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Les photojournalistes sont victimes, eux aussi, des violences policières
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://reporterre.net/Les-photojournalistes-sont-victimes-eux-aussi-des-violences-policieres
Depuis le début du mouvement des Gilets jaunes, un nombre record de photojournalistes ont été blessés par les forces de l’ordre. S’ils admettent que leur métier comporte des risques, ils dénoncent des violences et intimidations qui les visent délibérément. Et préparent une action en justice collective.
Le 8 décembre dernier, Éric Dessons, photojournaliste au Journal du dimanche, commençait à peine sa journée de couverture de la manifestation des Gilets jaunes quand, vers 10h, alors qu’il photographiait une charge de la police, une matraque frappait sa main qui tenait l’appareil. « C’était une matraque télescopique en métal, se souvient-il. Après le premier coup, j’ai repris mes esprits quelques minutes, j’y suis retourné. Ils sont revenus, j’ai de nouveau été frappé au même endroit, je me suis écroulé, j’ai été transféré à l’hôpital. » Diagnostic : une fracture du quatrième métacarpe, quatre semaines d’arrêt. L’événement est arrivé alors qu’il était clairement identifié par deux brassards « presse ». « J’assume que dans l’action il arrive que je me prenne des coups, dit-il. Mais pas de me faire taper volontairement à plusieurs reprises. »
Le même jour, Yann Foreix, du Parisien, perdait brièvement connaissance après avoir été touché par un projectile de LBD tiré « à deux mètres de distance ». Lui aussi s’est retrouvé à l’hôpital. Rien que pour cette journée du 8 décembre, à Paris, l’Union des photographes professionnels (UPP) a recensé plus d’une quinzaine d’incidents impliquant des photographes. Depuis le début du mouvement, le journaliste David Dufresne a, lui, recensé 61 événements touchants des journalistes, blessés ou tout simplement empêchés de faire leur métier.
Quelques samedis plus tard, le 22 décembre, Cyril Zannettacci, photographe indépendant dont les photos sont régulièrement publiées dans Libération, se prenait un tir de lanceur de balle de défense (LBD) dans le genou. « J’ai été visé : j’étais loin, il n’y avait pas grand monde autour de moi, j’avais l’appareil photo bien visible dans les mains », raconte-t-il à Reporterre. Il avait déjà eu le pied écrasé par la violence de l’impact d’une grenade, à Notre-Dame-des-Landes en avril 2017, alors qu’il était à plus d’une centaine de mètres de la zone de confrontation entre militants et gendarmes.
Tirs de LBD, coups de matraque, garde à vue, bris et confiscation du matériel professionnel
Début janvier, autre scène, cette fois-ci au Musée d’Orsay. Le photographe Stéphane Burlot affirme avoir compté trois tirs de LBD en direction de la tête en cinq minutes. Un photographe, un documentariste et un Gilet jaune, tous un appareil ou une caméra à la main, ont été visés. Seul l’appareil a pris pour le photographe. Le documentariste, Florent Marcie, a lui été touché à quelques centimètres de l’œil, tout comme le Gilet jaune.
#ActeVIII à 16h au musée d'Orsay charge policière (ambiance BAC) pour dégager les environs de la péniche en feu. En 5 mn, constat de 3 tirs de flashball à la tête : 1 gilet jaune, 1 documentariste qui filmait + 1 photographe (ce dernier constaté sur l'appareil d'un photographe)
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À Bordeaux, c’est lors de l’Acte X des Gilets jaunes, le 19 janvier, que les incidents se sont multipliés. Rue89 Bordeaux rapporte que Fabien Cottereau, photojournaliste pour Sud Ouest, a reçu un tir au genou. Deux de ses collègues, travaillant l’un pour une commande de Libération, l’autre pour l’agence Sipa, ont été matraqués par les forces de l’ordre, et une partie de leur matériel a été cassée.
« Il y a aussi plein de petites intimidations, ajoute Pierre Morel, administrateur de l’UPP. Par exemple, récemment un photographe a été mis deux heures en garde à vue alors qu’il allait couvrir une manifestation. » Ou encore, plusieurs confiscations de matériel ont été relatées. Véronique de la Viguerie, photoreportrice multiprimée s’est vue confisquer son matériel de protection par la police, là aussi le 8 décembre, alors qu’elle couvrait la manifestation pour le Washington Post. Selon l’UPP, ses collègues Boby Allin et Julien Autier ont aussi subi le même traitement, avec pour conséquence l’impossibilité de couvrir l’événement du jour. Pourtant, la loi interdit la confiscation du matériel des médias, nous a confirmé le service presse de la police nationale.
