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Les films d’horreur – Le déclin du capitalisme à travers le cinéma
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Armés d’une compréhension marxiste de la société et de la connaissance du potentiel énorme d’un monde meilleur, les marxistes voient le capitalisme pour ce qu’il est – une horreur.
Attention : cet article contient de nombreux spoilers.
Dans un article sur la Première Guerre mondiale, Lénine fait la remarque que « la société capitaliste est, et a toujours été, une horreur sans fin ». Évoquant la genèse du capitalisme dans son œuvre classique Le Capital, Marx note qu’à son arrivée dans l’histoire « le capital vient au monde suintant le sang et la saleté par tous ses pores ». Dans le même livre, il déclare que, « le capital est du travail mort, qui, semblable au vampire, ne s’anime qu’en suçant le travail vivant, et sa vie est d’autant plus allègre qu’il en pompe davantage ». Au même chapitre, il compare l’appétit des capitalistes pour le surplus de travail « à la faim d’un loup-garou ».
Armés d’une compréhension marxiste de la société et de la connaissance du potentiel énorme d’un monde meilleur, Marx et Lénine voyaient le capitalisme pour ce qu’il est : une horreur. Leurs comparaisons entre le vieux folklore et les contes victoriens sur les vampires, loups-garous et croque-mitaines avec les crimes, les injustices et l’énorme gaspillage du capitalisme ne sont pas surprenants – c’est un sentiment inconsciemment partagé par des millions de personnes et qui se reflète dans la popularité du genre horrifique depuis les tout débuts du cinéma.
Indépendamment des intentions derrière la production de ces films, ils ont inévitablement eu tendance à agir comme un miroir reflétant les inquiétudes et les craintes de leur époque. Ainsi, les films qui ont le plus touché les téléspectateurs étaient invariablement ceux qui paraissaient les plus familiers et en phase avec le quotidien, peu importe le degré de fantastique apporté en surface à l’histoire. En conséquence, il n’est pas accidentel que l’on puisse retracer les événements caractéristiques de la longue agonie du capitalisme au siècle dernier à travers les films d’épouvante les plus populaires.
L’horreur qui devait en finir avec toutes les horreurs
Les premiers studios de cinéma produisaient déjà des films d’horreur, mais ce n’est que suite aux conséquences de la Première Guerre mondiale que le public a vraiment adhéré au genre. La Première Guerre mondiale a représenté un tournant historique dans le développement du capitalisme. Alors que celui-ci avait développé les moyens de production à des niveaux inimaginables pour la société pré-capitaliste, il avait commencé à atteindre ses limites au début du XXe siècle. Les puissances impérialistes avaient épuisé leurs marchés nationaux et en cherchaient désespérément de nouveaux à exploiter. Les grandes puissances comme la Grande-Bretagne et la France s’étaient déjà en grande partie partagé le monde colonial, ne laissant comme seule option au capitalisme allemand que d’attaquer ses voisins continentaux.
Ainsi débuta « la guerre qui devait en finir avec toutes les guerres », une horreur bien réelle qui a impacté profondément le développement ultérieur de l’humanité. Le capitalisme venait de prouver au monde entier qu’il n’était plus un système ascendant, mais un système de crise ayant menacé d’entraîner toute l’humanité dans sa chute. La guerre a mené à la destruction de pans entiers de l’Europe, à la mort de plus de 16 millions de personnes, dont presque la moitié étaient des civils, et a laissé des millions de soldats psychologiquement et physiquement meurtris.
En Russie, la guerre prend fin suite à la victoire de la révolution prolétarienne menée par le Parti bolchevique. En Allemagne, la révolution de 1918, bien que mettant un coup d’arrêt à la guerre, a finalement échoué dans son objectif historique d’établir un gouvernement ouvrier, qui aurait pu jeter les bases de la construction d’une nouvelle société et sauver la Révolution russe de l’isolement. Les années qui suivirent en Allemagne connurent un boom dans la production de films, notamment dans le genre horrifique.
