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Sous-traitance à la SNCF : le mal est partout
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
http://ouvalacgt.over-blog.com/2019/09/sous-traitance-a-la-sncf-le-mal-est-partout.html
La fédération CGT des Cheminots vient de publier un communiqué contre la sous-traitance de la maintenance sur SNCF-Réseau (voir ci-dessous le lien). Faut-il vraiment se féliciter de ce qui peut apparaître comme un premier pas dans le bon sens ?
Le mal est partout
La sous-traitance se développe depuis le milieu des années 80, avec une véritable explosion dans les années 90. Ce n’est pas un hasard : à la fin des années 80 le capitalisme mondialisé (ce qu’on appelle l’impérialisme) arrive en butée sur son mode d’accumulation, et il faut trouver de nouveaux ressorts.
Cela va être les développements massifs de la précarité et de la flexibilité (intérim), ainsi que de la sous-traitance dans le cadre de la libéralisation accélérée du marché mondial. Avec en support les nouvelles technologies de l’information et le développement massif des transports internationaux (délocalisations).
La tendance touche progressivement tous les secteurs :
- Dans toutes les grandes entreprises industrielles, c’est la sous-traitance des services. D'abord gardiennage, restauration et nettoyage, puis logistique, informatique, travaux neufs et maintenance (climatisation, installations électriques, tuyauterie…).
- On voit aujourd'hui apparaître cette tendance dans les grands hôpitaux, comme à Strasbourg ou ailleurs. Et maintenant à la SNCF comme l’indique le tract de la CGT Cheminots.
- Dans l’automobile, les grains de productivité et l’accélération des processus de production à flux tendus grâce aux nouvelles technologies, mènent à la constitution de réseaux sophistiqués de sous-traitance en cascade – jusqu'à l'installation d’entreprises sous-traitantes sur le site même de l’usine donneuse d’ordre. On a vu en 2009 la révolte des ouvriers sous-traitants qui n’a malheureusement pas réussi à converger pour revendiquer la ré-internalisation, voir notre article de l’époque « Pour une manifestation nationale pour l’emploi ». En parallèle, l’intérim « jetable » a explosé depuis le milieu des années 80 pour devenir un élément structurel de la production, en particulier sur les postes les plus pénibles que les CDI ne peuvent tenir sur la durée.
- Dans le nucléaire, c’est près de 80% de l’activité dans les centrales qui est désormais réalisée par les sous-traitants dans des conditions très dégradées. On y reviendra avec le mouvement (« D-Day ») qui va se dérouler dans ce secteur le 18 septembre et dans l’immédiat, on peut se reporter à notre article « Sous-traitance nucléaire : ré-internalisation ».
- Dans le BTP, la sous-traitance est structurée en cascade jusqu'à l’emploi de camarades sans-papiers, forme ultime de la précarité, ou sur des travailleurs détachés nés en 1996 d’une directive européenne. Et là encore on retrouve le même phénomène dans les services publics comme la grève actuelle des sans-papiers à Chronopost.
- Dans l’hôtellerie, les grèves s’enchaînent dans les hôtels parisiens ou marseillais, pour revendiquer à la fois l’égalité des droits des sous-traitants et la ré-internalisation avec reprise de l’ancienneté, comme en ce moment à l’hôtel Ibis Batignolles.
L’enjeu de la sous-traitance est double :
- D'une part, attaquer ce qu’on pourrait appeler le « statut » des travailleurs des entreprises donneuses d’ordre, en utilisant la sous-traitance pour diminuer les salaires, supprimer tous les acquis sociaux, diviser le collectif de travail et briser sa résistance, bref augmenter le taux de profit par baisse directe du coût de la force de travail.
- D'autre part, reconfigurer en profondeur le processus de production avec des gains de productivité importants. Précarité, flexibilité, conditions de travail, pénibilité sont considérablement dégradées, ce qui permet une augmentation de l’exploitation par hausse de productivité
La sous-traitance est donc un enjeu essentiel pour le capitalisme dans la phase actuelle de la mondialisation impérialiste libérale en plein développement, de la concurrence effrénée qu’elle entraîne.
D'où l’enjeu des deux mots d’ordre simples qui doivent guider l’activité syndicale de classe :
Ré-internalisation de la sous-traitance et de tous les sous-traitants, avec reprise de l’ancienneté ; ce qui veut bien entendu dire ouverture de la fonction publique aux étrangers.
Egalité des droits entre travailleurs de l’entreprise donneuse d’ordre et les sous-traitants, que ce soit par le biais d’une convention collective unique ou autre.
Le tract de la CGT Cheminots
Ce tract souligne les conséquences immédiates de la sous-traitance : malfaçons, surcoûts, incidents, en reprenant d’ailleurs les arguments de la presse patronale (voirl’Usine nouvelle). Et d’insister : « le risque majeur est la perte de compétence des cheminots SNCF », appuyé sur un discours de défense inconditionnelle de l’entreprise et du service public.
Mais pas un mot sur les sous-traitants eux-mêmes, sur le phénomène de la sous-traitance qui s’est développé ces derniers vingt ans sans vraiment d’opposition – y compris de la CGT Cheminots.
