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    De Rothschild à Nestlé : les millions envolés d’Emmanuel Macron

    Lien publiée le 2 juin 2025

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    De Rothschild à Nestlé : les millions envolés d'Emmanuel Macron

    En 2012, le banquier d'affaires Emmanuel Macron a permis au suisse Nestlé de racheter à l'américain Pfizer sa branche nutrition pour bébés. Ce deal record de 9 milliards d’euros est le deuxième plus gros réalisé par la banque d'affaires Rothschild. Selon sa déclaration de revenus déposée quand il est nommé en 2014 ministre, avant de se faire élire trois ans plus tard président, le fringuant associé-gérant n'aurait pas touché un centime pour ce coup de maître. Un expert de l’évasion fiscale Christian Savestre a passé trois années à éplucher les comptes et les documents internes de la banque pour arriver à la conclusion que le scénario co écrit par Rothschild et Macron n’est ni crédible, ni possible. Appuyé par Attac, il a retrouvé les rétributions de ce deal entre les deux multinationales en apportant un éclairage inédit sur les gains fantômes du président de la République : l’acquisition de la branche nutrition a rapporté entre 65 et 80 millions d’euros à Rothschild. En récompense, la rémunération de l’intermédiaire Macron a oscillé entre 3 à 4 millions. Notre enquête.

    En 2017, quand il se porte candidat à la présidence de la République, Emmanuel Macron fait face à une série d’obligations qui s’imposent à lui comme à tous ceux qui y postulent. En matière de transparence, notamment. Comme ses concurrents, le candidat marcheur déclare l'état de son patrimoine à la Haute autorité pour la transparence de la vie politique (HATVP). C'est la loi. Les Français découvrent alors que le brillant énarque, ex-banquier d'affaires qualifié de « Mozart de la finance » par une presse amourachée, affiche 309 000 euros pour tout actif (net de dettes). Et même, si on déduit les droits d’auteur perçus pour Révolution, son livre publié en novembre 2016 chez XO Éditions, seulement 35 514 euros. Moins que l'ex-enseignante Nathalie Arthaud, inébranlable figure de la Lutte ouvrière finale, et à peine davantage que l’ouvrier anticapitaliste Philippe Poutou. Sur le moment, tout le monde se demande ce que l'ancien associé-gérant de Rothschild a bien pu faire de ses millions.

    Avec les remerciements de la HATVP et le bonjour du procureur Molins

    « J'ai bien gagné ma vie quand j'ai travaillé dans le secteur privé, très bien gagné ma vie. » Quand il s’agit d’argent et de ses revenus, le candidat Macron se veut sans langue de bois dans un pays où le sujet est difficilement abordé. C’est en tout cas ainsi qu’il l’aborde au micro de David Pujadas, le 20 avril 2017, sur France 2. « J'ai payé beaucoup d'impôts et c'est très bien ainsi », se félicite-t-il, évoquant par ailleurs des dettes contractées pour l'achat d'un appartement parisien ou les travaux réalisés dans sa maison (celle de son épouse Brigitte, en fait) pour expliquer l’état de sa fortune, toute relative.

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    En 2015, alors ministre, Emmanuel Macron avait déjà répondu à la curiosité de Nathalie Saint-Cricq sur son rapport à l’argent, sur le plateau de l’émission Des paroles et des actes.
    Image France 2

    En 2017, des médias s’étaient livrés à un petit calcul pour jauger la véracité du propos du candidat En marche. Selon ses propres déclarations d'intérêts, Emmanuel Macron a gagné 3,5 millions d'euros, avant impôts et charges, entre 2007 et 2016 : 2,9 millions d'euros chez Rothschild et 600 000 euros en tant que secrétaire général adjoint de l'Élysée, puis ministre de l'Économie. Comment ce joli pécule, même divisé par deux après prélèvements (sociaux et fiscaux), a-t-il pu fondre ainsi en quelques mois pour qu'il n'en reste que 196 000 euros ? La question brûle toutes les lèvres : Emmanuel Macron aurait-il dépensé sur cette courte période un pognon de dingue ?