Les emblématiques films expressionnistes allemands Le Cabinet du docteur Caligari (1920) et Nosferatu (1922) ont capté le sentiment de malaise et d’insécurité de l’Allemagne d’après-guerre. L’Allemagne était alors secouée par des bouleversements révolutionnaires suivis de revers contre-révolutionnaires auxquels s’ajoutaient des crises économiques. Entre le vampire effrayant qui tue les gens dans leur sommeil (Nosferatu) et le somnambule manipulé par un docteur fou pour commettre des meurtres (le Cabinet du docteur Caligari), ces films ont mis en exergue le sentiment de beaucoup de travailleurs allemands d’avoir été dupés et menés à l’abattoir par la classe dirigeante allemande – ainsi que par leurs propres dirigeants du parti social-démocrate.
Les dommages physiques et psychologiques provoqués par la guerre sur ceux qui y ont participé furent également illustrés par l’artiste Otto Dix, qui a publié une collection de 50 gravures intitulées Der Krieg (La Guerre). Ayant directement vu les cruautés de la guerre, de nombreux soldats se réadaptaient difficilement à une vie « normale » à leur retour du front. Cela s’est exprimé dans un certain nombre de films d’épouvante se concentrant sur des monstres luttant avec leurs propres démons intérieurs. Au cours de la seule année 1920, deux adaptations de Docteur Jekyll et M. Hyde ont ainsi été produites aux Etats-Unis, et une version intitulée Le Crime du docteur Warren, réalisée par F.W. Murnau (réalisateur de Nosferatu), a été adaptée en Allemagne.
Cette décennie a également produit d’autres films mettant en scène des personnages physiquement défigurés et psychologiquement torturés comme le Bossu de Notre Dame (1923) et le Fantôme de l’Opéra (1925), tous deux interprétés par Lon Chaney, une des premières stars des films d’horreur.
La grande Dépression
Le krach boursier du 24 octobre 1929 a entraîné le capitalisme mondial dans la plus profonde crise de son histoire. Les souffrances qui en ont résulté ont touché des millions de travailleurs, généralisant un sentiment de cynisme et entraînant une profonde remise en question de la société. Aux Etats-Unis, Hollywood a joué un rôle important dans la tentative de maintenir la confiance envers la société capitaliste. William Hays, président de l’Association des Producteurs et Distributeurs de films Américain (MPPDA) a ainsi déclaré : « aucun média n’a contribué plus grandement que le cinéma au maintien du moral national au cours d’une période marquée par les révolutions, les émeutes et l’instabilité politique à travers le monde ». Mais l’engouement de l’époque pour les films d’horreur illustrait bien l’humeur morose caractéristique de la psychologie américaine antérieure à la riposte de la classe ouvrière du milieu des années 30. Cela a permis au genre horrifique de s’imposer sur le marché, donnant lieu à la production de nombreuses suites, motivées par la rentabilité financière du genre.
Beaucoup de films des années 1930 s’inscrivirent ainsi dans la continuité des films des années 1920. Le Loup-garou de Londres (1935) s’est inspiré de Docteur Jekyll et M. Hyde, et Dracula (1931) rappelle Nosferatu. Même Les Morts-vivants (1932), le premier film de zombies notable était à bien des égards un écho du Cabinet du docteur Caligari. Il est intéressant de souligner que Bela Lugosi, la star de Dracula et des Morts-vivants, a fait ses débuts en Hongrie où il a participé à la Révolution de 1919. À cause de son radicalisme, il a été forcé de fuir pendant la contre-révolution et s’est frayé un chemin à Hollywood où il a lancé sa carrière comme monstre durant les années 1930 et 1940, aux côtés de Boris Karloff.
Frankenstein (1931), avec pour vedette Karloff, et L’Île du docteur Moreau (1932), ayant pour vedette Lugosi, se concentrent quant à eux sur l’horreur engendrée par l’humanité elle-même. Librement inspiré du grand classique de Mary Shelley, Frankenstein met en scène l’histoire d’un monstre ramené à la vie par un savant fou, abandonné et rejeté par un monde dont il cherchait à être accepté. A sa sortie, le chômage aux Etats-Unis avait presque doublé en un an. A cela, l’arrivée de nombreux travailleurs immigrés à la recherche d’un gagne-pain est venue renforcer le sentiment déjà répandu de rejet et d’isolement. Dans L’île du docteur Moreau, une adaptation du roman éponyme de H.G. Wells, le docteur Moreau cherche à transformer des animaux en humains, mais parvient seulement au résultat inabouti de chimères mi-humaines, mi-animales. A l’image de l’insécurité vécue par la classe ouvrière pendant la moitié de cette décennie, les créatures du docteur Moreau éprouvent la complexité émotionnelle et cognitive des humains, mais sont traitées comme des rats de laboratoire. Le film finit avec la mort du docteur Moreau par la main de ses créations tourmentées.
