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Bolsonaro encourage les milices
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Par Felipe Betim
La violence à Rio de Janeiro est généralement synonyme de trafiquants de drogue paradant avec des fusils, mais ce sont lesdites milices, groupes de parapoliciers – formés principalement de policiers, de militaires et de pompiers, encore en service ou en réserve – qui imposent le silence. Pour ceux qui vivent «avec» eux, parler de ce thème implique une série de précautions et, surtout, la discrétion. Dans un bar du centre-ville, P.F. parle doucement. «Je ne fais pas confiance aux narcos ou à la milice, mais dans le premier cas, ce sont des enfants issus de la communauté, tandis que les milices sont quelque peu le produit des institutions. De fait, elles sont l’Etat lui-même», explique la femme. Elle a une maison et des parents à Campo Grande, un quartier de Rio qui est sous l’influence des miliciens qui extorquent, terrorisent et assassinent au motif qu’ils protègent le lieu.
Quelques jours après cette conversation, Jair Bolsonaro a été élu président du Brésil avec un plan de sécurité qui menace de multiplier ce type de milice. Un phénomène qui se concentre surtout à Rio de Janeiro [déjà sous surveillance de l’armée suite à une décision du président encore en exercice Michel Temer]. Quatre experts de la sécurité publique consultés par EL PAÍS s’accordent à dire que le programme d’extrême droite conduira à plus de violence dans un pays qui a enregistré 63’880 homicides en 2017. Il y a trois idées de base dans ce plan: 1° encourager la police à tuer en toute impunité, 2° faciliter l’accès aux armes au sein de la population, 3° renforcer le Code pénal afin d’augmenter le nombre de prisonniers dans les prisons brésiliennes déjà surpeuplées.
Des changements juridiques aussi profonds que ceux qui permettraient la mise en pratique de ces propositions dépendent du Congrès, de la Cour suprême et des gouverneurs des Etats. Cependant, le discours sévère de Bolsonaro, qui préconise même que quiconque exécute un criminel soit décoré, stimule par lui-même l’action de ces groupes de tueurs, selon les experts consultés. «S’il y a une situation dans laquelle les signaux sont fondamentaux, c’est bien celle de la “sécurité”. Une poignée de main ou un mot de trop peut signifier plusieurs morts et tragédies», explique Daniel Cerqueira, économiste à l’Institut de recherche en économie appliquée et conseiller du Forum sur la sécurité publique. Si les contrôles sociaux sur l’usage de la violence cessent d’exister, la police sera libre de soudoyer ou de rejoindre des milices, affirme Cerqueira. «Nous le regretterons quand seuls les narcotrafiquants constituaient le problème», ajoute-t-il.
Ignacio Cano, sociologue à l’Université d’Etat de Rio de Janeiro (UERJ), est d’accord. «Les policiers brésiliens reconnaissent qu’ils tuent plus de 5000 personnes par an, sans compter les exécutions sommaires. Cela va augmenter avec Bolsonaro, quand il dit que le flic ne sera pas poursuivi. Les policiers ne sont d’ailleurs presque jamais poursuivis», souligne-t-il. L’expert se souvient que l’ultra-droitier (Jair Bolsonaro) a visité un quartier général de police à Rio et a promis que les capitaines [Bolsonaro fut capitaine, avant sa carrière de députés depuis 27 ans] commanderont le pays. De son côté, le gouverneur élu de Rio, Wilson Witzel, a promis de mettre fin au Secrétariat à la sécurité afin de «rendre le pouvoir à la police». Pour Ignacio Cano, tout cela «envoie un message de relâchement complet du contrôle et l’autonomie est contraire à la logique militaire traditionnelle». Et il dit: «Peut-être qu’il n’y a pas besoin de groupes de tueurs si le travail des flics est de tuer.»
Pour Jaqueline Muniz, anthropologue et politologue à l’Université fédérale de Fluminense (UFF) [située à Niterói qui est rattachée à Rio], le phénomène des milices «est lié à un processus qui rend la police autonome de manière prédatrice», la rendant ingouvernable. «C’est un gouvernement policier, quelque chose que nous avons déjà. C’est l’épée qui fait chanter le politicien et qui multiplie les menaces sur et les craintes de la population. C’est quelque chose qui s’est déjà produit à New York et à Chicago» [le «zéro tolérance» du gouverneur Mario Cuomo à New York de 1983 à 1994], explique l’experte pour qui ce processus signifie «déprofessionnaliser» les institutions policières, les pousser dans la clandestinité et l’informalité.
