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La crise entre la Turquie et les Etats-Unis en cinq actes
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Après l'imposition de nouvelles sanctions américaines, la livre turque a dévissé à son plus bas niveau historique, fragilisant les marchés financiers mondiaux.
C'est la crise la plus grave entre les États-Unis et la Turquie depuis quarante ans. La tension entre ces deux membres de l'Otan, qui se divisent sur de nombreux sujets, mijotait depuis un certain temps déjà. Mais c'est maintenant le monde entier qui a le droit d'y goûter. Les divers conflits entre Ankara et Washington se sont récemment cristallisés autour du sort d'un pasteur américain détenu en Turquie. Il n'en fallait pas plus pour précipiter la Turquie dans une crise monétaire qui fait souffler un vent de panique sur les marchés à travers le monde.
Franceinfo vous raconte, en cinq actes, la récente escalade des tensions entre ces deux alliés historiques.
Acte 1 : Washington sanctionne deux ministres turcs contre la détention d'un pasteur américain
Les relations entre Washington et Ankara, qui se sont dégradées depuis le coup d'État manqué de 2016 contre le président Recep Tayyip Erdogan, se sont envenimées, fin juillet, avec le placement en résidence surveillée de l'Américain Andrew Brunson. Ce pasteur évangélique, originaire de Caroline du Nord, réside en Turquie depuis une vingtaine d'années et dirigeait une petite église protestante à Izmir. Arrêté en octobre 2016, pendant les purges qui ont suivi le putsch raté, il a déjà passé un an et demi en détention pour "terrorisme" et "espionnage". Les médias locaux suggéraient qu'il était lié à Fethullah Gülen, un prédicateur turc établi depuis près de 20 ans sur le sol américain .
Ankara l'accuse d'avoir agi pour le compte du réseau de Fethullah Gülen, un prédicateur turc exilé aux États-Unis, soupçonné par l'exécutif turc d'être l'architecte du putsch manqué. Andrew Brunson est aussi suspecté d'être lié au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), une organisation classée "terroriste" par la Turquie et les États-Unis.
Le pasteur dément en bloc les accusations portées contre lui. Il risque jusqu'à 35 ans de prison dans le cadre d'un procès qui s'est ouvert en avril dernier.
Andrew Brunson escorté par la police turque jusqu'à sa maison à Izmir, en Turquie, le 25 juillet 2018. (AFP)
Son cas est symbolique pour Washington, qui exige sa libération immédiate. Le vice-président américain, Mike Pence, chrétien évangélique comme Andrew Brunson, a désigné le pasteur comme une "victime de persécution religieuse" dans une Turquie à majorité musulmane. Pour faire pression sur le gouvernement turc, la Maison Blanche a donc imposé des sanctions, le 1er août, contre les ministres de l'Intérieur et de la Justice turcs, visés pour leur rôle présumé dans le procès d'Andrew Brunson. Leurs biens et avoirs ont été saisis, et les ressortissants américains ont interdiction de faire affaire avec eux.
Acte 2 : Erdogan répond par des sanctions contre deux ministres américains
Le gouvernement turc réplique, le 4 août, en demandant le gel en Turquie des avoirs de responsables américains. "Jusqu'à hier soir, nous sommes restés patients. Aujourd'hui, j'en donne l'instruction : nous gèlerons les avoirs en Turquie des ministres américains de la Justice et de l'Intérieur, s'ils en ont", déclare le président turc dans un discours télévisé. Une décision symbolique, les deux ministres américains n'ayant sans doute pas de biens en Turquie, mais lourde de sens.
Très vite, ces tensions diplomatiques provoquent la chute de la livre turque, qui s'effondre à son plus bas record face au dollar dès le 6 août. Pour tenter de désamorcer la situation, le vice-ministre turc des Affaires étrangères, Sedat Önal, rencontre le numéro deux de la diplomatie américaine, John Sullivan, le 8 août. Mais la rencontre ne débouche sur rien, les États-Unis n'ayant obtenu aucune garantie sur la libération du pasteur, souligne le Wall Street Journal (en anglais).
Acte 3 : Trump annonce l'augmentation des taxes à l'importation sur des produits turcs
Faisant fi du contexte déjà tendu, Donald Trump enfonce le clou, le 10 août, en annonçant une forte augmentation des taxes à l'importation sur l'acier et l'aluminium turcs. "Je viens juste d'autoriser le doublement des taxes douanières sur l'acier et l'aluminium en provenance de Turquie puisque sa monnaie, la livre turque, descend rapidement contre notre dollar fort", écrit le président américain dans un tweet.
La Maison Blanche ayant déjà imposé en mars des tarifs douaniers supplémentaires à hauteur de 25% et 10% sur les importations d'acier et d'aluminium, cela signifie que ces produits seront désormais taxés à hauteur de respectivement 50% et 20%. "Nos relations avec la Turquie ne sont pas bonnes en ce moment !" conclut Donald Trump.
Acte 4 : la livre turque s'effondre
Cette annonce américaine fait dévisser l'économie turque, déjà sous pression : le 10 août, déjà baptisé "Vendredi noir" par des économistes, voit la monnaie turque perdre quelque 16% de sa valeur face au dollar. Les Bourses de Hong Kong, de Tokyo, de Frankfort, de Londres et de Paris finissent en baisse, sur fond d'inquiétude des marchés mondiaux.
Pour enrayer cette spirale, le ministre des Finances turc, Berat Albayrak, annonce lundi 13 août, dans un entretien au quotidien Hurriyet, que la Turquie va mettre en œuvre dans la journée un plan d'action économique. Dans l'espoir de rassurer les marchés, la Banque centrale de Turquie déclare quant à elle qu'elle fournira toutes les liquidités nécessaires aux banques et prendra les "mesures nécessaires" pour assurer la stabilité financière.
Acte 5 : Erdogan dénonce "un complot politique"
L'effet des ces annonces est de courte durée. Quelques heures plus tard, Recep Tayyip Erdogan accuse les États-Unis de vouloir "frapper dans le dos" la Turquie et affirme que la chute de la livre turque est un "complot politique" de la part de Washington.
"D'un côté, vous êtes avec nous dans l'Otan et, de l'autre, vous cherchez à frapper votre partenaire stratégique dans le dos. Une telle chose est-elle acceptable ?" lance le président turc lors d'un discours à Ankara. "Adopter une attitude aussi hostile à l'encontre d'un allié au sein de l'Otan (...) n'a aucune explication sensée", poursuit-il, en s'efforçant de rassurer les milieux économiques.
Lundi toujours, le ministère turc de l'Intérieur annonce enquêter sur des centaines d'internautes qu'il soupçonne d'avoir partagé des commentaires relevant de la "provocation" visant à affaiblir la livre. Pour Recep Tayyip Erdogan, ces internautes sont des "terroristes économiques" qui recevront "le châtiment qu'ils méritent".