Un autre film, Les chasses du Comte Zaroff (1932), exprime de façon encore plus manifeste les antagonismes de classe de l’époque. Le film dresse le portrait d’un aristocrate russe qui s’adonne pour son plaisir à la chasse à l’homme. Le film se termine sur une scène bouleversante où le comte se fait dévorer par ses propres chiens tandis que les protagonistes parviennent à s’enfuir.
En 1934, la classe ouvrière américaine regagnait en énergie et en confiance. Trois grèves générales (Oakland, en Californie, Minneapolis, dans le Minnesota, et Toledo, dans l’Ohio) marquèrent le début d’une nouvelle période caractérisée par la renaissance de la classe ouvrière, ce qui se manifesta au Congrès des Organisations du secteur de l’Industrie. L’état d’esprit morose et résigné fit place à une humeur contestataire et combative. Ces changements peuvent expliquer le virage commercial pris par Hollywood concernant le genre horrifique et le travestissement de ce dernier, virage qui perdura pendant les décennies suivantes.
La Fiancée de Frankenstein (1935), le Fils de Frankenstein (1939), le Fantôme de Frankenstein (1942), Frankenstein rencontre le Loup-garou (1943) et la Maison de Frankenstein (1944) incarnent ainsi ce qui devient finalement une marque de fabrique du genre horrifique : suites, remakes et dérivés de mauvaise qualité. D’autres films comme le Mystère de la maison Norman (1939) et Des Zombies à Broadway (1945) introduisirent la comédie dans le genre à une époque où le monde faisait à nouveau l’expérience d’horreurs et d’atrocités bien réelles avec la Seconde Guerre mondiale.
L’horreur à l’âge du nucléaire
Dans la continuité du détournement du genre et de la politique commerciale des années 1940, de nombreux films d’épouvante des années 1950 se sont tournés vers la science-fiction, traitant notamment de la peur d’une contamination radioactive, de monstres préhistoriques, d’expériences scientifiques désastreuses et d’envahisseurs de l’espace.
Ainsi, Godzilla (1954), produit au Japon, reflète l’impact psychologique consécutif au largage de la bombe atomique et aux bombardements intensifs de nombreuses villes japonaises. Le monstre préhistorique Godzilla, ressuscité par des essais nucléaires dans le Pacifique, va semer le chaos, se déchaînant dans Tokyo. L’idée qu’une ville entière puisse être détruite en une seule nuit n’est sans doute nulle part ailleurs aussi vivement comprise qu’au Japon – le film a d’ailleurs été produit moins d’une décennie après les bombardements criminels d’Hiroshima et de Nagasaki, qui ont rasé les deux villes et oblitéré presque un quart de million de personnes. Surfant sur les craintes de la guerre nucléaire, le film fut un succès international et donna lieu à une série de suites et de productions similaires de films de « gros monstres » tels que Des monstres attaquent la ville ! (1954) et Tarentula ! (1955).
La Chose d’un Autre Monde (1951) fut l’un des premiers films à traiter des envahisseurs étrangers, un thème qui se popularisa avec l’accentuation de la course à l’espace. Par la suite, Le Blob (1958) met en scène une créature extraterrestre perturbant la vie d’une ville typique de banlieue des années 1950, puis finissant par l’engloutir.
Dans l’Invasion des profanateurs de sépultures (1956), ce sont des spores de plantes extraterrestres qui s’abattent sur une ville de banlieue américaine pour y créer des clones humains dépourvus d’émotions. Ce film a été interprété par certains courants politiques de droite comme la représentation de la conformité sans âme qui aurait existé sous l’Union soviétique stalinienne, mais beaucoup à gauche y ont plutôt vu la dénonciation de cette même conformité à l’œuvre sous l’ère McCarthy aux Etats-Unis.
