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Mélenchon : “Nous mettrons fin à l’entre-soi technocratique”
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Jean-Luc Mélenchon : “Nous mettrons fin à l’entre-soi technocratique” | À la une | Acteurs Publics
Réforme de l’État, relations des citoyens aux services publics, gestion de la fonction publique, cadre budgétaire, performance publique… Dans une interview écrite, réalisée en partenariat avec le Cercle de la réforme de l’État, le candidat de La France insoumise à l’élection présidentielle, Jean-Luc Mélenchon, détaille sa vision de l’État et des services publics.
Quelle devrait être, pour vous, la place de la puissance publique par rapport aux autres acteurs dans la société ?
La puissance publique – et l’État en premier lieu – est garante de l’intérêt général et doit donc être centrale par rapport aux autres acteurs de la société. Au service de l’intérêt général, l’État est donc également au service des citoyennes et des citoyens. Garant de la démocratie, il doit entretenir le débat démocratique et la participation de toutes et tous, et donc le lien avec les mouvements citoyens, associatifs et syndicaux par exemple.
La crise sanitaire a renforcé l’État comme acteur central de la puissance publique. Pour vous, est-ce une parenthèse ou en ferez-vous un axe durable ?
La crise sanitaire se double d’une crise écologique, dont elle est un des symptômes. Le changement climatique est un événement historique à l’échelle de l’humanité. Nous plaidons pour qu’on y réponde grâce à la mobilisation collective et à l’entraide : l’État doit donc y avoir un rôle central.
Pour vous, que devrait être la réforme de l’État ? Parmi les réformes souhaitables dans l’État, lesquelles mèneriez-vous en priorité au cours des cinq prochaines années ?
La première des tâches est d’affronter la crise démocratique. L’abstention est désormais majoritaire à la plupart des élections. Une démocratie sans le peuple n’en est plus tout à fait une. Ainsi, dès le début du mandat, nous convoquerons une Assemblée constituante pour que le peuple se refonde en écrivant lui-même les règles du jeu démocratique. La Constitution de la VIe République sera soumise à référendum à l’issue de ses travaux.
Nous devrons réparer les dégâts du passé et reconstruire les services publics. Ce sont eux qui doivent garantir l’égalité d’accès aux droits et aux réseaux essentiels à la vie actuelle, quels que soient son statut personnel, ses revenus, son patrimoine, son lieu d’habitation. Le maillage fin de services publics qui faisait la richesse de notre pays a été détruit par plusieurs quinquennats de gestion néolibérale. Nous aurons à le reconstruire. L’Avenir en commun pose le principe que chacun doit avoir accès aux services publics essentiels (hôpital, école, bureau de poste, gare…) à moins de 15 à 30 minutes de transports de chez lui.
Enfin, l’État doit organiser la bifurcation écologique de nos modes de production, d’échange, de transport ou même de notre alimentation. Nous proposons pour cela une méthode : la planification écologique. Avec des moyens et effectifs renforcés pour cela, notamment dans ses services déconcentrés, il se positionnera en tant qu’organisateur et acteur direct de la bifurcation écologique plutôt qu’en simple producteur de normes. Ceci implique de recréer des pôles publics dans des champs essentiels à cette bifurcation tels que l’énergie et les transports.
Comment feriez-vous pour concevoir les réformes à réaliser dans l’État (recours à des experts, “comitologie”, consultation citoyenne, consultation des agents publics…) ?
Nous mettrons fin à l’entre-soi technocratique et nous nous appuierons largement sur les consultations citoyennes, pas seulement à l’étape de la validation des projets, mais dès la définition des besoins. Pour que ces débats aient lieu à un niveau très fin sur le territoire, les communes seront repositionnées dans leur rôle central en matière de démocratie locale et d’animation du débat avec les citoyens. L’expertise et la connaissance du terrain des agents publics seront également prises en compte.
À quelles attentes actuelles des citoyens l’État doit-il répondre prioritairement ?
L’État doit garantir des services publics de qualité et de proximité sur l’ensemble du territoire dans les domaines tels que l’éducation, la santé, la justice, les transports, etc. Il doit répondre à la forte défiance de la part des citoyens qui s’est instaurée face aux dérives de la Ve République et à l’exercice du pouvoir solitaire. Il doit enfin répondre aux fortes attentes en matière de bifurcation écologique et de planification, afin de garantir la survie des sociétés humaines et de nous adapter à la nouvelle donne climatique.
