunya-la-cup-candidature-pour-lunite-populaire-fait-le-point-de-la-situation

Nous faisons le choix de présenter, dans son intégralité, ce long texte de la résolution adoptée par la CUP car il mérite l'attention de tous ceux, toutes celles qui, anticapitalistes ou partisan-es de ruptures radicales avec l'existant, s'interrogent sur le sens de la volonté d'indépendance catalane. Loin des idées reçues et des divers conformismes qui, hélas, entravent la pensée de gauche.

Note préliminaire des traducteurs

Nous vous proposons, ci-dessous, en versions catalane et française (mais celle-ci, traduite par X. et moi-même, sans l'annexe, que nous traduirons après notre retour de Bruxelles), la résolution politique adoptée par l'assemblée nationale extraordinaire de la CUP-CC le 12 novembre dernier, à Granollers, rendue publique le 24 novembre sur son site Internet : http://cup.cat/ponencia-ane-2017.

Ce document est d'une grande richesse, par l'autocritique qu'il contient, celle d'une trop grande adaptation des élu-e-s de la CUP dans les municipalités et au Parlament, durant les deux ans de la législature 2015-2017, au « processisme » institutionnel porté par Junts pel Sí, le manque de détermination de la CUP à construire par en bas les « souverainetés » nationales et sociales, les collectifs et « entités assembléistes » comme contre-pouvoir sur les lieux de travail, les quartiers populaires, les villages et villes de Catalogne pour rendre irréversible le processus constituant d'une République catalane sociale satisfaisant les besoins de base de la classe ouvrière et des classes populaires de Catalogne.

Il est rare qu'une organisation se livre ainsi publiquement à ce genre d'autocritique. D'autant que, comme chacun-e le sait, et comme le rappelle la résolution, les militant-e-s de la CUP, avec les CDR, n'ont certainement pas à rougir de leurs engagements pour « l'indépendantisme unilatéral », non négociable avec Madrid. Ils et elles ont été aux avant-postes des mobilisations de rue les 1er et 3 octobre contre la répression de l'Etat monarchiste bourgeois d'Espagne, en première ligne de la paralysie des voies routières et ferroviaires de toute la Catalogne le 8 novembre dernier.

On y voit aussi l'analyse très concrète que fait la résolution des élections imposées du « 155 CE », le partage des militant-e-s de la CUP entre boycott d'élections truquées et, finalement, votée majoritairement le 12 novembre, à 64,05 %, dès le premier tour, sa décision de présenter une liste propre, concurremment à deux autres options : une « liste citoyenne du pays sans représentants politiques » (12,59 %) et une « liste de coalition la plus large possible » (21,72 %). Depuis, Poble Lliure, une composante fondatrice historique de la CUP, a décidé de se rallier à la liste de l'ERC, quand une autre composante, Procés Constituent, tout en appelant à voter pour la liste de la CUP, a décidé de ne pas mener campagne pour ne pas cautionner ce « scrutin Rajoy ».

Par ailleurs, et conformément aux statuts de la CUP, les élu-e-s sortant-e-s ayant effectué deux ans de mandat ne seront pas candidat-e-s sur les listes du 21 décembre. Et, pour aller jusqu'au bout de ce turn-over démocratique visant à empêcher que ne s'installe dans leur parti une bureaucratie de coopté-e-s s'éloignant des préoccupations de la base militante, le secrétariat national vient d'annoncer, la semaine dernière, sa démission collective et la convocation pour le printemps 2018 d'une assemblée nationale ordinaire qui élira un nouveau secrétariat. D'ici là, le secrétariat démissionnaire gérera les affaires courantes, dont la campagne électorale du 21 décembre.

Nous attirons particulièrement l'attention sur le point 8 de la résolution intitulée « L'internationalisme » où les camarades de la CUP en appellent à renforcer leurs liens avec toutes les organisations anticapitalistes d'Espagne, d'Europe et du monde, à créer partout des Comités de Défense de la République catalane, à promouvoir les collectifs « With Catalonia ».

Dans ce sens i nous paraît important de répondre à l'invitation du collectif « Construyamos República » à se rendre à Barcelone le week-end des 16 et 17 décembre.

Texte repris d'une missive de P de Toulouse.

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VERS LA RÉPUBLIQUE DU 1ER-OCTOBRE

Table des matières 

1. Le pays que nous avons

2. Un référendum en marche

3. Un État autoritaire et réactionnaire

4. Les limites du gouvernement de Junts pel Sí

5. La voie catalane vers la démocratie

6. Auto-organisation et mobilisation populaire

7. Le municipalisme

8. L’internationalisme

9. La riposte à la répression

10. La République du 1er-Octobre

11. Les élections du 21 décembre, outil de rupture ou obstacle

12. Fin

ANNEXES [traduction à venir]

1. Lecture de deux mois convulsifs

2. La culture politique du « processisme »

3. Le rôle joué pat la gauche indépendantiste au Parlament

4. Entre la République et le 155

5. Un cadre d’action politique pour un nouveau cycle politique

6. Une proposition électorale pour le 21 décembre

1. Le pays que nous avons

1.1. Au cours des dernières décennies, dans les Pays catalans comme dans tout le sud de l’Europe, le capitalisme patriarcal s’est construit sur l’exploitation de la classe ouvrière, la double exploitation des femmes, la dépossession et l’inégalité, dirigées et appliquées par les institutions européennes, espagnoles et autonomes en accord avec les élites politiques et économiques, d’ici et d’ailleurs, ayant fracturé les territoires, privatisé une bonne partie des infrastructures et des secteurs de base, et dégradé ainsi les droits et les acquis de tous pour le bénéfice de quelques-uns. Ce processus s’est accompagné du démantèlement du tissu productif et du secteur primaire, en centrant la vie productive sur la monoculture du tourisme, la spéculation immobilière et la financiarisation de l’économie.

1.2. Le patrimoine public a été progressivement mis aux enchères et même détruit pour sa partie qui garantit les services de base, pour constituer un nouveau créneau de marché enraciné à partir de 2007, avec la crise économique. Le manque de capacité des administrations publiques à générer des revenus du fait de la diminution de l’activité économique s’est ajouté aux problèmes structurels qui conduisent à un manque de ressources – principalement dû à la faible pression fiscale sur les grandes fortunes et les multinationales et à la fraude fiscale. Le résultat a été un lourd endettement, à des taux d’intérêt abusifs, de presque toutes les administrations publiques auprès des banques et des fonds d’investissements internationaux. Quand on a vu que la dette – contractée en grande partie pour des investissements d’un intérêt général douteux pendant les années de bombance – était très difficile à assumer, il a été décidé de vendre une partie des structures publiques à un prix soldé, pour, dans de nombreux cas, les mettre entre les mains des opérateurs mêmes auprès desquels la dette avait été contractée.

1.3. A l’époque des gouvernements de droite, aussi bien dans les Iles que dans le Pays valencien et le Principat, ces politiques prédatrices des territoires et de privatisation des secteurs stratégiques ont été massives, mais l’entrée de la gauche d’« ordre » dans les principales institutions des Pays catalans sous administration espagnole, malgré des progrès dans les politiques culturelles, linguistiques ou éducatives, n’a pas servi à inverser cette situation, et ont continué à gouverner les diktats des élites économiques avec la consolidation des privatisations et l’amenuisement des institutions publiques. Ces gouvernements, loin de chercher une sortie de l’autonomie, ont mis sur la table une nouvelle négociation pour la redistribution du pouvoir territorial qui a davantage contribué à favoriser une nouvelle phase autonome et pactiste avec l’État et non une rupture démocratique contre les cadres imposés.

1.4. Ainsi, sommes-nous arrivés aujourd’hui à un secteur public exsangue, largement démantelé, avec des groupes d’intérêts financiers qui continuent à faire pression pour le sucer jusqu’au sang et finir par s’emparer de secteurs aussi essentiels que la santé. Cela signifie une perte de souveraineté pour l’ensemble de la population. C’est une tromperie de parler de souveraineté dans un pays où la gestion de l’eau, de l’électricité – et des autres énergies –, des communications, des principales infrastructures et d’une grande partie des services publics est privatisée. A cela il faut ajouter que nous vivons dans un pays sans banque publique forte et où tout le système financier – auquel a été donné le monopole absolu de la politique monétaire et financière – n’agit que pour son propre bénéfice et dans la plupart des cas contre le bien commun. Une banque qui a reçu une aide de plusieurs millions d’euros tout en expropriant des milliers de logements, voilà une bonne métaphore des relations qui nous gouvernent. L’inversion de ce modèle est une priorité si l’on veut vraiment retrouver notre propre souveraineté.

1.5. En résumé, dans le but de favoriser les processus d’accumulation du capital dans un contexte de crise économique et institutionnelle, a été facilitée la réduction des droits sociaux et du travail sur le marché du travail par des réformes successives, en commençant par les coupes dans le pouvoir d’achat de la classe ouvrière, les coupes dans les droits syndicaux, les retraites et les pensions ou la destruction de fait du système de sécurité sociale, ce qui a creusé les inégalités, augmenté le nombre de personnes avec des ressources minimales, ou celles qui, tout en travaillant, sont en situation de pauvreté.