L’horreur surnaturelle
A l’apogée du boom économique d’après-guerre, dans les années 1960, le genre horrifique prit un tournant vers le surnaturel. Beaucoup de films commencèrent à traiter de fantômes, de sorcières, de cultes sataniques et de possessions démoniaques. Dans les Etats-Unis du milieu des années 1960, la ferveur religieuse était à son paroxysme. La croyance en Dieu y était utilisée à des fins de propagande pour différencier le pays d’une Union soviétique « impie ».
Anticipant les mouvements de jeunesse de la fin des années 1960, beaucoup de films commencent également à mettre en avant le conflit intergénérationnel, thème qui a persisté depuis. Psychose (1960) en incarne peut-être la quintessence. Le film commence comme un thriller typique de Hitchcock avec une femme volant une grande somme d’argent à son employeur et se dirigeant vers la Californie. En chemin, elle rencontre Norman, le jeune gardien sensible, mais maladroit du Bates Motel, dont la mère – dont on apprendra à la fin qu’elle est morte plusieurs années auparavant et ne vit qu’exclusivement dans l’esprit de Norman – est abusive et extrêmement jalouse de quiconque pourrait détourner son fils d’elle.
De son côté, La Maison du Diable (1963) met en scène une jeune femme rejoignant, suite au décès de sa mère lié à une longue maladie, une équipe d’enquêteurs paranormaux dans une vieille maison hantée. Faisant écho au personnage de Norman Bates, la jeune femme a docilement passé la majeure partie de sa vie à prendre soin de sa mère.
Alfred Hitchcock s’est à nouveau essayé à l’horreur en 1963 avec Les Oiseaux. Le film établit une ambiance troublante par sa complète absence de musique. C’est aussi l’un des premiers qui traite d’événements inexplicables aux conséquences apocalyptiques pour le monde entier, par opposition à l’explicite thème du « monstre radioactif se déchaînant dans la ville » des années 1950.
L’idée du petit groupe se barricadant dans une maison pour faire face aux horreurs extérieures, mise en scène dans Les Oiseaux, a certainement été une source d’inspiration pour le classique La Nuit des Morts-vivants (1968) de George Romero. Beaucoup de thèmes sont abordés dans ce dernier film qui met en évidence la polarisation politique de l’époque. Tel un clin d’œil à la campagne pour les droits civiques, le protagoniste principal, Ben, est un homme noir, fort et déterminé, souvent en opposition avec Harry, symbole de l’homme blanc patriarcal, sur la façon de se défendre contre les zombies. Le film a été produit seulement quelques mois après l’assassinat de Martin Luther King et la mort du personnage de Ben – tué par la police qui l’a pris pour un zombie – semble lui rendre hommage.
Parallèlement aux protestations contre la guerre du Vietnam et au mouvement pour les droits civiques, le mouvement pour les droits des femmes soulevait des enjeux comme le droit à disposer de son corps ou la question des violences domestiques – thèmes qui ont été traités dans un certain nombre de films au cours des décennies suivantes. Ainsi, Rosemary’s baby (1968) traite d’une jeune femme au foyer fécondée par le biais d’un rituel satanique organisé par ses voisins afin de porter la progéniture de Satan. Elle traverse cette grossesse aliénante, terrifiée, soumise aux caprices d’étrangers et torturée par la douleur et la maladie. Le film a pour spécificité de pousser le public à s’identifier à la détresse du protagoniste féminin.
Dans la même veine, Carrie (1976) met en scène le quotidien d’une adolescente marginale et solitaire harcelée par ses camarades de classe et maltraitée par sa mère, chrétienne fondamentaliste. Elle découvrira plus tard qu’elle a des pouvoirs télékinétiques et les utilisera pour se venger de ses persécuteurs. Ici encore le film pousse le public à s’identifier aux problèmes d’une adolescente.
Parmi d’autres films notables des années 1970 on trouve La Malédiction (1976) qui raconte l’histoire d’un jeune garçon qui se révélera être l’Antéchrist et finira par être adopté par le Président des États-Unis, ou encore l’Exorciste (1973) qui parle d’une jeune fille possédée par un démon. Ce dernier film a d’ailleurs été soutenu par l’Université Fordham (une école Jésuite) car il confortait les enseignements superstitieux de l’Eglise. Ainsi, l’université a permis à la production de filmer sur le campus, d’utiliser un de leurs sous-sols, et un certain nombre de vrais prêtres ont joué dans le film.
