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Vers l’alliance des Gilets jaunes et du mouvement climat ?
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Vers l’alliance des Gilets jaunes et du mouvement climat ?
Pour l’écologie sociale et horizontale.
Le 21 septembre 2019, de grandes organisations écologistes appellent à un nouveau soulèvement massif pour la justice sociale et climatique. De son côté, le mouvement des Gilets jaunes, loin de son élan premier, s’est transformé d’une façon inédite, avec des dispositifs démocratiques qui tiennent la route mais des effectifs réduits. Alors qu’il irrigue d’une force nouvelle les autres luttes dans lesquelles il se reconnaît, nous aurions ici l’occasion de rechercher des cadres communs à notre action et à notre analyse, préalablement à toute alliance poussive. Cette recherche ne s’annonce pas simple. Le mouvement climat et les Gilets jaunes ont en commun d’être hétérogènes et ambivalents. Et des différences peut-être profondes, entre les deux ensembles qu’ils forment malgré leur diversité, pourraient faire durer leur incompatibilité.
Premièrement, le cadre de l’analyse des porte-paroles du mouvement climat, reste porteur d’une lecture millénariste donc hégémonique qui laisse peu de place à d’autres points de vue et revendications et passe à côté de la spécificité du système capitaliste. En partie parce qu’ils déduisent de leur récit d’une apocalypse climatique un devoir d’évangéliser massivement, de toucher « tout le monde » sans culpabiliser personne et pour ce faire de coopérer avec les principaux médias. Cependant, deuxième point, la question du capitalisme comme système de dominations multiples, contre lequel nous devons nous défendre, fait lentement son chemin – y compris chez les Gilets jaunes – malgré les accusations de « radicalité » et la volonté de nombreuses personnes de rester sur des objectifs d’aménagements sociaux et écologiques. Mais le nœud du désaccord, troisième point, semble surtout se focaliser sur l’autonomie des luttes, qui implique la poursuite d’une horizontalité radicale – grande idée motrice d’une partie des Gilets jaunes, mise à mal au sein du mouvement climat par la domination de grandes organisations – et d’un rapport de force avec les pouvoirs légaux, dont les termes sont encore une fois différents pour ces deux mouvements de révolte.
Toutefois, l’alliance des Gilets jaunes et du mouvement climat présente un certain intérêt. À force de nommer ce qui nous sépare, comme cela a été fait tant bien que mal au sein même du mouvement du 17 novembre ; en essayant de se donner des cadres communs pour nous organiser ensemble ; et surtout, par le désir et le besoin de participer aux mêmes actions contre nos ennemis, les conditions de cette alliance ont une petite chance de se laisser réunir.
Nous donnons ici un avertissement, dressons un constat, posons une condition et terminons sur une proposition.
Avertissement : nous ne voulons pas de nouvelle hégémonie, même climatiste
Les débats houleux sur le mouvement climat commencent généralement par la critique de leur complaisance vis-à-vis de plusieurs représentant-e-s de l’ordre dominant – médias, politicien-ne-s, voire la police – et leur dogme de la non-violence. À ces critiques, les réponses des climatistes tournent autour d’un même axe : nous avons besoin de tout le monde.
Les organisations du mouvement climat s’adressent à « la classe politique » et « au grand public » afin de forcer les premiers à agir et d’inciter les seconds à se mobiliser. Dans cette démarche, le sens du mouvement est de faire bouger d’autres acteur-rice-s que lui dans un monde pensé comme une totalité – à l’inverse d’une approche multidimensionnelle et complexe – modifiable à condition d’actionner les bons leviers. Comme s’ils reprenaient ce récit du monde au pied de la lettre, récit de la mondialisation maîtrisable dispensé par la comédie des COP, récit que les oligarques diffusent sans y croire eux-mêmes, convertis depuis longtemps à un multilatéralisme cynique. Et dans cette vision d’un monde unifié et réduit à ses décideur-euse-s « aux manettes » [1a] et à ses consommateur-rice-s atomisé-e-s, le mouvement climat n’y va pas avec le dos de la cuiller : il veut les atteindre tou-te-s [1b], le haut et le bas, quitte à « parler avec tout le monde ». Cette politique du tout nous évoque une certaine approche de l’écologie politique, non comme écologie sociale – au sens de Murray Bookchin [2] – qui part de l’idée de communauté horizontale pour repenser l’ensemble des rapports entre les vivant-e-s en conflit avec les entités totalisantes comme l’État, mais comme une écologie millénariste qui part de l’idée du monde qui s’impose à tou-te-s, niant au passage les autres perspectives. Un héritage vraisemblable de l’Europe chrétienne : tout le monde est concerné, par le jugement dernier ou le climat, donc il faut convertir tout le monde.
