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La casse de l’enseignement supérieur et de la recherche en action : mise en place de la LPR
(photo : Photothèque Rouge)
Malgré une assez forte mobilisation dans de nombreuses universités contre la LPR (loi de programmation de la recherche) en 2020, le gouvernement n’a pas reculé et le parlement a adopté cette loi. Même si tous les décrets d’applications ne sont pas actés, quelques aspects de la LPR viennent déjà frapper les laboratoires de recherche.
Depuis plusieurs décennies maintenant, les contre-réformes dans l’enseignement supérieur et la recherche (ESR) s’enchaînent et se complètent toujours mieux pour transformer l’ESR et l’adapter le plus possible au monde capitaliste.
Toujours moins de moyens pérennes
L’État se désengage toujours plus, avec moins de moyens pérennes tant du côté de l’enseignement où les formations sont surchargées et la sélection toujours plus cruelle (parcoursup) que du côté de la recherche où le modèle devient la recherche sur projet (ANR, ERC, etc.). Cela force les chercheurs et les chercheuses à monter des projets de recherche à court terme, à chercher et gérer des financements au détriment de leur travail de recherche. Ce dégagement de l’État s’accompagne aussi d’une ouverture plus importante aux intérêts capitalistes concernant les formations (toujours plus adaptées au bassin local d’emploi) et la recherche, puisque les projets avec les industriels sont toujours plus valorisés.
Accompagnant ce désengagement de l’État, a été mise en place l’autonomie des universités avec la LRU (loi relative aux libertés et responsabilités des universités, adoptée en 2007 et totalement appliquée depuis le 1er janvier 2013), accentuant la compétition entre les universités avec notamment une gestion beaucoup plus locale des budgets (là encore facilitant les apports financiers du privé), des recrutements, etc. Cette loi a renforcé encore l’ESR à deux vitesses avec d’un côté des établissements d’« excellence », riches, reconnus, avec plus de moyens pour l’enseignement et la recherche, et de l’autre des établissements de seconde zone, principalement pour délivrer des licences adaptées au marché de l’emploi… Les établissements les moins bien lotis sont même régulièrement obligés, car en faillite, de supprimer des postes d’enseignant·e·s-chercheurs/ses (en réalité, geler ces postes).
Casse des statuts
Comme dans toute la fonction publique, le statut de fonctionnaire pose problème aux dirigeants. Si chez les administratifs/ves et les technicien·ne·s (personnel BIATSS et ITA), la précarité est énorme depuis bien longtemps et le recrutement de fonctionnaires toujours plus rare, la LPR vient en rajouter une couche puisque cette loi fournit de nouveaux outils pour la casse du statut de fonctionnaire, notamment avec tout un tas de contrats précaires (CDI de missions, chaires, etc.).
Les tenur track
La LPR s’attaque désormais aux enseignant·e·s-chercheur/ses avec la mise en place de tenur track ou chaires éphémères. Il s’agit de contrats à durée déterminée de maximum 6 ans (loi Sauvadet oblige) d’enseignant·e·s-chercheurs/ses, au bout de laquelle la personne serait normalement titularisée en tant que professeur·e des Universités, modèle très fortement inspiré de la structure de la recherche du monde anglo-saxon, notamment aux États-Unis. Pour comprendre le problème, il faut savoir que pour les enseignant·e·s-chercheurs/ses (EC), il existe deux statuts à l’université : 1) maître/sse de conférences (MdC), statut qui nécessite un doctorat, puis la qualification par le Conseil national des universités, enfin la réussite au concours de recrutement local ; et 2) professeur·e, statut qui est la suite dans la carrière d’un·e EC et qui nécessite une habilitation à diriger des recherches, puis de nouveau la qualification par le CNU et le recrutement local.
Les postes de tenur track sont extrêmement problématiques à plusieurs égards. Tout d’abord, ce sont des postes précaires à durée limitée, avec toujours plus de pressions, d’évaluations pour espérer être un jour titularisé·e. Les postes de tenur track permettent de substituer un statut extrêmement précaire à celui de fonctionnaire titulaire, ce qui revient à transformer la plus grande partie des enseignant·e·s-chercheurs/ses en intérimaires de la recherche. Cette situation de précarité est d'autant plus insupportable quand on connaît la concurrence actuelle qui règne dans l'ESR du fait du manque abyssal de postes : dans ces conditions, la pression du non-renouvellement sera réelle et constante (ce qui pose par ailleurs le problème de la liberté de la recherche et pédagogique, nécessairement amputée dès lors qu'on risque son poste tous les six ans). Le gouvernement donne pour maigre contre-partie un meilleur salaire et moins d’enseignement (tâche pas toujours appréciée par certain·e·s enseignant·e·s-chercheurs/ses).
