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Gérard Noiriel : «La grève de Noël fait partie des traditions de luttes lorsque l’urgence l’impose»
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Les mineurs de Trieux, en 1963. G. Bloncourt. Rue des Archives
L’historien donne son regard sur la mobilisation et explique ce qu’a changé le salariat dans le déroulé des mouvements sociaux
Pour l’auteur d’une Histoire populaire de la France (Agone), l’inscription de la grève dans le temps implique de nouvelles solidarités.
Quel regard portez-vous sur la mobilisation en cours ?
Dans toutes les grandes luttes sociales, on voit surgir un conflit symbolique entre des porte-parole qui s’opposent chacun au nom du peuple. Lorsque la cause défendue par les gens qui sont dans la lutte paraît légitime aux yeux de l’opinion, comme c’était le cas avec les gilets jaunes et comme c’est encore le cas dans le mouvement actuel contre le projet gouvernemental sur les retraites, les dominants doivent faire flèche de tout bois pour discréditer ceux qui sont dans la lutte. Les gilets jaunes étaient dénoncés comme des casseurs, des antisémites, des racistes. Aujourd’hui, les salariés en grève sont présentés comme des privilégiés qui rendent la vie impossible au peuple travailleur, allant jusqu’à le menacer de gâcher son Noël. Les partisans de ce projet de loi, comme leurs adversaires, affirment défendre les intérêts du peuple français ; les uns et les autres disent qu’ils combattent les privilèges et qu’ils luttent pour l’égalité. Fait nouveau, la cause des femmes fait partie aujourd’hui de cette panoplie d’arguments légitimes. Mais, bien évidemment, les définitions que chaque camp donne de ces causes communes sont radicalement opposées. C’est la diversité des soutiens dont pourront bénéficier les grévistes qui leur permettra de populariser leur conception de l’égalité et de la justice dans l’opinion publique. Prenons l’exemple des femmes. Alors que le gouvernement affirme qu’elles seront les «grandes gagnantes» de la réforme, les grévistes assurent le contraire. Dans cette configuration, la mobilisation féministe contre ce projet de loi peut jouer un rôle majeur dans l’élargissement de la contestation.
La prolongation du mouvement social serait-elle inédite ?
A la fin du XIXe siècle, les grèves pouvaient durer jusqu’à un an grâce à l’autonomie dont disposaient encore les ouvriers. Dans la grande industrie, beaucoup d’entre eux étaient encore proches de la terre. Souvent, ils profitaient de la grève pour aller donner un coup de main aux paysans. En retour, la communauté villageoise était solidaire. C’est la grande époque des «soupes communistes», une forme de solidarité qui était efficace quand les ouvriers n’étaient pas totalement pris dans les filets du salariat. L’un des grands problèmes que rencontrent aujourd’hui les syndicats tient au fait que les salariés ne peuvent pas se permettre des grèves très longues car la plupart d’entre eux sont enchaînés au crédit. Pour éviter le retour d’une grève aussi longue et aussi massive que celle de Mai 68, la classe dominante a multiplié les initiatives favorisant l’accès au crédit et à la propriété. Mais la dialectique de la lutte des classes fait que de nouvelles formes de domination engendrent de nouvelles formes de résistance. L’un des côtés positifs d’Internet et des réseaux sociaux, c’est que ces nouveaux moyens de communication ont permis le développement des caisses de grève, qu’on pourrait appeler des «soupes communistes à distance», pour montrer la continuité de ces formes historiques de solidarité.
A l’approche des fêtes de Noël, l’idée de suspendre ou non la mobilisation, comme lui enjoint l’exécutif, hante les assemblées de grévistes…
Le mouvement ouvrier ne s’est jamais engagé de gaieté de cœur dans la grève au moment de Noël, une fête de famille particulièrement prisée dans les classes populaires. Néanmoins, la grève de Noël fait aussi partie des traditions de luttes lorsque l’urgence du combat de classe l’impose. L’un des exemples les plus fameux est celui des mineurs de fer de Trieux (Meurthe-et-Moselle). Le 14 octobre 1963, ils apprennent que leur patron a envisagé de licencier la moitié de l’effectif. Ils décident alors d’occuper le fond de la mine pour s’opposer à ce projet. Ils y resteront pendant soixante-dix-neuf jours, jusqu’au 31 décembre. Ce mouvement va marquer les esprits et susciter un vaste élan de solidarité. Les grévistes occuperont leurs «vacances» de Noël à créer collectivement le Chant de la corporation, que la chorale des ouvriers de Trieux enregistrera sous forme de disque microsillon pour ancrer leur lutte collective dans les mémoires.
Macron espère calmer la mobilisation en «améliorant» le projet. C’est une nouvelle épreuve sociale d’ampleur pour l’exécutif…
Je suis stupéfait par la volte-face du président Macron. Lors de sa campagne présidentielle, il a tout fait pour se présenter comme le futur président-philosophe, un grand libéral (au sens humaniste du terme) proche des intellectuels et des milieux culturels. Mais aujourd’hui, le disciple de Ricœur est devenu le Thatcher français. Il y a d’abord eu un changement de cap radical sur l’immigration. Et aujourd’hui, le discours universaliste qui légitimait son projet sur les retraites à points est battu en brèche au profit des policiers qui pourront conserver leur régime spécial. A l’inverse, les enseignants, ceux dont on aurait pu penser qu’ils lui étaient les plus proches, sont les grands perdants de la réforme. La trace qu’il risque de laisser dans notre histoire, c’est d’avoir imposé un régime qui privilégie les forces répressives au détriment des forces du savoir et de la culture.