1.6. Pour surmonter ce contexte de dépossession collective, nous avons vécu, surtout dans le Principat, la croissance de la volonté politique d’une grande partie de la population de construire une nouvelle république qui puisse servir de levier pour changer le statu quo du Régime de 78, héritier de la dictature de Franco imposé par cette oligarchie économique, qui a également un bureau au Foment del Treball [le CNPF d’Espagne] à Barcelone, et le système qu’il représente. A partir des amputations au Statut de 2006 et de la manifestation du 10 juillet 2010, une bonne partie de la population de Catalogne a compris l’impossibilité de satisfaire ses revendications d’amélioration des conditions de vie dans le cadre politique, économique, juridique et institutionnel de l’État espagnol. C’est pourquoi, dans ce contexte de crise économique, l’indépendantisme est devenu de plus en plus un outil d’émancipation sociale. Le renforcement et la politisation de la société catalane ont augmenté au cours des dernières années et ont permis de grandes mobilisations persistantes de millions de personnes ainsi qu’un acte de désobéissance massive de 2 millions de personnes le 9 novembre 2014. C’est dans ce contexte que les élections du 27 septembre 2015 ont été convoquées sous la forme d’un plébiscite pour l’indépendance. Le résultat de ces élections, où l’indépendantisme explicite a clairement gagné par le nombre de députés mais n’a pas atteint les 50 % des voix, n’a pas permis une lecture claire de la volonté de la majorité des Catalans, en particulier avec la décision de la CSQP de ne se rallier à aucun bloc, bien que finalement son groupe parlementaire ait opté pour le « non ». Les candidatures qui ont appelé au « oui » à l’indépendance ont totalisé 1 966 508 voix, face aux 1 976 553 voix des partis qui ne la revendiquaient pas. Les voix obtenues par JxSí égalaient le total des votes que CiU et ERC avaient obtenus séparément en 2012, seule la CUP-CC augmentait d’environ 200 000 voix pour le « oui ».

1.7. Ces dernières années, et à la suite de la conjonction de diverses crises institutionnelles, démocratiques et socio-économiques, accompagnées de mouvements de masse qui ont fait des progrès significatifs dans la conscience des peuples soumis par la monarchie bourbonienne (le mouvement souverainiste et indépendantiste en Catalogne, les 15M partout dans l’État espagnol et la lente avancée d’un nouveau mouvement ouvrier et populaire – autonome des vieilles structures pieds et mains liés aux intérêts de l’État et à son idéologie du pouvoir), l’État des Autonomies est entré dans une crise profonde, une crise du régime. Face aux multiples difficultés et à la profondeur de la crise économique et institutionnelle, l’État et ses classes dirigeantes ont opté pour une fuite en avant qui cachait un projet de redéfinition du régime à partir des éléments suivants :

1. la tendance à la recentralisation politique, administrative et économique par rapport au modèle de l’État ;

2. la facilitation des processus d’accumulation capitaliste fondée sur la privatisation, à chaque fois plus, de secteurs économiques ;

3. la réduction des droits politiques et sociaux dans le but de renforcer les processus susmentionnés.

En Catalogne, où cette crise de régime s’est aggravée en raison de la confluence des différentes crises mentionnées (institutionnelle, démocratique et socio-économique) qui se sont traduites par l’articulation de multiples mouvements de nature national-populaire qui ont matérialisé une alternative, l’État a été sur le point de s’effondrer. L’évolution de cette crise sera décisive pour la refondation ou l’effondrement définitif de ce régime, ainsi que pour la configuration d’une nouvelle République catalane et l’articulation d’alternatives de gauche et souverainistes dans les autres Pays catalans, et pour les autres populations de l’État espagnol.

2. Un référendum en marche

2.1. Dans ce contexte d’absence de majorité claire au plébiscite et face à une logique du gouvernement de Junts pel Sí purement autonomiste et néolibérale, exprimée à la fois dans le projet de budget 2016 qui présentait le processus en termes de déconnexion à travers les lois magiques et désuètes de déconnexion ainsi que, par exemple, la coupe budgétaire pour les fonds de l’école inclusive, la CUP-CC, avec d’autres acteurs politiques, a rejeté le projet de budget et, après l’Assemblée d’Esparraguera en juillet 2016, a émis la nécessité d’organiser un référendum sur l’autodétermination comme une formule démocratique pour la résolution du conflit. La proposition référendaire a été assumée par le président Puigdemont lors du vote de la confiance avec le slogan « référendum ou référendum ». Après la mise en place du Pacte Nacional pel Referèndum, il était évident que seul le référendum unilatéral était possible et le gouvernement a commencé à l’annoncer pour le 1er octobre. L’acceptation par la CUP-CC du budget 2017, une décision tactique pour garantir le référendum, a eu un effet ambivalent, d’une part elle n’a laissé aucune excuse possible aux secteurs autonomistes de ne pas s’orienter vers l’autodétermination et, d’autre part, elle a entraîné une certaine rupture entre la CUP-CC et certains secteurs de la gauche et populaire qui n’étaient pas d’accord avec le pacte avec le gouvernement.

2.2. En ce moment, personne ne peut nier le pouvoir de l’unilatéralisme en tant que facteur générateur de conflit démocratique ; c’est-à-dire, faire surgir le véritable caractère antidémocratique de l’État. Nous récusons la thèse des Comuns et d’ICV, qui appelaient à un dialogue qui n’a débouché nulle part, en ce sens qu’il y a une grande majorité [de droite] représentée au Congrés, et aussi, comme nous l’avons vu, avec une monarchie et un pouvoir judiciaire qui ne sont pas prêts à accepter le droit à l’autodétermination, et par conséquent, le dialogue ne peut pas être proposé sur la base de la demande légitime formulée par un pourcentage très majoritaire de la société catalane. C’est seulement en générant des contextes d’unilatéralité qu’on provoque des changements sur la table de jeu et qu’on avance dans la construction de la république.

2.3. Les circonstances répressives dans lesquelles se sont déroulées tant l’organisation préalable que la campagne référendaire du 1er-Octobre, combinées avec cette grande majorité autodéterministe existante et la culture d’auto-défense des droits imprégnant une partie importante de la société, se sont concrétisées par une occupation massive des rues à partir des arrestations du 20 septembre ainsi que des bureaux de vote le soir et la nuit du 29 septembre pour garantir la tenue du référendum du 1er octobre dans les conditions dans lesquelles il s’est réalisé, avec un vote effectif de 2 286 000, dont plus de 2 millions indépendantistes. La force de l’auto-organisation dans le déroulé de ce jour exceptionnel s’est rapidement répliquée avec la matérialisation d’une grève générale le 3 octobre, dont les défenseurs du référendum furent les protagonistes, et les syndicats de collaboration à la marge. Cela a démontré la force du mouvement à ce moment-là et le caractère idoine des journées des 4 et 5 octobre, une période pré-insurrectionnelle, propices à la proclamation de la République, mais la date fixée pour la reconnaissance des résultats du référendum a été retardée, provoquant un certain refroidissement dans les ambiances générées le 3 octobre et alertant tous les pouvoirs établis sur la gravité de la situation.

2.4. C’est précisément la nature de ce moment qui a fait réagir non seulement les institutions de l’État mais aussi le roi Felipe lui-même, ainsi que l’oligarchie économique catalane et tous les pouvoirs établis, ce qui confirme que la lutte des classes sous-tend le processus d’indépendance (contre l’État espagnol qui n’est rien d’autre qu’un outil au service d’une coalition d’intérêts de classe qu’incarne le Régime de 78). Cette pression sur le mouvement dans son ensemble, mais surtout sur le gouvernement de la Generalitat de Catalogne, a directement résultée de l’intervention des secteurs liés à l’Union européenne, de la banque catalane et d’une bonne partie du grand patronat, et de l’auto-proclamation à un rôle de médiateur par des acteurs aussi divers que l’archevêque de Barcelone, le lehendakari [le président du gouvernement de la Communauté autonome du Pays basque], le doyen du barreau des avocats de Barcelone ou Ada Colau qui, dans son dessein de geler le moment, a contribué à affaiblir la rupture et retarder la déclaration de la République.

2.5. Il faut revendiquer le rôle de la CUP-CC et de l’ensemble de l’Unité Populaire dans la réalisation du 1er-Octobre et la manière avec laquelle il s’est réalisé. Les concepts de la désobéissance civile, de débordement et d’auto-défense des droits ont été mis en évidence à plusieurs reprises dans le discours public de la CUP-CC. Ils ont été affichés dans la pratique politique avec l’ensemble de la société du Principat : défense du siège national de la CUP, « abandons » de poste des élus municipaux les jours de participation aux initiatives lancées par les CDR, les Escolesobertes [Ecoles Ouvertes] ou les autres formes promues par les acteurs de notre camp de l’Unité Populaire ou auxquelles ils ont participé. Finalement, l’objectif de l’irréversibilité des étapes du processus d’indépendance que nous avions fixé parmi les objectifs de la législature a eu lieu dans le cadre du 1er-Octobre. Le 1er-Octobre a révélé un avant et un après avec la prise de conscience politique d’une partie importante du pays et un premier élargissement par la gauche du mouvement indépendantiste. Et, en même temps, il a été un exercice de gymnastique révolutionnaire de masse semant les graines des fruits à venir.