ActeXX. Trop de pressions mal gérées pour les FDO. Notre métier est de plus en plus risqué. C’est nous qui montrons. Cela peut gêner, de là à être chargé, insulté, et mis en joue...Voilà notre job. Soutien total à notre confrère Fabien Cottereau de @sudouest. Photo Ph.Belle-Croix
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« Christophe Castaner nous avait assuré qu’il passerait des consignes »
« Nous ne prétendons pas que les journalistes et les photographes sont les premières victimes des violences policières, indique Pierre Morel. Et certains anciens de la profession disent qu’il y a toujours eu des photojournalistes blessés. Mais là, ça prend une nouvelle tournure. Des photojournalistes identifiés comme tels sont délibérément visés. » « C’est inadmissible, dit Vincent Lanier, du Syndicat national des journalistes (SNJ) :
On a eu un rendez-vous avec Christophe Castaner fin novembre autant sur les violences des manifestants que des forces de l’ordre envers les journalistes. Il nous avait assuré qu’il passerait des consignes. Mais, c’est après que cela s’est déchaîné ! »
Alors qu’après le 8 décembre, SNJ et UPP publiaient des communiqués indignés, le ministre de l’Intérieur répondait quelques jours plus tard, lui aussi par communiqué interposé. « Le ministre de l’Intérieur tient à préciser qu’aucune consigne n’a été adressée aux forces de l’ordre qui aurait eu pour effet de limiter l’exercice de la liberté de la presse », assurait-il, avant de proposer aux journalistes de porter plainte auprès de l’IGPN (Inspection générale de la police nationale, la police des polices), et de couvrir les manifestations côté forces de l’ordre, afin d’être « protégés ». Mais comment couvrir un événement de façon équilibrée en étant uniquement du côté des forces de l’ordre ?
Un photojournaliste, avec un brassard comportant sa carte de presse, prend les forces de l’ordre en photo lors des manifestations contre la loi travail.
Insatisfaites de la réponse, les deux organisations ont collecté près d’une trentaine de témoignages afin d’organiser un dépôt de plainte collectif prochainement, porté par le médiatique avocat Jérémie Assous. « On voudrait qu’il y ait enquête pour savoir quelles sont les consignes données aux forces de l’ordre. Et on veut montrer que ce n’est pas du hasard, ce ne sont pas des cas isolés, et qu’il y a une responsabilité de la hiérarchie », explique Vincent Lanier.
Une montée de la violence depuis la COP21
Dans ce projet de plainte collective, tous les cas n’ont pas eu lieu lors des actes des Gilets jaunes. « Ces atteintes aux photographes ne datent pas d’hier », rappelle l’UPP dans son communiqué. « Je vois trois paliers, relate le photographe Cyril Zannettacci. Le premier a été franchi pendant la COP21 (Reporterre avait quant à lui été empêché de couvrir une action militante par la police) ; le deuxième c’était lors des manifestations contre la loi Travail en 2016 ; et ces derniers mois avec les Gilets jaunes. »
Ainsi, parmi les futurs plaignants déterminés, on trouve par exemple Jan Schmidt-Whitley, qui a eu deux doigts cassés par un tir de grenade en avril 2018. Il avait auparavant travaillé en Turquie, et a même été blessé dans un attentat de Daesh :
Je n’ai eu aucune séquelle de cet attentat. Alors que j’en ai après avoir été blessé par la police à Paris, dans un moment plutôt calme de la manifestation, je trouve cela absurde. Je n’imaginais pas, quand je travaillais en 2013 en Turquie avec casque, masque à gaz et protections, que cela me servirait aujourd’hui en France. »
Certains de ses collègues ont même revêtu des gilets pare-balles lors des dernières manifestations. Protège-tibias, coquilles et coques de protection de la colonne, ou gants coqués s’ajoutent à la panoplie des uns et des autres.
Autre technique d’intimidation, NnoMan Cadoret, dont Reporterre publie régulièrement des photos, avait lui été visé par une interdiction de manifester pendant les mobilisations contre la loi Travail du printemps 2016. Le tribunal administratif avait annulé l’interdiction, il a pu revenir sur le terrain.
En juin 2016, lors des manifestations contre la loi Travail, à Paris.
