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Qatar : le proviseur du lycée français exfiltré en urgence
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(Mediapart) Début septembre, le proviseur du lycée Bonaparte de Doha, qui dépend du Quai d'Orsay, a été renvoyé en toute hâte vers Paris après avoir été brièvement arrêté pour « attitude antimusulmane ».
Il ne fait pas bon diriger un lycée au Qatar. Pour la deuxième fois en un an, le proviseur d’un établissement français a été contraint de quitter l’émirat, pourtant très en cour à Paris. Cette fois, il s’agit du proviseur du lycée Bonaparte de Doha qui dépend du ministère des affaires étrangères et qui a dû partir précipitamment début septembre après une plainte déposée pour « attitude antimusulmane ».
Selon nos informations, Hafid Adnani, fonctionnaire de l’Éducation nationale en détachement à Doha, a fait l’objet d’une plainte déposée début septembre par la directrice financière du lycée Bonaparte dont il voulait se séparer. D’après plusieurs sources, le proviseur lui reprochait de ne pas détenir les diplômes qu’elle prétend avoir pour occuper son poste. Un conflit professionnel somme toute banal, mais qui a vite tourné au cauchemar. Car la plainte a provoqué l’arrestation du proviseur français. L’ambassade de France, alertée, est intervenue. Mais, en échange de sa liberté, Hafid Adnani a dû faire ses valises, direction Paris, en l’espace de quelques heures et en laissant sa famille à Doha.
« Le vendredi (6 septembre – ndlr), il a été vu dans Doha. Le dimanche (8 septembre – ndlr), on nous a annoncé qu’il était à Paris ! Tout le monde a été surpris », raconte une mère d’élève du lycée Bonaparte, sous couvert d’anonymat. Dans l’établissement, c’est la stupéfaction. La rentrée venait d’avoir lieu et rien ne laissait présager, selon plusieurs témoignages, le départ du proviseur. Sur le site du lycée, il figure toujours à l’organigramme et le « mot du proviseur » pour la rentrée scolaire est encore signé de son nom
Pourtant, selon le Quai d’Orsay, il est remplacé depuis le 8 septembre par son adjoint et la directrice financière a démissionné. « Le proviseur a eu un différend avec un agent du lycée français Bonaparte. Pour éviter que l’affaire ne s’envenime et dans son propre intérêt, l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE, dont dépendent les établissements français à l’étranger – ndlr) lui a proposé un nouveau poste. Le proviseur adjoint assure l'intérim, en attendant la nomination d’un nouveau proviseur », explique-t-on au ministère des affaires étrangères. Au ministère de l’éducation nationale, on explique être « en train de lui trouver un nouveau poste de direction en France », après l’avoir reçu à son retour à Paris.
Mais ni chez Laurent Fabius ni chez Vincent Peillon, on ne souhaite commenter plus avant une affaire extrêmement sensible. L’Élysée se contente, de son côté, de renvoyer vers le Quai d’Orsay et affirme que le dossier n’a pas été évoqué lors des deux entretiens avec les autorités qataries que François Hollande a eus en septembre. La France est de toute façon très en retrait dès qu'il s'agit de condamner les pratiques de la famille régnante, que ce soit pour l'organisation de la coupe du monde de football en 2022 (44 ouvriers népalais viennent de mourir sur les chantiers de construction) ou le respect des droits de l'homme (le Qatar envisage d'utiliser un test prétendant “détecter” l'homosexualité des expatriés !).
C’est pourtant la deuxième fois en un an que la coopération scolaire entre la France et le Qatar est mise à mal. À l’automne 2012, c’est l’autre lycée français de Doha, le lycée Voltaire, qui en a subi les conséquences : il s’agissait cette fois d’un établissement dépendant de la Mission laïque française, une association fondée en 1900 pour diffuser l’enseignement en langue française dans le monde et actuellement présidée par l’ancien ambassadeur Yves Aubin de la Messuzière.
Inauguré en grande pompe en 2008 par le président de l’époque Nicolas Sarkozy, aux côtés du prince héritier, l’établissement a été voulu par la famille régnante, les Al-Thani, pour scolariser de riches familles qataries (le lycée Bonaparte étant pour l’essentiel fréquenté par des enfants d’expatriés) mais aussi, par exemple, le jeune fils de Ben Ali, qui y étudie depuis l’exil forcé de son père, l'ancien président tunisien. Très vite, les conflits sur les programmes se sont multipliés avec les autorités – c’est le procureur général de Doha qui préside le conseil d’administration. Comme l’a raconté Le Nouvel Observateur, le proviseur a été convoqué en 2010 pour un livre d’histoire contenant des pages consacrées à la chrétienté. « On censurait les livres pour ne pas montrer que la France est productrice de vin ou une femme nue dans le manuel de sciences. Il ne fallait pas chanter non plus les Trois petits cochons en maternelle ! » raconte à Mediapart une ex-mère d'élève.
Pour apaiser les tensions, un nouveau proviseur, Franck Choinard, avait été nommé, avec un salaire deux fois plus important que son prédécesseur. Mais rien n’y a fait : la Mission laïque, qui gérait l’établissement, a été priée de plier bagage fin 2012. « Une première dans l’histoire de l’association », s’étrangle son président Yves Aubin de la Messuzière. La Mission est accusée par les Qataris d’avoir détourné plus de 500 000 euros de la comptabilité de l’établissement pour d’autres lycées dans le monde. À l’époque, le proviseur Franck Choinard soutient Doha et tourne le dos à l’association. Il dépose même plainte à Paris, pour détournement. Mais cette dernière vient d’être classée par le procureur de la République. Surtout, Choinard a lui aussi dû quitter précipitamment le Qatar, accusé de pédophilie –une accusation qu’il réfute. « C’est là encore un dossier monté de toutes pièces par les autorités. Ce sont les pratiques qataries », dit un bon connaisseur de l’émirat.
La visite de François Hollande au Qatar, en juin 2013, avait permis d’aplanir la situation – les Qataris gèrent désormais seuls l’établissement, en partenariat avec l’AEFE. Mais, pour le président de la Mission laïque, Yves Aubin de la Messuzière, « cela a été une blessure pour l’association de ne pas avoir été suffisamment protégée par la diplomatie française ». La France n’a en effet remis en cause aucun de ses partenariats avec le riche émirat, très implanté dans l’Hexagone. Et la nouvelle affaire du lycée Bonaparte n’y changera rien.
« Ce sont deux établissements qui fonctionnent. Globalement, cela se passe plutôt bien au Qatar », explique-t-on au ministère de l’éducation nationale. Quant au Quai d’Orsay, à la question de savoir si les incidents à répétition incitent la France à revoir sa coopération en matière d'enseignement, la réponse est lapidaire : « Non. » Avec Hollande comme avec Sarkozy, le Qatar est décidément un petit émirat très puissant.
La boîte noire :Pour cet article, j’ai cherché à joindre Hafid Adnani, en vain. Plusieurs des parents d’élèves que j’ai contactés ont répondu à mes questions, mais tous ont souhaité rester anonymes.
Le Quai d’Orsay (par mail) et le ministère de l’éducation nationale (par téléphone) ont partiellement répondu à mes questions. L’Élysée a renvoyé vers le ministère des affaires étrangères et indiqué que le dossier n’avait pas été évoqué lors des entretiens entre le président de la République et les autorités qataries.