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En Saône-et-Loire, les Gilets jaunes dénoncent Amazon
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://reporterre.net/En-Saone-et-Loire-les-Gilets-jaunes-denoncent-Amazon-une-infamie-sur-le-plan
À Lux, en Saône-et-Loire, les Gilets jaunes prennent « soin des maillons faibles du tissu social délaissés par l’État ». Leur tentative de « filtrage » symbolique d’un site d’Amazon au nom de la justice sociale et de l’environnement a donné lieu à une réaction disproportionnée des forces de l’ordre, selon les témoignages recueillis par Reporterre.
Reporterre est allé à la rencontre de Gilets jaunes en Saône-et-Loire. Voici le second des deux reportages que nous avons réalisés sur place. Hier, nous avons publié : « À Montceau-les-Mines, les Gilets jaunes veulent “sauver la planète et sauver des emplois” »
- Lux (Saône-et-Loire), reportage
Une quarantaine de kilomètres à l’est de Montceau-les-Mines, des citoyens en gilets jaunes se sont installés à l’orée du rond-point de Lux, commune en périphérie de Chalon-sur-Saône. Dans leur « QG » (quartier général), comme ils le nomment, les Gilets jaunes entretiennent la flamme de leur brasero depuis le 20 novembre dernier, sans discontinuer. Chaque jour, les troupes s’épaississent à mesure que le soleil se couche et que les entreprises environnantes abaissent leurs stores, libérant leurs salariés.
Ce lundi 14 janvier, sur le terre-plein central, un quinquagénaire stimulé par le concert des klaxons agite un drapeau français et salue gaiement les automobilistes. Non bloquant et non filtrant, ce point de rassemblement a vu naître des opérations spontanées de solidarité. « Il y a beaucoup de misère à Chalon, explique Daniel, informaticien de 52 ans. Ici, j’ai vu des gens fouiller dans les poubelles pour se nourrir. » La population locale s’est montrée généreuse avec les Gilets jaunes de Lux. « Nous avons même reçu plus de nourriture qu’il n’en fallait, alors, on a cherché des solutions pour ne pas gaspiller, raconte David, employé d’une station-service. Depuis, nous assurons des maraudes, trois soirs par semaine, à la rencontre des personnes qui vivent dans la rue et sont dans le besoin. »
Particulièrement sensibles au manque de moyens humain et matériel dans les hôpitaux publics, David et ses camarades ont également affiché leur soutien au personnel du bloc opératoire de William-Morey, le centre hospitalier de Chalon-sur-Saône, en proie à un déficit de 5,5 millions d’euros. Les urgentistes sont en grève depuis le 24 décembre 2018, dénonçant des conditions de travail indignes et un plan d’austérité devant être mis en œuvre ce mois-ci, comprenant des suppressions de RTT et des heures supplémentaires non payées. « Le personnel est à bout, le temps d’attente est extrêmement long, les médecins manquent… ça en dit long sur la catastrophe sanitaire et sociale que l’on traverse, déplore Daniel. On se sent abandonnés, littéralement, alors on tente de le pallier à notre façon. »
« En matière d’écologie, on voit plus loin que Nicolas Hulot »
En parallèle du dernier Téléthon, le 8 décembre dernier, les Gilets jaunes de Lux ont organisé un « giléthon ». En une journée de quête, proposant des bisous, des câlins et des soupes, ils ont récolté 1.300 euros. Les fonds ont été reversés aux sapeurs pompiers de la commune, co-organisateurs du Téléthon, aux personnels et aînés dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), ainsi qu’à des enfants malades.
« C’est important aussi d’envoyer de la force, de prendre soin des maillons faibles du tissu social que l’État délaisse complètement, dit David. La vraie cohérence, c’est de réfléchir, de proposer, d’agir. On a établi une liste de nos revendications pour que tout cela change, un texte évolutif qui représente un projet de société qu’on peaufine au fur et à mesure que l’on avance, que l’on confronte nos idées. »
« En matière d’écologie, on voit plus loin que Nicolas Hulot, embraye Daniel. C’est de survie dont on parle. On a vu les abeilles crever, les escargots de Bourgogne disparaître. C’est du vécu. Les gens qui nous disent qu’on pollue, nous les pauvres prolos, c’est l’hôpital qui se fout de la charité quand on voit que le fioul maritime et le kérosène des avions ne sont pas taxés ou que les Gafa [Google, Apple, Facebook, Amazon] détruisent des produits neufs. »
« Amazon est une infamie sur le plan social et environnemental ! »
À 2,3 kilomètres du rond-point de Lux, la ville de Sevrey accueille l’un des cinq entrepôts français de l’enseigne Amazon. Le dimanche 13 janvier, un reportage de l’émission « Capital », diffusé sur M6, révélait d’importantes destructions de produits neufs invendus sur ce site, dont 293.000 produits envoyés à la casse en 9 mois, selon des sources syndicales. « Ce n’est même plus de l’obsolescence programmée, s’insurge Daniel, c’est carrément des produits gaspillés avant même d’avoir pu servir à quelqu’un. »
L’entreprise, devenue la plus chère au monde [1] est aussi accusée de ne pas déclarer l’intégralité de son chiffre d’affaires au fisc français, ce qui lui permettrait de payer des taxes moins élevées. « En tant qu’auto-entrepreneur, je suis taxé à 30 % de charges avec un chiffre d’affaires ridicule, dit Daniel. Amazon, c’est de la concurrence déloyale pour les petits commerçants d’ici. Dans les environs, tout le monde connaît quelqu’un qui travaille à Amazon Sevrey, c’est 500 salariés en CDI, ça compte localement. Mais nous sommes tous au courant de leurs pratiques de management à l’américaine, de leurs concours chronométrés, de la pression dingue qu’ils mettent sur les salariés. Cette entreprise est une infamie sur le plan social et environnemental ! »
Le vendredi 4 janvier dernier, un groupe d’une soixantaine de Gilets jaunes s’est lancé en direction de la plateforme logistique vers 18 h 30. L’idée : filtrer l’accès au site pour ralentir l’activité de l’entreprise. L’action ne suscitait pas l’adhésion de David et Daniel, qui ont décidé de ne pas y participer. Ce soir-là, 18 personnes, dont une mineure de 15 ans, ont été interpellées et placées en garde à vue « pour entrave à la circulation et refus de se soumettre aux sommations de se disperser. »
« On est des citoyens et on essaie de défendre naïvement nos droits »
« On était tous d’accord pour une action symbolique devant Amazon, mais pas sur l’opportunité de la faire ce jour-là, dit David. Nous étions trop peu nombreux, avec quasiment autant de gendarmes que de manifestants. Nous avions vu leurs véhicules passer devant le QG ! Mais, ils y sont allés quand même, sans savoir ce qu’ils faisaient… C’était une action kamikaze et franchement stupide. »
L’entrepôt d’Amazon de Sevrey. La photographie a été prise après que les Gilets jaunes ont cherché à « filtrer » l’accès au site.
