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Intermittent-e-s du spectacle : épilogue d’une lutte prolongée

Le 14 juillet, un nouveau décret sur les annexes 8 et 10 de l’assurance-chômage est paru au Journal Officiel. Il reprend la plupart des revendications de la CGT Spectacle, de la Coordination des Intermittent-e-s et Précaires d’Ile-de-France (CIP-IDF) et de Sud Culture, énoncées pour certaines depuis 13 ans. Il protège un peu plus les quelques 110 000 salarié-e-s relevant de ce régime spécifique. Que s’est-il passé pour qu’aujourd’hui enfin nous soyons entendus ?

L’accord du 28 avril

Le 28 avril dernier un accord a été trouvé par les syndicats des secteurs professionnels du spectacle sur le régime d’indemnisation spécifique des intermittent-e-s. A noter que ces nouvelles discussions étaient un (petit) acquis des luttes de 2014. A l’unanimité, les syndicats du secteur et notamment la CFDT Culture ainsi que la FESAC (employeurs du spectacle vivant, partie du MEDEF) ont accepté les revendications portées depuis plus de 13 ans notamment par la CGT Spectacle, Sud Culture et la CIP-IDF.

En effet, depuis la réforme de 2003 le régime reposait sur un principe capitalisé où il fallait effectuer 507 heures en 10 mois ou 10 mois et demi pour pouvoir s’assurer un « pactole » de 243 jours d’indemnités (soit 8 mois de chômage). Grâce notamment à l’auto-organisation et à la création de la CIP, des propositions mutualistes, redistributives (qui plafonnent notamment les plus riches pour donner aux pauvres) ont été élaborées. En parallèle les luttes ont été fréquentes et intenses, notamment depuis 2014 et la proposition du MEDEF de « supprimer les annexes 8 et 10 de l’assurance chômage ». Les syndicats Sud Culture, la CGT Spectacle et la CIP ont été en pointe avec des grèves massives (Avignon, Montpellier, théâtres nationaux…), des occupations (DRAC, locaux PS, MEDEF, mairies…), des actions, blocages, et manifestations…

Ce nouvel accord du 28 avril reprend dans les grandes lignes les revendications des syndicats et collectifs d’intermittent-e-s : date anniversaire, 507 h sur 12 mois avec indemnisation sur 12 mois, heures de formation à 70 h (120 h pour les plus de 50 ans), congés maternité pour les artistes et réalisateurs, un cachet unique de 12 h (finis les cachets de 8 h)… Elles avaient notamment été reprises en 2014 par un « Comité de suivi » qui les porta devant les commissions culturelles à l’Assemblée nationale.

30 mai : plouf

Mais pour que cet accord soit validé, il fallait qu’il soit ratifié le 30 mai dernier par les confédérations siégeant à l’UNEDIC (qui comprend 3 syndicats patronaux et 5 syndicats de salarié-e-s). Or, comme on pouvait s’y attendre, le patronat et notamment la CFDT (mais aussi la CFTC et la CFE-CGC) ont refusé d’intégrer l’accord signé par leurs syndicats sectoriels, intégration qui était une condition sine qua non pour qu’un nouveau protocole d’accord émerge. Car pour ces bureaucraties, cet accord (signé pourtant par leur base) ne respectait pas la lettre de cadrage de l’assurance-chômage qui demandait 105 millions d'euros d'économies à la profession. Le comité d’experts chargé d’évaluer les dispositions du 28 avril estimait en effet que les mesures listées par l’accord ne produisaient « que » 84 à 93 millions d’euros d’économies. Soit un écart de 10 à 20 millions…

De plus, l’exigence des syndicats de salariés pour commencer à discuter sur le régime général était l’augmentation des cotisations sur les CDD. Or le MEDEF n’a pas voulu céder sur ce point. Les négociations n’ont donc même pas commencé !

Recul de l’État…

Siège du MEDEF occupé le 7 juin

Dès le lendemain, Denis Gravouil, secrétaire de la CGT Spectacle déclare : « Nous avons des éléments très précis pour faire grève y compris sur le montage des festivals qui commencent maintenant. » Des actions reprennent alors, de plus en plus radicales (notamment l’occupation du siège du MEDEF le 7 juin par une centaine d’intermittent-e-s), des manifestations s’organisent et le collectif du « in » du festival d’Avignon brandit la menace de grèves le 15 juin. Tout ça pour peser sur la dernière séance de négociations de l’UNEDIC qui a lieu le lendemain, jeudi 16 juin, et qui se soldera bien sûr par un nouvel échec. Matignon s’empresse alors de répondre le soir même par la prolongation de l’actuelle convention sur le régime général et l’ajout d’un nouveau décret sur les annexes 8 et 10.