3. Un État autoritaire et réactionnaire

3.1. La riposte de l’État s’est matérialisée par une très dure répression contre le mouvement indépendantiste. Contre les mairies, contre la classe ouvrière et les classes populaires le jour du 1er octobre, contre ceux que l’État considère comme la direction politique (emprisonnement des dirigeants de l’ANC et d’OC et du gouvernement et inculpation du Bureau du Parlement) et une avalanche de cas de répression de moindre intensité déployée contre les secteurs qu’il considère comme les plus hostiles (enseignants, mossos, journalistes…) à travers les soi-disant délits d’incitation à la haine et contre l’ordre public. Une attitude prévisible pour l’idiosyncrasie propre à l’État espagnol qui développe, en 2017, ce qu’il a toujours fait. Si bien que nous ne pouvons nous empêcher de nous rappeler que les délits de sédition et surtout de rébellion sont les formules qui ont conduit à la mort et à l’emprisonnement des milliers de camarades républicains au cours du xxe siècle.

3.2. L’application de l’article 155 de la Constitution espagnole a été l’expression institutionnelle la plus claire de la volonté d’agacer les institutions catalanes par une pression qui a toujours existé dans l’État et qui s’est consolidée au cours de la période 1978-2017. Elle se veut aussi un outil garantissant les conditions et les interventions nécessaires pour favoriser la victoire des forces qui soutiennent le Régime de 78 (PP-C’s-PS) à la Generalitat. La formule choisie, qui ne respecte même pas la lettre du texte constitutionnel, consiste en une mise sous tutelle totale de toutes les administrations, à tous les niveaux et avec des possibilités de prorogation dans le temps, avec le transfert de tout le pouvoir exécutif catalan à l’exécutif de Rajoy. Il a été dit que c’était un 155 doux, mais son caractère plénipotentiaire lui permet de faire n’importe quoi.

3.3. Le scénario répressif qui a été construit a mis en évidence, d’une part, le manque d’indépendance judiciaire de l’État, en particulier les organes centraux tels que l’Audiència Nacional ou les hautes magistratures, tels le Tribunal Suprem et le TSJ, et, d’autre part,  la configuration de nature réactionnaire de tous les pouvoirs de l’État coordonnés dans la stratégie de nier la possibilité de l’indépendance de la Catalogne. Évidemment, la continuité sans rupture ni épuration dans la justice, le parquet et la police de tout l’appareil franquiste et de sa culture a favorisé ce contexte et a empêché un certain contrepoids formel que l’on peut trouver dans certaines démocraties libérales. Il ne s’agit pas de la question de qui gouverne, des visées d’un parti politique concret, il s’agit d’un dispositif institutionnel en bloc qui agit contre la Catalogne et qui refuse toute recherche d’une solution démocratique.

3.4. Il n’y a jamais eu de dissolution externe d’une chambre parlementaire en Europe de l’Ouest après la Seconde Guerre mondiale. Seulement le 155 de la Constitution espagnole en Catalogne. Cette décision, partagée et planifiée par la direction du PSOE en Catalogne, a complètement reconfiguré la carte politique en créant un bloc PP-C’s-PSOE qui défend l’imposition et la réduction des droits, prêt à tout pour nier le droit à l’autodétermination. Seul IU-Podemos a maintenu un pôle de défense abstraite de ce droit en Catalogne mais avec beaucoup de tensions internes qui révèlent qu’une partie importante de ces organisations ne croient pas en la Catalogne en tant que sujet politique ou que leurs calculs électoraux sont plus puissants que leurs propres convictions. Seul Podem en Catalogne, maintenant expulsé par le parti étatique, a toujours défendu l’exercice de ce droit, en dépit du fait qu’il n’est pas d’accord avec ses résultats concrets et qu’il préférait un référendum négocié.

3.5. En Catalogne, le label électoral CSQP, avec le soutien d’ICV, EUiA, Podem et Equo, a fini, pendant cette législature, de jouer son rôle d’étayage du régime. Tout en se déclarant souverainiste et en défendant dans son programme le processus constituant, quand il s’est agi de prendre des décisions pour faire avancer la reconnaissance de l’autodétermination lors de la Plénière du Parlement, CSQP, en général, a voté avec le bloc unioniste, ce qui a provoqué beaucoup de tensions internes, notamment le désaccord des députés de Podem. Le discours officiel de ce courant, celui des Communs, a été la défense d’un référendum négocié avec l’État espagnol, jamais unilatéral. En dépit des références constantes au processus constituant de la direction de CSQP, ils n’ont pas saisi une seule occasion pour l’argumenter d’une manière qui ne soit pas subordonnée à l’État, au contraire, ils ont joué le blocage constant et la version intellectuelle du maintien du cadre existant. Ils n’ont pas été capables de résoudre l’équation : comment un processus constituant peut-il avoir lieu aujourd’hui en Catalogne sans rupture, même transitoire, avec l’État espagnol ? Catalunya en Comú continue sur cette position stérile pour résoudre le conflit.

4. Les limites du gouvernement de Junts pel Sí

[La majorité du gouvernement de Junts pel Sí est actuellement enfermée en prison ou en exil et cette circonstance extraordinaire impose un maximum de respect pour les personnes réprimées et leur entourage. Cependant, il est indispensable de pouvoir analyser politiquement leur rôle au cours de la législature pour évaluer quelle est la meilleure décision à prendre.]

4.1. Le projet JxS a été le résultat de la nécessité pour l’ancienne CiU de se maintenir au pouvoir et de la stratégie d’ERC d’occuper lentement une partie de l’espace électoral convergent. Le résultat en matière sociale et de genre a été un programme qui, malgré une certaine rhétorique plutôt progressiste, ne remettait pas en cause l’essentiel du modèle néolibéral, l’application de l’austérité et les privilèges et prébendes des secteurs fortunés aux dépens de la gestion autonomiste. Sur le plan national, sous une feuille de route apparemment structurée de 18 mois de transition vers l’indépendance, il y avait à l’évidence une absence de réponses claires sur la réaction de l’État et un aperçu de la stratégie consistant à forcer certains types de négociations avec cet État. Les résultats du 27 septembre, la composition parlementaire et l’action de la gauche indépendantiste ont conditionné – avec plus ou moins de succès, selon les cas – ce programme politique.

4.2. Dès le début de la législature, la CUP-CC a travaillé à la prise en charge par le gouvernement d’un plan de choc de déploiement de mesures pour l’urgence sociale. Un tel plan de choc aurait associé d’importants secteurs de la classe ouvrière et des classes populaires à la lutte républicaine. L’application des mesures incluses dans la déclaration du 9 novembre 2015 et celles discutées pendant le processus d’investiture auraient aidé à commencer à corriger les coupes budgétaires, bien que lesdites mesures aient été minimes, une compresse sur une plaie sanglante. Et cela fut une constante à partir de ce moment et dans toutes les négociations ultérieures, le refus de Junts pel Sí, surtout sous la pression du PDECat, de céder la place à un programme minimal de réformes.

4.3. Les mesures du plan de choc social proposées par la CUP-CC étaient parfaitement viables même dans le cadre de l’autonomie, et auraient pu contribuer à améliorer considérablement les services publics. En ce qui concerne l’éducation et dans le contexte du deuxième débat budgétaire, le débat sur le chapitre de l’éducation s’est inscrit dans le cadre d’une certaine mobilisation du secteur. Cependant, il faut aussi faire preuve d’autocritique dans l’évaluation de la stratégie de lutte dans ce secteur. Du point de vue institutionnel, l’accord budgétaire entre la CUP-CC et le gouvernement est arrivé un mois avant l’approbation des budgets entravant la route de la lutte du secteur. Du point de vue syndical, il y a eu deux appels à la grève, dont un seul a été effectif avec une faible participation, tandis que l’autre a été retiré prématurément. Le résultat des revendications gagnées a été très ambivalent et avec quelques violations flagrantes. Au-delà, la plupart des amendements et des propositions soutenus par la CUP-CC dans les deux négociations budgétaires de la législature n’ont jamais été inclus par le gouvernement de Junts pel Sí, ce qui démontre, d’une part, la prédominance des politiques néolibérales des dernières années du gouvernement Mas et l’incapacité d’ERC à les renverser, et d’autre part, la difficulté de JxS d’assumer la nécessaire désobéissance à toutes les lois suspensives du TC [Tribunal constitutionnel], même si des déclarations avaient été signées à ce sujet.

