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    La gauche doit-elle soutenir l’aide à mourir ?

    Par Gabrièle Fortmann ( 3 juillet 2025)
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    Le mardi 27 mai, le texte sur l’aide active à mourir a été adopté par l’Assemblée Nationale. Voté par la majorité des députés de gauche, de nombreuses voix se sont pourtant élevées à gauche et à l’extrême-gauche contre cette loi. Pour autant, ces griefs sont-ils fondés en l’état actuel des choses ? Cet article souhaite examiner le contenu réel de la loi et les reproches qui lui sont faits pour tirer la situation au clair.

    Y avait-il besoin d’une nouvelle loi ?

    La loi de 2025 s’ajoute à des textes précédents. En 2005, la loi Leonetti interdit l’ « obstination déraisonnable » dans les soins, et introduit l’obligation de dispenser des soins palliatifs. Dans le cas où le malade est inconscient, la loi Leonetti stipule que le passage aux soins palliatifs doit se faire après consultation d’une « personne de confiance » préalablement désignée par le malade. Cette loi permet également aux futur-e-s patient-e-s d’exprimer par avance, la volonté de poursuivre, limiter, arrêter ou refuser des traitements ou actes médicaux, pour le jour où l’on ne peut plus le faire soi-même, par exemple du fait d’un accident ou d’une maladie grave. La loi Claeys-Leonetti de 2016 clarifie ensuite l’usage de la sédation profonde et continue jusqu’au décès lorsque les souffrances du malade incurable et en fin de vie sont insupportables et que le décès est inévitable et imminent.

    Ces mesures ont parfois été jugées insuffisantes, notamment dans le cas de personnes gravement malades réclamant publiquement le droit à mourir. On peut ainsi citer Vincent Humbert, un jeune homme devenu tétraplégique, muet et aveugle à la suite d’un accident de voiture et que sa mère a aidé à mourir en 2003 ; Chantal Sébire, atteinte d’une tumeur au visage incurable et douloureuse, qui se suicide en 2008 ; Anne Bert qui, atteinte de sclérose latérale amyotrophique, bénéficie d’une euthanasie en Belgique en 2017. Il apparait donc que l’arsenal législatif actuel est insuffisant pour couvrir quelques cas précis, quoique dramatiques.

    Aujourd’hui, des personnes en France font appel au suicide assisté , mais en allant faire valoir ce droit en Suisse ou en Belgique. Le projet de loi sur l’aide active à mourir permet donc de rendre ce droit accessible à tous, pas seulement à ceux dont les moyens permettent de payer cette procédure à l’étranger.

    Une décision de la convention citoyenne 

    En outre, la convention citoyenne sur la fin de vie, qui s’est tenue de décembre 2022 à avril 2023, s’est prononcée aux deux tiers en faveur d'une législation sur l’aide active à mourir après avoir recueilli les avis et témoignages de personnes concernées, d’experts sur le sujet, et d’acteurs de la santé.

    Nous pensons que les conventions citoyennes, organisées autour d’un échantillon représentatif tiré au sort qui équilibre genres, professions, régions et âge, et que l’on informe pour qu’il puisse en tirer un verdict éclairé, devraient être décisionnaires, contrairement au statut purement consultatif qu’elles ont aujourd’hui. En effet, le procédé est ici supérieur, sur le plan démocratique, au parlementarisme bourgeois traditionnel. De plus, dans le cas de la loi sur l’aide à mourir, l’assemblée est moins légitime à décider : les députés n’ont pas le mandat pour trancher sur cette question car aucun ne l’avait inscrite dans son programme aux élections législatives. En outre la convention citoyenne est un processus sur le temps long : ses membres ont eu des mois pour réfléchir au sujet, et on a vu leur avis évoluer au cours des interventions.

    Par ailleurs, les sondages auprès de la société civile montrent qu’elle va dans le même sens en étant très largement pour ce droit.  

    Qu’y a-t-il alors dans cette nouvelle loi ?

    La loi s’articule en deux volets : le développement des soins palliatifs et l’aide active à mourir.

    Pour les soins palliatifs, ont été votés le renforcement des dispositifs de soins palliatifs et de leur accès effectif, ainsi que la création de maisons de soins palliatifs pour les gens qui ne veulent pas mourir à l'hôpital. L’article 7 octroie ainsi pour dix ans une augmentation des moyens pour les soins palliatifs : 100 millions d’euros par an et 1,1 milliard d’euros en tout, entre 2024 à 2034.

    L’aide à mourir quant à elle implique les malades atteint·es « d’une affection grave et incurable », qui « engage le pronostic vital, en phase avancée ou terminale ». Le processus qui conduit au décès doit encore être « irréversible, marqué par l’aggravation de l’état de santé de la personne malade qui affecte sa qualité de vie ». Il faut aussi « présenter une souffrance physique ou psychologique », « réfractaire aux traitements », et « insupportable ».

    La droite a proposé plusieurs ajouts qui ont été validés. Ainsi, une souffrance psychologique seule ne peut en aucun cas permettre de bénéficier de l’aide à mourir. Les maladies psychiatriques sont donc exclues des limites prévues par la loi car elles n'engagent pas le pronostic vital.

    Il faut également le consentement de la personne jusqu'au dernier moment : les malades atteints de démence n’auront pas droit à l’aide à mourir, même s’ils en ont exprimé la demande dans leurs directives anticipées quand ils étaient encore en pleine possession de leurs capacités cognitives. La décision ne peut donc pas être prise par un tiers, même désigné en amont.

