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Vive la mobilisation révolutionnaire de la jeunesse et des travailleurs en Tunisie, en Égypte, en Libye et dans tous les pays arabes!

À bas Sarkozy et les États impérialistes qui ont soutenu les dictateurs et veulent imposer aujourd’hui le maintien de leurs régimes!

Non à tout intervention impérialiste en Libye!

Non aux prétendues « transitions démocratiques » bourgeoises qui visent à rafistoler les dictatures : vive la poursuite du processus révolutionnaire, l’auto-organisation des travailleurs, la mise en place d’organes de pouvoir ouvrier et paysan!

Les jeunes et les travailleurs arabes sont les premiers révolutionnaires du XXIe siècle, de la nouvelle époque ouverte par la crise mondiale du capitalisme qui a éclaté en 2008. Leur soulèvement victorieux contre Ben Ali en Tunisie et Moubarak en Égypte, la lutte armée héroïque du peuple libyen contre le dictateur Khadafi, les grandes mobilisations prometteuses de Bahreïn, de Jordanie, du Yémen et du Maroc suffisent à faire s’effondrer un pan entier de l’idéologie bourgeoise des dernières années. On voulait nous faire croire que le XXIe siècle serait dominé par la « guerre des civilisations » et qu’on en avait fini avec la lutte des classes. Pendant des années, les impérialistes états-unien et européens ont justifié leur soutien aux dictatures dans les pays arabes ou à majorité musulmane par le prétexte de lutter contre l’islamisme. On nous suggérait aussi, par un préjugé raciste et islamophobe, que les peuples arabes n’avaient pas la même capacité que d’autres à vivre de façon démocratique.

Tunisie

C’est au contraire une immense aspiration à la liberté concrète, c’est-à-dire à l’auto-détermination, qui se déploie dans les processus révolutionnaires en cours. Les jeunes, les travailleurs, de nombreuses femmes, les opprimés veulent en finir non seulement avec les dictateurs, mais avec les régimes dictatoriaux eux-mêmes. Mais les bourgeoisies arabes et les impérialistes qui ont soutenu les dictateurs tentent maintenant de sauver les fondements des régimes en place, l’ensemble des appareils d’État et de la structure économique : leur prétendue « transition démocratique » ne vise qu’à concéder quelques mesurettes pour canaliser la colère des masses en préservant les bases mêmes du système contre lequel elles se révoltent aujourd’hui.

Les exigences démocratiques des masses sont indissociables des revendications sociales qui avaient déjà provoqué une recrudescence des luttes de classe depuis quelques années dans les pays arabes et qui ont été exacerbées par les effets de la crise capitaliste : le refus de la hausse des prix, du chômage et de la misère ont été de fait les points de départ des processus révolutionnaires. Cela explique le rôle central non seulement des jeunes chômeurs, mais aussi des prolétaires qui ont un travail dans les mobilisations et dans la chute des dictateurs en Tunisie et en Égypte. Et cela implique que, là aussi, la jeunesse et les travailleurs ne pourront se satisfaire de quelques mesures et autres promesses.

Tous les révolutionnaires du monde se doivent non seulement de soutenir inconditionnellement le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, mais de se mettre à l’école des peuples et travailleurs qui font concrètement la révolution. Mais le processus révolutionnaire est international et la discussion politique sur les voies de la révolution ne saurait être qu’internationaliste. Il ne s’agit pas de donner des leçons, mais de comprendre que le débat d’idées et les propositions politiques pour la révolution dans les pays arabes viennent et doivent venir des révolutionnaires de tous les pays. Il s’agit de faire revivre concrètement la tradition juste de l’internationalisme prolétarien, qui implique à la fois la solidarité de classe et la libre discussion.

Comme marxistes et partisans du programme historique de la IVe Internationale, nous estimons que seuls la poursuite et l’approfondissement du processus révolutionnaire poseront et posent en fait déjà la question de la prise de contrôle des prolétaires sur les entreprises et de la conquête du pouvoir politique par les travailleurs, les jeunes et les paysans eux-mêmes. Même si la bourgeoisie et les impérialistes étaient contraints par la mobilisation des masses d’accepter réellement la mise en place d’un régime plus ou moins « démocratique » — ce qui n’est pas acquis à ce stade —, ils veilleraient à maintenir les bases mêmes de l’État bourgeois, notamment ses appareils répressifs, et il n’y aurait pas de changement fondamental dans les conditions de vie matérielles des masses.

Intervention décisive du prolétariat, de l’auto-organisation des masses et des syndicalistes lutte de classe dans les processus révolutionnaires en Tunisie

La Tunisie a subi les effets de la crise économique mondiale, avec un ralentissement de la croissance industrielle en 2008 et une baisse de 4,5% en 2009 (quoique + 3% pour le PIB), une baisse des exportations fin 2008 et début 2009 (1). L’activité économique, notamment industrielle, avait retrouvé une réelle dynamique en 2010, mais est intervenue au même moment une forte augmentation des prix alimentaires de 32% au second semestre 2010 (l’inflation globale des prix à la consommation étant de 4,4%) ; les conditions de travail se sont aggravées dans de nombreuses entreprises à cause de la concurrence accrue, notamment avec le textile chinois, alors que le secteur du textile et de l’habillement emploie près de 50% des travailleurs de l’industrie manufacturière de Tunisie (250 000 personnes pour 2100 entreprises, la production étant essentiellement tournée vers l’exportation en direction de l’Union européenne).

