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Pandémie et lutte de classe : la grande leçon de choses italienne
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
La pandémie du Covid constitue une « innovation » historique, et la difficulté à en saisir les particularités nourrit les complotismes, que l’invocation agressive de la « vérité scientifique » ne réfrène pas, bien au contraire. Voici un nouveau virus, dont l’apparition n’est en rien exogène au capitalisme, mais qui en est une conséquence au même titre que le réchauffement climatique. Extrêmement contagieux, bénin la plupart du temps mais avec suffisamment de formes graves et aussi d’inconnues pour endeuiller des familles et saturer les systèmes de santé qui ont tous été frappés par les contre-réformes néolibérales des dernières décennies.
Un virus capable de disloquer les chaînes de production mondialisées, comme cela se poursuit pour les semi-conducteurs et le fret maritime, se combinant remarquablement avec la tendance actuelle à la fragmentation mondialisée des marchés, et l’aggravant. Par conséquent, les réactions officielles, qui se sont propagées en chaîne d’un État à l’autre depuis l’Asie en février-mai 2020, consistèrent en confinements brutaux et saccadés. Les pandémies grippales du XX° siècle, toutes moins graves sauf la grippe « espagnole » née de la première guerre impérialiste mondiale, n’avaient jamais entraîné de telles mesures à l’échelle d’États et de groupes d’États.
Ce n’est en rien du complotisme, mais bien du réalisme, que de comprendre que le surgissement pandémique a, à chaque fois, provoqué de la part des classes dominantes et des États des réactions consistant à l’utiliser au service de leurs intérêts, contre les exploités et les opprimés qui sont la majorité. Le contrôle social militarisé et informatisé de Xi Jinping en Chine est le modèle, ouvert ou honteux, de tous les États du monde. Mais inversement, les représentants du capital au pouvoir dans de grands États marqués par d’importantes luttes sociales, mais dépourvus de lois sociales nationales qui matérialisent des acquis sociaux, ont réagi sur la ligne du déni, voulant forcer les gens à aller travailler quitte à tomber malades et à en mourir.
Trump et Bolsonaro, ce dernier toujours au pouvoir, mais aussi Poutine à certains moments, ont donc dénié la contagion et nourri les théories du complot, faisant soit de la maladie, soit des confinements, et finalement des deux, les résultats du complot d’« élites mondialisées » correspondant à l’inconscient antisémite. En Inde, Modi a cumulé les deux méthodes : confinements militarisés pour chasser les pauvres des villes et stopper les mouvements sociaux, laxisme intégral pour couvrir l’incapacité des services de l’État à affronter l’épidémie, au point que la vraie défense contre le Covid est devenue un « marqueur » du mouvement paysan et prolétarien global qui affronte cet État.
Globalement, la pandémie et son utilisation par les pouvoirs en place ont d’abord ralenti la vague d’insurrections et de crises révolutionnaires commencée en 2019, puis l’ont catalysée et accélérée.
Dans les principaux États d’Europe occidentale, où, à la différence des États-Unis et du Brésil, existent des lois sociales nationales cadrant le taux d’exploitation du travail salarié et comportant un minimum de garanties de santé publique et de protection, une autre manière d’utiliser la situation contre les exploités s’est dessinée et a été portée à la perfection par le président français Macron, le 12 juillet dernier.
D’une part, la destruction progressive des systèmes de santé publique se poursuit, et la vaccination contre le Covid est largement entravée par cette politique, mais d’autre part et « en même temps » (selon la formule chère à Macron), les couches sociales non vaccinées (essentiellement le salariat précaire, les jeunes et les habitants des colonies antillaises) sont soumis à des mesures discriminatoires et sont dénoncées comme fautives, en les amalgamant au complotisme « antivax » qui, certes, existe, mais qui n’est pas ici un facteur déterminant.
Très précisément, Macron a programmé des licenciements déguisés en « suspensions de contrat sans salaires » à l’encontre des salariés non vaccinés dans plusieurs secteurs, totalisant près de 400.000 travailleurs, parmi lesquels les secteurs de la santé, du soin et des maisons de retraite. Une partie de la résistance sociale de ces secteurs s’est alors cristallisée dans le refus d’obtempérer à l’injonction à la vaccination – tout en se faisant tester régulièrement et en ne présentant donc aucun danger pour les malades, il est essentiel de le préciser. Au jour d’aujourd’hui, 23 octobre, le gouvernement n’arrive pas à suspendre tous les salariés visés : sur sans doute 300.000 dans la santé, 20.000 ont été officiellement suspendus. Toutefois, ils poussent aussi aux démissions et aux arrêts maladie. La mise à l’écart d’environ 9% des personnels serait un coup grave au système de santé public déjà affaibli, qui provoquera et a commencé à provoquer des fermetures de services et de soins. Il est tout simplement honteux que des militants approuvent cela ou se taisent au motif que la vaccination est nécessaire.
