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"Gilets jaunes" : la démocratie directe en germe ?
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
http://bellaciao.org/fr/spip.php?article160583
Le mouvement populaire en cours, qu’il le sache ou non, défie toute l’organisation de la société et récolte un mépris officiel à la hauteur. Le surgissement de cette colère réveille des questions enfouies depuis si longtemps que leur simple formulation effraie. Pourtant la dégradation de la situation générale est telle qu’un choix s’impose entre le chaos qui s’avance et la reconquête, lente et laborieuse, d’une souveraineté véritablement collective.
La colère des « gilets jaunes » est authentiquement populaire
C’était immédiatement reconnaissable au mépris des médias et des politiciens : le bourrage de crâne des premiers pendant trois semaines était proportionnel à la fébrilité du petit personnel politique. Mouvement hors partis, hors syndicats, hors association, il démontre en acte le décalage profond entre toutes les institutions et la réalité du pays. Il ne peut donc qu’être la cible de tous les chefs, les bureaucrates, les arrivistes et tous leurs discours bien-pensants qui chantent la « démocratie » mais chouinent dès que le peuple se manifeste.
Cette auto-organisation générale contraste avec tous les mouvements précédents
Autant des mouvements-veto manipulés par les syndicats que des soubresauts récents (« pigeons », bonnets rouges, jour de colère) ou même les ’coordinations’ des années 1986-88. Il semble plutôt reprendre timidement l’élan et les pratiques des mouvements ouvriers des XVIII-XXe siècles, aujourd’hui largement oubliés. Les ’réseaux sociaux’ électroniques ne font donc que jouer le rôle d’un lien social disparu, mais qui pourrait réapparaître autour d’un projet politique. Des gens se manifestent, se rencontrent, se découvrent et tâtonnent pour se constituer en corps politique par l’action.
C’est un peuple sous les radars médiatiques qui s’est mobilisé
C’est la ’France périphérique’, celle des grandes banlieues, de la semi-ruralité et des campagnes. Mais plus généralement celle des milieux modestes en voie de déclassement, pris en tenaille entre l’oligarchie prédatrice et l’ensauvagement de l’espace publique. Ce sont les petites gens, les sans-grade, les « sans-dents », la France « rance » et « moisie » dont aucun média imbibé de libéralisme et de gauchisme culturel au service des métropoles festives ne veut entendre parler. Ce sont tous ceux qui paient depuis quarante ans le prix fort de la ’mondialisation’ : désindustrialisation, précarisation, désertification, insécurité sociale et culturelle, etc. C’est évidemment cet abandon qu’expriment épisodiquement paysans ou employés, artisans ou petits patrons, retraités ou chômeurs, policiers ou infirmières, en Creuse ou à Mayotte, en Corse ou en Bretagne, en Guyane ou dans les Vosges.
Les mots d’ordre initiaux sont simples : contre les prix élevés, les taxes et l’incurie gouvernementale
Ils reflètent cet univers abandonné par tous les gouvernements depuis des décennies et qui n’a plus que son bon sens pour s’orienter au jour le jour. Ils proviennent du monde de ceux qui ont renoncé, depuis les deux guerres mondiales, à transformer la société et se sont résignés à se conformer au modèle qui s’est imposé : ils jouent le jeu du salariat, de l’impôt, du crédit, de la consommation, de la voiture, de la télé et de la passivité politique « républicaine ». En échange, l’oligarchie garantissait l’augmentation du niveau de vie, la société de consommation, la sécurité et la paix. Ce contrat social, sur chaque point, se défait, et provoque un ras-le-bol latent à la fois viscéral et diffus mais conservateur puisque visant à revenir à une situation antérieure jugée comme ’normale’.
C’est la colère d’un peuple qui commence à comprendre que ce contrat social ne sera plus tenu
Que sa part, réelle et symbolique, diminue au fil des années au profit de tous ces milieux qui ont décidé de rompre ce qui faisait tenir la société ensemble. Ni l’abondance, ni la sécurité ne semblent plus assurées. C’est le grand patronat qui pille le pays et saigne à blanc les salariés ; c’est l’oligarchie médiatique et politique qui accompagne en souriant le chaos social, culturel et écologique ; ce sont les classes aisées urbaines et leur haine politiquement correcte du populo. Et ce sont évidemment tous les bénéficiaires choyés du prétendu « multiculturalisme » ; élus clientélistes, indigénistes revanchards, communautaristes racistes, islamistes sécessionnistes, gangs barbares, mafias internationales, faux réfugiés, etc. Ces prédateurs et opportunistes de partout et de nulle part escroquent les finances publiques et la solidarité générale pour asseoir leurs dominations sur plus pauvres, ou plus scrupuleux, qu’eux.