4.4. La nécessité pour ERC d’être considéré comme un parti de gouvernement, et surtout d’incarner le centre politique, l’a conduit à renoncer aux simples transformations concrètes pour s’en tenir à des politiques de réduction des coupes budgétaires. Il a choisi d’être perçu comme un acteur cohésif, facilitateur et central, et a systématiquement refusé de se positionner en faveur des gauches dans chacun des débats clés de la législature (sur l’investiture et sur les deux budgets). En ce sens, en période de « croissance » économique, il est normal que les budgets de la Generalitat aient plus d’argent pour les politiques sociales, mais en aucun cas ne s’est manifestée une claire volonté du gouvernement d’engager en profondeur la redistribution des richesses. Ainsi, la CUP-CC a toujours dénoncé qu’il ne s’agissait pas seulement d’allouer plus d’argent aux politiques sociales, mais qu’il était indispensable de commencer à inverser les conditions de vie matérielles de la classe ouvrière et des classes populaires. En ce sens, et comme une autocritique qui doit nous être aussi adressée, la CUP-CC, de manière trop systématique, a intériorisé le discours de la gestion de la misère comme un moindre mal.

4.5. Nous devons également prendre en compte, dans cette période politique, en particulier la première année de la législature, qu’aucun acteur, ni la CUP-CC ni la gauche indépendantiste et anticapitaliste, n’a réussi à mettre au point central qu’il aurait mérité, le programme de mobilisation sociale que la crise économique et sociale exigeait. Cela a considérablement conditionné notre opposition du moment à la gestion néolibérale du gouvernement et même notre capacité à conditionner certaines politiques concrètes, et nous a rappelé une fois de plus que, dans une volonté contre-hégémonique comme la nôtre, sans mobilisation populaire, il est pratiquement impossible de gagner des victoires dans les institutions.

4.6. Tout au long du processus, nous avons fonctionné avec, d’une part, la nécessité de mobiliser la classe ouvrière et les classes populaires et, de l’autre, celle d’expliquer les énormes difficultés pour rendre l’indépendance effective. A la CUP-CC, on a essayé de mettre sur la table qu’il était nécessaire de faire face à l’énorme problème de la façon de mettre fin au pouvoir de l’État espagnol dans les Pays catalans. Chaque fois qu’on a essayé de le faire, une grande partie de l’indépendantisme a poussé des cris au ciel en nous mettant des bâtons dans les roues, « le gouvernement le fait bien, faisons-lui confiance ». Il faut aussi dire que durant ces années le débat a été plus centré sur la discussion avec le front monarchique sur le droit à l’autodétermination que sur la discussion collective de comment s’y prendre. En tant que CUP-CC, nous aurions dû approfondir davantage dans ce sens, nous en faisons l’autocritique. Comme nous le faisons également concernant la clarification du véritable rôle joué par l’U€ en faveur du statu quo et de ne pas avoir trouvé le moyen d’exprimer notre préoccupation quant au niveau de manque de préparation du gouvernement que nous percevions, sans générer un effet démobilisateur.

4.7. Il faut également ajouter que le gouvernement n’avait pas suffisamment travaillé le scénario de l’unilatéralité pure, confiant qu’il existerait, même au dernier moment, une proposition de négociation avec l’État espagnol. Son inexistence et les pressions qu’a subies le gouvernement de la part de l’oligarchie et de ceux qui ont fait son jeu, à partir du 3 octobre, pressions acceptées avec la déclaration « suspendue » du 10 octobre, l’ont acculé dans une position de faiblesse extrême, seulement surmontée par la déclaration de la république le 27 octobre sous la pression populaire, bien qu’elle n’ait pas été suivie du déploiement institutionnel nécessaire. Comme exemple d’unilatéralité appliquée à un processus d’indépendance, nous avons la Slovénie, ceci dit, dans un contexte de majorité indépendantiste très claire dans un référendum et disposant d’une structure institutionnelle utile pour le projet indépendantiste, y compris certains champs de pouvoir comme l’armée et la police. La « voie slovène » n’est pas possible en Catalogne dans les conditions actuelles. Nous ne disposons ni de la même puissance institutionnelle (au sens le plus littéral du terme) ni d’une majorité équivalente à la slovène. A cela s’ajoutent, dans notre cas, les fameuses structures étatiques qui sont apparues incomplètes, insuffisantes ou inutiles dans le contexte où nous sommes. Il faut assumer aussi l’autocritique de n’avoir pas mis en avant pendant toute cette dernière période un cadre de mobilisations plus fortes et plus réactives qui aurait pu corriger cette situation et de n’avoir pas été capables de comprendre l’importance de ces mobilisations, ni d’avoir fait toutes les propositions sur la façon dont devaient se concrétiser ces structures étatiques dans un contexte d’unilatéralité, bien que nous ne disposions pas et de loin d’une équipe d’élus équivalente à celle du gouvernement.

4-8. D’un autre côté, il a aussi été démontré que l’État espagnol, comme la majorité des États, ne comprend que la mobilisation massive et les faits. La lutte de libération nationale a toujours demandé que des grandes masses de la population soient disposées à affronter la violence et la répression de l’État. Cela ne veut pas dire se sacrifier, mais voir clairement que l’État espagnol ne cédera pas au verdict des urnes et qu’il faudra résister à sa répression. Dans ce sens, durant la législature et pendant la préparation du référendum, cette capacité répressive de l’État a été sous-estimée, et il n’a pas été pris en compte que nous affrontions un État qui dispose de tous les pouvoirs afin de maintenir son propre statu quo et se perpétuer. Le discours « fidélité à la loi » et « la révolution des sourires », que nous avons à peine tenté de combattre timidement pour ne pas rompre l’unité, n’a pas servi pour ce que nous allions faire et n’a pas préparé la classe ouvrière et les classes populaires ni aux difficultés à l’heure de mettre en œuvre la république ni à faire front à la vague répressive de l’État, ce qui a facilité la démobilisation au moment où elle était le plus nécessaire, avec le discours de la peur.

4.9. Le « processisme » a consolidé une culture politique qui, à l’heure qu’il est, est un des principaux fardeaux pour l’indépendance. Quelques-uns de ses éléments principaux sont :

a. La verticalisation des décisions et le manque de critique ont été le terrain investi pour tout miser sur l’astuce.

b. L’idée d’un passage à l’indépendance fondé sur la fidélité à la loi a déconstruit complètement les éléments principaux de tout processus d’autodétermination : la dispute/conquête du pouvoir et la rupture avec le régime illégitime antérieur. Ainsi, cela a légitimé les institutions autonomes qui, au lieu d’être des institutions visant à remplacer les institutions espagnoles sont devenues  des institutions à défendre pour elles-mêmes.

c. La croyance en la neutralité des institutions européennes et la recherche d’un arbitre qui appliquerait une législation internationale neutre en matière d’autodétermination ont été un des facteurs qui a introduit le plus de confusion durant ce mois d’octobre.

d. La confusion entre désobéissance civile non violente et renoncement à désobéir à la légalité espagnole a failli faire échouer la défense des bureaux de vote et empêché à de nombreuses occasions que la rue intervienne comme « tenseur ».

e. La continuité dans la gestion néolibérale et l’aggravation des conditions de vie des classes populaires et surtout des femmes. D’abord avec un fonctionnement d’entière normalité autonome pour ce qui est des budgets, remboursement de la dette prioritaire par rapport à tout autre besoin, consolidation des privatisations et des coupes budgétaires, et ensuite avec le prétexte d’attendre un processus constituant qui devait servir pour débattre du cadre néolibéral actuel dans lequel se situe la gestion de JxS.

Le succès des 1er et 3 octobre a été de fait une entorse à la globalité de ce projet. Il a révélé que le niveau de conscience populaire dépassait de beaucoup les limites dans lesquelles ce souverainisme avait voulu l’enfermer. Il faut donc maintenant plus que jamais continuer à construire une culture politique pour l’ensemble du mouvement indépendantiste qui se fonde sur des éléments matériels, dans un esprit critique et dans une perspective de rupture.

5. La voie catalane vers la démocratie

5.1. La proposition de la CUP-CC est de centrer son activité politique dans les prochains mois sur les cinq axes suivants :

• Auto-organisation et mobilisation

• Municipalisme de libération

• Internationalisme

• La riposte à la répression

• République du 1er-Octobre et processus constituant

5.2. Les derniers mois, on a pu constater que, bien que les forces souverainistes tenaient au niveau institutionnel le contrôle du gouvernement et du parlement et au niveau de la rue avec deux associations d’une grande capacité de mobilisation, cela n’a pas été suffisant pour défendre la république. En ce sens, L’Unité Populaire a le devoir de prendre la direction du processus de rupture avec l’État espagnol et le devoir de mettre en œuvre la République catalane.

5.3. Au niveau institutionnel, l’Unité Populaire doit s’assurer que l’administration autonome n’est pas neutre face aux coups de l’État espagnol et que c’est une pièce maîtresse pour la construction de la République. En ce sens, La CUP doit s’insérer dans ce processus d’où elle sera le plus efficace. Les autres forces du dit bloc souverainiste ont   souffert d’une usure importante tant au niveau social (la fin du « processisme » magique) qu’avec la mortifère répression, que l’Unité Populaire doit aider à surmonter.

