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Ukraine: Iegor Velitchko, mineur de Donetsk, face à la peur du vide
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(Le Monde) Il circule entre les montagnes de pneus et les barricades, évite habilement les gens venant en sens inverse. Iegor Velitchko a l’habitude d’évoluer en milieu sensible. En temps normal, il dirige une équipe de 35 personnes à 1 100 mètres de profondeur, dans une mine située à la sortie de Donetsk. Mais aujourd’hui, avec quelques collègues, il est venu apporter son soutien aux activistes qui ont pris le bâtiment de l’administration régionale, devenu le symbole de la contestation du Donbass (Est) contre les autorités à Kiev.
Iegor a 30 ans. Il travaille sous terre depuis six ans. Ce n’était pas écrit, même si les branches familiales constituaient un indice. Son père est mécanicien en chef dans une mine ; sa mère, comptable dans une autre. Mais le jeune homme aux grands yeux verts et au visage jovial a longtemps étudié pour devenir chirurgien. Jusqu’à ce qu’une priorité le rattrape : « Il fallait nourrir la famille. Il m’aurait falluattendre des années, comme médecin, pour avoir un bon salaire. » Les mineurs, à Donetsk, sont plutôt choyés par rapport à d’autres professions. Les 9 000 hryvnia (515 euros) que touche Iegor, soit deux fois et demie plus que sa femme géologue, permettent de rembourser les crédits sur la voiture et l’appartement, pris à un taux dément mais banal de 45 % sur vingt ans.
Des détails, ces chiffres ? non. C’est l’essentiel. Impossible de comprendre, sinon, pourquoi ces mineurs sont venus soutenir les séparatistes. Non pas parce qu’on les a forcés. Au contraire : ils dénoncent les pressions de leur direction pour les inciter à rester sages. Pas davantage parce qu’ils veulent que le Donbass se sépare de l’Ukraine et rejoigne la Fédération de Russie, suivant l’exemple de la Crimée. Le cœur de leurs préoccupations ne relève pas de la géopolitique. Il joint le passé, le présent et l’avenir. Ils parlent de la mémoire de leurs ancêtres, qui ont combattu les nazis, et de l’avenir de leurs enfants.
Lire (édition abonnés) : La « république de Donetsk » ? Onze étages sans ascenseur
« EN RUSSIE AU MOINS, IL Y A DES GENS QUI NOUS RESSEMBLENT »
La peur du vide les habite. La monnaie nationale s’effondre. « En six mois, monpouvoir d’achat a été divisé par trois, explique Iegor Velitchko. Je ne peux faireaucun plan un mois à l’avance. Je peux vivre de peu, d’accord, mais de façon stable. » Le ciel est lourd de menaces. Les réformes radicales réclamées par les créditeurs occidentaux pourraient avoir des répercussions terribles sur le grand bassin houiller.
Peu importe, au fond, que ce cataclysme économique ait des racines plus profondes, et bien plus anciennes, que Maïdan. Pour Iegor, la révolution qui a précipité la fuite du président Viktor Ianoukovitch représente une sorte d’électrochoc. « Jusqu’à Maïdan, ça m’était égal de savoir dans quel pays je vivais. Mais je hais qu’on parle en mon nom. Cela fait un mois et demi que je viens ici. Quand j’entends à la télévision ukrainienne qu’on est 100, à 80 % manipulés par des agents du FSB [services de sécurité russe], ça me rend fou ! Quand on me dit que je suis un crétin de mineur, que je ne comprends rien, ça me pousse à continuer. » Jusqu’au bout ? Oui. Iegor Velitchko se dit prêt àdéfendre physiquement le bâtiment saisi contre tout assaut policier. « S’il a lieu, lepouvoir le regrettera. Je prendrai tout ce qui nous tombera entre les mains et je combattrai. »
La question du rattachement à la Russie, il ne l’aborde pas de front. Le mineur tourne autour, sentant un piège, une fausse évidence. « Je veux vivre dans un pays qui me respecte. Kiev ne pourra pas unir l’Ukraine, l’ensemble du peuple. C’est sûr. En Russie au moins, il y a des gens qui nous ressemblent. Notre vie ne serait pas meilleure avec eux, mais pas pire non plus. » La grande ville russe de Rostov n’est qu’à deux heures de voiture. Iegor a aussi de la famille dans le Sud, du côté de Krasnodar, près de Sotchi. En revanche, il n’est jamais allé dans l’ouest de l’Ukraine. La question de la fédéralisation du pays, réclamée par Moscou pour affaiblir Kiev, ne lui déplaît pas. « Les gens à l’Ouest, qui n’ont aucuneindustrie contrairement à nous, prétendent qu’on vit de subventions. Pourquoi devrais-je travailler pour eux ? Si je sais que mon argent reste ici, pour payer la retraite de mes parents, ça me va. »
- Piotr Smolar (Donetsk, envoyé spécial)
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