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Comité de mobilisation et grève à l’INSEE: Interview de S., militant SUD Insee

Par Michaël Lenoir (23 juin 2023)
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L’interview (publié simultanément sur les sites de la Ligue Internationale des travailleurs et de la Tendance Claire) qui suit a été réalisée le 24 mai, alors que la grève des agents du service informatique du recensement continuait. Cette grève a pris fin le 7 juin, suite à l’acceptation, par la direction de l’Insee, de leur revendication (https://twitter.com/ComiteDg/status/1667155705390874626).

Cette grève a pris fin suite à une dernière AG organisée par le comité de mobilisation le 5 juin. Malheureusement, les directions des syndicats nationaux de l’Insee ont refusé d’organiser cette AG pour populariser la grève à la Direction générale de l’Insee (site parisien). Cela n’a pas empêché le comité de mobilisation d’organiser cette AG ouverte à tous les agents de l’Insee, avec le soutien de certaines sections syndicales de la CGT et de SUD. Quelques heures plus tard, la direction de l’Insee faisait savoir qu’elle acceptait la revendication des grévistes (mettre un bandeau sur le site du recensement, informant de la perturbation occasionnée par la grève) sans formellement signer le protocole d’accord proposé par les grévistes.

Cette grève s’achève donc dans de bonnes conditions. L’heure est aujourd’hui aux bilans et à la capitalisation des acquis de cette expérience collective, pour engager dans les meilleures conditions les prochaines mobilisations.

Est-ce que tu peux me raconter comment la lutte à l’INSEE a démarré et avec quelles forces ?

A la Direction Générale (DG) de l’INSEE (le site parisien de l’INSEE), dès le mois de janvier on a fait une première AG appelée par une large intersyndicale : CGT, FO, Sud, CFDT, CGC. La totale! Du coup, on a fait une première AG avec environ 70-80 agents, de mémoire. A l’issue de cette AG-là, on a créé un comité de mobilisation, qui s’est mis en marche à partir de ce moment-là et qui s’est réuni régulièrement depuis le mois de janvier. La CGC et la CFDT n’y ont jamais participé ; ça ne les intéressait pas. Le lancement du comité de mobilisation a été approuvé par l’Assemblée générale. En fait, il n’y a même pas eu de vote. On a présenté ça à l’AG. CGC et CFDT n’ont quasiment rien dit au cours de cette AG ; ils ont bien fait comprendre qu’ils suivraient le calendrier de l’intersyndicale. Et ça ne les intéressait pas de participer à un comité de mobilisation qu’ils percevaient comme cherchant à faire émerger une mobilisation allant au-delà de la participation aux manifestations décidées par l’Intersyndicale, ce n’était pas leur ligne. Pour être plus exact, la CGC n’a pas du tout participé au comité de mobilisation. La CFDT a formellement laissé un temps son soutien au comité de mobilisation sans y participer. Et assez rapidement, elle l’a retiré à partir du moment où le comité de mobilisation a commencé à faire des tracts qui, notamment, mettaient en avant la nécessité de bloquer l’économie et d’arriver à un mouvement d’ensemble qui crée un rapport de forces avec le gouvernement. Très rapidement, ça ne leur a pas plus, donc ils ont retiré leur soutien. Nous, d’entrée de jeu, on a dit que c’était le comité de mobilisation qui devait faire les tracts, que ça devait être une élaboration collective en comité de mobilisation. Ensuite, on n’a plus proposé des tracts intersyndicaux. Evidemment, le comité de mobilisation affichait le soutien des organisations syndicales qui voulaient bien soutenir ; on n’opposait pas le comité de mobilisation aux organisations syndicales, mais le but était d’impliquer un maximum de non-syndiqué.es, sachant qu’il y a eu des participations diverses au comité de mobilisation, depuis le mois de janvier. Ça a été très fluctuant. Au total on a une soixantaine de personnes qui sont sur la liste mail, qui sont d’accord pour participer aux échanges. Pour les réunions physiques, ça oscillait entre une dizaine et 25-30 pour les grosses réunions du comité de mobilisation.

Dans un premier temps, le comité de mobilisation a fait deux choses.