    Pointant des incohérences dans les déclarations du futur président, l'avocat fiscaliste Jean-Philippe Delsol s'en est étonné auprès de la HATVP. L’autorité administrative indépendante a écarté sa requête, comme elle a rejeté dans la foulée celle de l'association Anticor. L'avocat a ensuite écrit au procureur de la République de Paris François Molins. Et voici ce que le magistrat a répondu : « le collège de la haute autorité s'est prononcé par deux délibérations du 11 décembre 2014 et du 11 janvier 2017 dans lesquelles il a constaté qu'en l'état de ses informations, aucun élément ne permettait de remettre en cause le caractère exhaustif, exact et sincère des déclarations de monsieur Emmanuel Macron. »   

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    Le 23 mars 2017, Jean-Louis Nadal, le président de l'autorité chargée de contrôler et valider les déclarations des membres du gouvernement, écrit au président d'Anticor pour le rassurer : celle du ministre Emmanuel Macron est exhaustive, exacte et sincère.
    Document Blast.

    Exhaustif, vraiment ? La haute autorité n'a pas poussé très loin les investigations. Ce travail, Christian Savestre l'a fait. Membre de la section bruxelloise d'Attac, branche belge du mouvement pour la justice fiscale, cet ex-directeur financier et juridique a durant sa carrière au sein de multinationales côtoyé de près les grands cabinets d'audit et de conseil - les fameux Big Four, les Deloitte, PWC, EY et autres KPMG.

    Dans le puzzle de la banque d’affaires, un jeu de patience...

    Éplucher des documents, analyser des comptes, Savestre sait faire. Et le cas Macron l'a passionné. Pendant des mois, l’ex-cadre dirigeant du privé traque le moindre document susceptible d'éclairer cette histoire de millions disparus. Une enquête pas simple.

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    Ancien cadre-dirigeant de grandes sociétés, Christian Savestre est un spécialiste de l'évasion fiscale. Il a remonté la piste de ce méga deal à 9 milliards d’euros. Il a mis plusieurs années pour recomposer le puzzle.
    Image Blast.

    La transparence n’est pas la préoccupation première de la banque d'affaires. Rothschild & Cie, celle où Emmanuel Macron a exercé de 2008 à 2012, ne publie aucun compte - un classique s'agissant d'une société en commandite simple (SCS). Rothschild & Cie Banque, la structure qui facture les honoraires aux clients (une SCS, elle aussi) ne publie pas davantage. De fait, leurs activités se retrouvent noyées dans le rapport annuel de Rothschild & Co, la maison mère. Un océan aux 2,9 milliards d'euros de chiffre d'affaires et aux 244 filiales à travers le monde.

    Mais le militant d’Attac s’accroche. À la faveur d'événements exceptionnels - des assemblées générales mixtes ou la restructuration du groupe Rothschild -, des documents franchissent ici ou là ce mur du secret, échappant aux filtres et aux montages destinés à les retenir. Rendus publics par ces voies parallèles, ces éléments n’échappent pas à la vigilance de l’expert d’Attac, qui les identifie, les rassemblent et va ainsi reconstituer patiemment une partie du puzzle.

    Blast a consulté les documents collectés par le Français résident bruxellois. Ses investigations, dont nous avons vérifié la pertinence, aboutissent à un constat vertigineux. Le mystère des millions envolés d'Emmanuel Macron ne se chiffre pas à 2 ou 3 millions d'euros comme tout le monde a pu le croire, et l'écrire ces dernières années, mais probablement au double : 6 ou 7 millions d'euros au bas mot, ainsi évaporés. Formulé autrement, tous ceux qui se sont penchés sur le sujet « n'ont pas regardé au bon endroit ni au bon moment », comme le résume Savestre.