5.4. Au niveau de la rue, durant la période 2012-2017, le leadership d’entités comme l’ANC et Òmnium Cultural a été évident quant aux mobilisations à but d’autodétermination et/ou indépendantistes, spécialement les plus massives comme celles des Diades des 11 septembre. Investissant ces espaces, des dizaines de milliers de personnes se sont impliquées politiquement pour la première fois. Cependant leurs lignes politiques et stratégiques ont été dépassées par le cycle actuel de répression et de conflit avec l’État. Quand le cadre de la désobéissance a cessé d’être simplement discursif pour que devînt nécessaire sa matérialisation afin que pût se réaliser le référendum du 1er octobre, ce leadership s’est dilué, alors qu’ont émergé de nouveaux espaces d’auto-organisation populaire (les CDR entre autres) caractérisés tant par leur détermination à une désobéissance plus claire et par une horizontalité qu’a perdue l’ANC. La paralysie certaine des entités [ANC et Òmnium Cultural], dans les moments clés, a contrasté avec la croissante mobilisation qui s’est produite hors de ces organisations et le leadership qu’ont déjà pris les forces de l’Unité Populaire, bien plus rompues, pour leur malheur, à se mouvoir dans des contextes d’action-répression. Après l’irruption des CDR, l’ANC et Òmnium ont joué un rôle démobilisateur en diverses occasions. Depuis les appels qui parvenaient aux groupes unitaires auxquels nous participions lors du 1er-Octobre à ne pas résister face aux forces d’occupation et pour que nous nous limitions à « obtenir » la photo de  la confiscation des urnes, jusqu’à la contre-programmation de la manifestation des syndicats le jour de la grève générale du 3 octobre, en passant par le mutisme de ces organisations après le recul du 10 octobre et la tentative de pacte avec l’État du 26 octobre. Il faut aussi renforcer les CDR comme contre-pouvoir qui concurrence ce souverainisme, mal nommé transversal, que, désormais, nous ne devrions pas hésiter à qualifier de gouvernemental. A part ça, il faut que la gauche indépendantiste et les CDR aspirent à être ceux qui dirigent le processus et le contrôle du territoire depuis leur perspective idéologique si nous voulons devenir hégémoniques et abandonner comme repères les institutions et les partis de gouvernement.

6. Auto-organisation et mobilisation populaire

6.1. Le rôle des Comités de Défense, comme des collectifs auto-organisés au niveau local et de quartier, a été un des phénomènes les plus intéressants des mobilisations développées avant et après le référendum, en particulier leur rôle les 1er et 3 octobre. Ça a été une des expériences surgies tout au long du dit processus souverainiste dans lesquelles des secteurs populaires, bien plus larges que la gauche indépendantiste et alternative, se sont organisés pour défendre leurs droits en mettant en évidence leur caractère populaire et assembléiste, auxquels se sont unies des personnes qui militaient à l’ANC et qui, devant la frilosité et le manque d’orientation et d’adaptation de leur organisation face à la nouvelle situation, ont  tourné leur militantisme vers les CDR. L’engagement de la CUP, et de beaucoup d’autres espaces, pour impulser ces champs d’auto-organisation populaire a été très important et nous pouvons affirmer que, sans ces comités de défense et  groupes de voisinage auto-organisés, le référendum serait probablement resté dans une mobilisation bien moins réussie. Ces espaces se sont aussi cristallisés du fait des conditions de répression extrême dans lesquelles s’est déroulé le référendum du 1er octobre et, postérieurement, l’arrestation et l’incarcération des leaders de l’ANC et d’Òmnium, de huit membres du gouvernement, ainsi que de l’exil forcé du président et du reste du gouvernement. Une circonstance qui a permis que les citoyens les moins politisés découvent le caractère autoritaire de l’État espagnol et grâce à cela prennent l’engagement de défendre les droits nationaux de la Catalogne et leurs droits de citoyens.

6.2. Sur tout le territoire s’est engrangée une large diversité d’expériences d’organisation, et la base militante de la CUP a participé à ces espaces en fonction des diverses réalités existantes :

• Dans le cas des CDR conçus comme espaces qui pratiquent la désobeissance civile, espaces d’auto-organisation populaire, horizontaux et organisés à partir d’une assemblée de voisinage, la CUP y a participé et continue à y participer à travers de nombreux militants, collaborateurs ou sympathisants qui continuent à y apporter leur contribution personnelle.

• Dans le cas des tables-rondes ou espaces de coordination de partis et organisations pro-référendum, articulés avec d’autres associations ou collectifs pour la défense du référendum, la CUP y a participé à travers les représentants que chaque assemblée locale y déléguait.

6.3. La participation à ces deux types d’espaces est positive et totalement compatible l’une avec l’autre. Cependant, la CUP investit et priorise tous ces espaces de participation et de prise de pouvoir populaire où chacun peut se sentir partie prenante au-delà de logiques de parti quelles qu’elles soient. Nous estimons que la base militante de la CUP doit continuer à être partie prenante des comités dans la mesure du possible – comme dans d’autres mouvements populaires – en contribuant à dynamiser et enrichir leurs processus de débat et de décision. La CUP et la gauche indépendantiste pourront débattre des propositions de toute sorte qui pourront irriguer les comités seulement à travers les tâches de base que les militants mèneront à terme. Cela implique de rejeter d’office les pratiques dirigistes et de cooptation partisanes qui peuvent se diffuser au sein des comités.

6.4. En ce qui concerne la classe ouvrière et les classes populaires organisées autour des CDR ou espaces semblables, et dans l’immédiat, il est nécessaire de produire une stratégie collective de politisation. Après la phase d’accumulation de forces qu’ont portée les mobilisations massives initiées en 2012 et qui ont été un succès, depuis le 1er octobre a commencé une nouvele phase de politisation des personnes qui participent aux mouvements populaires.

6.5. Ci-dessous, exposons quelques-unes des lignes politiques qui, en accord avec le travail que nous avons réalisé partout sur le territoire, pourraient servir de guide d’action pour le militantisme au sein des comités :

A. Défense de la république et des moyens pour la rendre effective : il faut dénoncer toute espèce de pacte ou de concertation qui suppose renoncer ou subordonner la matérialisation de la république ; dans ce contexte, les CDR devraient continuer à être des organismes qui permettent de défendre les conquêtes populaires et des instruments de construction nationaux et sociaux dont le peuple puisse se doter dans l’exercice du droit à l’autodétermination en proposant des actions telles les suivantes :

a. Dénoncer toute sorte de pacte ou de concertation qui suppose subordonner ou renoncer à la matérialisation de la république.

b. Critiquer les limites du processus actuel et défendre les droits des personnes  exclues. C’est en particulier le cas des migrants, dont beaucoup ont participé aux journées de défense des bureaux de vote bien qu’ils ne soient pas autorisés à voter. 

 c. Défendre l’ensemble des Pays catalans comme cadre national. Diffusion des actions en tout lieu du pays, organisation d’actions solidaires au-delà des limites de l’autonomie face aux agressions, etc.

d. Actions de dénonciation des institutions internationales qui soutiennent l’État espagnol : UE, OTAN, etc.

B. Pour la république des travailleurs et des classes populaires : la classe ouvrière et les classes populaires ont été celles qui, dans une véritable unité populaire, sont devenues les meilleurs défenseurs du référendum, ensuite elles ont répondu à la répression et elles se sont montrées les plus disposées à concrétiser et défendre la république. Elles doivent donc être celles qui construisent et modèlent à leur mesure la nouvelle république :

a. Pour cela les CDR doivent aussi être les défenseurs des droits de la classe ouvrière et des classes populaires, en liant l’indépendance à ces droits, et à la capacité des classes populaires de décider de son devenir.

b. Soutien à un plan d’urgence pour répondre aux besoins de la classe ouvrière et des classes populaires.

c. Il faut dénoncer les entreprises, banques, etc. qui ont agi au service de la répression de l’État, et démasquer le rôle de l’oligarchie et de la grande bourgeoisie aux côtés de l’État espagnol et contre le peuple catalan.

d. Il faut continuer à impulser la coordination avec les secteurs du syndicalisme combatif qui se sont mobilisés pour les grèves du 3 octobre et du 8 novembre, en essayant de créer une dynamique de travail en commun.

e. Proposer l’impulsion de CDR de champ socioprofessionnel voués à impliquer la classe ouvrière dans la construction de la république, et impulser dès lors le contenu de classe de la construction républicaine.

C. Faire front à la répression de l’État, au fascisme et au 155 : l’unique façon de faire front à la répression de l’État sera de maintenir la tension organisationnelle et politique par en bas et être disposées à déployer toute notre solidarité avec toutes les personnes qui pourraient être réprimées. En ce sens, il faudra :

a. Répondre à toute mesure répressive de l’État contre le droit à l’autodétermination.

b. Organiser des campagnes contre la présence des forces d’occupation. Socialisation des conséquences de leur présence dans les quartiers et villages.

c. Impulser des initiatives de discussions entre voisins de façon à contrecarrer les campagnes de division sociale impulsées par le fascisme et l’espagnolisme.

d. Dans le cadre socioculturel, il faut impulser des initiatives qui aillent dans le sens d’éviter la division de notre peuple en rejetant les caractérisations identitaires de la lutte indépendantiste.

