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Brésil. «Il faut dialoguer avec la troisième voie et ceux qui n’ont pas voté au 1er tour»
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Entretien conduit par Artur Rodrigues avec Guilherme Boulos: membre du PSOL, dirigeant du MTST et élu en première position comme député de São Paulo
Guilherme Boulos (folha.uol.com.br)
Quelle est l’évaluation de l’impact national et étatique (São Paulo) après que Rodrigo Garcia [1] a annoncé un soutien inconditionnel à Bolsonaro et à Tarcisio Gomes de Freitas [le candidat des Republicanos comme gouverneur de São Paulo [2] s’opposant au candidat du PT Fernando Haddad lors du 2e tour]?
Guilherme Boulos: Rodrigo Garcia a réédité la farce BolsoDoria [en 2018, João Doria se présentait comme Bolsonaro compatible] que nous avions déjà vue il y a quatre ans. Il est regrettable qu’il ne comprenne pas les risques pour la démocratie. Maintenant, il subit des remises en question au sein de son propre parti. Vous pouvez imaginer la réaction de son électorat [18,4%]. Je ne crois pas que l’électorat qui a voté pour Rodrigo Garcia suivra sa décision désastreuse.
Ciro Gomes, à son tour, a annoncé qu’il suivait la décision du PDT (Partido Democrático Trabalhista) de soutenir Lula, sans mentionner son nom et de manière timide. Ce type de soutien est-il utile?
Ciro Gomes a déclaré son soutien à Lula. Et le PDT a déclaré son soutien à Lula. C’est très important. Pas seulement de la part de Ciro, mais surtout du parti qui dispose d’un ancrage capillaire au niveau national.
Je crois qu’il y avait une anticipation du vote utile qui fait la différence entre les intentions de vote de la veille et le bulletin placé dans les urnes. Ceux qui étaient des électeurs de Ciro Gomes [3,04%] ou Simone Tebet [4,16%] susceptibles de voter pour Bolsonaro l’ont déjà fait au premier tour. Je crois que la plupart des électeurs de Ciro et Simone se prononceront en faveur à Lula.
Y a-t-il eu une erreur dans la campagne de Lula qui a permis à Jair Bolsonaro (Parti Libéral) d’obtenir de meilleurs résultats que prévu et y a-t-il quelque chose à changer?
Je comprends que des gens ont une boule dans la gorge et un sentiment de frustration de ne pas avoir obtenu une victoire au premier tour. Mais rappelons que la gauche n’a jamais gagné une élection au premier tour de l’élection présidentielle, même lorsque Lula a quitté le gouvernement [en janvier 2011] avec plus de 80% d’opinion favorable. Il a obtenu 57 millions de voix, ce qui constitue le plus grand nombre de voix pour un candidat au premier tour. Lula a 6 millions de voix d’avance sur Bolsonaro [51 millions]. Donc je ne pense pas qu’il faille corriger l’orientation.
Je pense que notre campagne devra dialoguer avec les électeurs et électrices qui envisagent une troisième voie [entre Lula et Bolsonaro]. Une partie importante de ces électeurs et électrices, même s’ils n’ont pas Lula comme première option, rejettent Bolsonaro étant donné l’aspect tragique de son gouvernement. Il faut aussi engager un dialogue avec les électeurs qui ne sont pas allés voter. Une part importante de l’abstention [elle est estimée à 20,9% selon le Tribunal suprême électoral, soit 32,7 millions de Brésiliens et Brésilienne] s’est produite dans les régions où Lula dispose de plus de voix.
Bolsonaro a également reçu le soutien, notamment du gouverneur Romeu Zema (Novo – élu avec 56,18% des voix et 6 millions de suffrages), du Minas Gerais. Quel est l’impact de ces appuis?
Le soutien de Romeu Zema et de Claudio Castro [PL, élu avec 58,6% des voix comme gouverneur de Rio: 4,9 millions de suffrages] ne surprend personne. Les deux étaient déjà liés à Bolsonaro depuis le premier tour. Pour ne pas avoir de problème dans les Etats, ils ne s’étaient pas déclarés de manière publique car ils voulaient capter l’électorat de Lula. Cláudio Castro et Romeu Zema étant déjà dans l’équipe de Bolsonaro, ce n’est pas un nouveau soutien.