    La légende en marche

    Pour comprendre cet éclairage nouveau, il faut rembobiner le fil de l'histoire, reposer et étudier la chronologie des événements comme le fait l'enquêteur d’Attac, dans une vidéo mise en ligne sur son compte Facebook.

    Le 15 mai 2012, à 34 ans, Emmanuel Macron quitte la banque Rothschild pour embraser une nouvelle carrière, dans le public. Sur un dernier coup d’éclat. Un mois plus tôt, il a topé un méga deal à 9 milliards d'euros : le rachat par Nestlé de Wyeth Nutrition, la filiale nutrition infantile du groupe pharmaceutique Pfizer.

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    L’un ennemi et l’autre ami de la finance : François Hollande et Emmanuel Macron. Dans l’histoire du second, hier collaborateur, puis successeur, les mises en abîme sont permanentes. Désormais son passé chez Rothschild rattrape le présent et le scandale Nestlé.
    Images Présidence de la République française.

    La partie a été serrée, jusqu’au dernier moment. Début 2012, Danone était aussi sur le coup mais, dans une ultime négociation, le banquier de Rothschild a convaincu Peter Brabeck, patron de Nestlé, d’allonger sa mise de 500 millions d'euros pour emporter le morceau. Avec cette opération magistrale, le futur chef de l’État signe en 2012 le deuxième plus gros deal de l'année chez Rothschild. Juste avant de quitter l’établissement où il était rentré quatre ans plus tôt, pour rejoindre l'Élysée comme secrétaire général adjoint du président Hollande. Mais aussi avant que le rachat ne devienne définitif : il est officialisé le 30 novembre 2012, une fois le feu vert des autorités de la concurrence obtenu.

    Les comptes et les règles de l’art

    Chez Rothschild, les règles comptables sont très claires et connues : les honoraires d'un deal ne sont comptabilisés qu'une fois celui-ci définitivement conclu. En l'occurrence, l’opération Nestlé/Pfizer n'a pu être inscrite dans les comptes que le 30 novembre 2012, soit six mois après le départ d'Emmanuel Macron.

    Cette règle n’est pas sans conséquences sur la rémunération de celui qui a piloté le deal. Contrairement à leurs équipes, qui travaillent dans l'ombre, la vingtaine d’associés-gérants (au capital) de la banque d'affaires ne reçoivent pas de salaire : ils se partagent les bénéfices, une fois les comptes de l'année de l’établissement arrêtés. Concrètement, ce partage a lieu en général au mois de mars de l'année suivante. S'agissant des deals signés en 2012 et des bénéfices afférents, dont celui de l’opération Nestlé/Prizer, ce n'est qu'en mars 2013 que les associés ont pu toucher leur part. A cette répartition partagée s’ajoutent, pour ceux qui sont à l'origine des grosses opérations de fusion-acquisition réalisées au cours de l'exercice, des bonus en supplément. Ce qu'on appelle dans la profession des success fees.

    Dans le cas d’Emmanuel Macron, les choses se corsent un peu plus. Il y a un problème, sur le papier : pour participer à la distribution des bénéfices, un associé-gérant doit rester au capital jusqu'au 31 décembre de l'année considérée. En rejoignant l’Élysée en mai 2012, l’énarque a pu toucher sa part sur ceux réalisés en 2011. En revanche, en principe, le successeur de Jean Castex au secrétariat général de l’Élysée n'a pas pu participer à la distribution de mars 2013. Et donc profiter, théoriquement, du deal Nestlé/Pfizer dont il a été l'artisan. Un curieux sacrifice.

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    Le 23 avril 2012, le groupe Nestlé annonce triomphalement le rachat de Pfizer nutrition. Une opération retentissante qui n'est en réalité acté qu'en novembre de la même année, après l'autorisation des autorités de contrôle.
    Document Nestlé.

