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Mémoires d’un rouge
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
D’Howard Fast. Agone, 600 pages, 13 euros.
En ces temps de renouveau de la gauche étatsunienne, il est heureux que les éditions Agone rééditent les Mémoires d’un rouge (écrites en 1990),d’Howard Fast (1914-2003) qui retracent à la fois une histoire individuelle, celle d’un Juif new-yorkais pauvre obligé de travailler dès l’âge de dix ans et devenu un écrivain connu, et un pan d’une histoire collective, celle du Parti communiste américain.
L’apogée du Parti communiste américain
Fast, passant d’un métier à l’autre, réussit à faire de brèves études. Il se rapproche du Parti communiste et publie son premier livre, à 19 ans, en 1933, mais doit reprendre un travail dans un atelier de confection. Il finit cependant par pouvoir vivre de sa plume et accède progressivement à la notoriété.
Cette période est celle de l’apogée du PC américain, qui compte des dizaines de milliers de membres (plus de 60 000 en 1944), et une large frange de sympathisantEs. Il s’est renforcé durant les années de crise économique en apparaissant notamment à l’avant-garde de la défense des chômeurEs et du renouveau du syndicalisme. Il a une forte audience chez les intellectuelEs, dont certains, parmi les plus connus, gardent secrète leur adhésion. De 1941 à 1945, le PC subordonne son activité à l’effort de guerre, au point de combattre les grèves.
Tout au long de son livre, Fast s’attache à décrire le Parti communiste comme un « parti politique américain » loin de tout projet de renversement violent du gouvernement et ignorant (y compris pour ses dirigeants) de ce qui se passe dans l’URSS stalinienne.
En 1945, un décret de Truman, devenu président après la mort de Roosevelt, oblige toute personne travaillant pour le gouvernement fédéral à déclarer qu’il n’est pas communiste. À partir de là, la vague de répression anticommuniste connue sous le nom de « maccarthysme » se déchaine. La Commission des activités anti-américaines du Congrès convoque Fast (pour son activité dans un comité d’aide aux réfugiés antifascistes) et il passe aussi devant un tribunal.
Livres retirés des bibliothèques publiques
Le PC est désormais isolé, ses effectifs baissent. Ses dirigeants sont poursuivis pour complot en vue de renverser le gouvernement. Les communistes, réels ou supposés, sont mis sur liste noire, exclus de bon nombre d’emplois et des syndicats. Leurs passeports sont confisqués. Les romans historiques de Fast (il est notamment l’auteur d’un Spartacus) sont retirés des bibliothèques publiques malgré leur vif succès.
Condamné à trois mois de prison, il avait fait appel mais doit finalement purger sa peine. Sorti de prison, il recommence à militer. Il explique qu’ensuite ses relations avec la direction du PC américain se détériorent progressivement mais cependant il reçoit en 1952 le prix Staline pour la paix et intègre la rédaction du journal du parti. Après la mort de Staline, les divisions s’accroissent dans le PC américain (qui compte encore 20 000 membres). Le rapport Khrouchtchev, en 1956, accroît la crise et Fast quitte un parti qu’il considère désormais comme mort, mais ne renie pas son passé. Il continue à écrire et publie notamment un excellent polar : Sylvia.
Fast a fait preuve d’un indéniable courage dans sa vie militante et en a payé le prix comme des milliers de communistes américains, sans oublier les militantsE trotskistes. Deux points de son autobiographie incitent à réflexion. Son insistance sur l’ignorance de la réalité soviétique des dirigeants communistes : naïveté ? Duplicité ? Ou volonté de préserver de l’opprobre dans un contexte de répression les dirigeants ou ex-dirigeants du PC ? Le second point est la question noire : Fast, bien que fermement antiraciste, apparaît peu disposé à comprendre les tensions qui en résultent dans la vie interne du parti. Sur ce sujet, Chester Himes a écrit un roman très éclairant : La croisade de Lee Gordon (10/18), malheureusement non réédité. On peut enfin signaler que vient de reparaître en français le puissant roman semi-autobiographique d’un autre écrivain (bien moins connu que Fast) militant du PC américain, Michael Gold : Juifs sans argent (Nada, 20 euros).
Henri Wilno