La carrière des enseignant·e·s-chercheurs/ses est bloquée, puisque les postes de professeur·e·s sont extrêmement rares et ne permettent pas aux maîtres et maîtresses de conférences d’évoluer dans leur carrière. De même, les postes de maîtres et maîtresses de conférence sont, eux aussi, trop rares. La création de ces tenur tracks va accentuer ce problème dans la recherche. En effet, ces postes de « super » maîtres et maîtresses de conférence, plus prestigieux, avec moins d’enseignement (donc en principe plus de recherche), mieux payés (compensant le CDD au lieu du poste de titulaire) vont remplacer de fait les postes classiques dont le nombre baisse toujours. Ces postes pourraient même servir à recruter en tenur track des MdC déjà en poste pour booster leur carrière. Mais derrière les apparences, il s’agit bien d’une détérioration sans précédent pour la carrière des enseignants-chercheurs : en dernière instance, l’obtention d’un poste pérenne de titulaire (perspective déjà largement bouchée pour les jeunes docteur-e-s aujourd’hui), sera rendue encore plus inaccessible. Dans un premier temps, tant que les tenurs tracks existeront en parallèle des postes de maîtres/esses de conférence, ces nouveaux postes seront peut-être plus prestigieux, mais l’objectif est clair : détruire le statut de maître/esse de conférence. Il est fort probable qu’à terme, la titularisation au bout de six ans ne soit plus la norme. C'est aussi une façon de soumettre la carrière de l'ESR à ses « résultats », ce qui revient à soumettre la carrière des enseignant·e·s-chercheurs/ses à la logique court-termiste, et évidemment dirigée par les intérêts capitalistes, la course aux résultats, aux meilleurs classements, au nombre de publications, etc.
Ces mécanismes sont sans doute un peu obscurs pour qui n’est pas du milieu, mais comme dans l’ensemble de la fonction publique, l’enjeu est la destruction du statut de fonctionnaire pour les EC, en commençant par les MdC.
Au passage, cela va créer une hiérarchie entre tenur tracks et MdC, de la concurrence, de la frustration. Autant de mécanismes managériaux néfastes pour une recherche saine qui puisse prendre son temps. De plus, cette diminution des charges d’enseignement et le débauchage de MdC déjà en poste va accentuer les manques de personnel pour les enseignements, et ainsi augmenter les recours aux vacataires et autres précaires de l’ESR aux conditions de travail très dégradées, aux paiements aléatoires… Enfin, les femmes seront encore une fois les grandes perdantes de ces postes tenur tracks puisque ceux-ci seront obtenus à des moments dans la vie où il est courant de faire des enfants. Même s’il est prévu quelques mécanismes pour « compenser » des congés maternité pendant les 6 ans de tenur track, notamment avec des diminutions de charge d’enseignement, il est certain que cela ne sera pas suffisant pour ne pas défavoriser les femmes dans les évaluations et les recrutements.
Recherche de la productivité
Pour le gouvernement et les classes dirigeantes, il est important de quantifier et de mesurer la productivité de la recherche, et surtout de la subordonner le plus possible aux intérêts des classes capitalistes. La recherche qui se fait sur des temps longs est de plus en plus fliquée (avec comme critères principaux non plus la pertinence scientifique, mais plutôt la quantité et les facteurs d’impact, etc.), et de plus en plus orientée (les projets type ANR ou ERC, avec des financements sur 5 ans sont plus ou moins accordés suivant les sujets).
Là encore, la LPR vient en rajouter une couche. En effet, pour avoir des postes de tenur tracks, les laboratoires devront présenter des projets de recherche au ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (MESRI) qui seront acceptés ou non pour le ministère. Le poids politique du ministère sur les sujets de recherche des laboratoires va donc être renforcé, entamant encore un peu plus la liberté de recherche des chercheurs et chercheuses. Cela est très problématique, qui plus est dans le contexte actuel où le gouvernement a une politique de plus en plus liberticide. Certaines thématiques de recherche vont être encore renforcées au détriment d’autres. Ces problématiques existent déjà (notamment avec les mécanismes de recherche sur projet comme les projets ANR ou les ERC), mais ici, c’est le ministère même qui décidera des projets scientifiques importants ou non. Dans un contexte dans lequel la ministre Vidal a demandé une enquête sur l’«islamogauchisme» à l’université en février 2021 cela fait froid dans le dos.