Que feriez-vous pour que l’État soit à même de conduire les grandes transitions ?
Nous renforcerons les effectifs de la fonction publique et nous réintégrerons au sein des services de l’État les compétences indispensables qui en ont été dissociées (agences, privatisations). Nous visons le recrutement d’1 million de fonctionnaires dans des secteurs indispensables tels que la dépendance, l’hôpital, l’éducation, la justice, la police, l’enseignement supérieur et la recherche ou encore la bifurcation écologique. Nous redonnerons à l’État son pouvoir de planification et de mise en mouvement de l’ensemble des autres acteurs (collectivités territoriales, filières industrielles, etc.).
Comment ferez-vous pour concilier l’aspiration à la différenciation territoriale et l’impératif d’égalité et d’équité ?
Nous sommes opposés à la “différenciation”, qui permettrait que des règles différentes s’appliquent selon les territoires. Tous les citoyens doivent être égaux : les règles doivent donc être les mêmes. Bien sûr, il faut tenir compte des spécificités géographiques notamment. C’est pourquoi, en même temps que la Constituante, nous convoquerons un congrès général des territoires éloignés et insulaires pour définir ensemble les formules communes les plus adaptées à leurs situations particulières, avec comme boussoles le plein respect de la souveraineté populaire et l’objectif d’une égalité réelle.
Comment faut-il, selon vous, réarticuler les politiques territoriales ? Y a-t-il lieu de modifier les compétences ? Si oui, dans quels domaines et selon quels principes de décentralisation ?
Nous affirmerons le rôle central des communes, qui sont la cellule de base de la démocratie locale, ainsi que des départements, qui doivent organiser le maillage équilibré du territoire en services publics. Nous mettrons fin à la superposition d’échelons technocratiques (métropoles, intercommunalités géantes…) qui éloignent les citoyens des prises de décision. L’organisation de l’État et de la décentralisation doivent répondre à des objectifs de politiques publiques, notamment écologiques, et non à des Meccanos technocratiques. Nous rendrons aux communes leur liberté d’association : leur coopération sous des formes souples et aux échelles adaptées à l’enjeu à traiter est essentielle.
Pour ce qui concerne les services de l’État lui-même, apporteriez-vous des changements aux caractéristiques actuelles de la déconcentration ? Aux relations entre autorités déconcentrées et collectivités territoriales ? À la liaison avec les territoires, aux modes de relations et de fonctionnement entre État et territoires ?
Nous rendrons à l’État déconcentré les moyens d’exercer ses missions : la mise en œuvre de politiques publiques, l’expertise, l’accompagnement des collectivités. Nous sortirons de la logique actuelle où l’État se défausse sur les collectivités et se contente d’organiser leur mise en concurrence, à travers des appels à projets auxquels seules les collectivités les mieux dotées techniquement sont en mesure de répondre. L’État et les collectivités territoriales forment un même bloc. Ils doivent construire l’action publique ensemble. Dans le cadre de la planification écologique, l’État s’appuiera sur les communes à la fois pour l’élaboration démocratique du plan, mais aussi pour sa mise en œuvre. Ainsi, les services déconcentrés de l’État, les départements, les communes et leurs structures de coopération travailleront main dans la main à organiser les maillages nécessaires, en services publics notamment, les chantiers à mener pour l’adaptation climatique, l’isolation des logements, le développement des énergies renouvelables.
Que feriez-vous pour améliorer la capacité d’anticipation et de prospective de l’État pour prévenir les crises sociales, sanitaires et écologiques notamment, et y faire face ?
Il faut d’abord que nos gouvernants comprennent l’origine de ces crises. Elles ne sont pas des accidents. Elles découlent d’une même source : le capitalisme de l’offre qui, en voulant diminuer par les pires violences de toutes sortes les prix de production et accélérer la circulation des marchandises, a épuisé les hommes et la nature. Nous devons conduire la bifurcation de l’appareil productif pour mettre en œuvre la règle verte : ne plus prendre à la nature davantage qu’elle ne peut reconstituer. Cela nécessite de modifier toutes les chaînes de production, de transport, de changer notre alimentation, d’adapter nos villes et l’ensemble des réseaux collectifs dont dépend notre existence quotidienne au contexte climatique. Pour cela, il faut un État stratège, organisateur de la mobilisation écologique et sociale dans tous les secteurs de la société. Il peut donner les grands objectifs, anticiper les filières et les métiers dont nous avons besoin, coordonner les producteurs entre eux. En un mot, il doit planifier.
