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Médias et gilets jaunes: un mois de propagande pro-Macron
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://lvsl.fr/le-traitement-mediatique-des-gilets-jaunes
Les gilets jaunes : des « beaufs » pour Jean Quatremer, vêtus d’une « chemise brune » selon BHL, qui adhèrent à des théories « conspirationnistes lunaires » à en croire Jean-Michel Aphatie (le même Jean-Michel Aphatie qui, un peu plus tard, estimait qu’une « organisation souterraine, cachée », « tirait les ficelles » derrière les Gilets Jaunes – mais personne n’est à une contradiction près). Les éditorialistes et chroniqueurs ne sont pas tendres. On ne s’attendait certes pas à ce que les médias prennent la défense des Gilets Jaunes, ou qu’ils se muent en critiques acerbes du pouvoir macronien. On ne peut pourtant qu’être interloqué par la violence des Unes, des éditos, des reportages ou des tweets qu’ils ont déclenchés contre le mouvement. Avec les Gilets Jaunes, la grande presse révèle désormais ce qu’elle est : une courroie de transmission des intérêts dominants.
Incompréhension, refus de se remettre en cause et mépris de classe : aucun mouvement social n’avait jusqu’alors provoqué des réactions aussi vives de la part des grands titres de presse. Mise en scène du « chaos » provoqué par les Gilets Jaunes, négation permanente de leur légitimité, défense de l’autorité « républicaine », annonce de la mort programmée du mouvement : c’est à travers une narration savamment structurée qu’éditorialistes, chroniqueurs et « intellectuels » médiatiques ont tenté de tuer le mouvement.
ACTE I : METTRE EN SCÈNE LE CHAOS
Une du Parisien du 2 décembre 2018 © Le Parisien
Une du Parisien Dimanche du 2 décembre 2018 © Le Parisien
Une du Parisien du 2 décembre 2018 © Le Parisien
La presse nationale et régionale est unanime : en Une des scènes de chaos, pleines de flammes et de gaz lacrymogène. Les compte-rendus qu’on trouve à l’intérieur sont du même ordre : la description d’une escalade de violence semaine après semaine, destinée à provoquer une inquiétude irrationnelle des lecteurs. Cette présentation des événements justifie par là-même les incessants appels au calme de la part des journalistes et des éditorialistes qui se sont mués en spécialistes des mouvements sociaux en quelques jours – ceux-là même qui s’accordaient tous à dire avant le 17 novembre que le mouvement des Gilets Jaunes allait mourir dans l’œuf.
Quitte à évoquer les violences des manifestants, on aurait pu s’attendre à un traitement égal concernant les violences policières. Qu’à cela ne tienne ! Lundi 17 décembre, Amnesty International publiait un rapport déplorant un « recours excessif à la force par des policiers ». Ce rapport n’a que très peu été repris dans les médias. Acrimed a dénombré trois brèves à son propos le jour même et trois le lendemain. LCI a ainsi réussi le coup de maître qui est celui de monter une séquence de violence policière avec un bandeau où l’on pouvait lire « comment la police a gagné en efficacité ». Les images et les témoignages faisant état d’un déchaînement de violences policières ne manquent pourtant pas – elle a causé, rappelons-le, un mort, un coma et de nombreuses mutilations. Mais la remise en cause des forces de l’ordre battrait en brèche la stratégie médiatique déployée.
ACTE II : DÉCRÉDIBILISER LES GILETS JAUNES
Cette opération de décrédibilisation est aussi bien consciente qu’inconsciente. Elle est le produit d’une déconnexion assez frappante avec la réalité, aussi bien que d’un mépris de classe à peine dissimulé. Souvent emplis de paternalisme, nos éditorialistes assènent que le gouvernement a besoin de « temps » et qu’il faut faire de la « pédagogie » pour que les gens comprennent ce qui se joue. Il ne faudrait pas oublier la confession de Gilles le Gendre : « notre erreur est d’avoir été probablement trop intelligents, trop subtils« . C’est donc un peu de temps qu’il faut laisser aux Gilets Jaunes, car en ce bas-monde, l’intelligence n’est pas également répartie.
Les Gilets Jaunes sont décrits par les commentateurs comme des personnages de roman de Michel Houellebecq
A la 59ème minute de l’émission C dans l’air, Christophe Barbier offre sa solution à la crise : la suppression de la redevance télévision ramènera les Gilets Jaunes chez eux parce qu’ils regardent beaucoup la télé, n’ayant « pas beaucoup d’autres distractions dans la vie ».