La fin du boom d’après-guerre
En 1973, le boom de l’après-guerre atteignait ses limites, débouchant sur deux années de récession qui touchèrent le monde entier. Aux Etats-Unis, cela se caractérisa par le retour d’un fort taux de chômage, d’une stagflation et de la suppression d’acquis obtenus par le mouvement ouvrier pendant la période d’après-guerre.
Cette récession s’est ressentie dans un certain nombre de films au cours des années 1970, particulièrement dans l’Armée des morts (1978) de George Romero, dans lequel quatre personnes se réfugient dans un centre commercial abandonné où tout ce dont ils ont besoin est à leur portée. A l’époque, les centres commerciaux étaient un phénomène nouveau, reflétant la nouvelle dépendance du capitalisme au crédit et au consumérisme, indispensable au maintien artificiel de l’économie.
En 1974, Tobe Hooper réalisait Massacre à la Tronçonneuse et introduisait de nombreuses idées qui seront reprises par les slasher des années 1980. Le film – qui, comme Psychosequelques années avant, a été inspiré par le tueur en série Ed Gein – se concentre sur un groupe de jeunes hippies de la ville visitant le Texas rural. Parmi eux se trouve le petit frère du personnage principal – Franklin – qui est en fauteuil roulant et est considéré par les autres personnages comme un fardeau. Le personnage de Franklin a été interprété par beaucoup comme symbolisant les soldats mutilés revenant de la guerre du Vietnam.
Sur leur route, ils rencontrent un inquiétant auto-stoppeur qui leur explique la supériorité de la méthode d’abattage des vaches avec une masse plutôt qu’avec les machines qui lui ont volé son travail. Il se révélera plus tard être membre d’une famille de sadiques qui ont vraisemblablement tous travaillé dans l’abattoir voisin. Les uns après les autres, tous trouveront une mort horrible à l’exception de « la survivante », un schéma qui deviendra caractéristique de beaucoup de films d’horreur des années 80.
Tobe Hooper poursuivit dans sa lancée avec Poltergeist (1982), qui met en scène la vie quotidienne d’une famille de banlieue brutalement interrompue par l’enlèvement de leur jeune fille par un poltergeist hantant leur maison. La cause de ces phénomènes est révélée plus tard : l’avide promoteur immobilier pour lequel travaille le père – stéréotype du yuppie – a bâti le quartier sur un cimetière, retirant les pierres tombales, mais y laissant les cercueils.
De son côté, Les Dents de la mer de Steven Spielberg (1975) nous parle d’un chef de police nouvellement arrivé sur l’île fictive d’Amity Beach aux prises avec un grand requin blanc ayant tué de nombreux habitants. Les rapports tendus entre les personnages tel que Hooper, riche biologiste indépendant, spécialiste des requins, et Quint, un chasseur de requin bagarreur, soulignent les tensions entre les classes de l’époque.
Enfin, Shining (1980) de Stanley Kubrick, autre adaptation d’un roman de Stephen King brille par son intemporalité. Le film montre une famille ayant déménagé dans un hôtel hanté où le père, Jack, projette d’écrire un roman. Lorsque d’inexplicables spectres viennent hanter la famille, le souvenir des violences domestiques et de l’alcoolisme du père refont surface. Ce film est vu par certains comme étant une allégorie du génocide des Indiens d’Amérique par les colons européens. Des références à la construction de l’hôtel pendant des attaques d’Amérindiens, le choix des vêtements de la mère et la réplique – « le fardeau de l’homme blanc » – semble indiquer cette possibilité, particulièrement crédible si l’on prend en compte le perfectionnisme réputé de Stanley Kubrick.