    Le super deal qui n’a rien rapporté à Macron (officiellement)

    A ce stade, il faut à nouveau passer en revue les déclarations de revenus du haut fonctionnaire Macron, devenu ministre de l’Économie et de l’Industrie du gouvernement Valls en août 2014. Pour rappel, pour ce type de fonctions, les postulants et titulaires ont l’obligation de déclarer les rémunérations de toute nature perçues sur les cinq dernières années civiles précédant leur nomination – et leurs éventuels intérêts économiques. Celle déposée le 24 octobre 2014 auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) couvre l’essentiel de son activité chez Rothschild, où le déclarant a exercé entre 2008 et mai 2012.

    Pour 2011, l’année où il passe du statut de salarié à celui d’associé-gérant chez Rothschild & Cie, Emmanuel Macron indique 1,4 million d'euros de revenus dont 706 000 euros au titre des bénéfices industriels et commerciaux (sa part d'associé), 291 000 de revenus de capitaux mobiliers (les dividendes de ses actions Rothschild) et 403 000 euros de salaires. La mention de ce dernier indicateur est assez surprenante - l’intéressé, censé être associé dès le 11 février, n’étant a priori plus salarié. Passons.

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    En 2011, Emmanuel Macron est promu dès le mois de janvier associé-gérant chez Rothschild. La fin du salariat. Dans sa déclaration sur ses revenus faite en 2014, le même indique... 403 557 euros de salaires perçus cette année-là. Cherchez l’erreur.
    Document Blast.

    En 2012, les revenus du banquier futur chef de l’État se maintiennent à un niveau performant : 990 000 euros pour seulement 4 mois et demi de présence dans l'entreprise - il quitte la rue de Messine, siège de la banque, le 15 mai. Ce montant est ventilé en 270 000 euros de revenus de capitaux mobilier et 720 000 euros de bénéfices industriels et commerciaux (BIC). Les BIC perçus correspondent à la distribution de mars 2012 sur les bénéfices réalisés en 2011, complétés par des avances mensuelles (1). Enfin, pour l'exercice 2013, Emmanuel Macron ne déclare aucun revenu en provenance de Rothschild.

    Rien à déclarer mais trois hypothèses

    En réalité, c'est à ce moment de l'histoire que tout le monde aurait dû s'interroger. Que mentionne l’inspecteur des finances, pour ses revenus de l'année 2013 ? Son salaire de secrétaire général adjoint de l'Élysée (soit 162 000 euros) et rien d'autre. Les bénéfices de Rothschild distribués en mars 2013 pour l'année 2012 ? Il n'en a pas vu la couleur. Un bonus pour son deal Nestlé/Pfizer ? On n'en trouve aucune trace dans le document qu'il fournit à l'autorité publique. Rien, nada : au-cun re-ve-nu !

    Face à ce constat stupéfiant, nous avons interrogé la présidence de la République ainsi que le groupe Rothschild, l’ex-employeur de son locataire, pour essayer de comprendre. En avançant trois hypothèses.

    Les trois seules possibles, formulées par Christian Savestre dans son analyse.

    Hypothèse numéro 1, l’ex-banquier, tout à son engagement pour la chose publique, a renoncé à toucher le fruit de son super deal, conformément aux principes comptables de Rothschild. Il a donc travaillé pour la gloire, se privant, comme nous le détaillons à la suite, d'au minimum 3,4 millions d'euros de bonus. Hypothèse numéro 2, Emmanuel Macron a été rémunéré par anticipation pour son opération Nestlé/Pfizer. Dans ce cas de figure, il y a une curiosité : comment expliquer la relative modestie de ses revenus en 2012, loin des sommes habituellement versées pour des opérations d'une telle ampleur, particulièrement dans une maison réputée soigner ses collaborateurs ? Cette option semble devoir être écartée. C’est en tout cas ce que fait l'Élysée dans la réponse que nous a adressée son service de presse (lire ci-dessous). Enfin, hypothèse numéro 3, la rémunération de l’ex associé-gérant de Rothschild & Cie lui a été versée selon un autre dispositif, c'est-à-dire par une autre société de sa galaxie et dans un autre pays que la France. Sur ce point précis, l'Élysée déclare à Blast ne pas comprendre de quoi nous parlons.