Expansion du modèle de la milice
A Rio de Janeiro, les milices dominent des quartiers entiers et, ces dernières années, se sont étendues aux municipalités voisines. Une enquête du journal numérique G1 indique que deux millions de personnes dans la région métropolitaine vivent dans des zones sous l’influence de ces groupes. Lorsqu’ils sont apparus, il y a 20 ans, ils ont promis d’apporter la sécurité dans les quartiers dominés par la drogue et les favelas. «Ils ne défilent pas toujours armés comme des narcos, dit P.F., mais les voisins doivent faire ce qu’ils ordonnent. Leur pouvoir économique n’est pas nécessairement le résultat de la vente de drogues [bien que les liens avec l’échelle intermédiaire des distributeurs de la drogue soit avérés], mais du contrôle de services tels que le gaz, l’eau et Internet, ainsi que des magasins [un mécanisme similaire à la mafia de la Sicile, pour prendre un exemple, mais le modèle est analogue partout où règne ce genre de structures]. «Si vous achetez un certain produit, vous devez prouver que vous l’avez acheté dans un endroit qu’ils contrôlent», explique-t-il.
Les exécutions extrajudiciaires et les vengeances sont déjà très répandues dans tout le pays. En 2015, neuf policiers ont été accusés à Salvador de Bahia, capitale de l’Etat de Bahia, d’avoir assassiné 12 jeunes, un événement connu sous le nom de massacre de Cabula. La même année, lors du massacre perpétré à Osasco [municipalité dans l’Etat de São Paulo] 19 personnes ont été tuées par des policiers militaires et des gardes civils qui voulaient se venger de la mort de deux agents, selon le bureau du procureur. Dans le nord et le nord-est du Brésil, les groupes qui tuent la nuit, dans une voiture noire et sans habits de police, prédominent. A Rio, ces groupes ont également des intérêts commerciaux. C’est ainsi que fonctionne le modèle de milice, qui peut être étendu à tout le Brésil. (Article publié dans El Pais, en date du dimanche 11 novembre 2018, page 8; traduction A l’Encontre)
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Le soutien du député Bolsonaro aux escadrons de la mort
Le message bolsonariste: «la police est assurée d’avoir l’appui du candidat capitaine»
Bien qu’illégales, les milices ont été soutenues, à différentes époques, par des politiciens et d’autres autorités. A Rio, jusqu’à ce qu’une commission parlementaire locale dévoile ses pratiques barbares en 2008, les milices étaient considérées comme la solution contre le trafic de drogue. Bolsonaro lui-même le pensait. Le député fédéral (à l’époque) a affirmé dans un discours sur ce thème en 2008: «Aucun député local ne fait campagne pour réduire la puissance de feu des narcos et la vente de drogues dans notre Etat [Bolsonaro vit à Rio de Janeiro]. Non. Ils veulent attaquer les milices qui sont maintenant un symbole du mal et qui est pire que les narcotrafiquants. Il y a le milicien qui n’a rien à voir avec le gatonet (service irrégulier de télévision par câble) et la vente de gaz. Il gagne 850 reais (environ 200 euros au taux de change d’aujourd’hui) par mois, le salaire d’un soldat de la police militaire ou d’un pompier, qui possède sa propre arme et organise la sécurité dans sa communauté. Elle n’a rien à voir avec l’exploitation du gaz ou des services de transport. Nous ne pouvons pas généraliser quelques cas particuliers».
Des années plus tôt, en août 2003, l’ultra-droitier avait défendu à la Chambre des députés un groupe de tueurs dans l’Etat de Bahia qui touchait 50 reais pour avoir tué des jeunes de la périphérie. «Je tiens à dire aux camarades de Bahía que tant que le Brésil n’adoptera pas la peine de mort, le crime d’extermination sera le bienvenu. S’il n’y a pas de place pour vous à Bahía, vous pouvez venir à Rio de Janeiro.» (El Pais, 11 novembre 2018; traduction A l’Encontre)