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Pas de réouverture prématurée des écoles: nos revendications dans l’éducation pour le déconfinement
Article initialement publié sur le site du NPA.
La dernière allocution de Macron a surpris un certain nombre de celles et ceux qui l’ont écoutée. Au mea culpa manifestement feint quant aux décisions du gouvernement en début de crise sanitaire, s’est ajoutée une décision que beaucoup ont commencé à largement condamner : un déconfinement progressif à partir du 11 mai qui inclurait la réouverture des crèches, écoles et établissements du second degré, sans garantie que cette réouverture s’accompagne d’une mise en place effective des mesures de protection nécessaires.
Une réouverture des écoles dictée par le MEDEF et à l’encontre de toute logique sanitaire
Depuis ces annonces, les inquiétudes et critiques ont fusé dans le milieu de l’éducation et chez les parents d’élèves, notamment. Outre le fait que ces décisions apparaissent très clairement aux yeux de tous et toutes pour ce qu’elles sont : des mesures pour satisfaire le MEDEF qui veut remettre tout le monde le plus rapidement possible au travail, dans la logique d’un profit toujours supérieur à nos vies (il faut donc que les parents puissent travailler sans avoir leurs enfants à charge), les personnels de l’éducation comme les parents s’inquiètent – à très juste titre – du caractère prématuré de la réouverture des écoles, quand la crise sanitaire est encore si forte qu’une seconde vague de propagation massive – que les hôpitaux ne pourront pas prendre en charge qui plus est – est ce qui nous attend si la réouverture des établissements se fait trop tôt.
Toutes les expériences à l’international et tous les travaux scientifiques le montrent1 : un scénario de déconfinement trop hâtif est dangereux. Plusieurs pays ont déjà choisi de ne pas reprendre les cours avant septembre, comme l’Espagne, l’Italie, le Portugal, la Russie, le Québec, l’État de New York, etc. Parmi eux, plusieurs, dont le Quebec, se sont ravisés après que les personnels de l’éducation ont manifesté leur refus catégorique d’être envoyé.es en première ligne d’une part, et d’être les acteur.trices d’une pièce tragique qui mettrait tout le monde en danger et saturerait davantage les hôpitaux, d’autre part.
De fait, cette décision du gouvernement est clairement incompatible avec le respect des gestes barrières et de distanciation sociale imposés par ailleurs et présentés – à juste titre – comme les freins nécessaires à la propagation du virus. Il n’est pas possible, sans réorganisation d’ampleur dans des établissements scolaires qui sont, trop souvent déjà, des espaces trop petits par rapport au nombre d’élèves et personnels présent.es, de respecter la distance minimale d’un mètre, dans les couloirs comme dans les salles de classe. Il n’est pas possible de désinfecter les salles entre chaque cours, il n’est pas possible d’assurer le maintien de la restauration scolaire, des internats, donc d’une forme d’égalité entre tous et toues les élèves… et on peut très largement douter de la possibilité d’obtenir des masques efficaces et en nombre suffisant, quand on voit que les soignant.es eux et elles-mêmes n’en ont pas.
La réouverture des écoles et crèches, dans ce contexte, serait donc une source de contagion énorme, pour les personnels, les familles, d’autant que nous manquons d’études scientifiques sur leur rôle dans la propagation de l’épidémie, donc le principe de précaution devrait prévaloir, et qu’on sait au moins qu’un certain nombre d’entre eux sont porteurs asymptomatiques.
Pour un déconfinement cohérent avec les études scientifiques et épidémiologiques : tester, repérer, isoler
Évidemment, il ne s’agit pas de fermer les yeux sur la nécessité d’un déconfinement, ni sur les effets délétères du confinement. Nous ne pouvons pas rester confiné.es pendant des années, en attendant un hypothétique vaccin qui en plus, peut n’arriver que tardivement. La question n’est donc pas celle de savoir s’il faut déconfiner ou non, mais plutôt celle de savoir comment et quand le faire. Un second pic de contamination est inévitable, mais on peut agir sur le moment où il aura lieu et sur son ampleur et par là diminuer très fortement le nombre de mort.es qui en résultera. Cela dépend en gros de trois facteurs : combien il y a de nouveaux cas par jour au moment du déconfinement, quelles mesures de distanciation sociale sont maintenues à la levée du confinement (réduction des contacts des personnes âgées, télétravail, fermeture des restaurants, bars, absence de rassemblements de masse, etc.), et quelles sont les capacités à tester, tracer et isoler. Le nombre de nouveaux cas par jour au début du déconfinement a plusieurs implications : plus il est élevé, plus le pic épidémique arrivera tôt et sera élevé (toutes choses égales par ailleurs); plus il est élevé et plus il est difficile de faire le travail consistant à tester, repérer et isoler; plus il y aura dans un laps de temps court beaucoup de nouveaux cas, plus les services de réanimation risquent d’être saturés et même largement dépassés. Or, aujourd’hui, les hôpitaux sont encore saturés et de nombreux.ses patient.es souffrant d’autres pathologies que le Covid 19 ont dû repousser leur traitement et doivent être pris.es en charge, sans compter le besoin de repos des personnels hospitaliers. Mais les différents modèles et études sur le sujet montrent qu’un mois supplémentaire de confinement est un des facteurs (à lui seul insuffisant) permettant de diminuer significativement le nouveau pic épidémique.