L’horrifique à l’italienne
La période de l’après-guerre a également vu l’émergence du genre horrifique en Italie, où une situation politique agitée a caractérisé près d’une décennie de période prérévolutionnaire. Des producteurs comme Mario Bava et Dario Argento ont réalisé des films représentatifs du genre giallo, mêlant des meurtres mystérieux à des éléments souvent surnaturels. D’autres ont produit des films encore plus ouvertement politiques. Le plus remarquable est sûrement Salò ou les 120 jours de Sodome (1975) de Pier Paolo Pasolini, qui met en scène les abus horribles et les tortures commis à l’encontre de jeunes enfants de paysans sous l’occupation nazie de la république de Salò à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
En 1980, l’Italien Ruggero Deodato réalise Cannibal Holocaust, que l’on peut interpréter comme une critique de l’impérialisme. Le film raconte l’histoire d’une équipe de tournage documentaire de New York partie filmer les conflits entre des tribus cannibales en Amazonie. On apprendra par la suite que la guerre a été sciemment provoquée par l’équipe de tournage qui a brutalement assassiné un membre d’une des tribus pour provoquer le conflit. En raison de fausses rumeurs affirmant que le film mettait en scène de vrais meurtres, Deodato a par la suite été arrêté et jugé pour production de snuff movies.
Le genre Slasher
Aux Etats-Unis, la fin des années 1970 et le début des années 80 ont connu un essor du genre slasher, s’inscrivant dans la continuité des giallo italiens et de films américains précurseurs comme Psychose et Massacre à la Tronçonneuse.
Halloween de John Carpenter (1978), Vendredi 13 de Sean S. Cunningham (1980), Les Griffes de la nuit de Wes Craven (1984) et même Alien (1979) ou Terminator (1984) sont les meilleurs représentants du genre. Chacun de ces films inclut le schéma type de « la survivante » dans lequel seul le dernier protagoniste restant – de sexe féminin – finit par avoir le tueur.
La plupart de ces films mettent également en scène le stéréotype de jeunes adultes abattus par un tueur solitaire, souvent masqué, en raison de leur consommation d’alcool, de drogue ou pour avoir eu des relations sexuelles prénuptiales. Beaucoup ont souligné un possible « agenda conservateur » derrière la production de ces films. Néanmoins, ceux-ci peuvent tout autant être compris – dans la continuité du conflit intergénérationnel abordé précédemment – comme ayant été réalisés afin d’attirer les jeunes adultes subissant la pression de leurs parents autoritaires dans l’Amérique de Ronald Reagan.
Evil Dead (1981) de Sam Raimi peut être considéré comme une inversion du genre slasher, avec un homme comme protagoniste principal luttant contre ses amis – pour la plupart des femmes – qui se retrouvent, les uns après les autres, possédés par une force démoniaque. C’est également l’un des premiers films à introduire le schéma type de « la cabane dans les bois ».
Un film singulier du début des années 1990, Candyman (1992), traite quant à lui d’un jeune qui étudie une légende urbaine populaire dans les logements sociaux de Chicago – le Candyman, une personne lynchée par une foule raciste et dont l’esprit se maintiendrait en vie si on prononce trois fois son nom en se regardant dans un miroir. Le film trace une distinction claire entre les conditions de vie de l’étudiant – qui vit dans un appartement luxueux au sein d’un vieil immeuble en rénovation – et celles des personnes qui habitent dans les logements sociaux de Cabrini-Green où la pauvreté et le crime sont omniprésents.
Le reste des années 1980 jusque dans les années 90 a été caractérisé par une série de suites, reflétant la réticence croissante d’Hollywood à investir dans de nouvelles idées. La seule bonne exception à la règle est La Chose (1982) de John Carpenter, remake du film La chose d’un autre monde de 1951. Le remake diverge de l’original dans le fait que l’alien ne prend pas la forme d’un seul monstre, mais qu’il peut se transformer, suivant sa volonté, pour ressembler à n’importe quel membre de l’équipage d’une base de recherche en Antarctique. L’isolement et la paranoïa qui déchirent les personnages sont peut-être l’aspect le plus terrifiant du film en plus de ses sordides effets spéciaux.
La période apporta également des classiques mélangeant les genres horrifiques tels qu’entre autres Génération perdue(1987), Ghostbusters (1984) et Fantômes contre fantômes (1996). Invasion Los Angeles (1988), également réalisé par John Carpenter, a été intentionnellement pensé comme une critique du consumérisme et du conservatisme de l’ère Reagan. Le film est célèbre pour une scène de combat extrêmement longue entre Keith David et le défunt Roddy Piper, dont le personnage essaye de convaincre son ami que le monde est dirigé par des aliensqui peuvent seulement être vus en utilisant des lunettes de soleil spéciales.
