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Reportage au meeting de Zemmour
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Reportage à Villepinte.
On sort d’une pandémie où le pays a été porté à plus de 75 % par des femmes, les gens ont tous souffert psychologiquement, financièrement, moralement, et voilà que ce dimanche 5 décembre, un caudillo de plateau télé vient à Villepinte pour rajouter une louche de haine et de peur acide sur des plaies encore vives.
LE NOSFERATU FASCISTE
Le soir précédent ce grand meeting, qui devait introduire la campagne du journaliste-candidat, un collectif de citoyens/gilet-jaunes avait déposé une autorisation de rassemblement à bonne distance du sinistre Nosferatu pétainisto-gaulliste. Rendez-vous fut donc pris à 13 heures au niveau du rond-point du Bois de la Pie, à l’angle avenue de la Plaine de France, à Tremblay. Pour manifester notre désaccord avec ce discours d’intimidation, le lieu de rassemblement avait était choisi à dessein à environ deux kilomètres du Parc des Expositions. Nous ne voulions pas « faire taire » le Z, mais simplement être là afin de montrer au monde que le diable n’existe que pour ceux qui croient à ses gesticulations.
L’ambassade américaine accordait par avance au Z le statut d’ange exterminateur planétaire. Ils avaient conseillé à leurs concitoyens d’éviter la zone du meeting, mais aussi l’autoroute A1 qui aurait pu être coupée, sans compter les perturbations sur le RER B, et pourquoi pas la fermeture de l’aéroport Charles de Gaulle que les antifas auraient pu attaquer depuis l’espace par des moyens pyrotechniques ? Visiblement les fantasmes techno-paranoïdes de Donald Trump sur l’imminence d’un complot antifa mondial ont marqué durablement les services du renseignement américain.
En citoyen/Gilet Jaune un peu naïf, je me suis rendu à ce rassemblement, pensant que la police ferait son travail en protégeant notre liberté de manifester et d’exprimer la simple possibilité d’idées divergentes, nous séparant d’éventuelles milices racistes se chauffant principalement derrière des écrans plutôt que se fatiguer à intervenir dans des luttes sociales réelles pour que progressent des droits effectifs. Il n’y a qu’a voir le clip de campagne du Z pour comprendre que la réalité est une planète qui est assez étrangère aux fascistes. On aurait pu penser que ses supporters viendraient afin de soutenir l’effort de leur champion en l’accompagnant de leur protection. Mais en fait non, les milices fascistes se prenaient pour la police du quartier, du moins semblaient-elles avoir été investies de cette mission par la préfecture.
SUPPLÉTIFS
C’est là que je pus découvrir que le 9.3 était à l’évidence une zone de non droit et qu’il est très étrange de revivre ce que m’avaient raconté des années auparavant des républicains espagnols de la montée du franquisme : j’ai vécu cette journée comme l’installation d’un caudillo pathétique dans l’espace publique de mon propre pays.
Arrivé sur place, peu habitué à cet immense no man’s land qu’est la parc des expositions, chacun.e cherche le lieu du fameux rassemblement. C’est là qu’on apprend que ce dit lieu a été évacué par les milices fascistes. À la base, celle-ci sont censées protéger le propagateur de haine, le fameux ventilateur à angoisse que toute la planète nous envie, mais voilà que ces milices se sont projetées ce jour sur des champs d’intervention en opérations extérieures (OPEX) au meeting. Il s’agissait de pacifier la totalité du terrain autour du meeting avec la bénédiction de la maréchaussée.
Les néo-troufions sont venus chaussés de gants d’intervention militaires coqués sans avoir l’air de savoir que cela constitue un délit devant un juge pour la simple et bonne raison que c’est une arme par destination. On a vu d’autres individus, probablement peu sûrs de leurs arguments, venir armés de poing américains. Ils ont évacués la place par des charges qui mimaient celles des CRS, sous les yeux d’une police indifférente au fait que d’autres qu’elle effectuent un travail qu’elle aurait aimé faire mais pour laquelle elle n’avait évidemment reçu aucun ordre.
Les coups ont donc plu sur les militants citoyen/Gilet Jaune un peu naïfs, mais il faut bien remarquer que les citoyens les plus racisés ont à ce moment reçu quant à eux une double portion de gnons, voire une triple peine quand les flics sont intervenus à leur tour. Une soignante infirmière très habituée des manifestations de ces dernières années a communiqué à cette occasion sa surprise du nombre très important de blessés en si peu de temps : onze en quelques minutes. De toute évidence les coups étaient portés non pour disperser la foule mais pour occasionner des plaies ouvertes. Quelques journalistes présents en ont fait l’amer expérience, l’un d’eux aurait eu la nuque ouverte. La police est venue dans un deuxième temps pour fignoler le travail des apprentis CRS. Elle n’a pas arrêté les agresseurs mais les agressés qui ont pu subir contrôle d’identité et fouille systématique. Les fascistes n’ont quant à eux eu à subir aucune fouille ni aucun contrôle d’aucune sorte malgré l’exhibition d’armes blanches de sixième catégorie.