Mais cela ne fait que s’ajouter au poids de la pauvreté structurelle d’une partie importante de la population, notamment dans le centre du pays qui ne bénéficie pas du tourisme des zones côtières et où ont eu lieu les premières manifestations ; elle était devenue d’autant plus insupportable que la Tunisie a connu une croissance importante depuis vingt ans, dont les fruits ont été accaparés par le clan mafieux de Ben Ali et les multinationales, notamment françaises. Le chômage, qui touche entre 13 et 20% de la population active selon les sources, frappe un jeune sur quatre, pouvant même atteindre 35% dans certaines villes comme Metlaoui (près du bassin minier de Gafsa), et il est particulièrement insupportable pour les jeunes diplômés, devenus extrêmement nombreux ces dernières années, comme Mohamed Bouazizi dont l’immolation a déclenché la vague révolutionnaire arabe. La jeunesse a de fait été au premier rang de la révolte et de son extension à partir du centre du pays, avec à la fois les jeunes qualifiés au chômage et les lycéens, qui sont les premiers à avoir incendié des locaux du RCD, le parti au pouvoir, et des bâtiments officiels dans tout le pays, à commencer par les commissariats.

Les jeunes et les travailleurs ont dû très vite s’auto-organiser pour manifester malgré la répression et pour constituer de nombreux comités de défense, avec des bâtons et autres armes de fortune, pour protéger leurs villages ou leurs quartiers des violences de la police et des milices du régime.

Dans les entreprises et les administrations, des Assemblées générales se sont multipliées et, dans un certain nombre de cas, les travailleurs ont chassé les directeurs et cadres liés au régime, comme à la Sécurité sociale, aux assurances Star (entreprise française, filiale de Groupama) et à la banque BNA. La question de l’ouverture des livres de comptes est posée par les salariés de plusieurs entreprises, qui veulent vérifier eux-mêmes l’ampleur des détournements de fonds. Dans un article du journal patronal Les Échos paru le 7 mars (2), Marie-Christine Corbier écrit : « Grèves, sit-in, occupations d’usine... deux mois après la chute du régime Ben Ali, les revendications se multiplient en Tunisie. » Elle explique ainsi que, sous la pression des grèves, « les entreprises françaises sont nombreuses à avoir dû concéder des hausses de salaire courant janvier » et que « l’explosion sociale touche également les entreprises tunisiennes », que ce soit pour les salaires ou pour la pérennisation des emplois précaires. Elle cite un patron français dont l’entreprise est bloquée par une grève et qui pleurniche en ces termes : « Des grévistes m’ont dit "dégage" et on a inscrit ce slogan sur ma voiture. » De son côté, Charles Saint-Prot, directeur de l’Observatoire d’études géopolitiques, explique que « le chaos menace en Tunisie. Des soviets se mettent en place dans les usines. Cette pagaille risque de faire perdre de précieux points de croissance que le pays aura du mal à rattraper. Certains investisseurs, qui comptaient investir en Tunisie, se tournent d’ailleurs déjà vers le Maroc. »

Au sein de l’UGTT, la grande centrale syndicale tunisienne dont la bureaucratie est intégrée au régime, mais qui regroupe 500 000 adhérents et a une existence réelle dans les entreprises et les administrations, les contradictions se développent. Jusqu’à la dernière minute, la direction a tenté de sauver Ben Ali, mais des secteurs combatifs, voire radicaux (comprenant notamment l’ensemble des militants hier clandestins qui se réclament du communisme) ont joué un rôle central dans la mobilisation révolutionnaire des masses. D’un côté, deux jours avant la fuite de Ben Ali, le secrétaire général de l’UGTT, Abdessalem Jrad, le rencontre et déclare à la sortie : « J’ai trouvé auprès du Président de la République une vision profonde des principaux problèmes et de leurs causes et une volonté de les résoudre. » Aujourd’hui, les dirigeants de l’UGTT font tout pour contenir les mobilisations ouvrières : comme l’écrit l’article des Échos (7 mars) déjà cité, « l’UGTT ne veut pas être accusée d’affaiblir l’économie tunisienne ». Par exemple, Mohamed Boukhari, secrétaire général adjoint de la Fédération de la STEG, l’entreprise d’électricité et de gaz, a déclaré : « Nous sommes des gens responsables. Les augmentations de salaire ? C’est très important, mais ce n’est pas si urgent. Il y a d’abord des gens qui ont besoin d’un travail. » — Mais, d’un autre côté, l’intervention de syndicalistes lutte de classe et la combativité relative de certains secteurs de l’UGTT, y compris la mise à disposition des locaux de l’UGTT que la police n’osait pas attaquer, ont joué un rôle important dans la radicalisation des masses, notamment chez les enseignants, les personnels de la santé ou les éboueurs, à Sidi Bouzid ou à Sfax. Dans cette dernière ville, la capitale économique du pays, l’UGTT a appelé à une grève générale de 24h le 12 janvier, avec une manifestation de 40 000 personnes et cela a constitué un tournant dans la mobilisation, en faisant surgir le risque d’une extension de la grève à tout le pays, que la direction nationale de l’UGTT a tenté de canaliser en appelant à une grève générale nationale de 2h le 14 janvier : cela a fortement contribué à la fuite de Ben Ali. Dans de nombreux cas, des syndicalistes s’en prennent aux bureaucrates, comme cela a été relevé par le journal algérien El Watan lors d’une manifestation le 17 janvier se dirigeant vers le siège de l’UGTT, dont les permanents ont semblé « fuir de peur d’affronter les militants de l’union ». C’est aussi sous la pression des syndicalistes combatifs et des travailleurs que la direction de l’UGTT a dû retirer précipitamment les trois ministres qu’elle avait accepté d’avoir dans le tout premier gouvernement de Ghannouchi après la chute de Ben Ali. Aujourd’hui, la question posée aux militants de l’UGTT et aux travailleurs est de se réapproprier leur syndicat en chassant les corrompus et tous les bureaucrates et en définissant eux-mêmes l’orientation de classe à lui donner.

