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"Le vrai visage du quinquennat Macron" par Aude Lancelin

Lien publiée le 10 avril 2022

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

"Le vrai visage du quinquennat Macron" par Aude Lancelin - QG - Le média libre

À la veille de voter au premier tour de cette présidentielle 2022, n’oubliez pas qui sont les gens aujourd’hui au pouvoir, et de quoi ils se sont montrés capables depuis cinq ans. La répression barbare du mouvement des Gilets jaunes en est l’ultime révélateur, et demain ils recommenceront sans états d’âme si nous les laissons faire. Une tribune signée par la fondatrice de QG alors que demain les Français sont appelés aux urnes

Alors que les responsables d’un quinquennat odieux, le plus férocement antipopulaire que nous ayons connu sous la Vème République, et sans doute depuis Adolphe Thiers, cherchent à effacer leurs traces, il est plus que jamais important de ne pas lâcher le combat pour la mémoire.

Et de dire à Emmanuel Macron, et de dire à Edouard Philippe, et de dire à Christophe Castaner, et de dire à leurs électeurs d’hier et de demain, qui se croient innocents de toute violence, et de dire aux milices policières et aux journalistes qui les ont soutenus dans leurs exactions criminelles contre la population française : nous n’oublierons jamais.

Dès l’hiver 2018, comme dans tout événement historique de première grandeur, une concurrence féroce entre les récits s’est instaurée. Le récit que dressait le pouvoir de cette insurrection présenté comme insignifiante, celui des politiques et intellectuels qui cherchaient par avance à justifier leur absence, leur défaillance, et celui des véritables acteurs du soulèvement, les Gilets jaunes.

Maintenant nous sommes passés à une autre étape, plus douloureuse, celle de l’oubli et du silence. Je me souviens d’une soirée de Noël 2018 où une présentatrice d’une chaîne d’informations en continu du groupe Martin Bouygues, commentant les images de blindés sur les Champs Élysées, en faction sous les guirlandes rouges clignotantes, pouvait encore dire : « Voici sans doute une image qui restera du quinquennat Macron. » En cette veille d’élection présidentielle, ces images-là plus personne ne les montre.

Portrait du ministre de l’intérieur Christophe Castaner sur le dos d’une manifestante, marche pour les blessés et les mutilés Gilets jaunes à Valenciennes, 2020

Pour le pouvoir, évoquer les milliers de blessés, et les mutilés du mouvement, ce serait reconnaître qu’il existe des violences policières. Reconnaître qu’il existe des violences policières, ce serait mécontenter les policiers violents. Mécontenter les policiers violents, ce serait priver le pouvoir de son seul rempart. Priver le pouvoir de son seul rempart, ce serait rendre le pouvoir au peuple. Cela ne saurait donc exister. Les blessés et les mutilés doivent être effacés.

Depuis le 24 novembre 2018 au matin, présente en tant que journaliste au Rond-point des Champs Elysées, je sais que c’est une répression injuste qui a frappé des innocents, des retraités, des mères de famille, des pauvres venus de toutes les régions de France. Depuis le 1er décembre au matin, à l’Arc de Triomphe, je sais que le pouvoir a tremblé et s’est vu renversé, contrairement à ses haussements d’épaule rétrospectifs. Ce matin-là, j’ai vu la troupe en échec et le pouvoir aux abois, hanté par le spectre de 1789, cette date hypocritement célébrée par toute notre mythologie républicaine.

Depuis le 8 décembre au matin, je sais quelque chose de plus terrible encore. Je sais que les mutilations, les yeux désorbités, les mains arrachées, les crânes fracassés, sont le fruit d’une politique tout à fait intentionnelle. Je sais que tout cela n’est pas arrivé par hasard, par accident. Je me suis moi aussi trouvée, avec des camarades, face à des murs de tireurs de LBD, qui nous tenaient en joue à hauteur de visage. Ce jour-là, pour la première fois, on a dénombré de multiples blessures de guerre à l’hôpital Cochin, à la Salpêtrière, et ailleurs. Au moins quatre manifestants ont été éborgnés à Paris rien que ce samedi-là. « Pour l’exemple », selon le nom très juste et puissant choisi par le comité qui tente de rassembler le combat des mutilés.