S’il y a aussi du bon dans cette idée de se poser comme une force qui doit en mobiliser d’autres, nous décelons dans ce double impératif du « tout le monde » – parce que tous les Terrien-ne-s seraient concerné-e-s à égalité – et de « l’urgence » – rapports du GIEC à l’appui – une machine discursive destinée à unifier par la force et à ne pas laisser d’échappatoire. En l’occurence, cet impératif justifierait « le pragmatisme » [1c]. Ce pragmatisme technocratique par lequel on tente d’échapper à certains débats de fond sur l’analyse de la situation, en faisant comme si elle était évidente et comme si, par cette évidence, elle produisait des « solutions » tout aussi évidentes. Des solutions que les « pragmatiques » adopteraient tandis que le débat serait renvoyé à « l’idéologie », c’est-à-dire à la question des petites préférences dispensables, sur lesquelles quelques « radicaux » têtus font un blocage.
Tout à la fois parce qu’il faut convaincre « tout le monde » – ce « tout le monde » abusivement associé aux téléspectateur-rice-s dont la perception est trop rapidement assimilée à celle que cherchent à produire les grands médias – et parce que le récit qu’ils se font de l’histoire en cours est l’héritier d’une histoire dominante – une histoire qui, par exemple, pose la police comme une institution républicaine légitime, à l’inverse d’autres lectures comme celle de Matthieu Rigouste [3] – une partie du mouvement climat se met en phase avec la grille de lecture du monde des principaux médias. En plus de limiter leurs propres possibilités et celles des gens qu’elles mobilisent d’adopter d’autres regards, ces organisations contribuent par cette attitude à perpétuer et à légitimer les cadres de pensée des puissant-e-s. Ceux-là mêmes qui posent la politique néolibérale comme un principe de réalité, qui ont produit les Gilets jaunes comme un monstre médiatique et l’anticapitalisme comme une « radicalité » (prise dans un sens que nous refusons ici) déraisonnable et infréquentable ou encore qui évincent les points de vues de celleux que l’on veut maintenir en minorité, sinon pour les forcer à se justifier vis-à-vis d’une norme dominante : les révolté-e-s non complaisant-e-s, les immigré-e-s et leurs descendant-e-s – en particulier les musulman-e-s et les sans-papiers – les habitant-e-s des campagnes ou les personnes LGBTQI, entre autres.
S’il y a une intelligence stratégique certaine dans le projet de mobiliser largement les citoyen-ne-s autour d’une conscience partagée de l’état de nos sociétés de domination écocidaire, le récit millénariste ne peut se laisser prendre sans la vigilance que requièrent les discours hégémonistes, tel que celui de l’effondrement [4], a fortiori s’il doit brasser trop large et passer à côté de la spécificité du système capitaliste [5] et de toute la subtilité avec laquelle ses logiques se sont combinées à d’autres pour entrer dans tous les aspects de nos vies, à commencer par les questions de la subsistance et du travail.
Constat : le capitalisme a beaucoup d’ennemis
L’écologie politique ne peut advenir dans un système mû par la recherche du profit maximal. Le capitalisme, parfois légitimée par un label vert comme un-e sociopathe peut l’être par une élection ou un diplôme, nécessite la croissance indéfinie du capital qui implique de préserver des échelles industrielles d’extraction, de production et de consommation. Que les énergies soient (dites) renouvelables ou non, ce sont ces échelles, dopées par la marchandisation croissante des choses, qui épuisent et anéantissent les vivant-e-s et les écosystèmes. La sobriété nécessaire pour les préserver ne peut donc rentrer dans ses projets.