En premier lieu, il a relancé ce qui avait été fait en 2019, c’est-à-dire la production d’analyses retraites (https://t.co/3N6tioMX1t). On en a fait deux, plutôt dans un premier temps : un assez rapidement, en février, en utilisant des données de l’INSEE pour contredire le discours du gouvernement sur le vieillissement de la population, sur le fait qu’il y avait sur longue période des gains de productivité qui permettaient largement de financer un bon système de retraites si on y mettait les moyens, en dénonçant le fait qu’on avait baissé les cotisations patronales... tout ça pour essayer de faire croire qu’il n’y avait pas d’autre solution que d’augmenter l’âge de départ à la retraite. Et on a fait un deuxième « 4 pages » axé sur la pénibilité. Dans le même temps on a lancé un compte Twitter (https://twitter.com/ComiteDg) pour populariser ces « 4 pages ». Ça a bien fonctionné : très rapidement le compte Twitter a eu deux milles abonnés (alors qu’on ne partait de rien), et ça a bien circulé, et le tweet popularisant notre premier 4 pages a été vu 500.000 fois, avec près de 10.000 likes ou retweets (https://twitter.com/ComiteDg/status/162369431654260326). Donc on utilisait la spécificité de l’INSEE : il y a beaucoup de statisticiens au sens large. On a utilisé ce « capital scientifique » pour participer au combat idéologique contre le gouvernement, en apportant la « crédibilité » d’agents de l’INSEE.

En second lieu, et en parallèle, il ne s’agissait pas de se contenter de faire une production de documents. L’objectif, c’était vraiment d’essayer de mettre l’INSEE en grève. On s’est branché rapidement sur la perspective du 7 mars, avec la fameuse « mise à l’arrêt » du pays. On a vraiment communiqué sur l’idée qu’il n’y avait pas que les « secteurs traditionnels » qui pouvaient se mobiliser et s’arrêter. Et on a vraiment essayé de dire qu’il fallait mettre l’INSEE à l’arrêt. On a fait pas mal d’assemblées générales tout au long : en janvier, février, début mars. On a maintenu un rythme important d’assemblées générales, avec aussi des invités extérieurs, à la fois des syndicalistes, des travailleurs en lutte de différents secteurs, des intellectuels. Des travailleurs de l’Education : dans un premier temps il y a eu des enseignants qui se sont mis en grève reconductible dans le secteur autour de l’INSEE. On a fait venir des cheminots du Technicentre de Châtillon, avant même qu’ils se mettent en grève reconductible : on a renoué des liens qu’on avait initiés en 2019 ; et bien sûr, ensuite, on a réinvité les camarades cheminots au moment où il y a eu la « grève sauvage » au Technicentre de Châtillon. On a aussi invité les camarades de la RATP, puisqu’il y a un dépôt de bus juste à côté de chez nous. Donc à la fois des syndicalistes extérieurs, et aussi des intellectuels. On a notamment fait venir Michaël Zemmour, après qu’il a fait cette fameuse interview dans cette matinale de Radio France où il a jeté le discrédit sur la fameuse promesse de pensions à 1200 € pour les travailleurs. On l’a fait venir au mois de mars. Ça a permis de faire une grosse assemblée générale où on a dépassé la centaine d’agents de l’INSEE en AG. On a aussi fait venir Nicolas Da Silva, qui est un enseignant chercheur à Paris 8, un anticapitaliste spécialiste de la Sécurité sociale proche des thèses de Bernard Friot.

On a donc fait toute une série d’AG, puis on a tenté la reconduction de la grève dès le lendemain matin du 7 mars : on a tenté une assemblée générale, avec la présence et le soutien du député LFI de la circonscription (Aurélien Saintoul), mais on s’est quand même retrouvé à un nombre assez faible. Du coup, la grève reconductible n’a pas pris à l’INSEE.