Ce jour-là, nous avons senti que rien ne serait plus jamais comme avant. C’était la première fois que, manifestants et journalistes, nous nous voyions menacés dans notre intégrité physique en plein Paris, dans les beaux quartiers, à deux pas des boutiques de luxe, de la FNAC et des sièges des chaînes de télé. Depuis ce jour-là, l’horrible frisson n’aura plus jamais cessé. C’est à un véritable déchaînement de violence que nous aurons assisté pendant des mois, et même des années.

Pourquoi une telle férocité ? Pourquoi n’avait-on pas vu cela depuis le préfet Papon, et la répression raciste de la guerre d’Algérie ? Parce que les Gilets jaunes sont les seuls à avoir jamais fait trembler le pouvoir depuis cinquante ans. Absolument les seuls. Il faut toujours le rappeler, car il faut en avoir la fierté.  Avec eux, pas de corde de rappel, pas de 06 à contacter, pas de gens à acheter. Un bloc de vertu, incompréhensible pour la pseudo élite, et à ce titre même, constamment diffamé.

C’est pourquoi aujourd’hui encore il y a de quoi être révolté quand, dans Paris, des intellectuels qui se croient très informés, nous disent : « Allons, allons, oui ça a un peu chauffé, il y a eu quelques barricades, mais tout est finalement vite rentré dans l’ordre. » C’est odieux à entendre pour les gens qui ont tout donné dans ce combat, pour les mutilés, pour les gens aujourd’hui encore condamnés ou emprisonnés pour des faits dérisoires, mais sachons le, ce combat-là pour la mémoire, il est inévitable.

L’État n’admet jamais facilement dans les mots sa culpabilité, sa défaite, ou sa mise en péril. Prenons-le comme un hommage. Songez que dans le cas de l’Algérie, il aura fallu attendre 1999, pour que l’État français légifère sur le droit d’employer officiellement le mot « guerre » pour évoquer la décolonisation de l’Algérie, et reconnaisse de fait aux gens le statut d’anciens combattants. Pendant 45 ans, seul le mot « d’événements » devait être employé pour l’Algérie, et cette « guerre » de décolonisation restait sans nom. De la même façon aujourd’hui, jamais l’existence de mutilés n’est mentionnée par le Président de la République.

Street art à Amiens, 18 février 2022, portrait sur huile signé Jaëraymie, représentant le visage d’Emmanuel Macron, portant un Gilet jaune et tuméfié par un tir de LBD

Dans le cas des Gilets jaunes, la guerre sociale ne fut pas seulement une métaphore. Celle-ci a été totale, d’une violence inouïe, et elle dure encore sous les radars. Une vraie guerre, contre le peuple que le pouvoir a pris la responsabilité de mener.

Le quinquennat Macron, qui s’achève, a un visage. Celui de Vanessa, de Patrick, de Franck, de Fiona, de Ritchy, qui pour la plupart manifestaient pour la première fois de leur vie. Celui de Jérôme Rodrigues, bien sûr. Celui de Manu, éborgné place d’Italie à Paris alors qu’il discutait calmement avec sa compagne et quelques amis pour l’anniversaire des 1 an du mouvement, véritable souricière orchestrée par le préfet Lallement. Celui de tant d’autres encore. L’œil mort des mutilés regarde Macron. Il montre ce qu’il en est de sa « bienveillance » tant prônée. Il montre la réalité de son « penser printemps », leitmotiv de sa campagne de 2017, de toutes ses grimaces de cost killer tiré à quatre épingles, et autres mensonges de président banquier. Il montre qui sont ces gens propres sur eux, toutes ces ex-petites gloires pour soirées arrosées d’école de commerce, le genre de personnes à deux airs, qui vous sourient par devant, et vous envoient des grenades explosives par derrière.

Il montre que ces gens se sont cru assez fort, et surtout assez légitimes, pour en revenir aux châtiments corporels à l’encontre du peuple, pour supplicier la chair des pauvres venus faire entendre leur dénuement à Paris. Plus que jamais, il est important de tenir la ligne de front contre l’oubli de ces crimes, qui seule leur permettra de ne pas les renouveler très bientôt. Et d’acter que quelque chose s’est réellement passé, que nous ne laisserons pas passer.

Aude Lancelin

Ce texte est la version écrite d’une intervention prononcée à Paris le samedi 2 avril 2022, en hommage aux blessés et aux mutilés du mouvement des Gilets jaunes. Une rencontre organisée à l’initiative de notre ami David Libeskind, en présence du comité des « Mutilés pour l’exemple »