#GiletsJaunes "Pour convaincre il faut du temps et des résultats. #Macron arrivera à convaincre quand il aura des résultats à la fois globaux de #politique économique mais aussi sur un accompagnement social de la transition écologique". @C_Barbier #cdanslairpic.twitter.com/EMyYbUscb9
— C dans l'air (@Cdanslair) November 27, 2018
ACTE III: DÉFENDRE ET RÉHABILITER L’AUTORITÉ (LA RÉPUBLIQUE DES COPAINS)
Une fois l’opinion effrayée par les Unes et séquences vidéos savamment choisies et triées, il s’agit de faire appel aux figures d’autorité. Une fois les repères brouillés, la restauration de l’ordre. Les annonces et allocutions du président deviennent des moments particulièrement attendus et scrutés par les médias pour faire face au chaos qui s’installe.
© Le Figaro
Une fois ces réponses politiques tant attendues formulées, la mobilisation devient illégitime : pourquoi ces Gilets Jaunes continuent-ils à se rassembler, alors qu’une hausse du SMIC a été annoncée ? Peu importe le contenu de la réponse, les commentateurs la perçoivent comme suffisante.
Jean-Michel Aphatie réagit à l’interpellation d’Eric Drouet :
"Ce n'est pas la liberté qu'on assassine, c'est la République qui rappelle aux citoyens qu'ils ont des devoirs."@jmaphatie #Europe1 pic.twitter.com/J907KclhZh
Sans surprises, c’est à Bernard-Henri Lévy que revient la palme, en matière d’anathèmes pompeux à l’encontre des manifestants et de qualificatifs laudatifs à l’égard des pouvoirs institués. Lui, dont on ne sait toujours pas s’il est philosophe, écrivain, journaliste ou cinéaste, avait déjà l’habitude de brouiller les pistes ; il renouvelle l’interrogation quant à son statut avec ses hashtags vindicatifs, dont on n’arrive pas à comprendre s’ils sont ceux d’un militant En Marche ou d’un chroniqueur pour RMC.
Les Gendarmes mobiles, les Compagnies républicaines de Securite, les forces de l’ordre en général, ont été, aujourdhui, les remparts de la République: contre les casseurs d’ultra-droite et d’ultra-gauche; contre les #GiletsJaunes radicalisés. #SoutienAuxForcesDeLOrdre
— Bernard-Henri Lévy (@BHL) December 8, 2018
Que Macron parle ou pas, que l’on soit d’accord avec lui ou non, qu’on soit pour ses réformes ou contre, n’a, à cet instant, aucune importance. Face à la montée en puissance des fachos, des factieux et des ennemis de la République, une seule option digne:#SoutienAuPresidentMacron
— Bernard-Henri Lévy (@BHL) December 6, 2018
ACTE IV : GARDER LA FACE COÛTE QUE COÛTE, PEU IMPORTENT LES FAITS
Malgré tous les efforts du gouvernement, les annonces n’ont pas suffi et le mouvement a perduré. Certaines ficelles deviennent particulièrement visibles et les médias s’enlisent. France 3 a ainsi fait polémique en diffusant une image retouchée : « Macron dégage » figurait sur la pancarte d’un manifestant. Les téléspectateurs n’ont pas eu la chance de pouvoir apercevoir le « dégage » sur leur écran. La chaîne s’est excusée, prenant le prétexte d’une « erreur humaine » et en promettant que cela ne se reproduirait pas.
#GiletsJaunes
Le @JTweFrance3 présente ses excuses aux téléspectateurs @France3tvpic.twitter.com/YOtHfkVnJY— JT du WE de France 3 (@JTweFrance3) December 16, 2018
Des éditorialistes quelque peu remontés se sont également illustrés durant cette séquence… Il semble que Jean Quatremer, spécialiste des questions européennes pour Libération, ait confondu ces dernières semaines son compte Twitter avec sa messagerie privée. Ses tweets oscillent en effet d’une manière curieuse entre l’insulte pure et simple, et la philosophie politique en 280 signes.
Dans une série de tweets assez remarqués, Pamela Anderson, tout en déplorant la violence de certains manifestants, estimait que celle-ci était insignifiante par rapport à la violence structurelle que les politiques néolibérales infligent aux classes populaires. Pas question d’aller si loin dans la réflexion pour Jean Quatremer, à qui il faut bien reconnaître un mérite : l’art de ne pas complexifier des choses simples.