Nous avons vécu ici concrètement l’expérience de l’installation du fascisme dans un pays qui se croyait autrefois l’inventeur d’un modèle de démocratie égalitaire. Les sondages ont rapporté la fascisation de pans entiers de la police mais l’emploi de supplétifs pour couvrir une évacuation illégale et en dehors de toute protection du droit de manifester afin d’exprimer une opinion contradictoire donne effectivement le ton d’une nouvelle époque.
Alors que nous portions un jeune blessé racisé, un gradé m’a éructé au visage « -Sale gaucho, vous ne savez rien faire d’autres que venir emmerder les gens ». Je lui ai répliqué que « je respectais ses convictions de droite, que mon objectif n’était pas de l’insulter comme il le faisait lui, mais que lui était payé pour garantir mon droit de manifester même si je n’étais pas du même camp que lui ». Son sentiment d’être dans son bon droit après l’évacuation d’un lieu déposé pour notre manifestation, l’expression brutale et sans filtre de ses propres opinions politiques sans qu’il ne semble soumis à un devoir de réserve m’a sidéré.
Il y a fascisme quand des bandes armées politisées suppléent l’exercice d’un pouvoir autoritaire et finissent pas se prendre pour des soldats d’élite alors qu’ils ne sont que de simples copains de beuveries. Les SS, (Schutzstaffel), « escadrons de protection » qui étaient à l’origine de simples « gardiens de la salle » fut ainsi élevée au rang de forces d’élite de l’État allemand pendant le troisième Reich. Ce qui permit sur le front de l’Est de perpétrer toutes sortes de crimes (un minimum de 6 millions de morts) sans que l’armée régulière ne se sente pénalement concernée par ces exactions meurtrières.
RECONQUISTA, REMIGRATION, NAZISME
On va dire qu’on atteint ici le point Godwin de la discussion mais si l’on regarde bien de quoi il s’agit, la notion de « grand remplacement » est liée à celle de « remigration » de manière systématique dans le discours nazi.
Quand Zemmour parle de « reconquête », ceci évoque aussi la « Reconquista » de l’Espagne (la reprise aux arabes de la péninsule ibérique).qui fut un des thèmes de prédilection du franquisme. Il y a toujours chez les réactionnaires le fantasme que quelque chose a été perdu de manière irrémédiable et qu’un voyage dans le temps peut inverser les choses. D’où ce qu’on a identifié comme un micro dans le discours de présentation du candidat Zemmour est peut-être en fait une machine secrète à remonter le temps.
Le problème avec cette machine fantasmagorique c’est qu’un orateur nazi se promène tranquillement dans le pays pour faire des meetings afin de propager l’idée de ’grand remplacement’, et de ’remigration’ sans que les gens y voient un appel au crime. C’est pourtant ce que l’histoire nous enseigne.
Quand on vous dit « -Sale gaucho, vous ne savez rien faire d’autres que venir emmerder les gens », on ne vous demande pas simplement que chacun puisse rester chez soi afin de raciser en toute tranquillité. Cette racisation « privée » a un autre aspect : l’articulation d’un grand remplacement et d’une remigration sont des idées systématisées par les nazis. Les remettre aujourd’hui en circulation dans le seul but de se faire une carrière (manière Doriot, Laval ou l’ensemble des arrivistes du régime de Vichy) est une démarche que l’histoire nous révèle comme criminelle.
J’ai compris ceci parce que les hasard de l’existence m’ont fait remonter dans ma propre belle-famille des filières nazies depuis plus de 20 ans. Et j’ai compris deux choses. D’abord que les SS n’ont pas eu les lectures que les meilleurs historiens de l’extrême-droite croient qu’ils ont. Ce qu’ont lu les Waffen SS et les engagés de la NSKK française par exemple, ce n’est pas Mein Kampf mais La Race, nouvelle noblesse du sang et du sol de Walter Darré. Ce livre a été leur principal manuel d’instruction et de formation dans les camps d’entraînement de Vilvorde en Belgique. C’est avec le rabâchage de ce genre d’idées qu’on leur a lavé le cerveau tout en les entraînant à la formation des armes . Darré, ministre de l’agriculture du Reich est un auteur obsédé par des questions de déplacement de population et de reconquête d’un grand espace vital pour le Reich. Quand j’ai rencontré ces gens là en 2013, ils ne lisaient pas Renaud Camus comme le racontent les journaux, mais Hervé Lalin, dit Ryssen.et plus particulièrement son opuscule Comprendre le judaïsme, comprendre l’antisémitisme qu’ils considéraient comme le nouveau bréviaire à l’usage des jeunes générations : la suite des idées de Darré mais pour la nouvelle époque qui venait et qui devait venir racheter leur défaite.
