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Comment les sondages contribuent à légitimer Zemmour
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Comment les sondages contribuent à légitimer Zemmour | L’Anticapitaliste (lanticapitaliste.org)
Zemmour par-ci, Zemmour par-là : impossible d’échapper, depuis la rentrée de septembre, au matraquage médiatique autour du presque possible candidat Zemmour. Un matraquage qui s’appuie entre autres sur des sondages, publiés à un rythme effréné, qui, s’ils n’expliquent pas à eux seuls le « phénomène Zemmour », contribuent largement à la légitimation de l’un des nouveaux hérauts de l’extrême droite.
Le sociologue Pierre Bourdieu écrivait au sujet des sondages que « dans le simple fait de poser la même question à tout le monde se trouve impliquée l’hypothèse qu’il y a un consensus sur les problèmes, autrement dit qu’il y a un accord sur les questions qui méritent d’être posées. »1 En d’autres termes, les sondages participent de cette illusion selon laquelle les questions qui sont posées aux sondéEs seraient celles qu’ils et elles se posent, alors qu’en réalité ce ne sont que celles que posent les sondologues et ceux qui leur commandent des enquêtes. Des bulles politico-médiatiques sont ainsi construites, autour de tel ou tel sondage, appuyé sur tel ou tel fait divers, qui alimentent le commentariat journalistique et les « petites phrases » des politiques, reléguant au second plan les autres questions, y compris celles qui préoccupent réellement la majorité de la population.
L’installation d’une candidature
Les sondages pré-électoraux n’échappent pas à cette règle, et contribuent largement, a fortiori dans la mesure où ils sont repris et commentés dans la plupart des grands médias, à imposer non seulement des thématiques mais aussi des personnalités dans le débat politique. Les sondages jouent un rôle essentiel, du fait de leur hyper-médiatisation, dans la construction même du débat médiatique et donc public. Tel titre de presse publie un sondage, il sera commenté par tel autre, les invités d’un troisième média sont questionnés sur ledit sondage, ceux d’un quatrième sur les réactions des précédents, etc.
Le cas d’Éric Zemmour est à cet égard exemplaire, qui est « testé » dans les sondages depuis plus de trois mois alors qu’il n’a même pas déclaré sa candidature. D’après un décompte réalisé par l’observatoire des médias Acrimed2, ce sont ainsi pas moins de 12 sondages qui ont « testé » Éric Zemmour entre le 5 juillet le 4 octobre, concourant largement à l’installer dans le paysage politique et médiatique comme un candidat « naturel » – et donc légitime – à l’élection présidentielle. La mécanique est implacable : demander à des sondéEs s’ils et elles seraient prêts à voter pour Zemmour, c’est contribuer à transformer Zemmour-l’essayiste-d’extrême-droite en Zemmour-le-candidat-à-la-présidentielle.
Une co-production médiatique
Il ne s’agit évidemment pas de dire que Zemmour serait une pure création médiatico-sondagière et que ses scores élevés dans les sondages ne correspondraient pas à une dynamique plus globale d’extrême droitisation du champ politique. Mais il est indéniable que les grands médias, notamment au moyen de la commande, de la publication et du commentaire de sondages, sont largement co-producteurs de la candidature Zemmour. Une co-production qui ne signifie nullement une adhésion à ladite candidature – sauf dans le cas de CNews – mais qui résulte de logiques internes au système médiatique, au sein duquel les mécanismes de la concurrence favorisent la recherche du vrai-faux scoop et du « buzz », quitte à renoncer aux règles élémentaires de la production journalistique.
On ne doit jamais oublier que, dans une certaine mesure, « ce ne sont pas les sondages qui se trompent, mais ceux qui les commentent et leur font dire ce qu’ils ne disent pas. »3 Ainsi, affirmer, six mois avant l’élection, sur la base d’un sondage, « [qu’]Éric Zemmour serait qualifié pour le second tour de la présidentielle » n’a absolument aucun sens, mais pas aucun effet…
Certains n’hésitent pas à proposer l’interdiction des sondages électoraux4, une mesure qui ne manquerait pas de susciter une levée de boucliers, tant chez les politiques que chez les éditorialistes spécialistes du commentaire. Sans aller jusqu’à revendiquer, ici et maintenant, une telle interdiction, le moins que l’on puisse faire est de poser ouvertement le problème de la responsabilité des sondeurs et des sondomaniaques dans la crise démocratique qui se renforce chaque jour un peu plus – bien au-delà de la seule question des élections.
- 1.Pierre Bourdieu, « L’opinion publique n’existe pas », 1972.
- 2.Pauline Perrenot, « Zemmour : un artéfact médiatique à la Une », acrimed.org, 5 octobre 2021.
- 3.Patrick Champagne : « Les sondages sont un instrument idéal pour les démagogues », regards.fr, 12 décembre 2016.
- 4.Lire par exemple Alain Garrigou, « Interdire les sondages électoraux », blog du Diplo, 18 décembre 2014.