Dans l’Etat de São Paulo, comment évaluez-vous la stratégie de Fernando Haddad [PT, 35,7% et 8,3 millions de suffrages] de concentrer la critique contre Rodrigo Garcia [du PSDB qui a réuni 18,40% des suffrages, soit 4,2 millions]. Cela n’a-t-il pas aidé Tarcísio [qui a obtenu 42,32%, 9,8 millions de suffrages]?
Celui qui est au gouvernement était Rodrigo Garcia. Haddad est le candidat de l’opposition. Cela n’a aucun sens de faire campagne sans remettre en question le gouvernement de Doria et de son successeur Rodrigo Garcia. Cela dit, Haddad n’a pas épargné Tarcísio. Il a eu avec lui des durs débats à la télévision.
Y a-t-il un programme du MTST (Mouvement des travailleurs sans toit) que vous avez l’intention de soutenir en priorité en tant que député?
Le centre de mon mandat à la Chambre sera la lutte contre l’inégalité, qui est le plus grand drame brésilien. Il y a deux initiatives très importantes que le MTST a déjà développées et je veux les transformer en projets de loi.
L’une d’elles est la politique des cuisines solidaires (cozinhas solidárias). Le MTST a fait cela [ouverture de dizaines de cuisines solidaires] sans appui officiel, mais avec du soutien militant et des dons, pour faire face à une politique qui affame des milliers de personnes dans tout le Brésil [Boulos veut en faire un programme à l’échelle nationale avec une dimension quasi publique]. La deuxième est un programme de logement populaire tel que Minha Casa Minha Vida [ce programme avait été créé en 2009 par Lula pour faciliter la construction et l’acquisition de maisons]. Bolsonaro l’a liquidé [il a institué le Programa Casa Verde e Amarela, faisant référence aux couleurs utilisées par son parti, les financements sont inférieurs à ceux exigés par les normes proclamées].
Les mouvements pour le logement ont formulé quelques critiques contre le programme Minha Casa Minha Vida, qui exclut une partie de la population pauvre et exclut des emplacements pour la construction qui sont réservés aux tranches de salaire supérieures. Est-il utile de relancer le programme ou faut-il en créer un autre?
Un nouveau programme pour le logement doit tirer les leçons des succès et des erreurs du programme précédent. Minha Casa Minha Vida a construit 5 millions de maisons et subventionné les familles qui en avaient le plus besoin.
Maintenant, l’expérience qui s’est déroulée au sein même de Minha Casa Minha Vida est celle conduite par des collectifs, des mouvements sociaux qui gèrent directement les travaux de construction, dans un système d’effort conjoint [avec des financements accordés], dans le but que les futurs résidents puissent construire leurs propres maisons. Il s’agit d’une expérience sur laquelle il faut travailler afin qu’elle soit améliorée.
La droite a progressé au Congrès lors de ces élections, y compris les candidats liés au président [3]. Les programmes de gauche que vous défendez ne pourraient-ils pas devenir intenables avec cette composition du législatif?
Non, si vous regardez la fraction des bolsonaristes, c’est une minorité au Congrès. Il est vrai que la droite a élu de nombreux candidats au Parlement, mais il est également vrai que la gauche a remporté des victoires importantes.
Qui aurait imaginé qu’un leader du mouvement des sans-abri, très stigmatisé, serait le député le plus voté à São Paulo, devant le fils du président? Qui aurait imaginé qu’une femme trans noire ou deux femmes indigènes seraient élues, un pasteur noir de gauche? Je ne pense donc pas que l’élection au Parlement ait signifié seulement une force de la droite, mais aussi une force de l’élément de renouvellement de la gauche [voir aussi note 3].
Votre parti, le PSOL, s’est même divisé sur le soutien à Lula, issu du même camp idéologique. Pensez-vous que le parti serait prêt à négocier avec le centre droit au nom de la gouvernabilité si Lula est élu?
