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La révolution suspendue selon Mélenchon, par Robert Duguet

Mélenchon

Lien publiée le 13 mai 2021

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

La révolution suspendue selon Jean Luc Mélenchon, par Robert Duguet. – Arguments pour la lutte sociale (aplutsoc.org)

10 mai 2021, Mélenchon fait une conférence de 60 minutes sur le quarantième anniversaire de 1981. Il y retrace le chemin qui a été de son point de vue, celui d’une génération en politique : la mienne, la nôtre, celle qui a eu 20 ans en 1968 et qui a fait ses classes dans la grève générale de 10 millions de travailleurs contre De Gaulle. Elle avait la volonté de « changer la vie ». La reconstruction du nouveau PS en 1971 à Epinay permet en dix ans de donner au pays une majorité politique en 1981. Dans le discours d’intronisation de François Mitterrand, qui déchaîne alors contre lui les tenants d’une droite chassée du pouvoir, on y lit ceci :

« En ce jour où je prends possession de la plus haute charge, je pense à ces millions et ces millions de femmes et d’hommes, ferment de notre peuple, qui, deux siècles durant, dans la paix et la guerre, par le travail et par le sang, ont façonné l’Histoire de France, sans y avoir accès autrement que par de brèves et glorieuses fractures de notre société. »

L’idée directrice de cette conférence est dans l’idée que l’orientation imposée en 1983, à travers le tournant de la rigueur et la mise entre parenthèse des réformes, n’était pas inéluctable. La révolution a été suspendue… Tout en récusant la théorie « gauchiste » de la trahison des directions de la classe ouvrière, qui explique son actuelle décomposition, il était possible de faire face à la montée du courant libéral au sein de la gauche : en fait, les couches populaires ont laissé faire, habituées à s’en remettre à ceux qui les représentaient, au lieu de contrôler leurs élus et de se mobiliser. Je caricature à peine : le peuple finalement est responsable de ce qui est arrivé. On connaît cette théorie : elle a toujours fait partie de l’arsenal idéologique du stalinisme, le peuple mérite le régime qu’il se plaint de supporter. Tout au long de son propos, Mélenchon va y avoir recours, certes en douceur mais le contenu y est.

Il nous dit qu’il faut comprendre le monde dans lequel nous étions alors : l’URSS et la Chine, plus un certain nombre de petit pays sont régis par la collectivisation des moyens de production. C’est la reprise constante de la théorie des blocs. Aucune analyse du fait que ces régimes, fondés sur des régimes dictatoriaux, étaient très exactement l’inverse de l’émancipation sociale contrôlée par les producteurs eux-mêmes. L’échec historique des régimes staliniens est la brèche dans laquelle s’est engouffrée la vague néo-libérale actuelle. Cette vague ne trouve pas en face d’elle une force capable d’incarner au moins une résistance, sinon une alternative.

Sur la place du PCF sur l’échiquier politique en 1973: leurs militants, dit-il, étaient les plus ardents défenseurs de l’union des forces de gauche, dans la continuité de l’action engagée, à l’issue de la guerre mondiale, par le Conseil National de la Résistance. Le PCF porte le programme de l’Union de la Gauche, tant qu’il reste sur la ligne de l’union. Le parti de Mitterrand l’a ensuite supplanté, parce qu’il a repris le flambeau de l’union. La position qui était celle de Mélenchon sur la nature de l’URSS et sur la fonction des partis communistes en Europe occidentale, qui allait lui permettre de construire une gauche au sein du PS, a totalement disparu : cette dernière avait permis de supplanter le CERES de Chevènement ainsi que le courant de Jean Poperen. Vient ensuite une longue énumération de ce que fit la gauche au pouvoir. Bien sûr des mesures positives ont été prises (les 39 heures payées 40, la 5ème semaine de congés annuels, la retraite à 60 ans…) mais elles sont le produit d’une intervention des masses sur la scène de l’histoire. Dans ce catalogue, les mesures positives voisinent avec d’autres qui contiennent en germe le néo-libéralisme actuel. Par exemple, les lois Auroux qui tracent dès 1982, dans l’esprit du catholicisme social de son inspirateur, le cadre d’un nouveau corporatisme dans les relations capital-travail. Au passage Mélenchon salue la CFDT, qui à l’époque jouait la carte gauchiste contre les confédérations CGT et CGT-FO. Rien n’est dit non plus de la place alors du mélenchonisme dans le combat pour la défense de l’école publique et des lois laïques, au moment de l’épisode de la loi Savary qui avait provoqué l’affrontement des deux France. Mais quand Mélenchon en vient à parler des nationalisations, on aborde la question centrale du refus de la rupture : les nationalisations ont permis un financement public des pertes pour ensuite privatiser les gains. Elles ne sont absolument pas des mesures anticapitalistes. Elles permettent au capitalisme français de chercher à s’imposer sur le marché mondial. D’ailleurs, Mélenchon ne revendique aucune mesure à caractère anticapitaliste dans son propos.

La question centrale des institutions de la Vème République est largement éludée, et pour cause puisqu’aujourd’hui il reconnait la légitimité de Macron jusqu’en mai 2022 et qu’il se prépare à faire une campagne dans le respect des institutions. C’est comme le paradis dans l’imaginaire catholique, vous aurez la VIème République et la Constituante si vous m’élisez. Mitterrand avait fondé la Convention des Institutions Républicaines en 1964, petite organisation à la marge du mouvement ouvrier de l’époque, qui globalement était structuré par la force du PCF. La SFIO ayant sombré dans le soutien à la sale guerre coloniale en Algérie. Il le fait sur la ligne de condamnation des institutions du « coup d’état permanent », reprenant la caractérisation de Marx contre le bonapartisme. Parvenu au pouvoir en mai 1981, il n’a jamais été question pour lui, pour Marchais aussi, de remettre en cause ces institutions. De ce point de vue, les gouvernements présidés par François Mitterrand, allant de contre-réformes en contre-réformes, n’ont été que l’histoire d’une lente décomposition du corps historique de la gauche. La dérive de la social-démocratie, en particulier de la social-démocratie allemande, vers l’Europe néo-libérale, Mitterrand l’a largement accompagnée. Il a jeté toutes ses forces dans le soutien au traité de Maastricht. Mélenchon se situe dans le sillage de François Mitterrand et il épingle le traître Hollande : ce dernier devient celui qui a permis la liquidation de la social-démocratie en France. Relecture pour le moins suspecte de l’histoire. Les militants qui ont approché de par leur engagement dans le nouveau parti socialiste le personnage de Mélenchon, ont souvent été étonnés par l’admiration sans bornes qu’il portait à François Mitterrand.

Dans sa conclusion Mélenchon aborde la question bien sûr de la présidentielle de 2022 : il souligne l’effondrement idéologique de la gauche, incapable qu’elle est de se restructurer autour de quelques propositions claires, donc un programme. Et lui, où va-t-il ? Évoluant d’une position à gauche de la social-démocratie vers une forme de populisme, de rejet de toute alliance à gauche, la campagne de 2017 lui fait rater au minimum le 2ème tour de la présidentielle face à Macron. Aujourd’hui, tout en flirtant avec les écologistes, il se réclame favorable à reconstruire « l’indépendantisme français », ligne qui fait toujours penser au « produire français » de nos staliniens historiques. Décidément, même enrobé avec le talent du tribun, ce n’est guère glorieux comme fin de parcours.

Robert Duguet, le 11-05-2021.