Que ferez-vous pour assurer la proximité des services publics pour leurs usagers, et dans leur diversité ?
Nous décréterons immédiatement un moratoire sur les fermetures d’équipements publics (maternités, bureaux de poste, gares…). Nous rouvrirons très rapidement ceux qui ont été fermés au cours des dernières années. L’État travaillera avec les départements et les communes pour rétablir le maillage de services publics. Nous sonnerons la mobilisation générale avec un cap clair : mettre chaque Français à 15 à 30 minutes de tous les services publics essentiels.
Peut-on produire la norme différemment : le triptyque gouvernement-Conseil d’État-Parlement fonctionne-t-il correctement ?
Il est clair que cela ne fonctionne plus. La grève civique et l’abstention massive en témoignent. Les institutions de la Ve République sont devenues dangereuses. Les citoyens sont écartés de la décision politique. La confiance est rompue entre le peuple et ses institutions représentatives. Dès lors, il faut les refonder. Et pour recréer la confiance, il faut le faire tous ensemble. Nous proposons de le faire à travers un processus de Constituante.
Face à une société et des entreprises qui réclament autant de la norme qu’ils la rejettent, que feriez-vous pour la simplification et pour qu’elle ne demeure pas ponctuelle ?
La simplification des normes n’est pas une fin en soi. C’est avec cet argument qu’on a affaibli des normes environnementales lors du dernier quinquennat, ou encore celles sur l’accessibilité des logements. En revanche, il faut bien sûr simplifier les normes quand elles empêchent les citoyens d’accéder à tous leurs droits sociaux et civiques : la lutte contre le non-recours sera une de nos priorités.
Doit-on aller plus loin dans la numérisation des services publics ? Faut-il donner la priorité à l’humanisation et comment ?
La dématérialisation est, pour les libéraux, un prétexte pour faire toujours plus d’austérité, alors qu’elle pourrait être un progrès. Avec nous, les guichets et formulaires papier seront systématiquement maintenus en parallèle de la dématérialisation. Elle sera même l’occasion de créer un nouveau service public de proximité, pour accompagner les 20 % de Français qui sont en difficulté avec le numérique.
La décision publique est de plus en plus contestée et incomprise. Que ferez-vous pour inverser la tendance ?
Nous remettrons à plat nos institutions dans le cadre de l’adoption d’une nouvelle Constitution, élaborée par des citoyens dans le cadre d’une Assemblée constituante. Aucun parlementaire des anciennes assemblées ne pourra siéger dans cette Assemblée constituante ; les délégués à l’Assemblée constituante ne pourront être candidats aux élections suivant l’entrée en vigueur de la Constitution. Nous proposerons à cette Assemblée constituante d’obliger le gouvernement à rendre réellement des comptes devant le Parlement, d’abolir les procédures de “votes forcés” du Parlement comme l’article 49.3 de la Constitution de la Ve République et d’instaurer le référendum d’initiative citoyenne (RIC).
Faut-il revoir le temps de travail des agents publics ?
Pour les agents publics comme pour les salariés, nous rétablirons immédiatement la durée légale hebdomadaire à 35 heures et la rendrons effective, en majorant les heures supplémentaires, cotisations incluses, à 25 % pour les 4 premières et 50 % au-delà. Pour les métiers pénibles et le travail de nuit, nous passerons aux 32 heures immédiatement, et nous favoriserons leur généralisation par la négociation collective. Nous rétablirons également la retraite à 60 ans après quarante années de cotisation.
Les syndicats ont perdu beaucoup de leur influence. Le dialogue social doit-il entrer dans une relation essentiellement directe entre employeurs et agents publics ?
Les syndicats doivent rester au cœur de la relation entre employeurs et agents publics.
Voulez-vous modifier l’équilibre actuel entre fonctionnaires et contractuels ? Quantitativement ? Quant aux responsabilités ? Quant aux expertises ? Dans quels domaines ? La dualisation de la fonction publique (statut/contrat) constitue-t-elle un modèle probant sur le long terme ou induit-elle un modèle à plusieurs vitesses ?
