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A Commercy, comment réinventer une «démocratie assembléiste»?

Gilets-jaunes

Lien publiée le 4 février 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://alencontre.org/europe/france/france-a-commercy-comment-reinventer-une-democratie-assembleiste.html

Par Andrea Fuori

Réunies dans la Meuse, soixante délégations des assemblées de gilets jaunes ont lancé une coordination nationale. Le texte sera soumis aux AG des ronds-points.

«Tu te rends compte: ils sont tous venus chez nous, au fin fond de la Meuse!» Frédérique, gilet jaune de Commercy depuis la première heure, n’en revient pas. À l’appel de leurs acolytes, prèsde 350 gilets jaunes venus de toute la France se sont retrouvés non loin de cette petite sous-préfecture meusienne les 26 et 27 janvier pour «l’assemblée des assemblées», une première «coordination nationale démocratique» des groupes locaux et ronds-points depuis le début du mouvement.

Photo: Débat à Commercy organisé par Mediapart (repris de leur Youtube, à voir – Réd. A l’Encontre)

Délégués des villes et des ronds-points

Pour Steven, éducateur de 28 ans, «les leaders autoproclamés du mouvement font voter des propositions sur Facebook mais ça reste virtuel, de haut en bas. Nous avons donc proposé de nous rencontrer en vrai pour débattre de nos revendications et de la suite du mouvement». Loin des listes européennes et du grand débat national: sur les bases de «démocratie directe dans les assemblées locales de gilets jaunes».

Des débats filmés, envoyés illico sur la page Facebook des gilets jaunes.

13h30, le 26 janvier, les débats commencent. «Gilets jaunes! Je déclare ouverte la première assemblée des assemblées!» Applaudissements, poings levés, et «Ahou!» retentissent: le ton euphorique du week-end est donné. L’animateur des débats, Claude, ancien maire rural habitué aux salles des fêtes, passe le micro entre les mains de la centaine de délégués présents, sous le regard des nombreux observateurs. La salle est pleine à craquer, un long tour de présentation commence.

Et les quartiers populaires?

D’un bout à l’autre de la France, plus d’une soixantaine de délégations sont venues de Bretagne, d’Alsace, d’Occitanie, du Grand-Est, de la région parisienne, de Rhône-Alpes, des Pays de la Loire, du Centre-Val de Loire… Il y a des délégués de ronds-points, comme à Die, dans la Drôme, où les gilets jaunes appellent à «la grève du travail et de la consommation» et dont la cabane incendiée «a été reconstruite plus grande encore!».

Il y a des délégués de grandes villes comme Isabelle, de l’AG de Strasbourg, qui regroupe entre 100 et 400 personnes tous les samedis matin, ou Renz, de la «Maison du peuple de Saint-Nazaire», une ancienne sous-préfecture transformée en QG (quartier général) pour bloquer la zone portuaire.

En plus des AG (assemblées générales) et des ronds-points, des délégués de collectifs de femmes ont aussi fait le déplacement, comme Louise, des «femmes gilets jaunes» de Paris, qui appelle à « conforter les revendications spécifiques des femmes dans le mouvement sans le diviser». Plus de dix AG sont aussi venues de Paris et sa banlieue, comme Sabrina, qui appelle à « défendre les quartiers populaires».

Après plus de trois heures, «le premier point de l’ordre du jour peut commencer!» annonce triomphalement Claude. Au menu: les revendications. Pour préparer les discussions, les gilets jaunes de Commercy ont invité les groupes à faire remonter leurs doléances. La synthèse présentée met en évidence de nombreuses préoccupations de justice sociale et fiscale, de transformation des institutions, de transition écologique – bien au-delà du seul RIC (référendum d’initiative citoyenne).

«Est-ce que l’assemblée est d’accord pour que cette synthèse soit publiée comme première base?» tentent les animateurs. «Prenons le temps de mieux collecter les revendications!» plaide un délégué. «Nous n’avons pas de mandat de vote», rappelle un autre.