Mais on a essayé de réfléchir à ce qu’on pouvait faire, et on a essayé de nous appuyer sur ce qui a été fait à la Direction régionale d’Ile de France, qui se situe à St Quentin (78) où deux agents – c’est vraiment parti d’eux, et non pas des syndicats : un agent que je connaissais quand il était à la DG,  qui a participé aux activités de Réseau Salariat, l’association qui diffuse les idées de Friot. Lui et son collègue – ils sont tous les deux des maquettistes des publications de la DR78 – se sont dit : on va essayer de se mettre en grève, parce que si on se met en grève tous les deux, on va avoir un impact parce qu’on va empêcher la sortie des publications. Du coup, l’idée qu’ils ont eue, c’était de dire : on ne va pas faire grève dans notre coin ; on va essayer de faire une grève collective, dans le sens où on va proposer notre départ en grève reconductible, que cette grève soit soutenue collectivement par les agents de la DR. Ils ont mis en place une pétition, qui n’était pas seulement une pétition de soutien purement formel à la grève ; c’était vraiment une pétition où les signataires s’engageaient à soutenir moralement et financièrement les grévistes. Moralement : en les soutenant en cas de pression de la direction ; en les soutenant en participant aux réunions tout au long de la grève ; pour discuter de comment faire évoluer la grève, éventuellement l’étendre, au quotidien. Et s’engager aussi à les soutenir financièrement. Donc, ils ont lancé une caisse de grève et ont récolté beaucoup d’argent. L’argent n’a pas été un souci pour financer la grève. Ils ont fait grève une semaine.

C’était quand, ça ?

C’était juste après le 7 mars, à partir du 7 mars. Ils se sont vraiment inscrits dans ce calendrier-là. Du coup, ils ont retardé les publications. Après, leur idée, c’était de convaincre d’autres services un peu stratégiques. L’idée, c’était vraiment que ce soit des services dont la grève aurait un impact direct et palpable. Donc ils ont essayé de convaincre d’autres services et ils n’y sont pas arrivés, malgré le fait que la caisse de grève était bien remplie et permettait de financer d’autres grèves. D’ailleurs, ils nous ont contactés récemment : ils ont un reliquat de 700€ dans leur caisse grève, qu’ils proposent de verser aux grévistes de la DG, grève à laquelle on va bientôt venir.

Nous, on a été très intéressés par ça et on a invité les deux camarades. Les deux n’ont pas pu venir, mais un des deux camarades de ce service est venu à la DG lors d’une assemblée générale pour présenter ce qui avait été fait. A partir de ce moment-là, on s’est donné pour objectif d’essayer de faire la même chose, c’est-à-dire notamment d’essayer de contacter, d’aller voir des services « stratégiques » dont la mise à l’arrêt aurait un impact particulièrement important, avec l’idée que ça ne servira à rien qu’il y ait 20 agents qui se mettent en grève reconductible dans des services dispersés, qui ne permettent pas de perturber quoi que ce soit. L’idée c’est plutôt des mises à l’arrêt de certains services, et si possible, des services « stratégiques ». On avait notamment en tête les agents qui mettent en ligne les publications sur le site Internet, évidemment aussi les agents du Bureau de presse, c’est-à-dire à la fois ceux qui alimentent les réseaux sociaux, qui répondent aux internautes, aux journalistes, etc. (parce qu’alors, ça aurait eu tout de suite un impact important) ; éventuellement des indices de prix qui reviennent régulièrement – évidemment il y a l’indice des prix à la consommation – ou ce genre de services.

Dans un premier temps, on a eu des discussions mais malheureusement ça n’a pas débouché immédiatement sur des services qui se mettent en grève reconductible. Et puis, à partir d’un moment, très exactement le 17 avril, deux services informatiques se sont mis en grève. A ce moment-là, ça représentait une petite dizaine d’agents. C’était deux services informatiques, à la fois ceux qui assuraient la maintenance de certaines applications internes (portant le nom de Domaine Outils Transverses), et le Web4G, ceux qui assuraient la maintenance informatique du site internet. Ce n’étaient pas deux services informatiques dont la grève aurait des effets forcément immédiats ; en fait ça dépendait des bugs techniques, qui peuvent arriver, ou pas, sur des applications.

Mais ce n’était pas des secteurs considérés comme stratégiques pour vous ?