Les catastrophes sociales et écologiques sont ici prises dans le même engrenage. L’accroissement du capital nécessite de rechercher les coûts les plus bas. Il faut pour cela réduire au maximum les rémunérations et forcer les bras et les cerveaux à accepter de telles conditions. C’est dans ce but que le crédit à la consommation a été inventé : pour enchaîner l’ouvrier-e. Quand le capital emploie insolemment le mot « écosystème » pour parler de ses liens avec les institutions publiques, il n’est pas seulement dans le marketing : la consommation de masse offre des possibilités de profits décuplées en même temps qu’elle soumet celleux qui produisent les biens et services qui génèrent ces profits. Par leur production, par les déchets et la pollution qu’ils occasionnent, par la spécialisation des tâches – pour correspondre au marché de l’emploi – qui nous rend encore plus dépendant-e-s pour notre subsistance, par l’aménagement du territoire, le capitalisme nous condamne à ronger les écosystèmes naturels, c’est-à-dire à nous autodétruire.
Cette situation a engendré un conflit entre les résistant-e-s partisan-e-s du contrôle de sa consommation individuelle et celleux pour qui rien n’est possible sans contraindre les multinationales. Les second-e-s accusent les premier-e-s de culpabiliser les individus au lieu de mettre en cause le système. Il est clair que si nous ne pouvons reprendre en mains nos modes de subsistance, nous ne changerons rien. Et ceci implique de combattre celleux qui nous en ont privés pour accroître leurs profits. Mais nous ne pouvons ignorer qu’il nous faut lutter du même geste contre la dépendance à des modes de vie écocidaires dans laquelle ils nous ont mis, parfois avec notre consentement.
Sur le champs de bataille, le capitalisme ne compte plus ses ennemis. En primant sur tout autre objectif politique, l’impératif d’accroître le capital rend possible autant qu’il nécessite la domination de quelques-un-e-s sur celleux qu’il considère comme sa force de travail. Cette domination prospère sur les dominations historiques, des occidentaux sur les colonisé-e-s, des hommes sur les femmes, des normes sociales et sexuelles sur les personnes, des possédant-e-s sur les indigent-e-s et des États sur les communautés locales. Pourtant, transmises et intériorisées par nous, ces formes de l’ordre des choses continuent de nous brider dans la remise en question du système. Elles nous conduisent encore à séparer des luttes, à en « prioriser » certaines, à ignorer la domination qui nous profite et à nourrir des préjugés contre des camarades différent-e-s, en lutte pour leur émancipation, parfois pour leur survie, avec des « moyens » qui ne seraient pas les « bons ». Certaines luttes seraient des « crises » ou des « émeutes », d’autres du « militantisme » ou des « mouvements sociaux ».
Si ces luttes ne se résolvent pas entièrement dans la destitution des dominant-e-s, elle ne peuvent pas non plus se satisfaire d’aménagements des « mentalités » et des comportements dans un système oppressif inchangé. Quand bien même cet aménagement serait forcé par une loi dite progressiste. Car le système ne produira rien qui le mettrait foncièrement en danger. Que signifie la punition accrue des agressions sexuelles quand des rapports de pouvoir préservés imposent le silence à de nombreuses victimes ? Que signifie la répression du racisme quand la police poussée à faire de chiffre multiplie ad nauseam les contrôles au faciès ? Que signifie la taxe carbone quand elle soumet les précaires à des conditions de vie dégradées pour permettre aux multinationales de poursuivre leur croissance ?
Condition : l’autonomie ou rien
Nous – quel que soit ce nous – n’obtiendrons rien de durable de l’organisation commune de nos vies sans conscience du rapport de force avec celleux qui se gardent le droit de décider pour les autres – fruit d’un héritage qu’il serait interdit de mettre en question – et se donnent les moyens de le faire. Ces gardien-ne-s du pouvoir, les Gilets jaunes les ont reconnu-e-s dans les partis et les centrales syndicales. De nombreux-ses manifestant-e-s ont préféré, dès novembre 2018, s’organiser en assemblées citoyennes.
À l’inverse, le mouvement climat, emmené par de grandes organisations, peine à faire place à une auto-détermination comparable. Les participant-e-s aux actions sont formé-e-s, ce qui est appréciable, mais aussitôt sommé-e-s d’accepter un prétendu « consensus d’action ». Derrière cette formule aux apparences de démocratie, les organisateur-rice-s semblent désigner une sorte de charte non écrite. Il n’est pas choquant de vouloir donner un cadre à ses actions, mais le processus qui produit ce cadre n’est pas vraiment clair et son aspect dogmatique ne nous a pas échappé. Ceci a pu occasionner des tensions avec une structure plus horizontale comme Extinction Rebellion lors du blocage de la Défense, le 19 avril dernier.