Nous supplions nos lecteurs internationaux, par exemple militants américains, de comprendre que ceci n’a dans l’ensemble rien à voir avec le complotisme et le trumpisme, mais qu’il s’agit de résistance sociale. Et ce sont des militants vaccinés qui demandent à leurs camarades d’avoir cette compréhension élémentaire des réalités sociales !
Le gouvernement Draghi en Italie a embrayé sur les mesures de Macron en France. Avec a priori un atout : une mise au garde-à-vous plus importante encore des organisations syndicales. Début août 2021, Mario Draghi a annoncé la « ligne dure », à savoir le licenciement des salariés non vaccinés, dans plusieurs secteurs et finalement dans tous les secteurs à compter du 15 octobre. Il a immédiatement reçu l’appui de Maurizio Landini, secrétaire général de la première confédération syndicale, la CGIL – en fait, ces mesures ont probablement été élaborées par l’un et l’autre, ensemble. Ensuite, Landini a demandé que ce ne soit pas là une occasion de licencier en dehors des considérations sanitaires, vœu pieu qui admet qu’il y a des licenciements légitimes et les cautionne donc tous.
Rappelons que le gouvernement de l’ancien président de la BCE (Banque Centrale Européenne) Mario Draghi, formé au début de l’année après la décomposition des gouvernements « populistes » dirigés par le Movimiento Cinque Stelle, est un cabinet d’union nationale entre la « droite », la « gauche » et les « populistes », sur un programme européiste et libéral de choc, visant à « dépoussiérer l’Italie » pour la énième fois, en aggravant la flexibilité et en s’en prenant aux régimes de retraite. Pour ce faire, des « négociations » institutionnalisées entre la CGIL, les deux autres confédérations CISL et UIL, et le gouvernement, se déroulent et permettent à Draghi d’avancer dans ses plans, réforme administrative et « pacte social de sortie du Covid ».
Le passe « sanitaire » conditionnant le droit à l’emploi est au centre de cette politique. Ce sont, cette fois-ci, et depuis le 15 octobre dernier, 6 millions de travailleurs italiens qui sont menacés, et c’est là bien entendu le biais pour opérer « restructurations », fermetures et réorganisations.
Déjà, aucun militant ouvrier sérieux ne pouvait, en France, passer sous silence l’attaque perpétrée contre la santé publique au motif fallacieux de la vaccination. En Italie, c’est l’ensemble de la production qui est visée, l’ensemble du salariat.
Or, la résistance, voire la contre-attaque, s’affirment de plus en plus. Le verrouillage des directions confédérales a fait que la réaction élémentaire des travailleurs n’est pas passée par la CGIL. Elle est passée par les « syndicats de base », une dizaine d’organisations désignées le plus souvent sous le nom de « Cobas », nées dans les années 1980 dans l’enseignement, suite au mécontentement de travailleurs envers la politique de la CGIL, avec une composante libertaire. Ces organisations avaient appelé à une grève générale contre les licenciements et contre les négociations de Draghi et des centrales « officielles », le 11 octobre dernier. Son succès a dépassé toute prévision, et a été marqué par la mise en avant, par les travailleurs en grève, du rejet du passe soi-disant sanitaire. Le secteur qui s’est porté en avant du combat social est celui de la logistique et des ports et docks, notamment à Gênes, Trieste et Cagliari. Par rapport à toute l’histoire sociale de l’Italie ces dernières années, c’est un tournant, et à l’échelle européenne, ce sont les premières grèves de masse explicitement dirigées contre le pass, avec celles, significatives mais plus réduites, des bibliothécaires en France.
La différence dans la réalité des grèves contre le pass, entre l’Italie et la France, tient certes à l’ampleur de l’attaque de Draghi, inspirée par celle de Macron mais beaucoup plus ample, et de signification européenne. Elle tient aussi à ce qu’un secteur du syndicalisme, avec une existence nationale, n’a pas marché dans l’union sacrée soi-disant contre le virus, et a osé appeler à l’action, des centaines de milliers de travailleurs, au-delà de l’implantation des Cobas, s’étant saisis de cet appel. De ce point de vue, il n’est pas sans intérêt de réfléchir à la différence entre le non alignement des Cobas sur l’union sacrée et l’orientation de Solidaires, notamment, en France …
Deux jours avant cet évènement majeur, une provocation organisée par le groupe fasciste Fuerza Nuova, avec la complicité de secteurs policiers, avait lieu à Rome en marge d’une manifestation anti-pass, avec le saccage du siège de la CGIL. Avec le recul de quelques jours, il est à présent possible de dire que la vraie riposte à cette agression a été la grève générale politique d’un million de travailleurs deux jours après, qui a aussi été un mouvement de dénonciation de cette attaque fasciste.
