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Anasse Kazib, le cheminot qui veut être candidat à la présidentielle et faire la révolution
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Anasse Kazib est cheminot à Paris Nord et représentant syndical Sud. Le trentenaire, Arabe et musulman, se propose comme candidat pour le Nouveau Parti anticapitaliste à l’élection présidentielle. Une décision qui fait râler certains de ses camarades.
« Ce dimanche, je ferai une annonce importante les ami-e-s. Ils ne sont pas prêts ! » La nouvelle, publiée sur les réseaux sociaux le 4 avril dernier, a effectivement fait jaser. « Nous avons aujourd’hui proposé aux débats du NPA ma pré-candidature pour les #Presidentielles2022. » Anasse Kazib, 34 ans, cheminot à Paris Nord, représentant syndical Sud Rail et marxiste révolutionnaire, se verrait bien dans la course à la présidence. « Ceux qui vous serviront le mieux sont ceux que vous choisirez parmi vous, vivant votre propre vie, souffrant des mêmes maux », promet-il, en paraphrasant l’appel du comité central de la Commune de Paris en 1871. Ce à quoi sa famille politique, le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), lui répond dans un communiqué d’un lapidaire : « Certes. Mais c’est dommage d’avoir oublié la suite : “Portez vos préférences sur ceux qui ne brigueront pas vos suffrages ; le véritable mérite est modeste, et c’est aux électeurs à choisir leurs hommes, et non à ceux-ci de se présenter.” »
Ce soubresaut de campagne a reçu un petit écho, notamment dans les milieux militants de la gauche radicale. Rare cheminot – si ce n’est le seul – à avoir sa page Wikipédia, il est suivi par plus de 38.000 abonnés sur Twitter. Chouchou des médias, harcelé par la fachosphère, soutenu par les militants antiracistes et contre les violences policières, la personnalité Anasse Kazib est clivante. « Déjà, la tronche que tiraient les bourgeois et les réacs quand des ouvriers comme Poutou ou Besancenot étaient candidats. Imaginez maintenant si en plus d’être un ouvrier, c’est un Arabe et un musulman », tweete Taha Bouhafs, journaliste au Média et bon ami d’Anasse. Avant d’ajouter un photomontage du présidentiable à l’Élysée.
« On pourrait… »
« Aujourd’hui nous recevons Anasse Kazib ! Comment ça va depuis les Grandes Gueules ? Toujours cheminot, toujours syndicaliste, toujours révolutionnaire ? » Ça faisait longtemps que Christophe, l’animateur de l’émission quotidienne le Grand Forum sur France Maghreb 2, voulait inviter le militant sur son antenne. L’intéressé vient tout juste de s’asseoir, essoufflé par son masque et sa course. Il s’était trompé d’adresse. Sweat bleu sur les épaules et casquette sur la tête, Anasse Kazib répond avec un grand sourire : « Oui, toujours ».