    Macron a fait gagner 68 à 80 millions d'euros à Rothschild

    Alors, hypothèse 1, 2 ou 3 ? Si les services de la présidence de la République ne nous ont que très peu éclairés, la banque Rothschild n'a pas souhaité répondre. Il nous faut dès lors interroger ces options jusqu’au bout, jusqu’à l’absurde, pour tenter d’approcher la vérité, sur la trace des millions disparus.

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    Emmanuel Macron pensif, dans son bureau à l'Élysée. Ses services sont tout aussi circonspects quand il s'agit de répondre aux questions de Blast sur ses exploits passés de banquier d'affaires.
    Image compte Instragram Emmanuel Macron

    Le cas numéro 1 paraît invraisemblable : on peine à imaginer que le jeune banquier ait renoncé à être payé pour une opération sur laquelle il a mobilisé toute son énergie, sa force de conviction et son talent. Un deal maker renonçant à pareil jackpot, ce serait du jamais vu dans le petit monde des affaires. « Il s’est accroché comme un mort de faim », rapportait d’ailleurs Le Monde en 2017, citant un associé de Rothschild. L’option numéro 2 semble très peu plausible, également : la rémunération d'Emmanuel Macron en 2012, pour 4 petits mois et demi d’activité, se situe au-dessus de ce que les vingt associés-gérants de Rothschild touchent en moyenne par année pleine – autour de 1 million d'euros. Néanmoins, on voit mal où se loge dans ce montant le bonus ou les success fees qu'il pouvait revendiquer, pour son dossier Nestlé.

    Pas y avoir de rémunération "par anticipation"

    Pourtant, à en croire l'Élysée, il n'y a pas de bonus à chercher : « La rémunération de M. Macron était, comme pour tous les associés de la Banque Rothschild, basée sur une appréciation de sa performance annuelle globale et non sur une opération particulière », indique son service de presse, dans un mail retourné à Blast le 16 avril. La présidence assure aussi « [qu’]il ne peut pas y avoir de rémunération "par anticipation". » Affirmation contestable sinon inexacte pour qui connaît le fonctionnement et les usages du métier : pour que les associés-gérants ne travaillent pas pendant des mois sans revenu, ils reçoivent mensuellement une avance sur les bénéfices à venir, avance décidée par le premier gérant statutaire de la banque - David de Rothschild, à l'époque. Ce dispositif prévoit d’ailleurs tous les cas de figure. Ainsi, si le montant versé se révèle supérieur au résultat net de l'exercice revenant aux associés commandités, le trop-perçu est porté en compte courant de chaque associé.

    L’explosive option 3

    Les hypothèses 1 et 2 écartées, reste la troisième, sur laquelle il convient de revenir. Elle est à la fois la plus plausible et la plus explosive.

    Nos confrères de Off Investigation ont exploré cette piste dans un documentaire diffusé en mars 2022. Les auteurs, les journalistes Jean-Baptiste Rivoire et Gauthier Mesnier, avaient notamment interrogé un banquier d'affaires qui, anonymement, assure qu'il est d'usage dans la profession de verser une (grosse) partie de la rémunération en dehors de France. On peut spéculer sur les techniques dont aurait pu bénéficier Emmanuel Macron, si cette piste est la bonne : rémunération par une des 244 entités juridiques contrôlées par le groupe Rothschild, par exemple dans des paradis fiscaux comme Jersey ou l’Île-de-Man ; versement à une entité externe au groupe mais contrôlée indirectement par l'associé gérant ; versement à un trust, ce véhicule juridique anonyme dont le bénéficiaire n'apparaît pas...

