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L’armée de l’ombre de Zemmour
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Pour faire campagne, Zemmour s’est assuré le soutien des militants les plus radicaux de France, s’affiche avec des membres de groupuscules dissous et échange des textos avec le leader d’un micro-parti très brun. Enquête.
Pour faire une campagne, il faut un programme et des militants expérimentés. La tête et les jambes. À ce stade, Éric Zemmour manque des deux. Mais il y travaille. StreetPress a enquêté sur les troupes levées par le candidat pour la Reconquête qu’il fantasme. Ces militants de l’ombre, au passé sulfureux, que le candidat accueille à bras ouverts. « On a été approchés pour faire la campagne », glisse à StreetPress une source au sein de l’Alvarium, groupe identitaire angevin qui vient d’être dissous par Gérald Darmanin. Des durs, aux CVs chargés, révélait Libé fin octobre : Agressions, violences en réunion, descentes à la masse dans un squat de gauche… Dans l’une de ces affaires, la victime raconte au passage avoir été forcée à effectuer un salut nazi par ses agresseurs.
La Zemmourie démarche un groupuscule dissous
Pas de quoi refroidir la Zemmourie, visiblement. « Un ancien flic de Paris, proche de Philippe Milliau », le coordonnateur de la campagne en Bretagne et dans les Pays-de-la-Loire, aurait discrètement démarché le groupe pour fournir des bras. Sans succès. « Génération Z a du monde, surtout dans notre département (le Maine-et-Loire, NDLR) dont la sociologie est favorable. Mais ce sont surtout des petits jeunes des milieux bourgeois : ils collent en centre-ville, mais ils ont du mal à aller au-delà… », explique la même source. Génération Z, ce sont surtout de jeunes militants bien peignés, mais sans réelle expérience d’une campagne de terrain qui s’annonce acharnée, voire brutale. D’autant que le mouvement apparaît essentiellement urbain et inégalement réparti sur le territoire. Il a donc fallu trouver des supplétifs. Pas forcément compliqué pour un candidat qui fait assaut de radicalité.
« Mes militants ont le cuir solide et ça sera utile quand il va falloir coller et faire face à nos adversaires d’extrême gauche sur le terrain », opine Thomas Joly. Il a offert à Zemmour les services de son ultranationaliste Parti de la France (PdF). Il explique avoir même fait imprimer sa propre propagande de soutien à Zemmour. Les premières affiches doivent arriver en janvier :
« On espère aussi aider pour les meetings locaux où nous sommes implantés : organiser, sécuriser, etc… »
Le PdF deale en direct avec Zemmour
Au PdF, on milite aussi bien sous le drapeau bleu, blanc et rouge que sous la bannière néofasciste à croix celtique… Le mouvement a même gagné le surnom de parti des skinheads de France, tant ils sont nombreux à être passés dans ses rangs, notamment au sein de son service d’ordre : le SEP (à ce sujet, lire La Horde.) On y trouve aussi des militants comme Pierre-Nicolas Nups, aperçu au meeting de Villepinte, ancien membre du GUDNancy et condamné en 2018 pour « incitation à la violence et à la haine en raison de l’orientation sexuelle » pour avoir appelé sur Facebook à « casser du PD ». Ou Cassandre Fristot, une militante condamnée fin octobre à six mois de prison avec sursis pour avoir brandi une pancarte antisémite « Qui ? » – sous-entendu « les juifs » – dans une manif anti-pass.
Mais Zemmour n’est pas du genre à faire la fine bouche. Thomas Joly, le président du PdF, assure même dealer en direct avec le candidat. Ils échangeraient régulièrement par SMS. « Il ne m’a jamais demandé de retirer notre soutien ou dit que le soutien du PdF était gênant », affirme celui qui a pris fait et cause pour le « Z » depuis des mois. Mais il dit aussi ne pouvoir parler qu’au chef, car « certains ex-LR par exemple sont effrayés dès qu’ils voient un nationaliste ». Du côté de l’équipe de campagne de Zemmour, on est effectivement gêné aux entournures. « Il n’y a pas d’accord entre les deux partis », écarte ainsi Antoine Diers. Ça tombe bien, personne ne l’affirme. Et à propos des SMS que Zemmour et Joly échangeraient ? « Je ne suis pas au courant… Mais en tout cas Éric Zemmour est heureux de tous les soutiens », conclut celui qui cumule les casquettes de directeur-adjoint de la stratégie de campagne et de porte-parole de Reconquête. On est loin d’un démenti…
Sur cette photo prise lors au meeting d'Éric Zemmour à Villepinte, on peut voir le militant Pierre-Nicolas Nups (tout à gauche), ancien membre du GUD Nancy et condamné en 2018 pour « incitation à la violence et à la haine en raison de l’orientation sexuelle » à côté de Thomas Joly, président du PdF. / Crédits : DR
Les ex de Génération Identitaire, comme à la maison
Au mois de février, quand le gouvernement annonce la dissolution de Génération Identitaire (GI), Éric Zemmour monte au créneau face à la caméra du Figaro :
« Je trouve ça très patriote de défendre ses frontières. Pendant des siècles, ceux qui défendaient leurs frontières étaient des héros. (…) Aujourd’hui on les criminalise. »
Dix mois plus tard, malgré la dissolution du mouvement pour sa violence et son racisme, le candidat marche main dans la main avec les ex-GI. Et Zemmour n’hésite pas à laisser apparaître Jérémie Piano à ses côtés lors de son déplacement à Marseille fin novembre. Le jeune homme est pourtant l’ancien porte-parole de GI et en était le leader à Aix-en-Provence. Au meeting de Villepinte, les cadres identitaires Aurélien Verhassel (Lille) et Étienne Cormier (Lyon) se sont également ostensiblement affichés dans les travées.