En 1996, le maître de l’horreur, Wes Craven revient avec Scream, un slasher autoréférentiel où les meurtres se déclinent suivant de nombreux schémas présents dans de précédents slasher. En 2006, Derrière le masque de Leslie Vernon pousse l’auto-référence au genre encore plus loin. Le film met en scène un tueur suivi par une équipe de tournage documentaire dans un monde où les tueurs comme Freddy Krueger, Jason Voorhees et Michael Myers sont réels et devenus des célébrités. Cette idée a été exploitée à un degré encore plus élevé dans l’exceptionnel La Cabane dans les bois (2012), qui utilise intelligemment les codes dominants du genre horrifique.
Les années 2000 ont continué à produire des films extrêmement commerciaux, le plus souvent dérivés de films d’épouvante antérieurs. Cependant, quelques innovations dans le genre valent la peine d’être mentionnées telles que 28 Jours plus tard (2002) qui relance la popularité des films de zombies, lesquels domineront le genre horrifique et apocalyptique de ces dernières années.
Saw (2004) et ses suites successives – sans doute inspiré de Seven (1997) – développent l’idée d’un tueur qui place ses victimes dans des situations effroyables, leur offrant le choix de tuer ou d’être tuées, ou de subir d’horribles sévices pour survivre, ce qui n’est pas sans rappeler la morale du capitalisme : manger ou être mangé !
Autre film, Hostel (2005) raconte l’histoire de deux amis qui voyagent en Europe de l’Est post-soviétique et vont atterrir dans un cachot dans lequel de riches hommes d’affaires payent pour torturer et mutiler des gens pour leur divertissement. Pontypool (2008) met en scène de façon sinistre un cas inexplicable d’hystérie collective, rappelant une épidémie de zombies, vécu du point de vue d’une station de radio dans la campagne canadienne.
Ces dernières années, il semblerait que l’on assiste au retour de bons films d’horreur, comme en témoignent des films tels que Morse (2008), The House of the Devil (2009), The Innkeepers (2011), Sinister (2012), It Follows (2014), Mister Babadook (2014) et d’autres. Il reste à voir quels seront les films à suivre qui caractériseront la décennie à venir.
L’horreur que nous devons surmonter
Le genre horrifique fait maintenant partie du folklore moderne. Dans la société pré-capitaliste, les récits mythologiques de fantômes, spectres, démons et dieux – bons comme mauvais – servaient à expliquer des phénomènes naturels incompréhensibles pour l’époque et que l’humanité ne pouvait maîtriser.
Les avalanches, les feux de forêt, les inondations, les sécheresses, les éruptions volcaniques, les épidémies, etc., étaient des catastrophes qui défiaient l’humanité. C’est notre capacité à façonner notre environnement par le travail afin de maîtriser ces forces élémentaires qui nous définit en tant qu’êtres humains. Cependant, nous vivons dans une société en déclin dans laquelle les forces ayant le plus d’influence sur le destin de l’humanité sont hors de notre contrôle. Que peut-il y avoir de plus terrifiant ?
« La société bourgeoise moderne, qui a fait surgir de si puissants moyens de production et d’échange, ressemble au sorcier qui ne sait plus dominer les puissances infernales qu’il a évoquées »
Cette citation du Manifeste du Parti communiste résume le carrefour où se trouve l’humanité. Alors que le capitalisme a développé les moyens de production à un niveau permettant d’offrir une vie agréable pour tous et nous a donné les moyens de surmonter presque n’importe quel obstacle naturel, nous sommes (pour le moment) empêtrés dans une situation où les phases de croissance et de récession des marchés boursiers déterminent le destin de milliards de personnes. La seule manière de surmonter cette contradiction passe par la transformation révolutionnaire de la société avec la classe ouvrière organisée aux commandes, contrôlant rationnellement et démocratiquement les formidables forces créées par l’humanité.
Cela donnera lieu à un épanouissement de la science, de la technique et de la culture à une échelle inimaginable, nous donnant les moyens de bâtir une société libérée des angoisses, des insécurités et des horreurs qui mutilent psychologiquement des millions de gens. Une société dans laquelle nous serions libérés des forces aveugles qui affectent nos vies aboutirait vraisemblablement au déclin d’un genre cinématographique qui sera probablement perçu comme caractéristique de la société de classes dans son ensemble, et plus spécifiquement de la phase terminale du déclin du capitalisme.