Le PSOL a décidé à une majorité significative de soutenir Lula. Il est entré corps et âme dans la campagne de Lula. Je coordonne la campagne de Lula à São Paulo. Le PSOL s’est engagé dans la campagne en faveur de Fernando Haddad, soulignant l’unité nécessaire pour vaincre le bolsonarisme.
Le PSOL s’engagera certainement à reconstruire un Brésil populaire, qui fait avancer les droits sociaux, en maintenant la cohérence avec ce que nous avons toujours défendu: un projet au service de la majorité la plus pauvre. Le programme de Lula propose d’abroger le plafonnement des dépenses [décidé sous la présidence de Michel Temer], d’abroger la réforme du travail et d’introduire une réforme fiscale avec imposition des grandes fortunes.
Au nom d’une alliance plus large avec la droite, ces politiques ne risquent-elles pas d’être négligées?
Je ne le pense pas, car aujourd’hui, nous devons créer le front démocratique le plus large pour vaincre le pire gouvernement de notre histoire. Lula sait aussi parfaitement qu’il faudra une réponse à la situation de misère dans laquelle Bolsonaro a laissé le Brésil, avec 33 millions d’affamés, un chômage élevé, l’inflation. Je suis sûr que Lula sera président pour tenir ces engagements.
La Chambre a fait élire des femmes trans et autochtones, des groupes qui sont la cible de violences, notamment politiques. Pensez-vous que ce type de situation puisse se répéter au Congrès?
Le bolsonarisme a créé un environnement de violence politique très inquiétant au Brésil. Cela se passe dans sur le terrain du pouvoir, entre autres au Parlement; cela se passe dans la rue; nous avons vu trois personnes assassinées pendant la campagne pour avoir été de gauche. La première étape pour entraver la violence politique est de vaincre Bolsonaro.
Pendant un acte de campagne de votre part, un adolescent du MBL [Movimento Brasil Livre, libéral conservateur de droite, actif depuis 2014] a été agressé par des militants. Une telle réaction n’alimente-t-elle pas le climat de violence politique?
Je ne défends aucune forme d’agression. Je l’ai dit très clairement quand l’épisode s’est produit [le 25 septembre]. Il était également clair qu’il y avait un coup monté par un groupe qui utilise des tactiques bolsonaristes comme le MBL pour infiltrer une personne en utilisant un mineur afin de provoquer notre campagne et ensuite vouloir créer un fait politique avec un officier de la police militaire bolsonariste.
Il y a un accord pour que vous soyez un candidat avec le soutien du PT pour la municipalité de São Paulo. Comment le soutien de Rodrigo Garcia à Bolsonaro et une éventuelle alliance du maire de São Paulo Ricardo Nunes (MDB) avec ce groupe pourraient-ils affecter cette perspective pour 2024?
Je me concentre sur l’élection de Lula et Haddad. Maintenant l’attitude de Ricardo Nunes est incroyable, un maire que la plupart de la ville ne connaît pas [en fonction depuis le 16 mai 2021 et vice-maire de janvier 2021 à mai 2021]. Il utilise donc cette ignorance pour mener une gestion dramatique et pour s’associer encore au bolsonarisme en se plaçant aux côtés de Rodrigo Garcia [qui brigue le gouvernorat], dans un calcul électoral mesquin, en anticipant 2024. (Entretien publié par le quotidien Folha de S. Paulo, le 5 octobre 2022; traduction rédaction A l’Encontre)
Notes
[1] Rodrigo Garcia, ancien vice-gouverneur de l’Etat de São Paulo, membre du PSDB. Il a remplacé José Doria en avril 2022. Il est arrivé au troisième rang lors des élections au gouvernorat du 2 octobre. (Réd. A l’Encontre)
[2] Tarcísio Gomes de Freitas a été ministre de l’Infrastructure du gouvernement Bolsoraro du 1er janvier 2019 au 31 mars 2022. (Réd. A l’Encontre)
[3] Le Parti Libéral de Bolsonaro détient 99 élus à la Chambre des députés, soit une progression importante de 23 sièges. C’est un groupe important, mais dans une Chambre des députés très fragmentée avec plus de 23 partis. Les analyses des résultats pronostiquent que la droite bolsonariste pourra compter sur une fraction allant de 250 à 270 sièges sur 513. La gauche, dans son ensemble, pourra compter sur 120 à 140 sièges. Cette marge entre les deux chiffres est due à un processus bien connu au Brésil: certains députés vont choisir leur camp selon le président élu afin de tirer les avantages matériels traditionnels (financiers et politiques). Toutefois, il apparaît que la droite bolsonariste ou bolsonariste-compatible dispose d’une position de force évidente. D’ailleurs, parmi les dix députés les mieux élus, 9 sont bolsonaristes et 1 est Boulos. A São Paulo, avec 1’001’472 suffrages, 4,22%, il devance la candidate ultra-bolsonariste Carla Zambelli, 946’244 suffrages, 3,99% et Eduardo Bolsonaro, avec 741’701 suffrages, 3,12%.