Plus profondément, nous assistons à la transformation profonde des sociétés contemporaines
Les couches dominantes et la finance internationale ne rencontrent aujourd’hui plus de résistances populaires conséquentes. Elles prennent des réflexes féodaux, impériaux, orientaux en instrumentalisant les migrations massives, les intégrismes et la voyoucratie pour diviser et terroriser les populations afin d’anéantir toute volonté et toute visée d’auto-détermination des peuples. Et il y a, en toile de fond, la dévastation écologique qui condamne, de toute façon, la société de consommation et le mode de vie qui l’accompagne, et qu’annonce la fin du pétrole à plus ou moins long terme. L’oligarchie se sert évidemment de la « transition énergétique » pour accroître les inégalités et affermir sa domination, interdisant toute solution durable. La situation, absolument nouvelle, est similaire à l’échelle européenne et mondiale.
Les mouvements populaires plus ou moins radicaux ont donc un avenir certain
Un nouvel ordre mondial s’installe, qui balaie la solidarité collective, le cadre national, l’abondance énergétique et le consumérisme pour tous. Face à cela, des réactions instinctives de survie surgissent un peu partout, aboutissant au « populisme », sous diverses formes aux États-Unis, en Angleterre, en Grèce, en Allemagne, au Brésil, etc. Ces crises de régime peuvent aboutir à des mesures ponctuelles : relance de la croissance, redistribution relatives des richesses, limitation des privilèges médiatiques, fermeté migratoire ou juridique, etc. Mais elles ne feront que repousser l’échéance en faisant perdurer et miroiter un mode de vie qui n’est pas généralisable à toute la planète. Il n’est pas viable, à terme, ni économiquement, ni énergétiquement, ni écologiquement, ni culturellement. Il n’existe aucune ’solution cachée’ : il n’y a que les peuples qui pourraient inventer de réelles alternatives.
Nous devons nous confronter aux vraies contradictions qui nous traversent
Quels que soient les démagogues portés au pouvoir, les problèmes de fond resteront inchangés car les désirs des populations sont aujourd’hui intenables. On ne peut pas vouloir du pétrole, du gaz ou du charbon en abondance sans composer avec les dictatures qui nous les vendent. Il n’est pas possible d’exiger un niveau de vie croissant tout en dénonçant des catastrophes écologiques ou des immigrations massives. Lorsque l’on fait grandir des enfants entourés d’écrans et de gadgets technologiques il ne sert à rien de déplorer la montée de l’analphabétisme, des pathologies mentales et du désert social. Enfin, revendiquer plus de démocratie n’a de sens que si le divertissement passe enfin derrière la réflexion, la délibération et l’action politique. Ces attitudes contradictoires, les nôtres, sont le terreau de tous les bonimenteurs.
Depuis plusieurs années, quelques courants évoquent la démocratie directe
C’est effectivement la seule manière pour le peuple de s’occuper de ses propres affaires et d’abord de se confronter à lui-même, à ses lâchetés, à ses responsabilités, à ses choix. Mais cela ne se fera jamais du jour au lendemain, sinon au profit de quelques manipulateurs comme tous les milieux politiciens en sécrètent naturellement. La démocratie ne peut que partir de la base, s’enraciner dans une auto-organisation populaire pratiquée au quotidien, dans la durée. Des mouvements, trop éphémères, inventent d’autres pratiques politiques comme la tenue d’assemblée générale, la rotation des tâches, le tirage au sort, le mandat direct ou la révocation des délégués. Il est donc question de l’émergence d’une nouvelle culture politique populaire, de l’apparition de nouvelles formes politique, de l’avènement d’une autre manière de faire société.
S’engager dans la voie de l’auto-gouvernement, c’est travailler sur le long terme
C’est être capable de survivre à la médiatisation, à la récupération, au sabotage, à la menace et à la répression y compris indirecte. Mais c’est, avant tout, parvenir à se reconstituer comme un corps politique, face à l’atomisation sociale, la confusion idéologique, la fragmentation ethnico-religieuse et le découragement. Les risques d’affrontements violents sont réels et iront grandissant. Ils n’auront de sens que selon une ligne explicitement politique : il s’agit de séparer ceux qui veulent reprendre le projet d’émancipation individuel et collectif dont la France, l’Europe, l’Occident sont encore porteurs, de ceux qui cherchent à priver les peuples des moyens d’agir sur leurs destinées au profit d’intérêts particuliers.
Lieux Communs
19-20 novembre 2018