Le débat dérive sur la légitimité des délégués à voter et sur la nature de cette assemblée. Aucun d’entre eux n’a de mandat décisionnel clair. Tous envisagent cette «AG des AG» comme une coordination et pas une assemblée centrale. Mais, après plusieurs semaines d’attente, beaucoup sentent que cette coordination ne peut pas accoucher d’une souris. Le délégué de Saint-Nazaire, comme de nombreux autres, rappelle les enjeux: « On est regardés par toute la France, nos amis comme nos ennemis: il faut qu’on se mette d’accord sur un appel! »

Après un long tour de table, les animateurs reformulent la question mise au vote. «Qui souhaite que cette AG fasse ressortir un appel?» Grand silence, les cartons orange des délégués se lèvent, et le oui l’emporte à 90%. Salve d’applaudissements. Une commission de travail est nommée dans la foulée. Un moment crucial vient se jouer: les délégués présents ont transformé «l’assemblée des assemblées» en force de proposition.

Les deuxième et troisième points à l’ordre du jour, «Quelles suites et perspectives pour le mouvement?» et «Quel mode d’organisation le plus démocratique à toutes les échelles?», sont basés sur la même méthode: remontées locales, synthèse et tour de table. Parmi la quinzaine de groupes qui se sont prêtés au jeu, nombreux sont ceux qui appellent à boycotter le grand débat national et à refuser de se présenter aux élections européennes. L’appel à la grève générale reconductible est aussi très présent, même si les délégués sont divisés sur l’attitude à adopter vis-à-vis des syndicats, entre alliance et méfiance.

En toute fin de week-end, après des heures de travail, un texte d’appel est proposé par une commission à l’AG et donne lieu à un débat houleux sur les amendements. «Il faut rajouter l’égalité entre Français et étrangers!» dit un délégué. «Le mouvement des gilets jaunes est divers, ne tombons pas dans un jargon militant!» lance un autre, excédé. Au forceps, l’appel de l’Assemblée des assemblées des gilets jaunes [1] est finalement adopté à l’unanimité moins cinq abstentions par les délégués présents.

Affirmant que les gilets jaunes ne sont «ni racistes, ni sexistes, ni homophobes», ce texte appelle notamment à «construire une grève massive et reconductible à partir du 5 février» et «l’amnistie des victimes de la répression». Il sera soumis à validation dans des dizaines d’AG locales et ronds-points.

Les bases sont posées mais l’édifice reste à construire. «Cette assemblée sera légitime quand les mandats seront mieux précisés», veut croire Steven. À Toulouse, bastion de la mobilisation, la scrupuleuse AG a mandaté cinq observateurs sans droit de vote. «On n’a pas eu le temps de se mettre d’accord pour un mandat précis. C’est frustrant, mais on apprend aussi énormément en restant dans l’écoute», témoigne Clément, qui diffuse consciencieusement les échanges sur la page des gilets jaunes de sa ville avec son téléphone.

«Des contacts partout»

«C’est le début d’un processus», croit Isabelle, de Strasbourg. «Mais, la prochaine fois, il faudra que ça soit plus inclusif.» Malgré une tentative de parité dans la nomination des délégués, la plupart de ceux qui ont pris la parole étaient des hommes habitués aux joutes oratoires. «Tout le monde n’a pas les mêmes modes d’expression. Il y a une frontière de classe qui se joue dans le mouvement. Ne mettons pas l’AG au-dessus des ronds-points!»

Le week-end se termine par des ovations pour les hôtes meusiens. Manu, ouvrière chez Safran à Commercy, regarde ses «invités» repartir. «C’est triste… Mais, maintenant, j’ai des contacts partout, je vais pouvoir partir en vacances à Nice! Et peut-être y manifester!» (Article publié le 2 février 2019 dans le quotidien L’Humanité)

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[1] Voir à propos des processus concrets des assemblées régionales des «ronds-points», les réflexions de Karl Grünberg et Charles-André Udry, dans l’article publié sur ce site en date du 28 janvier 2019: http://alencontre.org/europe/france/france-lappel-de-lassemblee-des-assemblees-et-quelques-observations-reflechies.html