C’est aussi ce message adressé par le candidat à la présidentielle, le 8 décembre dernier. Dans une vidéo postée sur Facebook, il prend position contre le prétendu « déboulonnage » d’une statue de Napoléon à Rouen, cheval de bataille du groupe local « Les Normaux ». À savoir la resucée normande de Génération identitaire. Ils ont gardé le même local, « L’Yggdrasil », se contentant de le rebaptiser « Le Mora ». Ses militants organisent aussi des fight-clubs dans une cave, où on se bagarre en pantalon chino devant les copains qui boivent des bières.
GI, malgré la dissolution, est encore actif à Rouen donc, mais aussi à Lyon, Toulouse, Paris… Au total, ils ont déjà remonté des groupes locaux dans une dizaine de villes. Les noms changent mais les militants restent les mêmes. Leur capacité de mobilisation est toujours forte sur les réseaux sociaux notamment via des influenceurs comme Thais d’Escufon, ex-égérie du groupe. Mais « dans la vraie vie » aussi. À l’image de la récente procession aux flambeaux de Lyon (voir newsletters FAF des 7 et 14 décembre), sorte de manif annuelle du groupe dans la capitale des Gaules, qui a réuni plusieurs centaines de personnes.
Dans la Drôme, c’est Valence patriote, un autre avatar de GI qui, comme l’avait raconté StreetPress, est venu perturber une manifestation féministe et déclenché une bagarre fin novembre. Son leader, un ancien de Génération identitaire, participe à la boucle Telegram d’où s’organise la campagne de Zemmour dans le département et colle aux côtés de Génération Z. Il est aussi très copain avec Damien Tarel, le jeune homme qui a giflé Emmanuel Macron et fait depuis sa sortie de prison le tour de la fachosphère pour se vanter de son geste.
« L’Action Française n’a pas encore décidé qui elle soutiendra dans cette présidentielle », assure son secrétaire général Francis Venciton. Aurait-on trouvé un groupuscule d’extrême droite qui ne fait pas campagne pour Éric Zemmour ? « Mais il est vrai que localement, sans engager notre mouvement, un certain nombre de jeunes militants participent à la campagne, c’est leur liberté », concède Venciton. C’est même une bonne partie de l’AF qui collerait pour le candidat maurrassien. Logique, en fait.
Venez comme vous êtes
C’est en fait presque toute la droite de la droite qui, partout dans l’hexagone, a pris fait et cause pour Éric Zemmour. Il y a bien sûr les adeptes du pistolet à poudre noire de la Famille Gallicane, comme l’a révélé StreetPress début novembre. Des jeunes qui aiment s’exercer en tirant sur des caricatures racistes de juifs, de noirs et de musulmans. Et collent des affiches de Zemmour, donc. Ou Roland Hélie, un ex-cadre dirigeant du PFN néofasciste toujours influent qui concède contribuer à mobiliser dans son coin de Bretagne. « Zemmour ressuscite la droite bonapartiste », s’enthousiasme-t-il, affirmant cependant ne pas être vraiment impliqué dans la campagne. Tout au plus reconnaît-il filer un coup de main pour structurer le comité local et coller des affiches. « Beaucoup de monde nous a rejoints », s’enorgueillit-il aussi. « Nous », donc.
Plusieurs sources nous affirment également que le réseau « Les Braves » de Daniel Conversano se mobilise aussi pour Zemmour. L’influenceur d’extrême droite en a fait son candidat depuis des mois, séduit par son programme de « remigration ». Oui, Conversano : ce suprémaciste blanc qui a migré en Roumanie et appelle ses ouailles à fuir une France trop « bougnoulisée » à son goût… Plus radicaux encore sont les membres du canal Telegram « Les Vilains Fachos ». Des néonazis dont nous avons révélé les menaces de mort contre Jean-Luc Mélenchon, la députée de la France insoumise Danièle Obono, un syndicaliste étudiant ainsi que les journalistes Taha Bouhafs (Le Média) et Mathieu Molard, rédacteur en chef de StreetPress. Et qui étaient présents à la très sélect inauguration du QG de campagne parisien d’Éric Zemmour, ont découvert nos confrères du site Arrêt sur images.