Le spectre des photographes touchés s’élargit peu à peu. Parmi les photographes présents en manifestation, on trouve des amateurs ou des militants. Le photoreporter ajoute :
Il a fallu attendre 2016, quand de grosses rédactions ont elles aussi été victimes de la police, pour que la profession s’émeuve et voit que ce ne sont pas juste deux ou trois indépendants un peu énervés qui sont concernés. Ils se rendent compte que la carte de presse ne protège pas. »
« Des CRS ont détruit ma carte mémoire en me traitant de « “petit journaliste de merde” »
Si on trouve tous types de journalistes menacés, bousculés ou blessés par des forces de l’ordre, les photojournalistes sont particulièrement touchés. Leur métier nécessite d’être en première ligne, ce qui les expose davantage. « Et puis, en manifestation, il y a énormément de photographes, pour la presse ou militants, remarque Jan Schmidt-Whitley. Quand 60 personnes prennent des photos alors que les forces de l’ordre essayent d’intervenir, je comprends que ce soit compliqué. »
Mais les photojournalistes peuvent aussi être visés en tant que témoins dérangeants. « Je me suis aussi pris des coups de matraque lors de la manifestation des Gilets jaunes à Bourges, alors que j’allais photographier des policiers en train de tabasser un jeune », relate encore Cyril Zannettacci. « Lors de l’élection présidentielle de 2017, je couvrais une manifestation spontanée, des flics en civil avec un LBD dans les mains m’ont isolé derrière une ligne de CRS, plaqué au sol, détruit ma carte mémoire en me traitant de “petit journaliste de merde”. Ils disaient qu’à cause de moi des photos d’eux se retrouvaient sur les réseaux sociaux », se souvient de son côté NnoMan Cadoret. « En tant que photographe, on se sent vraiment ciblé. »
En juin 2016, lors des manifestations contre la loi Travail, à Paris.
Autre sentiment commun aux photojournalistes interrogés par Reporterre, celui que les policiers peuvent agir en toute impunité. « Je n’en veux pas à la police en tant que police, explique Éric Dessons. Mais en ce moment, on laisse faire, alors que les forces de l’ordre déploient une violence disproportionnée par rapport aux manifestants et inefficace par rapport aux casseurs. Ils se sentent tout puissants, comme Benalla. » Le fait que certains n’affichent pas leur matricule complique aussi la tâche quand une victime souhaite porter plainte. « Il y a très peu de chance qu’un policier violent assume les conséquences de ses actes, c’est comme si les manifestations étaient devenues une zone de non-droit, regrette Jan Schmidt-Whitley. Et en plus, le fait qu’il n’y ait pas de condamnation politique installe l’impunité. »
Ces entraves à l’exercice du métier de journaliste « ne sont pas de bons signaux pour la démocratie »
On pourrait croire que la profession journalistique aurait un peu plus d’écoute de la part du gouvernement que le manifestant lambda. Ce n’est pas le cas : « On est face à un gouvernement qui se fout de la presse, regrette Éric Dessons, photojournaliste au Journal du dimanche. Je travaille pour un journal connu en politique, et j’ai pas eu un seul coup de fil de Beauvau. » Au SNJ, Vincent Lanier nous rappelle les récentes affaires de journalistes convoqués par la police pour avoir couvert les actions militantes de décrochage des portraits d’Emmanuel Macron, ou encore la loi sur le secret des affaires, adoptée en 2018. Ces entraves à l’exercice du métier de journaliste, « ne sont pas de bons signaux pour la démocratie », dit-il.
Le ministère de l’Intérieur, contacté par Reporterre, ne nous a pour l’instant pas répondu. Le service presse de la police nationale, lui, nous confirme que déjà lors des manifestations contre la loi Travail, en 2016, des problèmes lui étaient remontés. Il invoque le contexte difficile des manifestations répétées et non déclarées des Gilets jaunes, et assure que les policiers dont la culpabilité sera prouvée en justice seront condamnés. Il nous indique aussi que la consigne passée à tous les policiers en uniforme ou avec brassard est qu’il est légal de les prendre en photo. Des formations impliquant journalistes et CRS sont aussi envisagées pour sensibiliser ces derniers au travail des photographes et journalistes.
Enfin, même au sein du monde des médias, tous ne sont pas derrière les blessés. Si les photojournalistes et journalistes de terrain protestent, « leurs employeurs, eux, n’en ont rien à cirer, que les violences viennent des manifestants ou de la police. On n’a pas beaucoup entendu les patrons de presse », déplore Vincent Lanier. Les employeurs peu soucieux de la liberté d’informer peuvent d’autant plus se désintéresser des violences policières à l’encontre des photojournalistes que beaucoup de ceux-ci sont indépendants. Et s’ils ont pour la majorité d’entre eux une carte d’agence prouvant leur qualité de photographe professionnel, ils n’ont pas toujours une carte de presse. L’espoir est donc que la plainte collective déclenchera une enquête approfondie. « On veut faire reconnaître ce qui s’est passé et que cela ne se reproduise pas », indique Vincent Lanier.
La première Rencontre de l’écologie, organisée par Reporterre, s’intitule « L’écologie vue par les photographes ». Elle se déroulera le 13 avril 2019. Dans une société où les photographies sont devenues omniprésentes, notamment avec l’explosion des réseaux sociaux, quel rôle joue la photographie dans l’enjeu majeur du XXIe siècle qu’est l’écologie ?