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Une entrée du marché de Rungis bloquée plusieurs heures
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
L’opération coup de poing a visé le garde-manger francilien dans la nuit de jeudi à vendredi.
Il en irait de la réussite d'une lutte sociale comme de l'entretien d'un brasero : mieux vaut alimenter fréquemment le foyer pour maintenir la flamme.
Pour « mettre la pression » sur le gouvernement et le convaincre d'abandonner son projet de réforme des retraites, plus de 200 personnes ont répondu à l'appel de la CGT de bloquer le Marché international (MIN) de Rungis, dans la nuit de jeudi à vendredi.
Le site, garde-manger et repère à grossistes (243) de la région parisienne, a valeur de « symbole économique et politique ». « En s'attaquant au MIN, on s'attaque à ce qu'il incarne : des milliards d'euros de chiffres d'affaires, et ces grandes entreprises qui dictent au gouvernement la politique à tenir », justifie Cédric Quintin, secrétaire général de la CGT dans le Val-de-Marne.
«À mort l'Europe des banquiers !»
Doctorant en sociologie, et ancien travailleur du « marché », Samuel confirme : « Il faut casser cette image de petits producteurs locaux. Ici, vous trouvez des grosses boîtes qui font venir des fruits et légumes du bout du monde par avion, et une exploitation des travailleurs pas moins forte qu'ailleurs. »
En même temps qu'il attache son vélo à la rambarde d'un arrêt de tram, le chercheur insiste sur l'utilité de ce grand raout nocturne : « C'est bien beau les grandes manifs nationales relayées en boucle à la télé. Mais ce qui nourrit la mobilisation, ce sont les rassemblements locaux. Ça ancre la lutte dans les territoires et ça interpelle bien plus les gens. »
Rendez-vous avait donc été donné, à minuit, au centre commercial Belle-Épine, à Thiais. Là, un peu à l'écart de la petite foule à peine formée, un jeune a dressé une barrière pour en faire son échelle. Sur la pointe des pieds, les bras tendus le long du mât, il a descendu le drapeau européen qui, avec un pavillon français, marquait l'entrée du parking. Le temps de signer son geste d'une tirade (« A mort l'Europe ! A mort l'Europe des banquiers ! »), le garçon a hissé dans le ciel pluvieux un carré jaune.
Secret de polichinelle
D'en bas, Marc, un enseignant de Champigny, traduit la profanation : « Depuis un an, les Gilets jaunes nous ont montré la voie. À nous tous maintenant de remettre un peu de solidarité partout. »
Si ce quinquagénaire est là, c'est que la réforme de retraites n'aurait fait qu'ajouter une inconnue à une équation déjà insoluble : « On n'a jamais créé autant de richesses dans ce pays et il n'y a jamais eu autant de pauvres ».
Un jeune a descendu le drapeau européen pour hisser un carré jaune, au-dessus du centre commercial Belle-Epine./LP/Corentin Lesueur
Pendant plus de deux heures, les manifestants ont bloqué l'une des portes d'entrée du MIN. Secret de polichinelle, l'opération coup de poing n'avait pas échappé aux oreilles des forces de l'ordre. Une bonne cinquantaine de policiers étaient positionnés le long du péage à l'arrivée des drapeaux syndicaux.
«Blocage général de l'économie»
Qu'importe si l'effet de surprise est mort-né, « l'important, c'est de montrer qu'on peut bloquer un endroit stratégique », assure Cédric Quintin. Le leader de la CGT décrit une montée de la colère contre la réforme des retraites façon vases communicants : « Plus le gouvernement reste sourd et se montre arrogant, plus ça énerve les gens, plus ça étend la bataille ».
Un aide-soignant des hôpitaux de Saint-Maurice complète : « Plus le gouvernement est méprisant, plus il nous ment, plus on est motivé. […] L'important c'est d'être là, tous les jours. Le but, c'est un blocage général de l'économie. »
Près du rideau policier, une demi-douzaine d'agents de la SNCF refusent d'abord poliment de s'épancher : « Pas envie d'alimenter la caricature qu'on fait de nous partout ». Puis les langues se délient.
«La défense des travailleurs dans l'âme»
Une cheminote décrit l'émiettement en quelques années d'une vocation : « Ce n'était pas rien pour moi de permettre aux gens de voyager. […] Mais faut voir les conditions dans lesquelles on travaille. Ça fait mal. On n'est pas bien. »
De la mobilisation en sein de leur entreprise dépendrait pourtant le sort de la réforme. « Les cheminots, on est un corps de lutte trop fort, on a la défense des travailleurs dans l'âme, assure un collègue, conducteur de trains. C'est pour ça qu'on ne lâchera rien : si on abandonne, la réforme passera comme une lettre à la poste. »
Des paroles aux actes. Une fois l'entrée du MIN dégagée, avant 3 heures du matin, une partie des manifestants ont pris la route pour Vitry, et son dépôt RATP. Un brasero y a vite été allumé. La flamme brûle toujours.