La thèse délirante de cet ouvrage consiste à dire que les juifs sont congénitalement des êtres qui ont un problème d’identité lié à leurs migrations, que ce problème d’identité produit leur pédophilie et leur homosexualité notoires (sans distinction des termes), que les cinéastes hollywoodiens sont tous juifs et qu’en tant qu’homosexuels ils dévirilisent les blancs au travers de films qui sont les modèles d’une dévirilisation et d’une dé-masculinisation globale. C’est ainsi que ces derniers sont l’objet d’une perte d’intérêt de leur femme qui se retrouve de facto attirée par les noirs. Ceci crée le grand remplacement de la race blanche. Aussi délirante soit-elle, c’est sur cette thèse que tient l’idée de grand remplacement. Ce délire logique permet de faire tenir dans une même construction délirante un antisémitisme très ancien, une homophobie et une misogynie, alliées à une négro-phobie délirante tout en suggérant l’idée que les mâles blancs doivent reconquérir leur place perdue.
Derrière la mise en rapport et la systématisation des thèmes de « grand remplacement », de « reconquête » et de « remigration » [1] il y a simplement l’idée de « foutre les arabes à la mer » pour les lepénistes de base. Cela se passe effectivement actuellement dans la Manche, mais cela peut aussi conduire à des massacres de beaucoup plus grande ampleur comme cela a pu avoir lieu en Bosnie ou au Rwanda. Il suffit d’ouvrir Cnews dix ans durant et le robinet à angoisse diffuse un angoisse persistante dans les populations qui devient de fait un véritable danger public. Ce fut le rôle de la propagande de « Radio Mille collines » au Rwanda. La seule manière de résoudre cette angoisse est le passage à l’acte violent pour certains. Il n’en faut pas beaucoup pour que cela installe la terreur sur des populations entières, et voilà que reprend un cycle fasciste qui recompose à sa manière un nombre de thèmes assez limité. Vous savez peut-être que les nazis ont d’abord pensé régler la question juive en envoyant les juifs à Madagascar. C’est cela la « remigration » et quand des nazis en parlent vous comprenez tout de suite que lorsqu’on envoie quelqu’un à Pitchipoï pour s’en débarrasser c’est en fait pour l’éliminer physiquement. Celui-ci part pour une adresse inconnue.
A l’ouest de Berlin entre L’Olympia Stadion qui a accueilli les jeux olympiques nazis de 1936 on trouve une petite gare de banlieue nommée BERLIN GRUNEWALD. Cette charmante petite gare est peu fréquentée par la majorité des berlinois. Elle fait pourtant partie des six gares de banlieue à partir desquelles sont partis des convois quotidiens pour Riga, Theresienstadt, Auschwitz… et « Unbekannt ». Mot qui signifie en allemand « inconnu ». Le quai est silencieux. Les rails sont cassés, des arbres envahissent la voie. On monte les marches d’un quai dont on comprend qu’il ne mène nulle part.
C ’est ce genre de processus que donnait à voir de manière palpable les agissements de la police française et leurs supplétifs en ce jour de meeting à Villepinte. Qu’on refuse d’en comprendre les conséquences participe déjà de la mise en place d’une forme de collaboration passive, de même que la croyance qu’une manifestation dans Paris intra muros participe à une quelconque force de résistance à ces agissements. C’était peut-être ce genre d’aveuglement qui faisait aussi partie de la honte de ce jour.
Olivier Long
Photos : Serge D’ignazio
[1] Le 28 janvier sur le plateau de « Face à l’Info » : « Vouloir la remigration c’est considérer qu’il y a trop d’immigrés en France que ça pose un vrai problème d’équilibre démographique et identitaire, que l’identité de la France est en danger ». En 2014, interrogé par le Corriere della Sera, à la question d’une éventuelle remigration ou expulsion (« deportare » en italien), le chroniqueur de Cnews avait répondu, « je sais, c’est irréaliste, mais l’histoire est surprenante , Qui aurait dit en 1940 qu’un million de pieds-noirs, vingt ans plus tard, seraient partis d’Algérie pour revenir en France ? ».