La peur face à de nouvelles mobilisations de militant-e-s intermittent-e-s déjà très présent-e-s dans les Nuit Debout et dans le combat contre la loi Travail est sans nul doute la cause de cette annonce. De plus, il fallait impérativement une nouvelle convention, comme le rappelle Samuel Churin (porte-parole de la CIP-IDF) : « L’État a donc été obligé de substituer sa signature à la leur, auquel cas il n’y aurait plus eu de convention après le 1er juillet et les chômeurs n’auraient pas été payés. Un premier décret a donc prorogé la convention telle qu’elle est aujourd’hui sans limite de temps. Mais un deuxième décret intègre le nouvel accord sur les annexes 8 et 10 signé le 28 avril. »

Finalement, l’État a donc « sauvé » l’accord du 28 avril par peur de voir une contestation dangereuse prendre de l’ampleur et converger avec la mobilisation contre la loi Travail, qui venait de faire une démonstration de force lors de la manifestation nationale du 14 juin…

La convention générale a donc été prorogée par le gouvernement. L’accord du 28 avril sur les intermittent-e-s a été ajouté par décret le 13 juillet dernier, puis publié au Journal Officiel le 14 juillet. À partir du 1er août, les intermittent-e-s seront donc sous les règles de ce nouveau décret.

Revendiquer notre victoire et rester vigilant

Que retenir de tout cela ? D’abord il faut revendiquer que ce nouveau décret est une victoire, et une victoire sociale. On sait que depuis 2003 le MEDEF et la CFDT espéraient une disparition lente mais programmée du régime d’indemnisation spécifique des intermittent-e-s pour des raisons économiques mais surtout idéologiques : la France est le seul pays au monde avec la Belgique à avoir un système de solidarité interprofessionnelle pour les artistes et technicien-ne-s du spectacle vivant. Et comme le rappelait Marx, « la production capitaliste, est hostile à certains secteurs de production intellectuelle, comme l’art et la poésie ».1

Or les mouvements sociaux, l’auto-organisation et la radicalisation des luttes ont été déterminants. Grâce à eux, le gouvernement a dû jeter l’éponge cette année pour éviter de se confronter à une nouvelle vague contestataire. Le MEDEF, qui réclamait depuis 2014 la disparition pure et simple des annexes 8 et 10, et la CFDT, qui s’opposait au principe mutualiste, ont été tous deux désavoués.

Lundi 13 juin, manifestation pour la fusion entre le MEDEF et la CFDT

Cependant, on sait que le MEDEF et la CFDT tiennent à leur lettre de cadrage et aux économies impossibles réclamées aux intermittent-e-s. Lors de la prochaine convention, ils voudront continuer à appliquer leur feuille de route pour arriver à 400 millions d’euros d’économies en 2020 sur les seuls intermittent-e-s, ce qui équivaut à la disparition pure et simple du régime. De plus, le risque est grand que l’État se substitue de plus en plus à l’UNEDIC, finance l’intermittence, et fasse sortir ainsi, petit à petit, les intermittent-e-s de la solidarité interprofessionnelles jusqu’à ce qu’un futur gouvernement dise stop et élimine ainsi le régime. C’est pourquoi nous savons que ce qui a été acquis est fragile, que c’est une pause avant de nouvelles attaques qui arriveront d’ici un an ou deux…

De plus, le combat des intermittent-e-s contre la loi Travail doit continuer, notamment car le nouvel article 52 réintègre une disposition qui avait été annulée par le Conseil d’État en octobre dernier : le prélèvement direct de Pôle Emploi sur les allocations chômage suite à un trop-perçu sans saisie d’un juge ; autrement dit, la possibilité pour Pôle Emploi de se faire justice lui-même alors qu’il y a erreur de sa part. Et le combat doit évidemment continuer sur l’assurance-chômage en général qui se dégrade à grande vitesse (contrôles des chômeurs/ses, diminution des indemnités, radiations plus fréquentes, etc…).

Pour conclure, la victoire des intermittent-e-s sur le MEDEF et la CFDT doit être revendiquée et criée haut et fort. Elle légitime 13 ans de luttes intenses, de revendications élaborées, portées, et rarement écoutées. Elle montre aussi l’importance de ne jamais baisser les bras sur des revendications, ni en 2006, ni en 2010, ni en 2014, alors qu’à chaque fois nous étions face à des reculs… Elle montre enfin que le patronat et les bureaucraties syndicales ne font pas la loi et peuvent être mis en déroute. Il faudra retenir que les menaces de grèves, les occupations mi-juin par les intermittent-e-s, tout cela lié aux fortes manifestations contre la loi Travail, auront permis de faire échouer le projet de l’État et du patronat sur ce point. C’est une petite victoire, mais dans la situation actuelle de recul des acquis, il n’y a plus de petites victoires…

Continuons le début...


1 K.Marx, Théories sur la plus-value

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