Non, pas les plus stratégiques. C’est ça, un peu, le regret qu’on peut avoir. Mais ce sont des secteurs où il y avait des militants – en l’occurrence, de Sud – et Sud est vraiment l’organisation syndicale où il y a le plus de militants actifs, et à la DG les militants de Sud sont le moteur de la mobilisation. Il y a quelques militants de la CGT. FO soutient, mais en fait il y a une personne, qui n’a pas vraiment participé au comité de mobilisation. Et puis nous avons aussi des non-syndiqué.es. Ce sont des militants de Sud qui ont réussi – c’est aussi pour cela que la grève a pu se lancer dans ces services – qui ont pu convaincre leurs camarades non syndiqué.es de participer à ces grèves dans ces services-là. Donc, cette grève-là a commencé le 17 avril. Dans ces deux services-là, elle a duré deux semaines. En fait, elle n’a pas eu de réel impact, parce qu’il n’y pas eu de problème majeur de maintenance informatique. Il y a des travaux qui n’ont pas été faits mais qui seront faits à partir du moment où les agents seront revenus. Mais l’impact n’a pas été très important.

Par contre, ce qui est très intéressant, c’est que ça a eu un effet d’entrainement sur un autre service informatique, qui s’est mis en grève une semaine plus tard, le 24 avril. Et c’est encore un service informatique. L’informatique a une proportion assez élevée de militants et de gens qui participent au comité de mobilisation. Ici c’est ceux qui s’occupent de l’application informatique du recensement de la population. Il y a notamment une application pour le recensement, qui est gérée par cette équipe informatique. Et notamment, pour les opérations du recensement, tous les maires doivent se connecter sur une application informatique pour lancer les opérations du recensement dans leur commune. Le fait que ce service se mette en grève, ça a un impact pour le lancement des opérations du recensement. Concrètement, on sait d’ores et déjà que le calendrier qui était prévu, c’est-à-dire le moment où les maires devaient se connecter sur cette application pour lancer les opérations de recensement va être reporté. Les grévistes étaient 7 ou 8. C’était la majorité du service. Comme précédemment, il y avait des militants de Sud mais ils ont entrainé des non-syndiqué.es, qui pour certains n’étaient pas au comité de mobilisation jusqu’alors. Ça c’est vraiment positif. Donc ils étaient vraiment motivés, très déterminés. En fait, ils le restent ; c’est important. Aujourd’hui, mercredi, on a fêté le mois de grève. On a fait un petit évènement en interne, un petit déjeuner de 8h30 à 10h30 aujourd’hui. Un des objectifs du petit déjeuner était de récolter de l’argent. Bien évidemment, comme la grève dure – il y a des agents qui ont repris le travail, il y a quelqu’un qui va se mettre en congé maternité mais les quatre qui restent en grève, ce sont ceux qui sont les plus « déterminants » pour le fonctionnement du système –, le fait que ces quatre-là soient en grève fait que le service ne tourne pas, donc l’impact de la grève continue. Ces quatre-là sont trois non syndiqué.es et un syndiqué Sud.

Dans un premier temps, nous avons fait signer une pétition de soutien qui a recueilli rapidement 300 signatures à la DG, soit environ un tiers des effectifs présents régulièrement sur site. La caisse de grève en interne a bien fonctionné. La difficulté, c’est qu’on ne savait évidemment pas combien de temps la grève allait durer. Ensuite, on a essayé d’élargir au-delà de l’INSEE pour susciter aussi des dons extérieurs à l’INSEE. Au total, je pense qu’on est à peu près autour de 10 000€. C’est bien, mais la grève continue, et en tout, bon nombre d’agents se sont mis en grève donc il y a quand même un enjeu à ce qu’on alimente au maximum la caisse de grève, sachant qu’on ne sera sans doute pas en capacité d’indemniser à 100% les agents qui ont fait grève, mais avec l’objectif de faire le maximum, sachant que les quatre qui restent sont déterminés à continuer, parce que l’objectif – ce n’est pas de continuer la grève jusqu’au retrait de la réforme, ça ne serait pas responsable – mais c’est de démontrer que la grève crée un rapport de forces et permet d’obtenir quelque chose. Donc là, ce sont les grévistes eux-mêmes qui ont réfléchi à leurs exigences comme conditions pour la reprise du travail. L’idée c’était que la Direction accepte un protocole d’accord qui fasse apparaitre sur l’application un bandeau qui explique que c’est la grève des agents qui entraine le retard. Cette demande-là a été faite le 3 mai.