Nous voulons conforter le statut de la fonction publique et mettre fin à la dualité titulaires-contractuels. L’ensemble des contractuels sera titularisé dès notre arrivée au pouvoir.
Quels seront vos axes majeurs pour améliorer la confiance entre l’État employeur et ses agents et que ferez-vous concrètement ?
D’abord, nous revaloriserons le traitement des fonctionnaires et mettrons fin au gel du point d’indice. Ensuite, nous planifierons des moyens et recrutements dans les services publics qui ont tant souffert : la santé, l’éducation, la dépendance, la justice…
Sur le sujet de la réforme de la haute fonction publique qui a été engagée, quelles seront vos orientations et les étapes que vous voudrez franchir rapidement ? Plus globalement, que ferez-vous en matière de gestion des ressources humaines pour la haute fonction publique ?
Nous durcirons les règles contre les conflits d’intérêts et interdirons le pantouflage : tout haut fonctionnaire souhaitant travailler dans le privé devra démissionner de la fonction publique et rembourser le prix de sa formation s’il n’a pas servi au moins dix ans. Nous allongerons à dix ans les périodes d’interdiction d’exercice d’une fonction privée après avoir exercé une activité dans la fonction publique relative au même secteur. Nous abolirons la réforme Macron du corps préfectoral et diplomatique. Enfin, nous garantirons des recrutements qui reflètent la diversité sociologique de la société dans les concours de la fonction publique.
Quelles mesures prendrez-vous pour redresser l’attractivité des trois fonctions publiques ?
Ce qui fait l’attractivité de la fonction publique, c’est d’abord le sens. Avec la planification écologique, nous donnerons un cap clair : le service public organise la mobilisation générale pour la bifurcation écologique. Pour permettre cette mobilisation, il faut respecter les fonctionnaires, et leur donner les moyens de travailler. Pour cela, nous revaloriserons le point d’indice, titulariserons les travailleurs précaires des 3 fonctions publiques et augmenterons les budgets publics. Fini les objectifs incantatoires.
Compte tenu des contraintes budgétaires des prochaines années, dans quel cadrage budgétaire inscririez-vous le rôle de l’État et sa réforme ?
Réfléchir au cadrage budgétaire, c’est aussi réfléchir à ces coûts immenses dont on ne parle jamais : les 50 à 60 milliards dus à la malbouffe, les 10 milliards par an dus aux pollutions, les 100 à 250 milliards par an dus au mal-être au travail. La priorité, c’est de relancer la machine. À la clé, ce sont des millions d’emplois et donc des recettes fiscales et des cotisations en plus. C’est pourquoi nous lancerons un plan massif de 200 milliards d’euros d’investissements écologiquement et socialement utiles.
Comment jugez-vous le niveau actuel de la dépense publique par rapport au PIB ?
Le niveau de dépense publique s’évalue à l’aune des besoins sociaux et d’investissement. Pas des ratios arbitraires.
Que prévoyez-vous pour la gestion de l’endettement de l’État ?
La dette publique est instrumentalisée pour justifier l’austérité et les privatisations. Mais l’État détient plus de patrimoine que de dette : chaque enfant naît avec plus de 10 000 euros d’actif public ! Nous exigerons de l’Union européenne que la Banque centrale européenne (BCE) transforme la part de dette des États qu’elle possède en dettes perpétuelles à taux nul. Nous réinstaurerons un circuit du Trésor pour sortir la dette publique de la main des marchés financiers. Il faut aussi traiter la question des dettes privées, qui est le véritable danger à court terme.
Qu’est pour vous la performance publique ? Modifieriez-vous la manière dont elle est appréhendée et mesurée dans la procédure budgétaire et dont les administrations doivent en rendre compte (programmes et rapports annuels de performance) ? La mesure de la performance doit-elle être budgétaire ou centrée sur l’usager ?
La notion de performance publique actuelle tente d’imposer au fonctionnement des services publics des logiques managériales et comptables issues du privé. Dans notre conception, l’État se doit de répondre aux besoins en service public des citoyens et sa performance se mesure à la satisfaction de ce besoin et à sa capacité à assurer l’égalité des individus et des territoires. Dans le cadre de politiques publiques planifiées et coordonnées par l’État, la “performance” de l’action publique se mesure à l’atteinte des objectifs en matière de bifurcation écologique du pays : réduction de nos émissions de gaz à effet de serre, nombre de logements rénovés thermiquement, etc.