D. Seul le peuple sauve le peuple : c’est l’initiative et l’auto-organisation populaire qui ont sauvé le référendum, et ce sont les gens seuls qui sont restés fermes en défendant les conquêtes populaires quand le gouvernement de la république a renoncé à mobiliser l’administration de la Generalitat pour le faire. Pour cette raison, il faudrait impulser les activités suivantes :

a. Impulser la mobilisation indépendante et de classe qui lie la république et les revendications sociales.

b. Socialiser le rôle qu’a eu et peut avoir l’organisation populaire, rendre hommage à la résistance du 1er-Octobre, valoriser et rappeler la capacité propre du peuple.

c. Rendre hommage aux collectifs ouvriers et populaires remarquables dans leur action aux côtés du peuple et face aux forces de répression : pompiers, dockers, professeurs, etc.

7. Le municipalisme

7.1. La secousse sociale et politique du processus de l’indépendance qu’ont révélé les événements des 1er et 3 octobre a aussi signifié, comme nous le disions au début, un avant et un après pour la conscience politique d’une partie importante du pays et de ce fait un premier élargissement pour la gauche du mouvement indépendantiste.

Dans le cadre municipal, cela a signifié un changement qualitatif et quantitatif important en ce qui concerne les potentialités de l’auto-organisation populaire et la mobilisation. Un changement non seulement favorable pour les énormes mobilisations (jamais vues auparavant) et le niveau d’organisation qui a été considérable et puissant, mais aussi parce qu’il a imposé un agenda politique municipal comme ne l’ont jamais fait les questions nationales, comme le démontrent les fractures dans les majorités ou les gouvernements municipaux.

Ces faits ont démantelé de nombreuses alliances de pouvoir local et localiste, ils ont fait émerger de nouvelles potentialités et ils ont considérablement ouvert le cadre de la lutte de rupture et ses possibles alliances. La conquête des rues, l’utilisation de l’espace public comme cadre de référence de notre lutte sont indissociables de nos pratiques politiques de rupture à tous les niveaux.

Le municipalisme de rupture, de transformation doit savoir se repositionner dans ce nouveau paysage municipal. Un espace ouvert, en mouvement, mobilisé, connecté avec les dynamiques nationales. Un espace politique dans lequel les oligarchies locales, depuis 1978 et jusqu’à présent, bien incrustées dans le panorama politique, se trouvent aujourd’hui secouées, pressurées et orphelines de références nationales vendables au niveau local, comme c’est le cas de la CIU et du PSC. Et savoir se resituer, implique nécessairement être là ou se décident les choses.

7.2. Le municipalisme de rupture, compris comme l’articulation de projets politiques fondés sur l’unité populaire et la pluralité des acteurs qui travaillent pour la transformation sociale, s’est enraciné avec force dans le Principat de Catalogne. Il a le potentiel d’y parvenir aussi sur l’ensemble des Pays catalans. Au Pays valencien, quelques exemples vont dans ce sens et, sur l’Île de Majorque, il y a un bon nombre d’expériences qui suivent la logique politique et organisationnelle du municipalisme de libération – assembléiste, engagé avec les mouvements populaires et pour le droit à l’autodétermination – avec lequel s’identifie la CUP.

7.3. Dans le contexte actuel où l’autonomisme connu jusqu’à aujourd’hui s’est émietté, le projet municipaliste de la CUP doit se fonder sur une dialectique entre la rupture avec le Régime de 78 et la construction des municipalités comme espaces clés pour le projet souverainiste et comme le principal projet de dépassement de la cartographie du pouvoir autonomiste et d’articulation institutionnelle des Pays catalans. Concernant la rupture dans le cadre du processus indépendantiste, il a été démontré que quand la CUP s’engage sur des positions politiques de rupture on avance. C’est pourquoi, nous pensons que, depuis la politique municipale, il faut continuer à maintenir des pratiques de rupture à tous les niveaux.

7.4. D’autre part, il est indispensable de déployer le projet souverainiste. La récupération des souverainetés depuis le municipalisme et la capacité de créer des réseaux et des structures qui permettent de tisser du contre-pouvoir et de l’autogestion dans des domaines comme l’alimentation, l’énergie, la santé et la gestion des services et équipements publics entre autres, nous laissent supposer un changement substantiel des conditions de vie matérielles des personnes qui vivent dans nos communes.

7.5. En ce sens nous comprenons le municipalisme de rupture comme :

7.5.1. Travailler pour être présents là où la communauté prend les décisions, suscite les mobilisations, crée les espaces de contre-pouvoir, occupe les espaces de pouvoir et renforce ses conquêtes en socialisant biens et valeurs, en mettant en avant un travail coordonné avec les autres forces politiques qui maintienne l’indépendance de chaque projet mais qui aide aussi à la visibilité d’un bloc républicain qui porte la volonté populaire dans les institutions.

7.5.2. Travailler pour consolider le municipalisme comme un outil de transformation. D’une part comme outil de rupture qui sorte des dynamiques de simple gestion municipale, étant entendu que cela nous permet d’avancer dans le projet de transformation. D’autre part, consolider le projet des souverainetés dans toutes les Assemblées Locales, quelles soient ou non présentes dans l’institution, et travailler à tisser des alliances politiques dans les villages, villes et cités qui permettent de sédimenter une alternative de contre-pouvoir et de souverainetés.

7.5.3. Travailler pour consolider l’Assemblea municipalista dels Països Catalans, étant entendu que la création d’une institution propre est indispensable pour pouvoir soutenir un projet de rupture et pour déployer des structures qui puissent agir comme clé de voûte de contre-pouvoir. L’Assemblea municipalista dels Països Catalans doit être une réalité imminente, et doit commencer à fonctionner avant début 2018 pour devenir un référent institutionnel comme solution républicaine qui permette de donner de la continuité au Parlament dissous et au gouvernement en exil et emprisonné. Les fonctions concrètes qui en découlent, à part de devenir le référent institutionnel républicain, doivent être liées au déploiement du projet de municipalisme de rupture et du projet des souverainetés.

8. L’internationalisme

8.1. Dans la situation où se trouve actuellement le conflit politique catalan, la CUP et l’ensemble de la gauche indépendantiste ont une grande responsabilité dans l’internationalisation du conflit, et dans la socialisation du discours de gauche sur la construction de la République catalane. D’une part, il est important de consacrer des efforts et des moyens dans la divulgation et la dénonciation de l’atteinte aux principes démocratiques de base par l’État espagnol, auquel s’ajoute la montée des forces d’extrême droite dans la rue, qui ne sont rien d’autre qu’un outil de l’État pour aller là où il ne peut pas lui-même aller avec son monopole légal de la viloence. De la même façon, il faut chercher des alliances les plus larges possibles qui reconnaissent le projet de construction d’une nouvelle république comme un pas en avant dans la lutte des peuples et des travailleurs pour la démocratie, la solidarité et la paix dans le contexte d’une communauté internationale dominée par le dogme néolibéral de l’autoritarisme, les grands intérêts économiques et la guerre.

8.2. Il est nécessaire d’abandonner le discours des droits humains qui nous positionne comme victimes et qui interpelle les États que nous croyons plus « démocratiques » et une Union européenne qui s’est vendue pendant des décennies comme garante des droits, pour tisser un réseau de solidarité internationaliste et anti-impérialiste pour lutter, une fois encore, contre le fascisme espagnol. Il nous faut montrer aux organisations avec lesquelles nous travaillons internationalement qu’il faut établir des stratégies d’autodéfense conjointes qui positionnent la classe ouvrière comme protagoniste et non comme sujet passif dépendant d’acteurs tiers pour la reconnaissance des violations des droits démocratiques les plus basiques dans l’État fasciste espagnol.

De la même façon, il faut travailler pour la reconnaissance internationale de la République catalane. Cela fait des années que nous tissons des relations internationales avec différents partis de gouvernement, spécialement en Amérique, qu’il faut interpeller pour qu’il en soit ainsi. Parallèlement, il faut établir des mécanismes de contact avec des organisations internationalistes et socialistes de partout dans le monde pour autant qu’elles reconnaissent aussi la République catalane et, dans le cas où elles ont une représentation institutionnelle, qu’elles portent cette reconnaissance dans leurs institutions pour obliger les gouvernements à se positionner.

8.3. Au cours de la construction de l’Union européenne, on a toujours considéré, dans la majorité de la société, qu’elle créait un cadre de respect des droits humains et de respect de la volonté des peuples. Pendant ces deux années de législature, et surtout pendant les derniers mois où la répression de l’État s’est intensifiée, cette hypothèse s’est révélée erronée pour une bonne partie de la population qui a vu comment l’U€ ne défend que la volonté des États et comment plus ces États sont grands plus elle la respecte. Bien que, rien n’est exclu, suivant comment vont se dérouler les événements, le positionnement de pays déterminés (membres ou pas de l’UE) puisse change. Il est certain que, dans les dernières semaines, l’idée que ce n’est pas l’UE qui défend le peuple catalan a pris du poids, et que l’unique option est la solidarité des peuples d’Europe et du monde.