L’encadrement strict des grandes actions découle de leur objectif central : l’impact médiatique. Il est douteux que cette stratégie politique soit l’objet d’une construction collective avec les participant-e-s aux actions – nous serions presque tentés de les appeler des légionnaires, formé-e-s en masse dans des « camps climats » comme celui de Kingersheim cet été [1d]. Il est probable qu’elle ait plutôt un rapport avec des objectifs de lobbying citoyen, des financements à conserver et peut-être la présence dans le mouvement de figures étroitement liées au pouvoir exécutif de l’État. Des personnes qui voudraient mettre sur pieds une assemblée citoyenne nationale avec l’aide d’un leader du libéralisme autoritaire, installé par une caste de milliardaires en 2017 [6]. Quand Cyril Dion nous explique que c’est indispensable dans une « démocratie délibérative » [1e], on peut s’interroger sur sa naïveté ou sur la force de son désir de rejoindre les institutions dont il adopte si facilement le langage – désir qui ne semble pas s’embarrasser des états d’âme arrachés à quelques modéré-e-s par les images de la répression des Gilets jaunes.
Lorsque le mouvement climat appelle les Gilets jaunes à la convergence, on se demande pourquoi des professionnel-le-s du militantisme cherchent à ce point à récupérer un objet aussi singulier dans l’histoire de France contemporaine, par son autodétermination et sa diversité, au risque de lui ôter sa force interne. Nous ne prêtons pas d’intention particulière à ces professionnel-le-s, peut-être pensent-iels offrir ici des débouchés à des citoyen-ne-s autonomes qui, dans leur grille de lecture légaliste, sont condamné-e-s à tourner en rond. Toujours est-il que cette main tendue nous conduit à nous interroger sur l’opportunité d’un dialogue.
Proposition : l’alliance plutôt que la convergence
La convergence des luttes se traduit bien souvent par de simples défilés de rue où les un-e-s se contentent de marcher à côté des autres. Ces mises en scène, qui portent en germes de grossières récupérations électorales, semblent particulièrement dépassées à l’heure du soulèvement jaune. L’une de ses plus grandes avancées a consisté en la mise en place d’une assemblée des assemblées à Commercy, en janvier 2019. La quatrième aura lieu en octobre dans le sud de la France. Quel intérêt de répéter les incantations de la convergence après avoir mis la barre aussi haut ?
Les clarifications nécessaires à la coopération de groupes politiques peuvent se faire dans des assemblées communes [7], sur des zad et terrains de lutte, dans des rencontres, filmées ou non, ou encore dans des textes. Ceci en plus des partages que permettent déjà la circulation des personnes engagées entre les différentes offensives. Dans tous les cas, il nous semble indispensable de chercher les cadres qui permettront de prendre à bras le corps ce qui nous sépare et nous oppose, comme le dogme culpabilisant de la « non-violence ».
Pour des raisons que nous pourrons discuter ensemble, des organisations légalistes sont encore attachées au langage de l’État [8] – qui serait aussi le langage des concitoyen-ne-s non engagé-e-s qu’il s’agirait de ne pas effrayer – tel qu’il est gravé dans le droit et propagé par les médias dominants. Ceci a généré une vision binaire entre méthodes « violentes » et « non-violentes ». Ce point de focalisation n’est pas seulement le miroir des discours coercitifs des dominant-e-s. En se concentrant sur les « méthodes », il fragilise un mouvement politique : il formalise la révolte et isole les citoyen-ne-s révolté-e-s – en les spécifiant comme « militants » – du reste de la société, qui n’aurait pas de raison de se révolter ; il divise les révolté-e-s entre elleux en stigmatisant celleux que les médias-flics désignent comme « violents » ; enfin, comme l’écrit Peter Gelderloos [9], il pousse les personnes engagées à se justifier, à montrer patte blanche, à laisser la question de la méthode prendre le pas sur celle de la lutte et ainsi à se soumettre à une représentation médiatique du monde. Nous serions bien inspiré-e-s de refuser ce faux choix entre les « méthodes ».