On a eu une première rencontre, pendant une semaine de vacances où les deux têtes dirigeantes de l’INSEE (le Directeur Général Jean-Luc Tavernier, ex-directeur de cabinet de Woerth, et la Secrétaire générale Karine Berger, ex députée PS) étaient en vacances, mais on a quand même rencontré des représentants de la direction, pour faire valoir les revendications des grévistes. Les grévistes sont venus à cette rencontre accompagnés de représentants syndicaux de Sud et de la CGT et dans un premier temps, ils n’ont pas dit grand-chose et ils ont recueilli notre demande ; ensuite ils ont transféré cette demande à la direction de l’INSEE. Dans un premier temps, ils ont refusé de nous répondre, donc on est allé les voir directement. Puis la Secrétaire générale de l’INSEE, très autoritaire et désagréable a répondu en disant qu’ils refusaient de signer le protocole d’accord, et en fait ce qui les gênait, plus que de mettre un bandeau, c’était l’idée que la direction puisse négocier et céder quelque chose à des agents. Dans sa réponse, elle faisait bien comprendre qu’elle respecte le droit de grève mais que la direction déciderait comme elle l’entendrait de la façon dont elle communique. Ce qui est important pour elle c’est de maintenir le fait que chacun doit rester à sa place, et la direction ne se laissera pas dicter sa conduite par qui que ce soit. Telle est la position de la direction depuis le 3 mai. Elle est très claire ; elle est de dire : puisqu’ils jouent à l’épreuve de force, nous on joue à l’épreuve de force ; la grève continue.

Pour bien fixer les choses : il reste encore 4 grévistes, ou il y en a d’autres ailleurs ?

Aujourd’hui, ils sont 4 depuis un moment, maintenant. Ils ont été 8 au maximum dans ce service-là.

Pas d’autres services en grève ?

Non, puisque ceux qui avaient lancé la grève ne sont plus en grève reconductible.

Donc la direction joue l’épreuve de force ?

Oui. Je crois qu’ils pensaient que ça allait reprendre, que ça ne continuerait pas très longtemps. Ils faisaient ce pari-là. Ils ne sont pas habitués à ce qu’il y ait des grèves reconductibles à l’INSEE. Donc leur première réaction – on s’y attendait un peu – c’est une réaction de fermeté : faire comme si cette grève n’existait pas, en espérant qu’elle soit la moins visible possible et qu’elle s’arrête le plus

Pour nous le but était aussi de populariser au maximum cette grève à l’extérieur. Nous avons organisé un meeting de soutien à la grève le 4 mai, en invitant des grévistes de l’Energie et le député de la circonscription, Aurélien Saintoul, de la France Insoumise, qui sont venus soutenir la grève. On a réussi à mobiliser un peu, une soixantaine d’agents de l’INSEE sont venus. Une journaliste d’un média professionnel – pas grand public – spécialisé sur la fonction publique, AEF, est venue. Elle a fait un article. Malheureusement, depuis le début de la grève reconductible, nous n’avons pas eu d’écho important. Nous avons fait des communiqués de presse mais il n’y a pas d’article de presse. Et pour nous c’est une question importante qu’il y ait une pression médiatique. Le fait qu’on en parle à l’extérieur est important pour montrer qu’il y a des mobilisations qui continuent contre la réforme des retraites. D’autre part ça mettrait la pression sur la direction de l’INSEE. Je pense que tant au niveau des grévistes qu’à celui du comité de mobilisation, tout n’a pas forcément été bien fait pour que ça ait un écho à l’extérieur. Mais je pense que c’est un enjeu pour la suite.

De donner des perspectives médiatiques ?