    D’autres propositions de la droite n’ont pas été retenues, comme l’obligation pour les cas de demandes émanant de personnes pauvres de demander l’avis d’un-e assistant-e social-e ; ou l’obligation pour le-a malade de voir un-e psychiatre ou psychologue pour éviter les pressions des proches et s'assurer que c'est bien son choix. Cette seconde proposition a tout de même entraîné un ajout à la loi : rendre effective la possibilité de voir un psy si le patient le souhaite – donc, concrètement, augmenter les moyens des soins psychiatriques.

    Qu’est-il reproché à cette nouvelle loi ?

    Les opposants de gauche ont plusieurs inquiétudes. Premièrement, la dénomination "affection grave et incurable" est très large et peut englober toute sorte de maux. Le rapport à la douleur, mentionné également, n’est en outre pas décorrélé de la dimension sociale, mais est au contraire fortement impactée par le mode de vie du/de la patient-e, par son niveau de vie par son lieu de vie, par l’entourage dont il bénéficie ou non…

    En février dernier, Révolution Permanente publiait une interview d’Elisa Rojas, avocate et militante pour les droits des personnes en situation de handicap. Celle-ci dénonce notamment la possibilité que des pressions soient exercées sur les personnes en situation de handicap par le milieu médical et familial. Elle craint que, dans « une société qui considère l’existence des personnes malades et/ou handicapées comme indésirable », le texte constitue « une incitation au suicide ».

    Elle partage en outre sa crainte d’une possible extension eugéniste de la loi, comme ce qui a eu lieu au Canada où le périmètre de l’assistance au suicide est passée de « pour les malades dont la mort est raisonnablement prévisible » aux personnes « souffrant d’une maladie, d’une affection ou d’un handicap grave ».

    Enfin, des voix se sont élevées pour énoncer la possibilité que, par cette loi et ses éventuelles extensions futures, on ouvre plus généralement la porte à ce que les plus vulnérables– personnes handicapées, personnes les plus pauvres ne supportant plus la vie telle qu’elles la subissent – aient de plus en plus recours au suicide assisté dans des situations où la mort apparaît préférable, d’autant plus dans un contexte de dégradation de la qualité du service public de santé. Ainsi, il est pointé que, comme cela a été le cas au Canada, le « droit à mourir », permettrait de faire des économies dans les budgets de la santé et des aides sociales, et s’inscrirait alors dans une logique d’austérité budgétaire.

    Une dérive possible… qui ne justifie pas qu’on s’oppose à la loi

    A la Tendance Claire, nous pensons que la loi telle qu’elle est n’implique pas ces dérives. Le risque qu’elles se développent existe, comme le risque que ce droit finisse par être trop étendu et ainsi sur-mobilisé, mais il dépend des rapports de force. Nous devons continuer à nous battre pour des moyens pour l’hôpital public et l’accompagnement des patients, de manière que les conditions dans lesquelles ils sont pris en charge ne les amène pas à préférer la mort.  Mais, s’opposer à l’ouverture d’un droit individuel par crainte de ses dérives est paralysant. Se serait-on opposé à au droit à l’IVG par crainte qu’il soit sur-mobilisé, « par dépit », dans un contexte d’accès inégal à la contraception et/ou de nombre de places en crèche insuffisant ?

     Le cadre du projet de loi de 2025 est suffisamment rigoureux. Les gens doivent avoir le droit de mourir quand ils sont condamnés par une affection précise et ne peuvent pas supporter plus la souffrance qu’elle leur cause. Il faut que ces quelques cas puissent être autorisés par le suicide assisté, et ne pas mettre en danger les médecins ou les familles qui y procèdent déjà illégalement aujourd’hui.

    Dans sa rédaction et les limites qu’elle pose, la loi semble même presque décourager les personnes d’y avoir recours, comme le faisait la loi pour l’IVG dans ses premières moutures : présentation obligatoire des alternatives possibles, délai de réflexion obligatoire, délai de réflexion du médecin, majorité et nationalité française obligatoire… On est donc bien loin d’une loi qui « pousse au suicide », même en prenant en compte le contexte de services publics de santé dégradés.

    Concernant l’idée que la motivation secrète du gouvernement derrière cette loi est de faire des économies en poussant les plus faibles au suicide, elle nous semble saugrenue. Tout d’abord, elle engendre des dépenses (cf début du texte) pour renforcer les soins palliatifs ; de plus, en Suisse et en Belgique, ce ne sont que quelques milliers de personnes par an qui accèdent à ce droit, donc pas de quoi faire des économies réelles. Au Canada, ce droit (beaucoup plus étendu que dans le projet de loi actuel) aurait permis des économies 149 millions de dollars canadiens (l’équivalent de 92 millions d’euros), ce qui n’est pas significatif. La population et la convention citoyenne s’étant prononcées massivement en faveur de ce droit, le gouvernement répond à cette demande sociale massive, qui correspond à un mouvement de fond de la société. C’est bien seulement sur ce genre  de sujets dits « sociétaux » que la macronie se distingue encore de la droite, comme elle l’a fait en faisant entrer le droit à l’IVG dans la constitution.

    Pour une société plus juste qui donne envie de vivre.

    Il est absurde d’empêcher une personne qui souffre immensément à cause d’une maladie en phase terminale de vouloir, par la mort, mettre un terme à sa douleur. En revanche, les souffrances évitables doivent être évitées, et c’est pour cela que nous défendons un service public de santé qui puisse fournir à tout un chacun des soins à la hauteur de ce que les avancées de la science permettent de faire. Au-delà, nous devons garder à l’esprit que dans une société inégalitaire et capitaliste, traversée par de multiples oppressions, des personnes se suicident chaque jour : à cause de la perte de leur emploi, du manque d’espoir en l’avenir, de maladies psychiatriques non soignées par manque de moyens, d’un environnement qui ne prend pas en compte leur handicap… C’est contre cela que nous devons nous battre, en politisant ces problèmes et en dirigeant nos forces pour construire une société communiste, juste et équitable.

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