Pas un mot sur les femmes et les hommes, les travailleuses et les travailleurs qui ont fait les frais de cet abandon depuis des années.
Quand la CGT Cheminots parle dans son tract de « ré-internalisation », c’est de « charge de travail » qu’elle parle au sein de la SNCF, pour « permettre avec les cheminots de reprendre la charge de travail qui leur revient »… Quid des travailleurs sous-traitants dans cette hypothèse ? On le devine : Pôle Emploi.
De plus il ressort de ce tract qu’il y a nettement deux types de sous-traitance pour la CGT Cheminots :
- La sous-traitance qualifiée, pour la maintenance et les travaux des voies, ou en ateliers la maintenance des installations industrielles ou de certains systèmes sur les rames. Là, il s'agit d'ouvriers qualifiés ou de techniciens, parfois d'anciens cheminots qui ont négocié leur salaire. Leurs conditions de travail sont correctes, et pour eux la sous-traitance n'est pas un moins-disant. Les cheminots n'ont à leur égard pas la même attitude, ça peut bien se passer (à force de travailler côte à côté pendant des années) mais il y a souvent de l'hostilité à leur égard, car ils "volent le travail". D'où l'opposition entre "eux" et "nous" dans le tract.
- La sous-traitance des ouvriers non qualifiés précaires, mal payés, parfois sans papiers, aux cadences infernales (une rame doit se nettoyer en 20 à 30 minutes par une équipe de 5 ou 6 !). Cette sous-traitance, les cheminots au statut l'ignorent, ce sont des gens invisibles le plus souvent. A Pantin une agente de nettoyage était décédée après un arrêt cardiaque sur une rame de nuit, et bien ça n'a pas ému grand-monde. Si cela avait été un cheminot... Challancin et Onet se partagent les marchés, il y a entente illégale (certaine) voir corruption (probable). Les équipes ne changent pas, juste tous les 2 ou 3 ans elles changent d'uniforme. Au Landy, les militants de la CGT assumaient ouvertement d'être opposés à la réintégration pleine de ces tâches et de leurs salariés à la SNCF, car cela "tirerait vers le bas" les acquis du statut ! Outre le fait qu’il faudrait ouvrir la fonction publique aux étrangers…
Voilà peut-être la raison pour laquelle la CGT Cheminots ne parle pas du nettoyage, ça n'est pas un oubli. Dans le tract, elle parle de « suivi des travaux réalisés par des tiers, à la hauteur des exigences de qualité et de sécurité qui sont les nôtres ». C’est quoi ça, les travaux réalisés par des tiers, ce n’est pas de la sous-traitance ??? On relèvera d’ailleurs qu’il n’y a pas un mot sur la grève du nettoyage à la Gare du Nord en novembre et décembre 2017… c'est bien qu'il y a pour eux la sous-traitance qui pose problème et celle qui est acceptable... Le tract de la CGT ne parle pas de ré-internalisation de "toute" la sous-traitance, seulement de la maintenance sur le réseau ferré, du secteur qualifié.
Soyons honnête : le tract de la CGT Cheminots parle bien au détour d’un paragraphe de dumping social et d’égalité des droits : « Le rattachement obligatoire de toutes les entreprises intervenant sur le réseau ferré à la convention collective de la branche ferroviaire, pour mettre un coup d’arrêt au dumping social ». Nous n’avons pas pris le temps de comparer les termes de cette convention collective (très récente – 2016) avec le statut du cheminot, ce qui devra être fait par des militants plus affûtés. On remarquera simplement qu’elle ne fait aucune référence au statut du cheminot et renvoie bien souvent aux accords d’entreprise… On notera aussi que cette citation ne parle que du "réseau ferré", quid du nettoyage par exemple ? On peut parier que la CCN du ferroviaire ne s’applique pas à ces métiers. C’est pourtant le statut unique et l’égalité des droits qui doit être au centre des revendications, ainsi que la ré-internalisation des travailleurs, pas la marche de l’entreprise…
Alors, certains camarades ont un peu pris leurs désirs pour la réalité et se sont félicité de cette prise de position de la CGT Cheminots, en s’arrêtant sur un titre ou une formule choc. Quant à la condamnation juridique et aux 500€ d’astreinte quotidiens auxquels la SNCF a été condamnée, on est bien d’accord qu’elle s’en moque comme de son premier intérimaire… L'entreprise va reconfigurer son modèle économique (d'autant qu'il s'avère que cette sous-traitance lui coûte cher !) après cet accroc juridique sans pour autant remettre en cause sa libéralisation accélérée... et sûrement pas en ré-internalisant tous les sous-traitant(e)s...
On le sait, le diable se cache dans les détails. Et force est de constater que le contenu réel de ce tract est plus proche de la défense de l’entreprise capitaliste qu’est la SNCF que la défense de l’intérêt commun de la communauté des travailleurs, cheminots à statut et sous-traitants réunis sous le même drapeau contre l'exploitation…
A la SNCF comme ailleurs, ré-internalisation de toute la sous-traitance !
On lira également avec intérêt un article du site Le Vent se lève : « La SNCF gangrenée par la sous-traitance et la privatisation » tout en regrettant que l’article en reste à l’analyse et ne débouche pas sur des revendications claires et délimitantes.