Plusieurs sources affirment également que le réseau « Les Braves » de Daniel Conversano se mobilise aussi pour Zemmour. L’influenceur d’extrême droite en a fait son candidat depuis des mois, séduit par son programme de « remigration ». / Crédits : DR
Sans oublier, évidemment, les gros bras des Zouaves Paris. Ce sont eux qui ont par exemple été identifiés par Libé en train de cogner des militants de SOS Racisme au meeting de Zemmour à Villepinte. Ils étaient dans la salle. Pas à côté. Dedans. Et difficile de croire que la bande de nervis au look de hooligans a pu s’infiltrer discrètement… D’ailleurs, les organisateurs les ont remerciés pour « avoir fait le job » après le tabassage des militants de SOSRacisme, selon une vidéo du Huffington Post. Deux de ces cogneurs ont été arrêtés la semaine dernière, tandis que Darmanin a lancé la dissolution de leur groupuscule. Quant au candidat, il n’a pas condamné ni même pris ses distances. « Je ne veux pas calmer les ardeurs de mes supporteurs », a-t-il même affirmé deux jours après les violences de Villepinte.
Les militants des Zouaves Paris étaient présents à Villepinte pour le meeting d'Éric Zemmour. Ce sont eux qui ont par exemple été identifiés par Libération en train de cogner des militants de SOS Racisme. / Crédits : DR
Les conservateurs font la tronche
« Ça fait bizarre d’être assis à côté de ces gens que j’ai toujours combattus… », nous glisse ainsi un élu proche de Zemmour qui n’est pas issu de ce sérail radical. Encore très enthousiaste il y a quelques semaines, il est désormais beaucoup plus circonspect. Et il n’est pas le seul. Car dans les rangs de Reconquête, le nouveau parti de Zemmour on trouve aussi des militants issus de la droite conservatrice plus traditionnelle.
Ainsi de nombreux militants de l’UNI – le syndicat étudiant de droite – collent avec Génération Z. Mais surtout les réseaux cathos de la Manif pour Tous se sont mis au service du candidat. Émanation politique du mouvement d’opposition à la loi pour le mariage pour tous, le Mouvement conservateur est passé avec armes et bagages au service de la Zemmourie. Un membre de la mouvance note que si ce soutien pèse peu en matière de ralliements politiques, il est utile en termes de troupes et pourrait jouer pour les législatives, constituant un réservoir de candidats potentiels « bon chic bon genre » qui avaient jusqu’alors évité de se lancer en politique. Des personnalités moins clivantes qui « pourraient permettre au parti de Zemmour de réussir là où le RN a toujours échoué : nouer des alliances avec les LR pour des désistements en cas de triangulaires au second tour ».
Ainsi de nombreux militants de l’UNI – le syndicat étudiant de droite – collent avec Génération Z. La syndicaliste Margaux Taillefer est ainsi devenue la responsable de Génération Z dans les Pyrénées-Atlantiques. / Crédits : DR
Avec le soutien de Mégret
À l’arrivée, un grand arc des droites qui fait dire à une de nos sources, un historique de la mouvance, que « Zemmour est le premier à agréger tous ces réseaux ». Réalisant ainsi le rêve d’un certain Bruno Mégret. Cet ex du RPR a été l’un des principaux dirigeants du FN, jusqu’en 98 où il rompt avec Jean-Marie Le Pen pour créer le MNR. Mouvement qui a fini par péricliter. « D’une certaine façon, pour nous, Zemmour est l’héritier politique de Mégret », s’enflamme un ancien dirigeant du MNR, très proche de Mégret. « D’ailleurs il a donné l’autorisation à ses cadres de s’investir ». Plusieurs sources concordantes nous affirment que les mégrétistes figurent en bonne place dans les équipes chargées de coucher sur le papier le projet pour la France du candidat.
Mediapart avait déjà révélé l’implication dans la campagne d’anciens du MNR. C’est par exemple Grégoire Dupont-Tingaud, discret jusqu’ici mais qui figure désormais dans l’ébauche d’organigramme en tant que coordonnateur des référents régionaux du nouveau parti Reconquête. Ou dans un style plus discret encore Philippe Milliau, patron de la webtélé identitaire TV Libertés, qui coordonne donc la campagne du Z en Bretagne et dans les Pays-de-la-Loire. C’est un de ses proches qui a tenté de recruter l’Alvarium. Contacté, il s’emporte tout d’abord, refusant de répondre à nos questions « vicelardes ». Participe-t-il à la rédaction du programme ? Il ne nie pas, se contentant de louer « l’homme » Éric Zemmour qui l’a « séduit par son intelligence ».Gageons qu’avec de telles plumes, le programme de reconquête soit des plus radicaux.