Avec aisance, jovial, il rebondit sur les blagues, sait être plus incisif dès qu’il s’agit de politique. L’animateur le lance sur le RN et l’islamophobie. « Ils surfent sur les déserts d’emplois. » Il déroule son argumentaire. Les « rues du RSA » où, le 5 du mois, les queues ne semblent jamais se terminer devant les Postes. « Les patrons qui mangent sur le Covid. » Son ton monte au fur et à mesure et ses fluctuations de voix attestent de sa passion. Anasse Kazib parle en « nous », en « classes », en « camarades ». « On pourrait… », promet-il, avant de rejeter la faute sur les « ils », « ceux au pouvoir », « ceux qui ont saccagé les services sociaux et les hôpitaux ». Après presque dix minutes de monologue ininterrompu durant lesquelles le studio boit ses paroles, c’est la publicité qui force Christophe à couper cette verve : « Un coup de colère qu’on peut comprendre. Et partagé pour le coup ». C’est ça, Anasse Kazib : un orateur au franc-parler, terriblement sympathique, qui force l’attention. L’animateur commente :
« D’habitude, je coupe direct. Mais lui parle avec une telle force et une telle puissance. »
Une grande gueule
Christophe rêverait du débatteur dans son émission. « Il a un certain talent et une aisance à défendre ses idées. Sûrement son expérience des Grandes Gueules. » Sur les quelques auditeurs passés au standard, tous connaissent le cheminot grâce à l’émission de RMC. Le show aux allures de rings est écouté et regardé par plus de deux millions de personnes quotidiennement. « Je venais en plateau comme je venais à une assemblée syndicale », se rappelle Anasse Kazib, amusé. Chaque intervention est une opportunité de parler de luttes des classes, de critiques du capitalisme et de violences sociales. Il défend – dès la première heure et seul contre tous – les Gilets jaunes. Le lendemain de la mort d’Ibo – jeune homme de 22 ans mort en moto après avoir croisé la police en octobre 2019 à Villiers-le-Bel –, le cheminot donne la version de la famille en direct, alors que la presse relaie celle de la préfecture. « Les prolétaires qui bataillent pour aller travailler… Ça me met la haine ! », lâche-t-il aussi. Un électron libre aux avis dissonant du reste du PAF et, surtout, du reste des chroniqueurs de son émission :
« Je vivais ma meilleure vie ! Je les allumais, je ressortais avec le sourire, et en plus on me payait pour ça. De la bombe ! »
L’homme aime le débat d’idées, voire s’amuse de la castagne. « Schiappa m’esquive à chaque fois. Je n’ai pas eu l’occasion de débattre avec Zemmour non plus. Je l’aurais allumé ! » Apprécié pour sa verve et sa répartie, l’idylle médiatique reste sur les chaînes d’infos en continu ou sur C8, dans les émissions de Cyril Hanouna. Anasse Kazib a refusé d’y devenir chroniqueur : le temps de parole était insuffisant. Mais il y trouve, quand l’actualité le permet, une belle tribune. Comme lorsqu’il s’insurge face à Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué chargé des transports, et rappelle les revendications de ses collègues cheminot en grève.
Sorte de malédiction, il est toujours l’homme le plus à gauche du plateau. Résultat : il concentre souvent la contradiction. Ce qui vire parfois à l’invective. Fadila Mehal, femme politique étiquetée LREM, l’a notamment accusé de « terrorisme verbal » quand il lui coupe la parole sur Cnews. Il quitte le plateau. Ou lorsqu’il est menacé de mort sur Twitter par le responsable RN Thierry Veyrier, ce qui a suscité l’indignation. « C’est fou ! Ces gens enchaînent les sorties d’un racisme inouï, mais continuent à être invités dans les médias. Moi, pour un non-événement, on m’a viré… » Référence à son expérience des Grandes Gueules brusquement terminée en mars 2020. Alors que l’émission est interrompue après l’intervention coup de poing de grévistes, il refuse de dénoncer l’action de « ses camarades de luttes », comme l’enjoignent les présentateurs et chroniqueurs. Pour lui, ça ne fait aucun doute : c’est cette intervention qui a entraîné son départ. Même si la direction de la chaîne n’a jamais confirmé. Il commente :
« Je suis marxiste ! Je suis là pour faire la révolution. Je sais que je ne suis pas de leur milieu et qu’ils allaient me tej’ à un moment. »
Pour Anasse, chaque intervention en plateau est une opportunité pour parler luttes des classes, critiques du capitalisme et violences sociales. / Crédits : Nnoman Cadoret
Homme de terrain
