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SNCF : l’accident qui montre que le "train sans contrôleur" est dangereux pour tout le monde
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
L’accident ferroviaire du 16 octobre révèle les graves problèmes de sécurité que font courir aux cheminots et aux usagers les trains régionaux qui roulent avec le conducteur comme seul agent SNCF à bord. Les trois quarts des TER dans les régions et tous les trains en Île-de-France sont concernés.
Mercredi 16 octobre, à 16h15, un TER de la ligne Reims-Charleville Mézières, en Champagne-Ardenne, percute un convoi exceptionnel resté bloqué sur la voie, à un passage à niveau. Le choc est violent. Le train déraille, mais ne se couche pas. Heureusement, car environ 70 voyageurs sont alors à bord du TER. Et il n’y a avec eux aucun contrôleur. Le train circule avec le dispositif « équipement agent seul » (EAS), ce qui signifie que le conducteur est la seule personne de la SNCF à bord. Il peut voir ce qu’il se passe sur les voies par le biais d’une caméra et communiquer avec les passagers par un système d’interphone. Mais ce jour-là, la collision détruit l’avant du train, la cabine est enfoncée. Le conducteur est blessé à la jambe. Parmi les voyageurs, 11 personnes sont aussi légèrement blessées. Le système de radio ne fonctionne plus.
Sans la radio, le conducteur ne peut pas émettre un signal qui arrête les autres trains se dirigeant vers lui. Le danger est donc grand qu’un autre accident se produise, qui pourrait être dramatique. Le conducteur ne peut pas non plus utiliser l’interphone pour parler avec les passagers. Blessé, il doit, seul, arrêter de toute urgence les autres trains... Il ne peut le faire que par des moyens « analogiques » : « Torches à flamme rouge, pétards sur les voies, barre de court circuits qui fait passer “au rouge” les signaux, drapeau rouge, lanterne… », comme l’explique un conducteur de trains sur twitter. En l’occurrence, le conducteur, blessé à la jambe, a dû marcher 1,5 km pour déposer lui-même des agrès de protection sur les voies. Pendant ce temps là, les passagers sont livrés à eux-mêmes.
« Cela fait des années que nous dénonçons les TER sans contrôleurs »
Que ce serait-il passé si le conducteur avait été plus lourdement blessé, voire inconscient suite au choc ? Un drame a été évité de justesse. Même le secrétaire d’État aux Transports, Jean-Baptiste Djebbari, a salué « le professionnalisme du conducteur SNCF qui a mis en sécurité les passagers et a évité tout sur-accident ». C’est pourtant lui, lorsqu’il était député LREM, qui a défendu à l’Assemblée nationale la loi de réforme de la SNCF, avant de rejoindre le gouvernement cet automne. C’est cette loi qui prévoit le changement de statut de la SNCF en une société anonyme, l’ouverture à la concurrence prochaine pour les trains régionaux et les TGV, et la disparition du statut des cheminots.
Suite à l’accident, le secrétariat d’État aux Transports a demandé une enquête [1]. En fin d’après-midi du 16 octobre, des conducteurs de la région Champagne-Ardenne décident d’exercer leur droit de retrait, de cesser le travail pour « se retirer d’une situation » qui « présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ». Ce droit de retrait est prévu par le Code du Travail. Le lendemain, des conducteurs d’autres régions décident de faire de même. La CGT cheminots dénonce une politique « de déshumanisation des gares et des trains », menée par la direction de la SNCF « dans le seul but d’abaisser ses coûts de production » en prévision de l’ouverture à la concurrence des lignes. Ces choix « contribuent à détériorer fortement le niveau de sécurité des circulations, la sûreté dans les gares et les trains », écrit la CGT.
Le dispositif consistant à avoir le seul conducteur à bord, s’il ne concerne pas les TGV, s’applique d’ores et déjà aux trois quarts des TER dans toutes les régions, ainsi qu’à tous les trains en Île-de-France [2]. « Le problème que posent les TER sans contrôleurs ressurgit à l’occasion de cet accident. Mais cela fait des années que nous dénonçons ce dispositif », explique à Basta ! un agent de la SNCF en Rhône-Alpes, et représentant de Sud Rail. Déjà en 2016, Basta ! révélait les graves problèmes de sécurité que pose la politique des TER roulant avec des conducteurs comme seuls personnels à bord.
Personne à bord pour veiller à la sécurité des passagers
Que se passe-t-il dans un train sans contrôleur en cas d’imprévu, quand par exemple un arbre s’est couché sur la voie ? Le conducteur doit, seul, arrêter la circulation des autres trains sur la zone. Il doit descendre de la cabine, et poser une barre sur la voie. Qui veille alors à la sécurité des passagers, pour éviter notamment que certains descendent du train ? La réponse est simple : personne.
La SNCF a communiqué tout le week-end en déclarant que les conducteurs faisaient une « grève sans préavis », alors que la direction était au courant du mouvement de droit de retrait des conducteurs dès le jeudi soir, comme l’a révélé Arrêt sur Images. Le Premier ministre Édouard Philippe a lui accusé les cheminots de « détournement du droit de retrait, qui s’est transformé en grève sauvage », alors même que son secrétariat d’État aux Transports reconnaissait le droit de retrait dans un communiqué. L’accusation de « grève sauvage » laisse augurer des tentatives de sanctions disciplinaires, voire juridiques, à l’égard des cheminots.
Le droit de retrait : L’article L 4 131-1 du Code du Travail permet à tout travailleur d’arrêter son travail si la situation dans laquelle il se trouve présente « un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé », ou en cas de « défectuosité dans les systèmes de protection ». « L’employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d’une défectuosité du système de protection », dit aussi le Code du Travail. |
Les services du ministère du Travail ne partagent pas l’avis du Premier ministre. Un inspecteur du travail, saisi par la SNCF, a fourni une réponse écrite consultée par Libération indiquant que l’entreprise « n’est pas en mesure d’évaluer les risques liés à une collision dans la situation d’un seul agent à bord ». Il enjoint à « la plus grande prudence quant aux sanctions disciplinaires qui seraient mises en œuvre à l’encontre des agents exerçant leur droit de retrait. » L’inspecteur rappelle par ailleurs que « l’entrave au droit de retrait est un délit punissable d’une amende de 10 000 euros multipliée par le nombre de salariés concernés ».
Si la plupart des cheminots ont arrêté d’exercer leur droit de retrait, certains restent mobilisés pour faire pression sur la direction. Selon Rue 89 Strasbourg, l’inspection du travail alsacienne préconise de suspendre la circulation des trains régionaux avec un seul agent à bord dans un courrier adressé le 21 octobre à la direction régionale des TER. C’est pourtant une toute autre orientation que semble emprunter l’entreprise. Selon le secrétaire général CGT Cheminots de Metz, la direction de la SNCF envisagede supprimer à partir du 15 décembre les agents d’escale, qui donnent aujourd’hui l’autorisation de départ des trains en gare, et confier aussi cette responsabilité au conducteur.
Rachel Knaebel, avec Sophie Chapelle
Notes
[1] Auprès du Bureau d’enquêtes sur les accidents de transport terrestre.
[2] L’EAS ou « équipement agent seul » a été mis en place sur les trains de la région parisienne à partir de 1975, avant d’être progressivement déployé sur le réseau TER depuis cinq ans et généralisé en 2017.