Il n’est pas inutile de souligner que sur 17 ex-ministres du président Jair Bolsonaro 9 ont été élu le 2 octobre, dont 5 comme sénateurs: 1° Sergio Moro – qui s’est voulu le «tombeur» de Lula et fut ministre de la Justice – est élu sénateur du Parana avec 33,5% des votes valides et 1’953’159 suffrages; il a conservé dans cette campagne l’image du héraut anti-corruption, thème rabâché par Bolsonaro selon la formule: «Lula, le plus grand voleur». 2° Marcos Pontes, le premier spationaute du Brésil, ministre de la Science, de la Technologie, est élu sénateur de São Paulo avec 49,9% des votes valides et quelque 10 millions de suffrages; 3° Damara Alves – ex-ministre des Femmes, de la Famille et des Droits humains, appuyée par la femme de Bolsonaro, Michelle, évangéliste notoire – est élue sénatrice dans le District fédéral avec 44,98% des votes valides et 714’562 suffrages; 4° Tereza Cristina Corrêa da Costa Dias, ministre de l’Agriculture, de l’Elevage et de l’Approvisionnement depuis 2019, représentante du «bloc ruraliste», donc de l’agrobusiness, est élue sénatrice dans l’Etat du Mato Grosso do Sul avec 60% des votes valides et 829’149 suffrages; 5° Rogério Marinho, ancien ministre du Développement, est élu sénateur pour l’Etat de Rio Grande do Sul, avec 41,85% des votes valides et 708’351 suffrages.
Il faut ajouter 4 élus à la Chambre des députés: 1° Marcelo Álvaro Antônio, ancien ministre du Tourisme, élu député dans le Minas Gerais; 2° Osmar Terra, ex-ministre de la Citoyenneté, élu député dans l’Etat de Rio Grande do Sul; 3° Ricardo Salles, ministre plus que déconsidéré de l’Environnement, élu député dans l’Etat de São Paulo; 4° Eduardo Pazuello, ex-ministre de la Santé de décembre 2018 à février 2019, recyclé aux Affaires stratégiques de la Présidence, est élu député à Rio de Janeiro.
Et 2 sont encore en course pour le poste de gouverneur: 1° Tarcisio de Freitas pour São Paulo, ex-ministre des Infrastructures; 2° Onyx Lorenzoni pour Rio Grande do Sul; du poste d’«ex-ministre» de la Casa Civil, il a passé au ministère de la Prévoyance et du Travail. Enfin Braga Netto, ancien ministe de la Défense et «ministre-chef» de la Casa Civil, brigue le poste de vice-président aux côtés de Jair Bolsonaro.
En outre, parmi les députés bolsonaristes, il y a un nombre significatif de jeunes, ce qui implique une sorte de renouvellement générationnel de la droite dure. Un exemple peut être donné par l’élection de Nikolas Ferreira De Oliveira, âgé de 26 ans, membre du PL, élu dans le Minas Gerais avec quasiment 1,5 million de votes, ce qui est un record historique. C’est un «ultra-conservateur» qui cultive une présence très forte sur les réseaux sociaux. (Réd. A l’Encontre)