Plusieurs choses peuvent être dites, au sujet des différentes stratégies, pour étayer cette idée :
- La stratégie de l’immunité collective, évoquée par le gouvernement, n’est en effet pas viable. Cette stratégie consiste dans le fait de laisser circuler le virus pour atteindre le plus rapidement possible le stade où le nombre de personnes immunisées sera suffisamment important pour empêcher le virus de circuler à nouveau. Mais nous avons peu de recul sur la maladie pour savoir si une telle stratégie peut fonctionner d’une part, et elle est très coûteuse, en vies humaine,s d’autre part. C’est d’ailleurs pourquoi elle a été abandonnée par le Royaume-Uni très vite2.
- Aujourd’hui, les hôpitaux sont saturés, et manquent encore de lits pour accueillir tous.tes les patient.es atteint.es du virus et les autres malades. La pression exercée sur les hôpitaux baisse en raison du nombre de cas en moins, et alors que certains modèles, dont celui, pré-cité, de l’Inserm indiquent, comme tendance, que 2000 lits pourraient encore être occupés en réanimation début mai à l’échelle de l’Ile de France, ce chiffre pourrait être ramené à 1000 si le déconfinement se fait plutôt début juin.
- Dans tous les cas, ce qui fonctionne pour freiner la propagation du virus, repose sur 3 mesures essentielles : tester, repérer, isoler3. Il faut en effet être en mesure de tester et repérer les nouveaux cas pour pouvoir les isoler, et isoler les personnes qui ont été en contact avec eux, et ainsi éviter toute propagation. Or, pour que cette mesure soit efficace, il faut que les chiffres de propagation du virus soient bas, afin d’éviter de nouvelles contagions massives. Or, aujourd’hui on estime qu’environ 40 % des cas de nouvelle infection interviennent auprès de personnes qui n’ont pas de symptômes d’une part, et moins la distanciation sociale est respectée, plus la contagion est élevée d’autre part. Si les chiffres des personnes contaminées baissent, ce qu’ils font avec le confinement, alors il devient plus simple moins difficile (je crois que c’est tout de même très difficile vu les caractéristiques du virus) de repérer les nouveaux cas, et de les prendre en charge, à la fois pour les isoler, et pour suivre médicalement leur évolution, les traiter plus tôt et les hospitaliser à temps quand c’est nécessaire. De plus, plus la capacité à repérer les cas et à les isoler vite sera grande, plus les mesures de distanciation sociale maintenues pourront être souples.
Pas de réouverture des crèches et écoles le 11 mai !
Pour toutes ces raisons, la date du 11 mai évoquée par le gouvernement est trop proche et donc dangereuse : les conditions d’un déconfinement acceptable ne seront pas réunies à cette date. En plus de l’application de la stratégie tester, prévenir, isoler, qui est une condition sine que non de la reprise et qui nécessite donc de revoir la temporalité du déconfinement, nous devons avoir la certitude que, une fois le déconfinement progressif possible, tous les moyens pour une reprise avec protections soient mis en place. Il nous faut donc revendiquer, de manière impérative, des masques en qualité et quantité suffisantes, du gel hydroalcoolique, des moyens pour que les mesures de distanciation soient possibles dans les écoles.
Attendre les conditions d’un déconfinement acceptable, c’est aussi permettre un déconfinement plus égalitaire : les personnes âgées comme les autres, les élèves à égalité les un.es avec les autres.
Mais ce n’est pas tout ! Le gouvernement instrumentalise la question des inégalités sociales pour justifier une réouverture des écoles le 11 mai. Dans le même temps, il poursuit une politique menée de très longue date et qui accroît ces inégalités : combien d’élèves décrocheurs.ses parce que les classes sont surchargées ? combien de postes supprimés dans l’éducation nationale et dans les zones d’éducation prioritaires ? Combien d’associations de protection à l’enfance qui peinent à fonctionner faute de moyens ? Combien de logements indécents, dans lesquels les jeunes et les familles vivent un confinement inacceptable ? A qui la faute ? Pas au virus, et personne n’est dupe.