Jean Quatremer, en réponse à un internaute qui l’accuse de négliger le « peuple qui souffre »
Des attaques de cette nature ne surprennent personne. Durant plusieurs semaines, en effet, les commentateurs ont passé leur temps à dépeindre les Gilets Jaunes comme des avatars de personnages de roman de Michel Houellebecq – des personnes un peu périphériques, donc forcément un peu racistes et très attachées à leur voiture. L’insulte devient dès lors tolérable et tolérée, peu importe la violence et l’absence de réflexion qu’elle recouvre. Tout est permis avec les Gilets Jaunes : la violence physique des forces de l’ordre est un épiphénomène, tandis que la violence symbolique de caste est omniprésente…
ACTE V : DÉCLARER LE MOUVEMENT MORT ET ENTERRÉ
L’une des questions qui a émergé au fil des semaines et qui passionne les chroniqueurs est la suivante : qui va « payer l’addition » ? Les éditorialistes, qui ont manifestement le droit de décider du début et de la fin d’un mouvement social, ont récemment décrété que la phase Gilets Jaunes était terminée (la véracité de ce postulat demeure à prouver, mais soit !). Arrive l’heure des comptes : combien de personnes en chômage technique, combien de radars à réparer, combien de frais de réparation, combien de perte pour la croissance ? Rien ne saurait échapper aux éditorialistes.
Capture d’écran de BFMTV
Mardi 18 décembre, C dans l’air titrait « Gilets Jaunes : et maintenant … l’addition », ce à quoi l’émission de Ruth Elkrief sur BFMTV faisait écho avec un très définitif « après les mobilisations, c’est l’heure de l’addition ». Carline Roux parle de » facture » qui » s’alourdit » après l’octroi d’une prime aux forces de l’ordre, ce à quoi Bruno Jeudy répond solennellement qu’elles ont « tenu le pays pendant cinq semaines ». Attention cependant ! Si les forces de l’ordre méritent d’être choyées pour avoir » tenu le pays » à coup de gaz lacrymogène et grenades de désencerclement, pas question pour autant que d’autres professions aient l’idée de demander des primes…
Capture d’écran © Le Figaro
Quant au « virage social » entrepris, selon lui-même, par le gouvernement, Soazig Quéméner (rédactrice en chef politique de Marianne) indique qu’ « on est plus du côté Bayrou ». Le quinquennat est donc sauvé et prend un indéniable tournant social, la référence faite à François Bayrou étant, on s’en doute, un gage solide pour les politiques marxistes à venir.
Aussi, Dominique Seux, directeur délégué de la rédaction des Echos, craint qu’un « certain nombre de professions » se « réveillent », car « on connaît la capacité des syndicats à faire de la surenchère ». A cela, Françoise Fressoz ajoute que « les gagnants du mouvement sont quand même tous ceux qui demandaient un rééquilibrage de la politique et qui l’ont obtenu par une épreuve de force », mais que le gouvernement a su rallier à lui les entreprises.
La question des péages préoccupe énormément nos éditorialistes. Bruno Jeudy, journaliste pour BFM TV, rappelle que « la privatisation des autoroutes, en 2005, ça n’est jamais passé. Il y a un vrai symbole à prendre en otage les barrières de péage ». Outre la très indélicate métaphore de la prise d’otage, il semble aujourd’hui plus problématique de s’en prendre à des barrières de péage qu’à des cheminots.
Quant au chiffrage du manque à gagner, c’est en points de croissance que les éditorialistes répondent en rendant par là-même leur discours inaudible et inquiétant : »l’INSEE divise par deux sa prévision de croissance pour le quatrième trimestre ».
Le 14 décembre, Jean-Michel Apathie dénonçait sur Europe 1 l’attitude complotiste de certains Gilets Jaunes. Les réactions de quelques uns suite à l’attentat de Strasbourg avaient justifié le fait de jeter l’opprobre sur l’ensemble du mouvement. L’existence de porte-paroles autoproclamés suffit pour nos chroniqueurs et éditorialistes à jeter le discrédit sur l’ensemble du mouvement : les Gilets Jaunes sont sans cesses appelés à se désolidariser, prendre des distances avec des personnes plus médiatiques. Si ce genre d’appel est envisageable lorsqu’il s’agit d’une organisation structurée, que sont censées faire des personnes qui n’ont ni structure, ni chef ?
Et qu’à cela ne tienne, lorsqu’il s’agit de complotisme Jean-Michel Apathie n’est pas à un paradoxe près… C’est lui qui donne logiquement le mot de la fin : les « Gilets Jaunes sont une véritable arme de destruction massive ». Il explique également dans C à vous que « dans ce mouvement [des Gilets jaunes], je pense depuis le début qu’il y a une organisation souterraine, cachée. Il y a des tireurs de ficelles ». Heureusement que l’intéressé déclarait que les mobilisations contre la loi fake news n’étaient que de l’ « agitation stupide » !