Oui, avoir un écho à l’extérieur, travailler à avoir des relais de cette grève. Certes, une initiative a été prise par les grévistes : écrire à l’Association des Maires de France, pour contacter les maires et leur expliquer ce qui se passe par rapport au recensement. L’idée est d’informer le plus largement possible, parce que si ça se diffuse vraiment parmi l’ensemble des maires, ça peut toucher pas mal de monde, et ça peut aussi contribuer à mettre la pression sur la direction pour qu’elle signe, parce qu’il y a quand même cet objectif de faire signer ce protocole d’accord à la direction. Sachant qu’elle refuse, c’est aussi important de montrer qu’il est possible de faire céder la direction à partir d’un rapport de forces. Sachant que dans l’esprit de beaucoup de gens à l’INSEE, Karine Berger est vraiment perçue comme quelqu’un de très autoritaire, de très puissant, qui intimide tout le monde, qui ne cède sur rien. C’est ce piédestal de la direction, qui est toute-puissante et qui décide de tout, qu’il s’agit d’ébranler.

Ce positionnement autoritaire de la direction, ça impressionne ou ça agace ?

Il y a plusieurs niveaux. En tout cas, la hiérarchie intermédiaire est terrorisée par Karine Berger. Elle dégomme des têtes dès qu’elle est contestée par la hiérarchie intermédiaire ; elle nettoie, elle vire.

Au niveau syndical, la grève est bien soutenue par la section Sud DG. Notre section syndicale est dynamique, en plein développement, avec un fonctionnement démocratique qui permet de faire cohabiter une pluralité de sensibilités.

Nos rapports avec la direction de Sud Insee sont plus compliqués, celle-ci étant sous influence de la direction nationale de CGT Insee. Celle-ci n’a pas soutenu le comité de mobilisation quand il a été attaqué par Karine Berger lors d’une tentative de conférence de presse dans les locaux de l’Insee. Elle ne soutient pas les revendications des grévistes du recensement. Néanmoins, des sections syndicales CGT ont relayé notre grève et ont récolté des fonds. Mais clairement, les syndicats nationaux n’ont pas été à la hauteur, et n’ont pas vu d’un bon œil ce que nous avons essayé de faire, avec la mise d’un comité de mobilisation, une liberté de parole et d’action, de l’audace, bien loin du train-train du dialogue social.

Mais dans les exigences des grévistes pour le protocole d’accord, tu as mentionné le bandeau expliquant que les services prévus n’ont pas été assurés du fait de la grève, mais y a-t-il d’autres exigences ?

Non, non, ce protocole d’accord, c’est vraiment très, très minimaliste. De la part de la direction, c’est un refus de céder quoi que ce soit. C’est une position de principe. C’est plus le fait de céder quelque chose qui les gêne que le bandeau en lui-même.

Au niveau des liens interpro qui ont pu être tissés entre l’INSEE et les autres grèves qui ont lieu, avec le milieu environnant, et même plus largement : que peux-tu dire ?

Il y a eu des liens. Il y a eu une forte participation des agents mobilisés de l’INSEE aux AG Interpro du 92 Sud. Ça, c’était très intéressant. Il y a eu pas mal d’actions qui ont été menées par l’AG Interpro. Evidemment on en a invité.es régulièrement aux assemblées générales de l’INSEE. Et puis on a quand même pu avoir des discussions sur la stratégie de mobilisation. A un moment on a mis en discussion une motion d’interpellation des directions syndicales, qui a été discutée à l’AG Interpro, et on l’a fait voter. Et si j’ai bien compris, il y a récemment eu une AG Interpro où je n’étais pas, et l’appel de Loïc « Ne tournons pas la page » a été discuté par l’Assemblée générale interpro. Il y a pas mal de camarades de Sud INSEE qui ont signé l’appel « Ne tournons pas la page ». J’ai juste transmis l’appel. Il y a une vraie prise de conscience, à l’échelle de notre section syndicale, mais plus largement dans le comité de mobilisation, que la stratégie de l’intersyndicale a été sévèrement défaillante. Mais il peut y avoir des réticences à vraiment mener ce combat public contre les bureaucraties syndicales, car c’est compliqué et source de tensions.

Propos recueillis par Michaël Lenoir le 24 mai 2023

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