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Metropolis, de Philip Kerr

livre

Lien publiée le 3 novembre 2021

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Metropolis, de Philip Kerr | L’Anticapitaliste (lanticapitaliste.org)

Points policiers, 390 pages, 9 euros.

Berlin, 1928. La ville bouillonne de la misère et de la décomposition sociale qu’a entrainées l’effondrement de la monnaie à la suite de la défaite de 1918 et des conditions imposées par les « vainqueurs ». Des centaines d’anciens combattants mutilés, estropiés, mendient aux quatre coins de la ville. Des milliers de femmes doivent se prostituer pour survivre, les gangs mafieux pullulent et les nazis sont déjà en embuscade. Pourtant Berlin rayonne aussi de tous les feux avant-gardistes : Metropolis, le film de Fritz Lang, vient de sortir tandis que l’Opéra de quat’sous de Berthold Brecht et Kurt Weil connait ses dernières séances de répétition. Quand les corps de quatre prostituées sont retrouvés massacrés dans un même quartier, Bernie Gunther1, jeune flic idéaliste à la brigade des mœurs, est invité à rejoindre le chef de la Criminelle pour enquêter sur l’affaire.

Fantastique mise en musique de la série des « Bernie Gunther »

En 1986, dans l’Été de cristal, premier roman de la « Trilogie berlinoise », Philippe Kerr donnait vie au personnage de Bernie Gunther. Il nous plongeait alors dans le Berlin de 1936 où triomphait le nazisme qui préparait ses jeux Olympiques. Bernie était déjà présenté comme un ancien as de la police criminelle, retiré de la police pour éviter d’obéir aux ordres du nouveau régime, mais finalement réintégré de force. Kerr va donc suivre les aventures de Bernie pendant toute la période nazie et les soubresauts des décombres du troisième Reich jusque dans les années 1950. Les 14 romans seront des succès et en apprennent plus sur la réalité du régime nazi et de ses nombreuses complicités que les meilleurs manuels d’histoire.

En 2017, se sentant malade, Philippe Kerr a voulu raconter qui était le Bernie Gunther d’avant l’arrivée au pouvoir d’Hitler et éclairer ainsi toute sa saga. Il aura juste le temps de terminer le roman avant de décéder l’année suivante. Il s’agit donc d’un roman posthume.

En 1928, notre héros est nommé inspecteur de police à la Kripo (« Kriminalpolizei » – police criminelle) de Berlin par le grand chef de la police Bernhard Weiss2(1880-1951), un ancien avocat juif. Bernie apprend vite les ficelles du métier d’un service qui se tenait alors à la pointe des méthodes modernes. « Il apprend aussi à dissimuler ou biaiser pour conserver son autonomie, comment éviter de se poser des questions existentielles pour survivre »3. La leçon lui sera bien utile quelques années plus tard quand le nazisme triomphera. Dans ce roman, nous rencontrerons aussi quelques ordures qui croiseront la route de Bernie dans la série, comme Arthur Nebe, autre policier ayant réellement existé, futur responsable d’un EinsatzGruppe en Ukraine qui massacra par balles plus de 40 000 juifs.

Sombre enquête dans une ville de Berlin fascinante

À peine intronisé, Bernie plonge dans le dossier de « l’affaire Station Porte de Silésie ». Une horrible histoire de jeunes prostituées assassinées et scalpées.

En épluchant le dossier, l’inspecteur fait la connaissance post-mortem des pauvres victimes. Mathilde Luz (27 ans), Helen Strauch (24 ans), Eva Angerstein (27 ans) et Louise Pabst, un travesti prénommé Fritz à la naissance qui travaillait le jour et fréquentait la nuit des cabarets. Comme les autres, Louise a été frappée d’un coup de marteau qui lui a brisé la nuque, mais a survécu et se trouve à l’hôpital, sans avoir été scalpée puisque porteuse de perruque.

Le modus operandi criminel est nommé « Winnetou » comme l’Apache, personnage ultra populaire créé en 1879 par Karl May, qui mettait le western à la sauce allemande. Les indices sont maigres mais Bernie finit par retrouver le père d’une victime, un chef de mafia qui contrôle les gangs de Berlin. Ce dernier avait perdu la trace de sa fille, il propose d’aider Bernie à retrouver l’assassin. Mais voilà que ce sont des éclopés de la guerre qui sont éliminés, d’une balle dans la tête. Les crimes sont revendiqués par un certain docteur Gnadenschuss (littéralement « coup de grâce ») qui provoque la police par des lettres envoyées à la presse. Bernie doit abandonner les meurtres de prostituées pour se mettre sur cette nouvelle affaire. Mais est-ce vraiment une nouvelle affaire ? Et la vérité doit-elle être connue ?

Tous ces crimes s’accordent avec l’état d’esprit qui se répand dans le sillage du parti nazi. Il faut éliminer les inutiles, symboles d’une faiblesse nationale intolérable. La maestria de Philip Kerr est impressionnante pour développer l’intrigue, les études de caractère et évoquer l’époque (y compris du point de vue artistique, il est notamment question du mouvement dada et de la scénariste de Fritz Lang, Thea Von Harbou dont le film donne le titre du livre).

Ultime pari réussi de Kerr qui nous montre la construction d’un homme intègre, mélancolique et tourmenté, et qui s’apprête à traverser la pire des périodes. L’occasion de lire ou relire tous ces romans qui ont ouvert une nouvelle voie dans la littérature.

  • 1.L’inspecteur Bernie Gunther est le protagoniste principal d’une série de 14 romans dont la fameuse « Trilogie berlinoise », tous en poche aujourd’hui chez Points. La plupart ont déjà été chroniqués dans nos colonnes.
  • 2.Bernard Weiss a réellement été chef de la police avant d’être obligé de fuir à Londres à la prise de pouvoir par Hitler.
  • 3.Extrait de la préface de Dominique Manotti.