Par contre, la direction de la CGIL a réagi en appelant à une manifestation nationale à Rome une semaine après, le 16 octobre, « contre tous les fascismes » – on notera cet étrange pluriel à « fascisme » : il vise à suggérer que les mouvements anti-pass sont « fascistes » -, « pour la constitution », « pour la démocratie », « pour le travail », « pour la participation » – la « participation », c’est-à-dire la collaboration institutionnalisée syndicats-patrons-État, et la « constitution », sont ainsi amalgamées à la démocratie …
Cette manifestation, bénie par Mario Draghi qui n’est pas allé jusqu’à y participer, a réuni 200.000 participants selon ses organisateurs, les orateurs de la CGIL, de la CISL, de l’UIL, et de la CES (Confédération Européenne des Syndicats) dont la CGIL est une force motrice de l’orientation de collaboration institutionnalisée avec les États capitalistes. Le chiffre réel est sans doute beaucoup plus faible.
Cette manifestation a pourtant eu un soutien européen. « Siamo tutti antifascisti », affichait SUD-Santé. Plusieurs UD CGT aux responsables liés à la FSM (Fédération Syndicale Mondiale) ont envoyé des petites délégations à Rome. Le PTB (Parti Belge du Travail, mao-stalinien) se félicite d’avoir été, à cette occasion, officiellement reçu au siège de la CGIL, le matin de la manifestation. La FSM, organisation dont le membre le plus célèbre est un patron du nom d’Alexandre Loukatchenko, aurait-elle sauté sur l’occasion pour nouer des liens avec la CES jusque-là vouée aux gémonies ? Loin d’être impénétrables, les voies de l’union sacrée seraient-elles si transparentes ? …
Quoi qu’il en soit, ce renfort n’a pas transformé la « grande manifestation antifasciste » en véritable manifestation des larges masses : elle est restée principalement un rassemblement de délégués, de militants et de retraités.
Par contre, le mouvement de classe, le mouvement de fond, s’est poursuivi. Appelée lors des AG du lundi 11 à Trieste notamment, des grèves de masse ont éclaté le vendredi 15, jour de la mise en place du pass licenciement. La grève a été reconduite dans les transports et la collecte des ordures à Milan, celui d’Ancône depuis le 20, et les dockers de Trieste qui occupaient leur lieu de travail ont été évacué brutalement par la police le 18, avec, fait honteux, le soutien de la CGIL qui a demandé officiellement la « libération » du port ! Franchement, qui sont les antifascistes : les grévistes ou les briseurs de grève ?
Les manifestation anti-pass du samedi, que des complotistes, antivax et fascistes avaient commencé à truster, sont maintenant en train de se réorienter massivement autour de cette nouvelle colonne vertébrale : celle des travailleurs en grève et des AG de dockers et de marins. Le 30 octobre prochain, se prépare une montée nationale des dockers à Rome en même temps que les Cobas appellent à une grève nationale contre le sommet du G20 prévu à Rome, précédée par l’entrée en grève du port de Gênes à partir des 25-26 octobre. Il y a donc une perspective de montée sociale et de regroupement, contre le gouvernement, contre le patronat, contre la collaboration syndicats/État/patrons, contre le pass.
Dans cette situation, bien que nous n’ayons pas trouvé de chiffres, il est probable que le nombre de licenciements prétendument sanitaires, que veulent faire Draghi, le patronat, et Landini, est très réduit pour l’instant par rapport à leurs ambitions antisociales, et nullement sanitaires.
L’antifascisme véritable est là, et pas ailleurs. De petites organisations dispersées, de tradition radicalement antifasciste, appellent à la grève et toute la logistique et les ports italiens sont touchés. Les travailleurs sont-ils « zemmourisés » ? Regardez la leçon de choses italienne. C’est notre histoire qu’elle raconte ! Encore faut-il qu’on soit avec les travailleurs et qu’aucun paravent, aucun fétiche, fut-ce un vaccin utile, ne vienne servir de feuille de vigne à l’union sacrée avec l’ennemi de classe !
VP, le 23/10/2021.