Un problème supplémentaire découle de ce fonctionnement puisqu’en réalité, pour pouvoir monter un projet de recherche suffisamment cohérent, les laboratoires devront choisir un ou une candidate pour écrire à un projet lui correspondant déjà, faussant encore plus les mécanismes de recrutement.
Faire gérer la pénurie par des enseignant·e·s-chercheur/ses
Les réformes structurelles dans l’ESR s’articulent toutes très bien : désengagement de l’État, déstructuration de l’ESR, autonomie des Universités, précarisation des carrières, adaptation au local. Ainsi, les établissements universitaires sont mis en concurrence, créant des disparités territoriales très problématiques. Les moyens deviennent de moins en moins importants (voir graphique). Les universités gèrent leur budget localement et désormais on peut voir des universités en faillite, gelant toujours plus de postes, avec des locaux dans des états de plus en plus déplorables. Les universités doivent négocier avec le gouvernement plus de moyens, et même si beaucoup de président·e·s d’université sont régulièrement en accord avec la politique du gouvernement, ils et elles doivent gérer la pénurie de moyens. Évidemment, cet argument les arrange bien pour mettre en place des mesures d’économie au sein de leur université.
On voit avec le mécanisme des tenur tracks que le localisme est amené à s’étendre aux laboratoires eux-mêmes. Sans doute seul moyen d’obtenir des postes (s’il n’y a pas d’opposition suffisante), les laboratoires se retrouvent pris au piège de la gestion locale de la pénurie, montant toujours plus de projet ANR ou ERC, et maintenant des projets scientifiques pour le recrutement sur des contrats très contestés dans la communauté universitaire. Chaque établissement, chaque laboratoire cherche alors à tirer son épingle du jeu, souvent au détriment des autres. Les réflexions ne sont plus alors sur la structure de l’ESR, sur comment on peut essayer de faire de la bonne recherche, mais les discussions portent sur les carrières individuelles, sur les parcours individuels, etc.
Tout ceci est un très bon moyen de pression sur le monde de la recherche, augmente toujours plus le jugement entre collègues où chacun·e doit juger de la sacro-sainte « excellence » de ses collègues, pression évidemment encore plus importante pour les jeunes. Soyons clair, il ne s’agit pas du mécanisme du jugement par les pairs, qui est un principe à défendre lors de la publication de travaux, mais plutôt la notion « d’excellence » qui pose problème ici. En effet, c’est la notion principalement utilisée par les dirigeants de l’ESR pour trier les « stars » des autres, « stars » car avec de bons scores pour les classements internationaux et évidemment les « bonnes » thématiques de recherche.
Construire une autre université
Alors que le contexte sanitaire rend la résistance difficile, il nous faut construire les outils permettant la mobilisation du secteur. À la suite des mobilisations contre les retraites et la LPR, la tâche est rude. C’est pourquoi, en tant que révolutionnaires, nous avons besoin de syndicats lutte de classe pérennes dans nos organismes et établissements, et pour cela il faut s’impliquer dans les syndicats existants, et peser le plus possible sur les revendications et leurs structures.
Nous revendiquons :
-
l'abandon de la LPR ;
-
l'augmentation drastique du nombre de postes dans l'ESR ;
-
la titularisation de tou·te·s les précaires ;
-
l’arrêt de la recherche sur projet ANR et autre ERC, avec financement pérenne à hauteur des besoins des laboratoires et organismes de recherche ;
-
la suppression de l'autonomie des universités au profit d'un plan de recherche national et sous contrôle des travailleurs/ses de l'ESR, à égalité (une personne, une voix), quels que soient les statuts (administratifs, techniques, enseignant·e·s-chercheur·e·s, doctorant·e·s).
Plus généralement, il nous faut, en tant que révolutionnaires, pouvoir proposer une autre université et une autre recherche, ouvertes à toutes et tous, qui permettent l’émancipation. Si le sujet programmatique est vaste et nécessiterait beaucoup plus de développement, une meilleure université et une meilleure recherche passeront forcément par plus de moyens pour enseigner, faire de la recherche et étudier dans de bonnes conditions. Il est tout à fait injuste que les conditions d’études des élèves en classes préparatoires, élèves souvent favorisé·e·s, soient aussi bonnes par rapport à celles des étudiants des universités. Il faut étendre ces conditions à toutes et tous avec plus d’heures de cours, un vrai suivi par des classes de 40 maximum, et évidemment les bourses nécessaires pour que les étudiant·e·s n’aient pas à travailler en parallèle. Pour cela, nous avons besoin, comme dans de nombreux secteurs de la fonction publique, de moyens pérennes, de recrutements massifs d’enseignant·e·s et de chercheurs/ses.