Par ailleurs, les modes d’action offensifs les moins agressifs ont aussi montré leur force. Tout d’abord pour mobiliser des personnes variées : un certain nombre d’entre nous est entré dans l’action politique par des voies peu agressives. Ensuite, pour attaquer symboliquement des grandes entreprises qui s’échinent à coup de publicités à faire oublier leur responsabilité dans l’effondrement en cours. Débarrassés du fétiche de la « non-violence » – qui peut toutefois servir de cheval de Troie – ces modes d’action pourraient s’inscrire dans une échelle d’offensivité au sein de laquelle bloqueur-euse-s semi-légalistes (qui se disent non-violent-e-s) et saboteur-rice-s anonymes ne sont plus nécessairement opposé-e-s.
Au contraire, nous pouvons porter des offensives concertées, comme celles qui ont permis d’empêcher la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, de faire émerger la zad et de la préserver pour un temps. Comme le disait la porte-parole d’Alternatiba, le 24 avril dernier, au théâtre de l’Échangeur, « on a besoin d’avoir un mouvement de résistance qui se développe, sur tous les territoires, partout, avec partout des gens qui refusent des projets qui aggravent le dérèglement climatique » [10a]. La présence des organisations climat sur ces zone à défendre ou dans les préfectures concernées ne serait pas inintéressante. En débordant la police – ses effectifs mobilisables sont limités, ne l’oublions pas – par un blocage des terres fertiles du triangle de Gonesse combiné à une manifestation massive au cœur de la capitale, nous pouvons entraver le projet d’Europacity, paroxysme du tourisme écocidaire, en étroite relation avec la privatisation et l’agrandissement de l’aéroport de Roissy [11]. Nous pouvons empêcher les carrières de calcaire de Brueil-en-Vexin de voir le jour – une lutte déjà rejointe par les Gilets jaunes [12] – des carrières destinées au Grand Paris, à une urbanisation folle qui nous rend toujours plus captif-ve-s des structures de pouvoir de la société industrielle en repoussant notamment les terres agricoles toujours plus loin des mégapoles.
Nous pourrions, par notre alliance, sidérer les médias, les élu-e-s et la police toujours empressé-e-s de salir leurs opposant-e-s à grand renfort de manichéisme. Nous pourrions faire dérailler leur propagande et leur mythe du progrès pour ouvrir la voie à de nouveaux récits partagés, au-delà des groupes engagés.
L’alliance est autrement plus exigeante et plus franche que la convergence. L’alliance signifie que si mon allié est attaqué, je le défends autant que je peux compter sur sa protection si je me retrouve en danger. Nous ne parlons plus ici de soutien médiatique et autres postures. Nous ne fixons pas non plus l’horizon illusoire d’une union sans faille face à la puissance de l’État. Les conditions et le désir de cette alliance doivent pouvoir se construire et émerger à travers la recherche et la multiplications des coopérations entre nos luttes. Comme le disait un Gilet jaune de Saint-Nazaire au théâtre de l’Échangeur, le mouvement écologiste légaliste peut être une base arrière pour les différentes offensives, quitte à ouvrir ensemble des « maisons du peuple et du climat » [10b]. Des cas de soutien logistique et de ravitaillement des luttes par d’autres collectifs, parfois plus établis, existent déjà, comme la Cagette des terres [13], mise en place par la zad de Notre-Dame-des-Landes, qui a notamment ravitaillé des piquets de grève et des ronds-points. Nous pouvons aller plus loin dans la mise en relation de producteur-rice-s agricoles, de lieux squattés ou privés mis à disposition des luttes, de crèches collectives, de ligues anti-répression ou encore de nos réseaux d’information. À l’approche des municipales, nous pouvons jouer à fond le rapport de force en réoccupant des lieux, des places, des espaces verts, en bloquant les projets d’aménagements gentrificateurs et polluants ainsi que les expulsions. Puis, le cas échéant, en obligeant les élu-e-s « sympathisants » à soutenir fermement des luttes offensives et vitales, notamment quand elles touchent à l’hébergement des personnes exilé-e-s et précaires.