Tribunal de Grande Instance de Bobigny (93), mi-avril. Anasse Kazib arrive en équipe, il accompagne les agents de voie de Gare du Nord. Ça rigole, ça papote. Ils sont une douzaine à poursuivre pour la seconde fois leur employeur, la SNCF. Depuis le 18 janvier, ils ont démarré une grève reconductible sur les services de nuit, pour réclamer de meilleures conditions de travail. Invisibles aux yeux du public, ils interviennent sur les installations défaillantes et veillent à la sécurité des trains. « Ils supportent les conditions de travail les plus difficiles, travaillent sous la pluie, la neige, de nuit, alors qu’ils ont souvent le grade le moins élevé », insiste Anasse Kazib qui a accepté d’être porte-parole des maux de ces agents.Élu du radical Sud Rail – syndicat historique des cheminots – il aime dire que « la grève, c’est comme une guerre, ça se prépare » :
« Tu cherches la faille de ton adversaire, tu n’y vas pas à poil ! »
Et ce jour d’avril, la faille de la SNCF, c’est sa gestion de la grève. Déjà assignée pour entrave au mouvement social quelques semaines plus tôt, l’entreprise est aujourd’hui accusée de non-conformité de ses voies par les cheminots, qui utilisent leur droit d’alerte sur la sécurité pour la traîner devant le juge. Manque de bol, ce dernier part en vacances le jour même et ne compte pas prendre ses dossiers au soleil. Le verdict sera rendu le 19 mai. Trop tard pour Anasse Kazib. « On avait besoin du verdict plus rapidement, c’était pour peser dans le rapport de force et les négociations », débriefe-t-il avec l’avocate et les cheminots en sortant de la salle d’audience.
Anasse Kazib est aussi un élu du syndicat Sud Rail. / Crédits : Nnoman Cadoret
Depuis le 18 janvier, Anasse Kazib et ses collègues mènent une grève reconductible sur les services de nuit, pour réclamer de meilleures conditions de travail. / Crédits : Nnoman Cadoret
« J’ai connu Anasse dans les Grandes Gueules. Déjà à ce moment-là, j’ai bien aimé sa personnalité plus tranchée que le reste des gens de la télévision », raconte Olivier Abysique, qui fait partie des agents de voie en grève :
« Il me représente plus. Même les chroniqueurs qui viennent de quartiers, on dirait qu’ils ont oublié d’où ils viennent. Lui a une crédibilité. »
Anasse Kazib est aiguilleur au Bourget depuis 2012, gagne autour de 1.800 euros selon ses primes et tient les trois-huit [une organisation du travail limitée en France, qui consiste à faire tourner par roulement de huit heures consécutives trois équipes sur un même poste, afin d’assurer un fonctionnement continu sur les 24 h]. Comme Olivier et les autres. « Anasse ! Tu sais qu’un mec m’a demandé comment tu étais en vrai ?! On aurait dit qu’il parlait de Johnny ! », charrie l’un.
Cheminot de père et fils
Ça le fait rire quand il raconte. Sa vie, ce ne sont pas les médias promet-il. C’est ses deux enfants, de huit et cinq ans. Il les emmène en manifestation avec lui ou le piquet de grève. Sur une vidéo de son portable, c’est son plus jeune qui tient le mégaphone et lance « le chant des cheminots en colère ». « Il m’a dit : “Quand je serai grand, j’aimerais bien être gréviste” ! » Sa femme est aussi cheminote et déléguée Sud Rail. Ils se sont mariés à 21 ans. « C’est tôt. » Anasse, qui a grandi à Sarcelle, suit à l’époque une formation en architecture et organise des soirées sur Paris. Mais le matériel de l’école est cher. « Et la vie de famille m’a donné des responsabilités. » Il lâche tout pour suivre les pas de son père, lui aussi à la SNCF. « Par hasard ! À la base il devait aller faire des ménages à Oxford avec un pote. T’imagines ? On aurait été Anglais ! » L’immigré entre à la SNCF en 1974. À l’époque, l’entreprise bâtissait des cités entières pour ses cheminots. « Il m’a raconté qu’il n’allait pas faire ses courses à Carrefour, mais dans des supérettes de cheminots, où tout était moins cher. Il ne reste plus rien des acquis [sociaux] d’avant. » Son père a également fait partie des 848 chibanis à poursuivre la SNCF, qu’ils accusent de discrimination en raison de leurs origines. Il sourit :
« Ma famille me soutient de ouf. On a toujours tous été à gauche. On n’aime pas l’injustice en règle générale. On nous a éduqués en nous répétant : “Il ne faut pas faire la hagra aux gens”. »
Ils sont cinq frères et sœurs. Lui est le dernier. Alors il fallait se faire entendre à la maison, raconte-t-il. « Toute ma famille pourrait être aux Grandes Gueules ! C’est plus dur de débattre avec ma sœur qu’avec une ministre ! » Elle aussi est cheminot et syndicaliste. « Elle manifeste de ouf ! »
Anasse Kazib se propose comme candidat pour le Nouveau Parti anticapitaliste à l’élection présidentielle. / Crédits : Nnoman Cadoret
Le collectif ?