8.4. Par ailleurs, seule la CUP peut rompre l’influence du discours à l’extérieur des gauches espagnoles (Podemos et IU) sur la situation politique en Catalogne. Il est indispensable que la CUP, avec le reste des organisations de la Gauche Indépendantiste, puisse présenter la perspective de la gauche de rupture dans la construction de la République catalane et combattre l’idée que tout cela a été un processus dirigé à tout moment par la bourgeoisie. Il faudra internationaliser le rôle de la classe ouvrière et des classes populaires et l’unité populaire dans la République, ainsi que les fruits en termes de progrès social au niveau législatif pendant ces deux années.

8.5. Pour ces deux raisons, nous pensons que la tâche pour internationaliser le conflit et créer des alliances de classe et populaires doit s’orienter vers :

8.5.1. Resserrer les relations politiques avec les organisations de l’État espagnol. Coordonner l’action politique avec ces organisations politiques, sociales et syndicales est l’unique façon d’ouvrir différents fronts contre le gouvernement espagnol, de dégonfler la pression politique et répressive en Catalogne et de renforcer les alliances pour briser le Régime de 78 qui exploite et opprime les classes populaires de l’État et les différents peuples.

8.5.2. Renforcer le contact et approfondir les liens avec différentes organisations internationales, que ce soit des organisations politiques ou des mouvements sociaux. Dans ce sens, dans les prochains mois, il faut intensifier les contacts et la participation à des espaces types forums sociaux et aux mobilisations internationales contre les institutions financières internationales ou d’autres entités clés dans le processus de globalisation capitaliste. Cette tâche doit aussi nous servir pour renforcer les alliances avec d’autres peuples et organisations anticapitalistes de partout.

8.5.3. Renforcer le réseau WithCatalonia créé dernièrement afin de construire des CDR partout dans le monde, comme outil d’internationalisation et d’activation des mouvements de solidarité partout dans le monde.

9. La riposte à la répression

9.1. La lutte antirépressive dans les Pays catalans a historiquement agi avec quatre paramètres clés : la visibilisation de la répression et des mécanismes qui l’articulent ; l’acceptation des conséquences individuelles et collectives ; la légitimation de l’action de désobéissance ; et la volonté que la répression génère une réponse qui soit un moteur de l’action.

9.2. A la CUP, nous avons travaillé historiquement, et surtout ces derniers temps, dans une logique de désobéissance civile et en en assumant les conséquences comme des outils pour visibiliser et saper le pouvoir. Dans le scénario actuel où l’État espagnol agit sur le registre de la vengeance, et étant donné que nous avons adopté une stratégie d’unilatéralité et de désobéissance institutionnelle dans les municipalités comme au Parlament, le coût répressif pourrait être élevé et avoir des conséquences directes sur notre organisation et notre base militante.

9.3. D’ores et déjà, avec les quelques poursuites répressives concrètes, l’un des nœuds qui coûte le plus à dénouer est la peur, la dynamique paralysante et angoissante que génère la répression. À ce jour, nous avons mené à bien des initiatives de communication pour la rendre visible d’une manière qui implique la classe ouvrière et les classes populaires et leur permette de répondre collectivement. En outre, et en pensant à une stratégie antirépressive qui pourrait aller au-delà des militants de la CUP et de la Gauche Indépendantiste, nous considérons que, les 1er  et 3 octobre, la classe ouvrière et les classes populaires ont fait face à une situation répressive de très forte violence et permis le référendum et l’arrêt du pays parce que l’action était collective. Se lier avec cet esprit d’organisation populaire est indispensable pour faire front collectivement aux conséquences répressives présentes et futures.

9.4. En ce sens, nous proposons divers axes :

9.4.1. Travailler à exposer et rendre visible l’appareil de l’État espagnol comme un mécanisme qui combine les partis politiques au gouvernement et dans l’opposition, le pouvoir judiciaire, l’extrême droite, la monarchie et l’armée, entre autres. Spécifiquement à partir de matériaux qui expliquent de façon pédagogique cet appareil en détail et recueillent des données concrètes sur les conséquences politiques de cela.

9.4.2. Travailler à internationaliser les violations des droits de l’homme que subit la population catalane. Cet axe a été exposé à la partie « L’internationalisme », mais nous pensons qu’il doit aller de pair avec la stratégie antirépressive.

9.4.3. Déployer la Campanya República Ara [« La République maintenant »] comme un chapeau d’organisations qui permette de combiner le combat contre la répression et la logique constructive qui génère action et riposte. Cette campagne doit être un espace qui, dans le contexte actuel, peut être un outil de riposte à la répression – des actions et actes réactifs – dans un esprit de construction républicaine. Il est essentiel que le combat contre la répression que nous mettons en avant ne reste pas un simple exercice réactif, mais qu’il puisse être un levier de construction politique. La campagne a été impulsée par les organisations de la TEI [Taula de l’Esquerra Independentista / « Table-ronde de la Gauche Indépendantiste »], mais elle a pour vocation de devenir un chapeau utile pour d’autres entités et collectifs, ce qui permettrait de l’étendre de manière coordonnée sur tout le territoire.

9.4.4. Travailler, à partir des espaces d’organisations populaires locales, à une maîtrise antirépressive sous tous ses aspects : formation à la désobéissance civile, lutte contre les peurs et les angoisses, consolidation des réseaux d’intervention en cas de répression, formation aux droits fondamentaux en cas de détention, etc.

9.4.5. Les Pays catalans sont un projet qui défie la cartographie du pouvoir de l’État espagnol, et quand l’État répond dans cette affaire clé au processus démocratique du Principat au moyen de l’extrême droite, il est impératif que la CUP continue de travailler pour la construction politique et organisationnelle des Pays catalans.

9.5. Enfin, et surtout en tant qu’espace organisé, nous devons prévoir et programmer un éventuel scénario d’illégalisation ou de suspension de nos activités, en dépit du fait qu’aucun des présupposés légalement prescrits ne soit établi. Il est nécessaire d’introduire cette question dans nos relations politiques avec l’ensemble des mouvements politiques avec lesquels nous interagissons et de dessiner des scénarios de ce que serait notre réaction si un tel scénario se concrétisait dans les semaines ou mois à venir.

En attendant, il est nécessaire de définir une stratégie à court terme, en vue d’une possible suspension des activités de l’organisation et en particulier en vue d’une possible illégalisation du format de la candidature que nous déciderions de présenter le 21 décembre (si nous le décidons) ou de son programme (ce qui, en pratique, reviendrait au même). Ainsi, au cas où nous ne pourrions pas participer aux élections du 21 décembre en raison de la répression, il faudrait déployer une stratégie de dénonciation politique de la répression et de boycott actif du vote lors des élections afin qu’elles ne puissent se tenir, ou, à défaut, avec une participation la plus basse et des conditions anormales maximales afin de délégitimer complètement les résultats.

Dans le cas improbable où une autre liste ou un autre parti de l’indépendantisme serait illégalisé directement ou par le biais de son programme, de telle sorte qu’il serait empêché de participer aux élections du 21 décembre, en tant qu’organisation, nous agirions de la même manière que nous avons présentée dans le paragraphe précédent.

10. La République du 1er-Octobre

10.1. L’expérience de ces dernières semaines a mis au centre du débat une question sur laquelle nous n’avons peut-être pas assez travaillé : l’efficacité. Il ne suffisait pas de déclarer la République le 27 octobre, il fallait lui donner une continuité et, surtout, garantir sa mise en œuvre. Il est difficile de le faire sans le pouvoir, sans le pouvoir de coopération institutionnelle et sans le pouvoir de coopération populaire. C’est pourquoi il est impératif que, dans ce nouveau scénario dans lequel nous nous trouvons, nous concentrions nos discussions et nos propositions dans ce sens.

10.2. C’est ainsi que nous pensons que, dans cette phase de début de déploiement de la République, il faut mettre sur la table au minimum les indispensables points suivants :

• La création d’une puissance financière propre (banque centrale catalane et banque publique) qui permettrait de contrôler les pouvoirs économiques et de travailler pour une véritable souveraineté économique.

• Le contrôle des secteurs stratégiques tels que l’énergie, les communications et les transports. Aller vers la nationalisation de l’eau et des énergies, la gestion publique à 100 % des transports déjà propriété publique.

• Le recouvrement de la propriété, de la gestion et de la fourniture publiques de tous les centres faisant partie du SISCAT (Système de soins intégré d’usage public de Catalogne) ou expulsion du système s’ils souhaitent maintenir une mixité publique et privée. Seul un système de santé publique unique avec appropriation, fourniture et gestion publiques à 100 % peut garantir un accès universel, égalitaire et de qualité à la santé.

• Le recouvrement de la propriété, de la gestion et de la fourniture publiques de tous les centres sociaux et de santé afin de garantir un système public de socialisation des tâches de soins aux personnes âgées et en situation de dépendance.

• La mobilisation immédiate pour l’expropriation sans compensation pour des raisons d’intérêt général de tout le parc des habitations vides appartenant aux banques et grands propriétaires à incorporer dans un secteur public du logement.

• La fin du déploiement, la neutralisation et l’expulsion des forces d’occupation, afin de permettre un contrôle efficace du territoire.