    Aucune preuve, aucun indice ne permettent de confirmer l'une de ces pistes. Dans un communiqué envoyé à l'Agence France presse le 31 mars 2022, suite au documentaire d’Off investigation, le groupe Rothschild avait « démenti formellement » l'affirmation selon laquelle ses « banquiers en France seraient rémunérés à l'étranger ».

    Ce ne sont pas des amateurs

    « Seul un audit approfondi de Rothschild pourrait retracer des versements. Et encore, ce ne sont pas des amateurs... », commente Christian Eckert, l'ancien secrétaire d'État au Budget des gouvernements Valls et Cazeneuve, sollicité par Blast pour avis. Le prédécesseur à Bercy de Gérald Darmanin ne se fait guère d’illusion. Il se charge d’ailleurs de doucher tout espoir : « La couverture de la HATVP et du parquet financier sera l'argument de Macron pour dire "circulez, y'a rien à voir". »

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    Membre du même gouvernement de 2014 à 2016, Christian Eckert et Emmanuel Macron ont été voisins à Bercy. « Ça nous interpelle beaucoup », confie le premier, au sujet des constats et des nouveaux éléments produits par Blast.

    3 à 4 millions, envolés ou pas réclamés

    Faute de réponse, il reste au passage une dernière hypothèse que personne n’a à ce jour évoquée : Emmanuel Macron aurait-il pu percevoir son pourcentage auprès du payeur, autrement dit directement de Nestlé ?

    A défaut d’avoir retrouvé la trace des millions fantômes, à défaut de réponse précise de l’Élysée comme de l’établissement spécialisé dans les opérations de fusion et d’acquisition, à défaut d’audit de la banque Rothschild, l’enquête de Christian Savestre permet de préciser un point essentiel de toute cette histoire. En répondant à cette question : combien de millions au juste Emmanuel Macron a-t-il ou aurait-il pu toucher en récompense du fameux contrat Nestlé/Pfizer ? Ou, reformulée, si l'on accorde une quelconque vraisemblance à l'hypothèse numéro 1, de quelle fortune s'est-il privé ?

    Pour chiffrer ce montant, nous ne marchons pas du tout à l'aveugle. Car le très accrocheur Savestre est tombé sur une pépite, en épluchant le rapport annuel 2012 consolidé du groupe Nestlé. Dans une annexe, voilà ce qu'on peut lire : « Les coûts connexes liés aux acquisitions 2012, principalement en relation avec l’acquisition de Wyeth Nutrition, ont été comptabilisés au compte de résultat dans la rubrique Autres charges opérationnelles pour un montant de CHF 82 millions. » Par ailleurs, le rapport annuel 2013 fait mention, dans les mêmes termes, d'un reliquat de 20 millions de francs suisses pour cette même opération.

    Au total, Nestlé a ainsi dépensé 102 millions de francs suisses en coûts d'acquisition, « principalement en relation » avec le deal Pfizer. Aucun autre rachat d'importance n'ayant été signé par Nestlé sur cette même période, on peut estimer ce « principalement » entre 80% et 100% de la somme évoquée. Pour le deal Macron.

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    Extrait du rapport annuel 2012 de Nestlé dans lequel on découvre les « coûts connexes » liés à « l’acquisition de Wyeth Nutrition » à Pfizer. Le prix du travail de Rothschild et de son associé-gérant, auquel il faut rajouter 20 autres millions CHF inscrits au bilan 2013.
    Document Blast.