Il est à peu près certain que le système tel qu’il est ne sortira pas indemne d’une alliance de ses opposant-e-s. Et les bases de cette alliance sont en train d’émerger en de multiples lieux et par de multiples pratiques. Que nous bloquions le pont de Sully ou que nous dé-gradions le Fouquet’s, que nous occupions le siège d’Amazon ou le Panthéon, que nous nous réunissions chaque semaine en assemblée ou pour se former à la désobéissance civile, que nous fassions de la permaculture ou du graffiti, de l’antipub ou du rap engagé, que nous prenions des photos ou réparions des vélos, à Notre-Dame-des Landes comme à Gonesse, à Bure comme dans le Vexin, Place du Capitole comme Place des Fêtes, Montpellier comme Bordeaux, à Biarritz, à Lille, à Brest, à Caen, à Nantes, à Lyon, à Perpignan, à Strasbourg, à Nice, à Grenoble, nous sommes tou-te-s engagé-e-s par notre contribution dans une offensive de fond contre l’écosystème des oppressions.
Et cette liste serait artificielle si nous ne nous reconnaissions pas déjà, entre révolté-e-s, si nous ne suivions pas assidûment nos luttes mutuelles – en France comme à Hong Kong, au Soudan, en Algérie, en Russie – si nous n’échangions pas déjà soutien symbolique et soutien matériel, de la sympathie et de l’inspiration.
Nous invitons les spécialistes d’une certaine écologie, probable prolongement de l’hégémonie occidentale et capitaliste, à prendre avec nous la voie de l’écologie sociale, autonome, horizontale, dont personne n’est spécialiste et qui ne saurait se penser comme une lutte privilégiée, parce qu’elle repart du désordre et de la non-totalité de nos situations et de nos combats pour rechercher les cohérences et les alliances.
Bibliographie
[1] David Cormand (EELV), cité par : M. Astier et G. D’Allens, « Compromis ou radicalité, le mouvement écolo cherche sa stratégie », Reporterre, le quotidien de l’écologie, 27-juill-2019.
[1b] Léa Vavasseur (Alternatiba) citée par Ibid.
[1c] Alma Dufour (Les Amis de la Terre) citée par Ibid.
[1d] Camp climat organisé par Alternatiba, ANV COP21 et Les Amis de la Terre du 31 juillet au 11 août 2019, à Kingersheim, en Alsace.
[1e] Cyril Dion, cité par Ibid.
[2] M. Bookchin, Qu’est-ce que l’écologie sociale ? Atelier de création libertaire, 2012.
[3] M. Rigouste, La domination policière: une violence industrielle. Paris, France: La Fabrique éd., 2012.
[4] F. Thoreau et B. Zitouni, « Contre l’effondrement : agir pour des milieux vivaces », lundimatin, no 170, déc. 2018.
[5] toinou, « La collapsologie ou la critique scientiste du capitalisme », Perspectives Printanières, 17-mars-2019. [En ligne]. Disponible sur: [Consulté le: 31-août-2019].
[6] G. D’Allens, « Comment Cyril Dion et Emmanuel Macron ont élaboré l’assemblée citoyenne pour le climat », Reporterre, le quotidien de l’écologie, 10-juill-2019.
[7] « Pourquoi les écologistes que l’on voit par centaines de milliers dans les marches climat ne nous rejoignent pas sur les ronds points pour en discuter ? Dans les assemblées ? » in.
Anonyme, « De quelle écologie veulent les gilets jaunes ? », Grozeille, 25-avr-2019. [En ligne]. Disponible sur: [Consulté le: 31-août-2019].
[8] La feuille de route du Renseignement français de juillet 2019 place dans ses cibles prioritaires les « subversions violentes ».
Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, « Stratégie Nationale du Renseignement ». juill-2019. Disponible en ligne :
[9] P. Gelderloos et F. Dupuis-Déri (Préface), Comment la non-violence protège l’Etat: essai sur l’inefficacité des mouvements sociaux. Herblay, France: Éditions Libre, 2018.
[10a] Dernier débat avant la fin du monde. 2019. Disponible en ligne : Citation à 1h16’30
[10b] Ibid. Citation à 2h52’
[11] Anonyme, « Faire dérailler le capital, du CDG Express à l’extension de l’aéroport de Roissy. », Paris Luttes Info, 19-févr-2019. [En ligne]. Disponible sur: [Consulté le: 28-août-2019].
[12] « Zone 109, gilets jaunes, habitants du Vexin et élus... », avl3C, 13-juill-2019. [En ligne]. Disponible sur: [Consulté le: 31-août-2019].
[13] « La Cagette des terres 44 », La Cagette des terres, 17-déc-2017. [En ligne]. Disponible sur: [Consulté le: 31-août-2019].