10.3. Les secteurs populaires qui ont défendu les bureaux de vote le 1er octobre et qui sont sortis dans la rue le 3 octobre sont la force principale dans la construction de la République. Pour gagner les secteurs de la classe ouvrière et des classes populaires indécis sur la lutte pour l’indépendance, nous devons inclure un agenda social dans notre feuille de route, pas seulement parce qu’il est juste que la classe ouvrière et les classes populaires puissent vivre mieux, mais aussi parce qu’ils ont besoin d’objectifs qui leur permettent de visualiser la difficulté de la lutte pour la république, une difficulté dressée comme un obstacle à surmonter pour mieux vivre. Le processus constituant est un outil utile à cet égard et il doit être l’un des moteurs des mois à venir. Au cours de cette législature, une méthodologie a été élaborée pour l’initier, mais il y a eu d’importantes difficultés venues des réticences de la droite libérale qui s’est placée au centre de l’action politique, et aussi de l’espace propre aux Communs, qui n’ont pas opté pour un processus constituant contraignant dans le cadre d’une République.

10.4. La mobilisation de masse et le soutien majoritaire sont une garantie de l’efficacité de la République. Il faut construire un front sur l’idée de pouvoir populaire, un front qui met aussi sur la table un projet qui génère une équation entre République catalane et amélioration des conditions de vie de la majorité. La droite indépendantiste catalane n’est pas capable de prendre le pouvoir et de défendre la République, car elle se méfie du pouvoir des masses mobilisées le 1er octobre et elle n’a pas créé les liens nécessaires avec l’ensemble de la société pour créer un État propre. La conclusion de tout cela est que la phase de gestion du processus par la droite politique catalane est achevée. Il est évident qu’un nouveau scénario a été ouvert et qu’il faut promouvoir un pouvoir constituant populaire, qui mette sur la table les outils que les mouvements sociaux ont élaborés depuis des années de lutte et de production d’alternatives.

11. Les élections du 21 décembre, outil de rupture ou obstacle

11.1. La convocation des élections par le gouvernement espagnol avec une dissolution antérieure du Parlament sous la houlette de l’article 155 de la Constitution espagnole suppose la liquidation de l’autonomie de la Catalogne et de ses institutions. Ce sont des élections illégales et imposées qui ne remplissent pas les conditions minimales requises et qui ne peuvent se tenir ni normalement ni avec des garanties démocratiques complètes. Cela doit être dénoncé, rendu public et constamment rappelé. La position naturelle et cohérente de la CUP par rapport aux élections du 21 décembre serait de développer une campagne de boycott.

Afin de ne pas s’impliquer dans l’application du 155 et d’assumer la défense du 1er-Octobre, il est nécessaire de développer l’argument du boycott dans le processus électoral. En ce sens, seul le contact direct avec les entités, les mouvements et les agents sociaux peut nous permettre de savoir dans quelle mesure un boycott des élections du 21 décembre (de quelque manière que ce soit) pourrait permettre à l’esprit du 1er-Octobre de se rétablir à un niveau de conscience et d’organisation plus élevé et avec des possibilités de réussite.

11.2. Mais, soit parce que la position du boycott ne devient pas hégémonique au sein de l’indépendantisme, soit parce que l’échéance électorale est acceptée comme un nouveau plébiscite, la seule vraie réponse à l’article 155 de la Constitution espagnole est une proposition au pays d’une liste citoyenne sans politiciens. La seule fonction de cette proposition est de dépasser 50 % des voix et ainsi d’empêcher la formation de tout gouvernement dans le cadre d’élections de l’article 155 de la Constitution espagnole, dans le but de provoquer des élections trois mois plus tard.

Cette proposition signifierait : 1) consolider le cadre républicain et les institutions aujourd’hui abolies, 2) légitimer et potentialiser l’indépendantisme et 3) renforcer le caractère plébiscitaire où deux options s’affrontent : la république (la démocratie) versus la défense de l’article 155 (le Régime de 78). Pour y parvenir, il est nécessaire de polariser au maximum les deux options pour forcer les forces politiques dites équidistantes à se positionner sur l’une ou l’autre option et, ainsi, à les sortir de leur zone de confort ; cette équidistance qui renvoie dos à dos les partisans de l’élargissement des droits avec ceux qui les réduisent et les répriment.

11.3. Dans le cas où cette proposition ne serait pas possible ou ne serait pas partagée par l’organisation, et qu’il serait considéré comme préférable d’être présent à cette élection, tout en conservant toujours l’élément référendaire, et en l’estimant comme un nouveau moment de démonstration de force pour éviter un gouvernement unioniste en Catalogne issu du 155, il faut exclure la possibilité de rééditer la politique de ces deux années 2015 -2017 dans un bloc libéral qui répéterait les mêmes schémas de classe et les mêmes indéfinitions politiques. En conséquence, il est conseillé de réintégrer la perspective de classe pour l’après-21 décembre. À cet égard, le concept de la République du 1er-Octobre doit être développé, avec l’indépendance de classe au premier rang, et avec toutes les forces déterminées au changement social sans complexes ni interférences. Cela signifierait que l’indépendantisme de classe ne camouflerait plus des positions subordonnées à la construction d’un bloc qui devrait inclure implicitement l’indépendance dans l’intertitre ci-dessus : RÉPUBLIQUE DU 1er-OCTOBRE.

11.4. Dans le but transitoire de fusionner les forces indépendantistes et de classe, la meilleure proposition serait un large front du plus grand nombre possible des agents qui composent l’Unité Populaire élargie depuis ces derniers mois, y compris les secteurs populaires qui quittent le Podem officiel et la CeC (Catalunya en Comù) à cause de sa position équidistante dans le conflit démocratique catalan. Cette liste ne doit pas être hypothéquée par les intérêts caducs de l’ancienne coalition gouvernementale, d’autant plus qu’est exclue la participation de l’ERC, qui préfère concourir avec sa propre liste électorale. Ce front doit être construit sur le rejet du 155 et de la répression, pour la défense de la République catalane et le processus constituant à la suite à la rupture précédente.

11.5. Au cas où il ne serait pas possible de construire ce front social républicain élargi, il serait nécessaire d’utiliser comme canal porteur de cet engagement institutionnel le label électoral déjà connu de la CUP-CC.

11.6. Pour la CUP, les élections du 21 décembre ne peuvent conduire qu’à deux scénarios :

1. la proclamation automatique de la volonté de déployer la République catalane, le développement de la loi de transition, la convocation d’une assemblée constituante et l’approbation et l’impulsion immédiates de mesures visant à consolider la république et à assurer le soutien de la majorité ouvrière et populaire ; une proclamation qui, avec la défense des prisonniers et la lutte contre le 155, doit constituer le point d’un programme de base des autres options indépendantistes ou républicaines.

2. En cas de défaite des plates-formes républicaines, ou dans le cas où les autres candidatures dites indépendantistes ne donneraient pas la priorité à la réalisation de l’indépendance, mais donneraient la priorité à la lutte contre les effets du 155 et initieraient un nouveau processus d’accumulation de forces pour une alliance avec d’autres espaces politiques tels les Communs ou les socialistes pour approuver des mesures progressistes et autonomistes en échange d’une éventuelle amnistie, et pour faciliter le terrain vers un changement de gouvernement au niveau de l’Etat, le groupe parlementaire de l’Unité Populaire devrait boycotter toutes ces actions du parlement qui ne seraient pas dans la ligne de la réalisation de la république, soit par la non-participation à la session plénière, soit par un vote de blocage. Le but serait de démasquer le véritable programme « autonomiste » de certains indépendantistes autoproclamés.

11.7. De toute façon, toute proposition de liste générale à laquelle l’unité populaire pourrait participer devrait être liée à un accord clair par rapport à cette stratégie politique, qui doit être fondée sur la matérialisation de la république avec un fondement social et féministe ainsi que sur le boycott à toute involution de nature autonomiste et antidémocratique. Si nous choisissons de nous présenter, la lutte institutionnelle que nous voulons développer dès le 21 décembre, au-delà du fait qu’elle sera au service de l’ensemble des objectifs et des réflexions qui sont dans cette résolution, devra intégrer des gestes qui expriment la récusation de la convocation électorale via le 155 et de la situation d’exception que nous ne pouvons banaliser en aucune circonstance.

11.8. Les structures organisationnelles du Groupe d’action parlementaire avec lesquelles nous avons travaillé jusqu’à présent doivent être revues afin d’assurer le contrôle démocratique approprié et l’impulsion politique dont ont besoin les personnes qui peuvent s’adapter à ce Parlament.

11.9. Quelle que soit la formule, l’objectif de parvenir à la liberté de tous les prisonniers politiques et à l’amnistie de tous les acteurs est clairement un objectif imprescriptible et immédiat. Cependant, il est tout aussi important que ce cadre antirépréssif ne soit pas dissocié de la lutte pour la mise en œuvre de la République du 1er-Octobre, un outil pour briser le régime et aussi une opportunité pour un changement réel et une amélioration des conditions de vie matérielles des Catalanes et des Catalans. Oublier ou minimiser ce deuxième aspect nous conduirait, de nouveau, à une grande défaite et un retour à la case départ.

Fin

Le CUP-CC s’engage à mener une candidature la plus large possible, clairement de rupture indépendantiste et de gauche.