Dans les différents mouvements sociaux qu’Anasse a suivis, ses collègues lui demandent souvent de parler pour eux, lui qui est si à l’aise. « Si je continue à parler et qu’eux n’ont pas appris à la prendre la parole, c’est que c’est une grève de merde. » Le révolutionnaire préférerait être l’exemple à suivre :
« Ce que les patrons appellent “tâche d’huile”. »
Alors à chaque soulèvement social, une caméra de Révolution Permanente est là pour immortaliser. « Pour soutenir et pour montrer les invisibles. Les patrons savent que quand il y a Anasse, ça va être médiatisé », promet le cheminot. Le site internet, qui se définit comme un média des luttes, est tenu par des militants du Courant Communiste Révolutionnaire du NPA, une branche dont Anasse Kazib est la personnalité locomotive. C’est avec son groupe de Révolution Permanente qu’il a lancé sa pré-candidature à l’élection présidentielle. « Ils se sont émancipés de toutes les règles collectives », commente Julien Salingue, membre de la direction du NPA, où cette candidature a fait grincer des dents. « Dans notre organisation, on n’a jamais organisé de primaire et pour de bonnes raisons : on refuse la personnification des débats politiques. On discute du projet, du contenu et du type de campagne qu’on veut faire. »
Dans les différents mouvements sociaux qu’Anasse a suivis, ses collègues lui demandent souvent de parler pour eux. / Crédits : Nnoman Cadoret
Avec sa pré-candidature lancée sur les réseaux sociaux, Anasse Kazib et Révolution Permanente ont tout court-circuité. « Tous les courants du NPA leur ont dit de ne pas le faire. Pour nous, c’est une offensive contre le NPA, menée par un groupe qui joue son propre jeu et veut construire sa propre boutique », tranche Julien Salingue, qui a été membre de l’équipe de campagne de Philippe Poutou. Anasse Kazib, lui, promet vouloir moderniser son parti :
« La politique du NPA a été un échec. Sécurité globale, retraites, Gilets Jaunes, violences policières, loi Travail, il y a une recrudescence des luttes depuis cinq ans. Les Gilets jaunes se sont dit apolitiques. Au lieu de : “Non aux partis capitalistes et bonjour le NPA” ! »
Pourtant, c’est après les manifestations contre la loi Travail de Myriam El Khomri que le cheminot s’est dirigé vers les mouvements syndicaux et le NPA. « Et puis il y a un côté subversif », poursuit-il. « Jeune, racisé, musulman, ouvrier, issu des quartiers populaires. Ça ne s’est jamais fait », sourit-il. Le syndicaliste n’y va pourtant pas pour gagner l’élection. Et puis va-t-il réussir à réunir les 500 voix de maires pour y accéder ? « Donner leurs signatures à un petit rebeu, t’imagine ? » Sans investiture et donc les réseaux du NPA, la mission semble quasi-impossible. En tout cas, Anasse Kazib voudrait incarner « une certaine gauche dite “radicale” ». Et, surtout, bousculer les débats !