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En Guadeloupe : de l’obligation vaccinale à la crise sociale, la piqûre est devenue politique
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Aux Antilles, l’obligation vaccinale a été la « goutte d’eau » qui a mis ces territoires d’Outre-mer en ébullition. Derrière la méfiance envers le vaccin anti-Covid pointe la défiance envers l’État français.
Avant qu’elle ne devienne sociale, la crise aux Antilles est d’abord sanitaire, déclenchée par l’opposition d’une partie de la population de Guadeloupe et de Martinique à l’obligation vaccinale pour les soignants. Dans les deux territoires, les chiffres de la couverture vaccinale contre le Covid restent faibles. Fin novembre, 39,4 % des Martiniquais et moins de 47 % des Guadeloupéens ont un schéma vaccinal complet. L’instauration du passe sanitaire, à la fin octobre dans les Antilles, n’a pas provoqué le même sursaut que dans l’Hexagone.
« On nous ment sur l’efficacité de ce vaccin », dit Sandhya Féras, infirmière au CHU de Pointe-à-Pitre. « Notre meilleur argument c’est le Premier ministre Jean Castex qui nous l’a donné : il doit avoir reçu deux, trois, soixante-dix doses et il est quand même positif au virus ! » renchérit Aubert Archimède, kinésithérapeute guadeloupéen, suspendu pour ne pas s’être fait vacciné. Une partie des Antillais juge que la balance bénéfice-risque du vaccin penche du mauvais côté. La faute à des informations jugées « peu claires » voire contradictoires par 54 % des Guadeloupéens, selon l’institut de sondages Qualistat, basé aux Antilles, qui a réalisé une enquête d’opinion sur les Guadeloupéens et le vaccin Covid-19. « On entend qu’un tel est mort du vaccin, qu’un tel a développé de dramatiques effets secondaires », rapporte Andrée, habitante de Basse-Terre travaillant dans l’éducation. Les rumeurs, transmises par le bouche-à-oreille, par messages Whatsapp ou Facebook, ont vite fait de se répandre.
En filigrane, se pose aussi la crainte d’un vaccin non adapté aux populations noires, expose l’enquête d’opinion de Qualistat. Au cours des groupes de parole organisés pour l’étude, des Guadeloupéens s’étonnaient aussi qu’aucun vaccin n’ait encore été trouvés contre le zika ou le chikungunya, deux virus répandus dans l’île. Beaucoup préfèrent se tourner vers les pratiques de soin traditionnelles. La pharmacopée locale regagne en popularité.
« L’agence régionale de santé a joué les gros bras »
Parallèlement, la dangerosité du virus ne cesse d’être questionnée. « Même durant la quatrième vague qui a été meurtrière, on continuait à nous accuser de mensonge, à dire qu’il n’y avait personne en réanimation », témoigne Benjamin Garel, ancien directeur du CHU de Fort-de-France. Des voix fortes, dont de leaders syndicaux, accusent les autorités de manipuler les chiffres afin de restreindre les libertés des Antillais, via des couvre-feux et des confinements successifs. Rappelant qu’à l’orée de la pandémie, quand la première vague épidémique submergeait l’Hexagone, l’État ne s’était pas gêné pour confiner la Martinique et la Guadeloupe alors même que le virus y circulait peu.
La communication officielle est particulièrement « mal perçue » aux Antilles, souligne Ericka Merion, directrice associée de l’Institut Qualistat. Les paroles de l’agence régionale de santé (ARS) et de la préfecture convainquent peu : « Les fonctionnaires à leur tête, blancs majoritairement, ne restent que pour des mandats de quelques années, détaille Ericka Merion. Les Guadeloupéens ne les trouvent pas forcément légitimes pour leur dire ce qui est bon pour eux. »
Des erreurs dans la stratégie de l’ARS sont pointées du doigt. Afin d’accélérer la vaccination, mais aussi pour des raisons logistiques de conservation des doses, l’agence a misé sur les vaccinodromes plutôt que de s’appuyer sur les médecins de ville, faisant fi des relations de confiance construites au fil du temps. « L’ARS n’a pas fait de stratégie différenciée, elle ne s’est pas appuyée sur les associations de quartiers ou les médiateurs. Elle a préféré jouer les gros bras », a critiqué Patrick Karam, vice-président du Conseil représentatif des Français d’Outre-mer, sur la chaîne Canal 10. La forme même du vaccinodrome et sa vaccination en public n’a pas aidé à convaincre les indécis.