    Ainsi, en menant à terme avec brio le deal Nestlé/Pfizer, Emmanuel Macron a fait gagner entre 68 et 85 millions d'euros à la banque Rothschild. Sur ce montant faramineux, à quoi pouvait-il prétendre ? Le montant des success fees, ou bonus pour opération réussie, est un secret jalousement gardé, y compris entre associés des banques d'affaires. On en connaît néanmoins la fourchette : elle oscille entre 5% des honoraires de la banque, pour les très gros deals, et 30%, pour les plus petits, le temps de travail n'étant pas proportionnel à la taille du contrat. Conclusion, l’actuel chef de l’État a gagné (ou laissé filer) au minimum entre 3,4 millions et 4,25 millions d'euros, selon que Rothschild a facturé ses services entre 68 à 80 millions d'euros.

    Le concours du candidat

    Le 12 février 2017, Le Journal du dimanche, en excellents termes avec le futur résident de l’Élysée (2), avait publié un article « avec le concours du candidat En Marche » sur son patrimoine. L'hebdomadaire, qui n’appartenait pas encore à Vincent Bolloré, indiquait que le deal Nestlé/Pfizer lui avait permis d'empocher 2,8 millions d'euros avant impôt, entre 2010 et 2012. On a vu que cette affirmation n'avait aucun sens, et pourquoi : Emmanuel Macron ne pouvait tout simplement pas être payé pour un accord pas encore conclu.

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    Début 2017, le JDD, pas encore Bollorisé, enquête pour faire la lumière sur les finances d’Emmanuel Macron. Ça tombe bien, l’intéressé est « prêt à tout mettre sur la table » et - « ne veut pas qu’il y ait de zone d’ombre sur son patrimoine ».
    Image Le Journal du dimanche.

    Pour faire bonne figure, un porte-parole du candidat du nouveau monde avait voulu faire preuve de transparence et de bonne volonté. « Son patrimoine a déjà été passé au rayon X mais s'il reste des zones d'ombre nous sommes prêts à les éclairer », s’était avancé Sylvain Fort, au sujet de son champion.

    Huit ans plus tard, un mandat et demi plus tard, le mystère demeure et les nouveaux éléments que nous rendons publics, dans la foulée de Christian Savestre, justifient qu’elles le soient enfin - éclairées. Si la promesse tient toujours, bien sûr.

    (1) Pour être précis, dans les BIC encaissés en mars 2012 par Emmanuel Macron au titre de son statut d'associé-gérant, il y a en réalité deux composantes. D'abord les avances fixes mensuelles, sur les bénéfices à venir : le montant de ces avances était établi à l'époque par David de Rothschild, qui en 2018 a transmis le flambeau à son fils Alexandre ; ensuite, deuxième élément, sa part des bénéfices réalisés en 2011, ou plus exactement le solde une fois déduites les avances mensuelles perçues en 2011.

    (2) Arnaud Lagardère, son propriétaire d’alors, a été le client du banquier d’affaires Emmanuel Macron, lors de ses années chez Rothschild.

    Les réponses à Blast de l’Élysée

    Blast publie, intégralement reproduite, la réponse que le service de presse de la présidence de la République nous a fait parvenir.

    « Tous les revenus et le patrimoine de M. Macron ont été l’objet de toutes les déclarations requises par la loi auprès de toutes les autorités publiques compétentes. La rémunération de M. Macron était, comme pour tous les associés de la Banque Rothschild, basée sur une appréciation de sa performance annuelle globale et non sur une opération particulière.

    Il ne peut pas y avoir de rémunération ‘par anticipation’. La déclaration de revenus de M. Macron reflète l’ensemble de ses revenus de l’année concernée et il n’y a pas de rémunération spécifique à une opération.

    La rémunération résulte d’une appréciation de l’activité globale pendant l’année considérée qui inclut toutes les opérations conclues et auquel l’associé a participé pendant l’année considérée.

    On ne comprend pas quelle rémunération vous évoquez. M. Macron a été rémunéré par la Banque Rothschild pour le travail effectué en qualité d’associé de cette banque comme indiqué précédemment.