Des moyens massifs tout de suite pour rendre le confinement supportable aux plus pauvres
Pour autant, les exigences sanitaires ne doivent pas nous conduire à fermer les yeux sur les effets néfastes du confinement, en particulier pour les plus précaires.
Il nous faut donc exiger, immédiatement, une aide financière massive aux 9 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, le maintien du droit pour un parent de rester à la maison pour garder ses enfants tout en étant payé à 100% (mesure que le gouvernement a décidé de supprimer à compter du 1er mai pour forcer les plus pauvres à retourner au boulot et à s’affronter avec les personnels de l’éducation), des logements décents pour toutes et tous, des moyens pour les élèves qui n’ont pas accès à la « continuité pédagogique » chère à Blanquer (des pc pour chaque élève qui n’en possède pas, une connexion internet garantie), des classes à effectif réduit tout le temps, pour une éducation qui prenne en charge tous les élèves, des moyens pour les ZEP, des moyens pour les institutions d’aide et de protection à l’enfance pour les jeunes qui vivent dans des environnements toxiques ou dangereux. Mettons les moyens au service de celles et ceux qui en ont besoin, et non au service du patronat. Ce n’est pas la réouverture des écoles qui garantira l’égalité entre les jeunes, ce sont les moyens qu’allouera le gouvernement à la recherche de cette égalité, mise à mal depuis trop longtemps déjà.
Pendant la période de confinement, des solutions d’accompagnements pédagogiques et de soutien, plus locales, plus ciblées, plus faciles à mettre en place qu’un retour en établissement dans de bonnes conditions sanitaires, pourraient être trouvées. Il nous faut très vite avancer sur des propositions et exiger des moyens pour les mettre en place.
Mettre la pression maintenant contre la réouverture le 11 mai : un point d’appui pour tous les autres secteurs
Ca n’est pas le 11 mai, et encore moins après, quand les conséquences désastreuses de la politique du gouvernement seront déjà là, qu’il faudra mettre la pression au gouvernement au sujet de nos revendications. C’est maintenant qu’il faut le faire.
Il faut tenir des AG d’établissement à distance le plus vite possible pour partager et discuter de nos revendications, mais également tenir des AG plus larges, dans les collectifs formés depuis plusieurs années suite aux attaques contre le collège, le lycée, le bac.
Il faut aussi interpeller les directions syndicales, dont certaines, donc la CGT Educ’Action, ont déjà avancé leurs inquiétudes concernant une reprise le 11 mai. Témoigner des inquiétudes est une chose, refuser une reprise le 11 sans les conditions requises en est une autre.
Il n’est pas admissible que les directions syndicales acceptent de négocier avec Blanquer les conditions de reprise le 11 mai, même si elles assurent en interne que c’est pour montrer que les conditions ne sont pas réunies. Elles ont la responsabilité de mettre au centre de leur argumentaire la préservation du maximum de vies humaines et la réduction immédiate des inégalités sociales par des mesures d’aide massives. Elles ne doivent pas se placer sur le simple terrain de la protection des personnels de l’éducation, mais de la défense de la vie et de la santé de toute la population, à commencer par les couches les plus pauvres, qui seront les premières frappées par une reprise brutale de l’épidémie.
Cette lutte doit être menée en commun avec tous les personnels de l’éducation (CPE, AED, personnels administratifs et ouvriers), avec les parents d’élèves et les élèves. Une victoire contre la réouverture des écoles le 11 mai serait un point d’appui pour tou.te.s les travailleur.se.s qui seraient renforcé.e.s pour imposer au Medef et à Macron des conditions de déconfinement qui protègent le mieux possible leur vie et celles de leur proches.
Pour un déconfinement décidé à la base, avec l’éclairage des scientifiques et personnels de santé !
- 1.Voir par exemple ce modèle de l’INSERM : https://www.epicx-lab.com/uploads/9/6/9/4/9694133/inserm-covid-19_report_lockdown_idf-20200412.pdf
- 2.Voir à ce sujet l’article de Louise Roc : https://npa2009.org/idees/societe/gerer-la-pandemie-une-affaire-tres-politique
- 3.Voir par exemple cette étude, publiée dans Nature : https://www.nature.com/articles/s41591-020-0869-5