Près de la plateforme, une cinquante de gendarmes a accueilli les Gilets jaunes et les a contraints à quitter les lieux. Selon un communiqué de la préfecture de Saône-et-Loire, publié le 5 janvier, ces Gilets jaunes « ont alors commencé à entraver et bloquer la circulation sur la D906 (anciennement nationale 6) entre Sevrey et Lux. » « On occupait la moitié de la chaussée, rectifie Mika, qui en était. On n’entravait donc pas la circulation, on la ralentissait en marchant en direction du QG. C’est plutôt les charges des gendarmes et les gaz lacrymogènes qui ont paralysé la circulation. » La préfecture évoque, quant à elle, des insultes et des jets de pierre de la part des Gilets jaunes, « blessant au pied un officier de gendarmerie ». « Suite aux charges, poursuit Mika, on s’est séparés et, après un moment sans voir les gendarmes, alors que je marchais sur le parking qui mène au QG, j’ai commencé à voir des camarades être arrêtés violemment. J’ai enlevé mon gilet, mais j’ai été également menotté et emmené durant dix-neuf heures en garde à vue. »
Daniel affirme être resté à proximité du QG pendant tout ce temps quand, aux alentours de 20 h 30, il a décidé d’en sortir. Il a marché 100 mètres en direction du sud, « pour voir ce qu’il se passait ». Voici la suite de son récit :
Les Gilets jaunes s’étaient dispersés et on ne voyait plus les gendarmes. Le premier gendarme que j’ai vu est celui qui m’a sauté sur le dos pour me mettre les menottes. J’ai 52 ans et j’ai failli mourir d’une maladie grave en 2016. Je ne cours pas vite. Le gendarme m’est tombé sur le dos, il m’a esquinté le genou et cassé une côte. J’ai été menotté très violemment. Ensuite, on m’a assis par terre, contre un véhicule de gendarmerie, et j’ai attendu quinze minutes. J’ai été regroupé dans la rafle, avec les 17 autres Gilets jaunes interpellés, dont une mineure qui n’était pas non plus à Amazon. Elle a été blessée par les forces de l’ordre. On était entourés de gendarmes mobiles. Au bout d’une demi-heure, on a été dispatchés en garde à vue dans toutes les gendarmeries du département. J’ai été emmené à Autun pour entrave à la circulation et participation à un attroupement non armé après sommation de se disperser. Je n’ai pas eu le droit à un avocat, pas eu le droit d’avoir mon procès-verbal, mon certificat médical, mes procès-verbaux… On m’a refusé toute remise de document pouvant m’aider à défendre mes droits. Alors que je n’étais même pas à Amazon. J’ai été libéré sans aucune excuse, comme cinq autres Gilets jaunes. Les 13 autres ont été poursuivis.
Pour moi, les gendarmes se sont servis des incidents minimes devant la plateforme d’Amazon comme d’un prétexte pour mener une rafle de Gilets jaunes autour du QG, avec des interpellations qui ont eu lieu à plus de 2 kilomètres d’Amazon, sans même savoir si tous les interpellés avaient participé à l’action. »
Daniel œuvre actuellement à regrouper les témoignages des 18 personnes interpellées pour monter une procédure en justice. « On est des citoyens et on essaie de défendre naïvement nos droits », soupire-t-il en se tenant les côtes. Le préfet de Saône-et-Loire a, de son côté, félicité « les gendarmes pour leur intervention qui a permis de faire droit au principe de libre circulation et pour leur engagement indéfectible pour assurer la protection de nos concitoyens ». Dans un droit de réponse au préfet, les Gilets jaunes ont condamné « une opération de police politique disproportionnée, les arrestations au hasard du seul fait de détenir un gilet jaune, les violences injustifiées, les gardes à vue injustifiables, la sévérité des poursuites judiciaires engagées, le fichage des opposants politiques, et les violations de nos droits, y compris la violation du droit à être assisté d’un avocat ».