    Au moment où il quittait la Banque Rothschild, M. Macron a cédé ces actions le 15 mai 2012 au prix auquel il les avait acquises en mars, deux mois auparavant, soit pour un prix unitaire de 268,20€ soit une valeur globale pour 20 titres de 5.364€. Il n’a donc reçu aucune plus-value sur ces titres. »

    Des liens privilégiés avec Nestlé qui éclaboussent la présidence

    C'est lorsqu'il était rapporteur adjoint de la commission Attali, en 2007, qu'Emmanuel Macron a noué ses premières relations avec Nestlé. Son PDG Peter Brabeck-Letmathe figurait parmi les membres éminents de ce cénacle chargé par Nicolas Sarkozy de « libérer la croissance française ».

    Lorsque, en septembre 2008, le jeune premier rejoint la banque Rothschild, recruté par François Henrot - à qui plusieurs membres de la commission Attali le recommandent chaudement -, il exploite naturellement ce contact privilégié. Autre atout dans sa manche, il peut aussi compter sur sa relation directe avec Hans Peter Frick : le directeur juridique du groupe Nestlé, lui aussi, a participé aux travaux du groupe d’experts rassemblés autour de l’ancien sherpa de François Mitterrand.

    Nestlé n'est pas un client de Rothschild. Mais la multinationale suisse va faire confiance au banquier trentenaire pour signer une opération à 9 milliards d'euros. De quoi bluffer le petit monde de la finance, et au-delà le monde politique. Signe de cette proximité, l’Autrichien Brabeck-Letmathe, à qui Macron a pris l’habitude de faire la bise, lui proposera même de rentrer chez Nestlé, selon notre confrère Marc Endelwed.

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    Macron, le... président de Nestlé ? En mai 2017, avant la victoire en forme d’holdup du candidat en marche, la radio suisse publique ne tourne pas autour du pot pour présenter l’outsider de l’élection présidentielle française.
    Image Swissinfo.

    Cette attention particulière portée par Emmanuel Macron au géant suisse ne s'est jamais tarie. On le redécouvre aujourd'hui, avec l'affaire Nestlé Waters.

    La firme est soupçonnée d'avoir violé la réglementation française sur les eaux minérales naturelles en utilisant des procédés de filtration pour traiter une eau polluée, la privant de tous ses supposés atouts en minéraux et oligoéléments. Le dossier, qui concerne l’usine des Vosges (où sont embouteillées les eaux Contrex, Hépar et Vittel) et le gisement de Perrier, a été étroitement suivi à l'Élysée par le secrétaire général Alexis Kohler, entre 2022 et 2023 en particulier. Autrement dit par Emmanuel Macron lui-même, celui dont Nestlé était un client une décennie plus tôt.

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    Le 22 avril, à la une de Blast. Le fidèle Kohler - qui a quitté l’Élysée mi-avril, pour la Société générale - était aussi en première ligne dans le scandale des eaux Nestlé. Jusqu’au bout, il a suivi le dossier en prenant régulièrement au téléphone les dirigeants de la multinationale, selon les informations de Blast.
    Image Blast.

    Durant cette période, la présidence de la République a donné son feu vert à Nestlé pour poursuivre ses pratiques, contraires à la réglementation en vigueur. C'est ce qu'a révélé la commission d'enquête sénatoriale créée pour élucider cette affaire, selon laquelle les contacts entre Nestlé et l'Élysée se sont poursuivis « jusqu’à une date très récente, même pendant les travaux de notre commission d’enquête ».

    Convoqué le 8 avril par les sénateurs, Alexis Kohler a refusé de se rendre à son audition. Un bras d'honneur motivé selon les observateurs par la volonté du secrétaire général - désormais dans le privé, banquier à la Société générale - de protéger le président de la République. De leur côté, le rapporteur et le président de la commission d’enquête ont saisi la présidence du Sénat après l’audition le 19 mars de la PDG de Nestlé Waters. Muriel Lienau a refusé de répondre à leurs questions.