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Incendie de Rouen: "Les mesures sont faites par des laboratoires liés aux industriels ou à l’administration"
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Entretien. L’incendie de l’usine Lubrizol, au cœur de l’agglomération rouennaise, bien que partiellement éclipsé par l’enfumage du décès et des obsèques de Supermenteur, suscite colère et mobilisation. Nous faisons le point ce mardi 1e octobre avec Gérald Lecorre, membre de l’union départementale CGT de Seine-Maritime et spécialiste des questions de santé et de sécurité au travail.
Qu’un site classé Seveso seuil haut soit victime d’un incendie, cela paraît impensable. Qu’en est-il en vérité ?
La réalité, c’est plutôt que cela est parfaitement prévisible, comme l’ont révélé régulièrement les constats réalisés et communiqués auprès de la préfecture, de l’État, tant par les services officiels de santé et sécurité au travail, l’inspection du travail, que par les organisations syndicales.
Bien sûr, il y a le code du travail renforcé par la loi Bachelot, mise en place après l’accident d’AZF, notamment en ce qui concerne les sites Seveso. Mais, dans la réalité, des pans entiers des lois, de la réglementation, ne sont pas appliqués par les donneurs d’ordre, notamment les multinationales du pétrole, de la chimie ou du nucléaire. En particulier la question de la sous-traitance est au cœur des ces enjeux même si on ne sait pas si, dans le cas de cet accident, elle est en cause. Les travaux d’enfûtage, de stockage sont sous-traités depuis 15 ans, ce que se gardent bien de reconnaître les services de la préfecture. Dans ces conditions, des consignes, des protocoles ne sont pas respectés en raison des sous-effectifs et des contraintes de productivité qui éloignent le travail réel du travail prescrit. En 2014, nous dénoncions le fait que d’autres AZF pouvaient encore se produire pour ces raisons avec, en plus de la faiblesse des moyens de l’inspection du travail et des représentantEs du personnel, le laxisme des services de l’administration et la clémence des tribunaux face à la délinquance. Avec l’exemple du même Lubrizol qui, en 2013, déplaçait sur un opérateur la responsabilité du rejet prolongé de mercaptan, le composant qui donne son odeur au gaz de ville et avait provoqué des vertiges, maux de tête, vomissements, alors que l’accident reposait sur des choix économiques en matière de stockage du produit. Le parquet, donc l’État, ont validé l’idée que polluer, mettre en danger la vie des travailleurEs, est condamnable, mais seulement d’une amende dérisoire de 4 000 euros.
Édouard Philippe s’est engagé sur une transparence totale. Qu’en est-il à cette heure ?
Pour le moment nous n’avons pratiquement aucune information. Le préfet ne donne comme information que ce que les organisations syndicales ont déjà révélé, comme par exemple la présence massive d’amiante.
L’autre question concerne le résultats des mesures annoncées. Les appareils utilisés ne sont pas adaptés aux sites industriels, ne prenant en compte parfois que des doses supérieures aux valeurs présentées comme normales. En fait les teneurs en produits toxiques, cancérogènes sont entre 10 et 100 fois supérieures à celles de Fos-sur-Mer, lieu plus impacté par les sites Seveso que la région rouennaise. Les mesures sont faites par des laboratoires liés aux industriels ou ceux liés à l’administration qui les couvre. Et les résultats sont en grand décalage par rapport à ceux annoncés par des laboratoires universitaires.
Manifestement les déclarations officielles ne rassurent pas les populations...
Déjà, en temps normal, la région rouennaise, comme toutes les régions industrielles à dominante chimique ou pétrolière, est davantage concernée par les risques de cancer. Nous sommes là dans des circonstances largement aggravantes. Et ce sont ces dangers que la préfecture, l’État, cherchent à minimiser, à cacher. Ceci commence avec l’ignorance ou la non information publique des produits en cause, et surtout l’absence d’études toxicologiques sur l’évolution de produits composés pour certains de 258 molécules lorsqu’ils brûlent.
Accidents prévisibles... Et donc que faire pour que cela ne se reproduise plus ?
Tout d’abord il faut rendre, renforcer les moyens de contrôle et de prévention aux organismes dont c’est la mission. Mais en garantissant leur indépendance ! Ceci vaut pour l’inspection du travail, les services de santé et sécurité au travail. Et avant tout rétablir et augmenter les moyens des CHSCT, avec notamment un droit de véto, des CHSCT qui ont été réellement assassinés dans le cadre des modifications du code du travail en matière de représentation des salariéEs. Et retirer aux préfet leur prérogatives en la matière au profit d’organismes indépendants.
Mais plus globalement, il n’est plus possible de laisser les capitalistes des industries pétrolières, chimiques, du médicament, aux manettes, quand il est mis en évidence, une fois de plus, qu’ils ne visent que la recherche de profits, souvent à court terme, sans se soucier de la sécurité des travailleurEs, des usagerEs, des populations. Le procès du Mediator, ceux concernant l’amiante, la gestion des informations et des mesures autour de l’incendie de Notre-Dame-de-Paris… confortent les employeurs ou l’administration dans leurs certitudes que les permis de tuer ou de polluer sont protégés par l’État, par la justice.
Il n’est que trop évident que le traitement des employeurs-pollueurs n’a rien à voir avec ce que peuvent encourir et ce à quoi sont condamnés les Gilets jaunes, les syndicalistes, celles et ceux qui apportent leur soutien aux sans-papiers.
Face aux inquiétudes, aux interrogations, aux dénis, aux mensonges… quelles ripostes ?
C’est aussi une colère qui monte. En quelques heures, avec un simple évènement Facebook, nous nous sommes retrouvés entre 400 et 500 manifestantEs dès lundi devant la salle du conseil de la métropole où s’exprimait le préfet, à l’abri de nos questions. Ce mardi nous avons une manifestation unitaire à Rouen, devant le Palais de justice, jusqu’à la préfecture. Nous exigeons une rencontre avec le préfet pour des réponses précises à nos questions. Une rencontre filmée et retransmise dans son intégralité pour répondre de façon précise à nos questions précises et aux exigences démocratiques d’aujourd’hui. La mobilisation va se poursuivre, se structurer avec toutes celles et tous ceux qui ont répondu à l’appel de la CGT, des syndicats, des associations, des partis politiques.
Il ne s’agit pas d’une fin mais d’un début pour mettre en cause l’organisation capitaliste de la production qui s’attaque avec nos vies, à la planète.
Propos recueillis par Robert Pelletier