« Une bonne partie l’a fait la mort dans l’âme »
« Certains préféreraient se faire vacciner sans que ça se sache. Il y a l’idée qu’accepter le vaccin, c’est trahir une cause », rapporte Ericka Merion. La « piqûre » est devenue politique dans des territoires dont l’identité se construit parfois dans l’opposition vis-à-vis de l’État. Cet État qui a « trahi » les Antillais, les a « abandonnés » – pour citer les grévistes. Guadeloupe et Martinique font face depuis des années à de graves scandales sanitaires, dont le manque d’eau courante (voir notre article) ou la pollution au chlordécone, un insecticide hautement toxique mais répandu massivement dans les bananeraies entre 1972 et 1993, grâce à des dérogations ministérielles [1]. « L’empoisonnement au chlordécone, l’État s’en fiche. Alors pourquoi, soudainement concerné par notre santé, s’acharne-t-il à rendre ce vaccin obligatoire ? » questionne Sandhya Farès, qui conclut que « c’est suspect ».
C’est le caractère obligatoire de la vaccination qui a surtout suscité l’opposition, en particulier parmi les soignants. « Sans ça, les gens se seraient davantage fait vacciner », pense Andrée, de Basse-Terre. La confusion est d’ailleurs souvent faite entre opposition à l’obligation vaccinale, que revendiquent les syndicats, et opposition au vaccin. Près de 90 % des soignants hospitaliers et libéraux de Guadeloupe sont désormais vaccinés. « Une bonne partie l’a fait contrainte, la mort dans l’âme », estime Aubert Archimède. Jocelyn Zou, sapeur-pompier guadeloupéen du syndicat Force ouvrière, également concerné par l’obligation vaccinale, affirme qu’un « certain nombre a des faux certificats ».
Comme dans l’Hexagone, c’est le personnel paramédical (infirmières et infirmiers, aide-soignantes…) qui affiche le plus de résistance. Une poignée de médecins locaux sont également suspendus. Parmi eux, Marie-Aline Faraux, radiologue depuis plus de vingt ans. « En tant que Guadeloupéenne, du fait de l’histoire de mon peuple, j’ai une défiance accrue vis-à-vis de tout ce qui est forcé », explique-t-elle. L’obligation vaccinale fait ainsi écho à un néocolonialisme latent.
Le 26 novembre, le gouvernement a proposé un sursis à l’obligation vaccinale, jusqu’au 31 décembre, aux personnels de Guadeloupe et de Martinique. Les individus suspendus seront réintégrés s’ils s’engagent par écrit à un « échange individuel ». Marie-Aline Faraux, elle, ne cédera rien tant que la loi ne sera pas levée. « C’est une lutte qui, au fond de moi, entre en résonance avec ce qu’ont subi mes ancêtres. Eux n’avaient pas le choix. Moi je dis non, quitte à faire des sacrifices », assure la radiologue.
Marion Lecas
Photo : Le collectif Lyannaj Santé, regroupant des soignants libéraux opposés au vaccin, dont la plupart sont suspendus de leurs fonctions, le 24 novembre 2021 à Pointe-à-Pitre. © Marion Lecas.
[1] Le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation a annoncé fin novembre qu’un décret reconnaissant le cancer de la prostate comme maladie professionnelle à la suite de l’usage de ce pesticide sera pris avant la fin de l’année.