Enfin, ce sont de véritables conseils qui ont été mis en place pour prendre en main la gestion de certains villages ou quartiers, voire de quelques villes. C’est ainsi que des conseils ont été mis en place, avec la section dissidente de l’UGTT, dans la ville de Redeyef, près du bassin minier de Gafsa où les mineurs avaient mené une grève de six mois durement réprimée en 2008 (3 morts, nombreux cas de tortures, 360 condamnés) ; ce fut le point de départ du cycle de luttes ouvrières qui s’est développé par la suite et a fortement contribué à préparer et nourrir la mobilisation révolutionnaire actuelle. Or, à Redeyef, « c’est aujourd’hui le local de l’UGTT (qui a rompu ses liens avec la direction nationale à Tunis) qui est le véritable siège du pouvoir ; le maire corrompu est retenu chez lui dans l’attente de son procès, la police et la plupart des autorités ont disparu et la ville est auto-gérée par des conseils. Comme l’explique Adnan Hayi, secrétaire général de l’UGGT de Redeyef dans les Chroniques de la révolution tunisienne : "Grâce à l’expérience de la lutte et de l’unité de ces dernières années, nous sommes parvenus à former des Conseils dans tous les secteurs pour mobiliser la population dans la défense de ses droits et pour la gestion de sa vie quotidienne. Notre organisation syndicale sert aujourd’hui de colonne vertébrale à la mobilisation populaire." » (3)

En Égypte aussi, il y a eu non seulement des millions de manifestants place Tahrir et dans tout le pays, emmenés par la jeunesse, mais des éléments de contrôle dans les entreprises et d’auto-organisation sont apparus, des syndicats indépendants se renforcent (les syndicats officiels étant liés à la police et n’ayant pas du tout la même base de masse que la centrale tunisienne) et les grèves ouvrières ont joué un rôle décisif dans la chute de Moubarak en 18 jours seulement. C’est ce que montre l’article dont nous reproduisons ci-dessous une grande partie.

Égypte

Le rôle de la classe ouvrière dans la chute de Moubarak
Large extrait d’un article d’Atef Saïd, Hossam El-Hamalawy et Sellouma
http://www.pressegauche.org/spip.php?article6553

(...) A partir du dimanche 6 février, avec l’appel au retour à la normalité et au travail martelé par le régime lui-même, un tournant a commencé à s’opérer avec l’entrée progressive du prolétariat égyptien sur la scène des événements. L’une après l’autre, plusieurs villes du pays ont vu s’engager des grèves et des occupations d’entreprises.

Dans une interview publiée le dimanche 6 février, Hossam el-Hamalawy, journaliste, blogueur du site 3arabawy et membre du Centre d’études socialistes au Caire pointait déjà quatre premiers foyers : « Cela fait déjà deux jours que les travailleurs ont déclaré qu’ils ne retourneront plus au travail jusqu’à la chute du régime. Il y a quatre foyer de lutte économique. Une grève à l’usine sidérurgique à Suez, une fabrique de fertilisants à Suez, une usine de textile près de Mansoura à Daqahila, où les travailleurs ont expulsés le manager et autogèrent l’entreprise. Il y a également une imprimerie au sud du Caire où le patron a été viré et qui fonctionne en autogestion. »

Comme l’a informé le journal « Al-Ahram Online », les luttes ouvrières ont surtout commencé à gagner en intensité dans la ville-clé de Suez, avec en pointe les travailleurs du textile qui ont organisé une manifestation rassemblant 2000 travailleurs pour le droit à l’emploi à laquelle se sont joints 2000 jeunes. Dans le courant les jours suivants, les travailleurs ont occupé l’usine textile « Suez Trust » et 1000 ouvriers de la fabrique de ciment Lafarge entraient en grève tandis que leurs collègue de la cimenterie de Tora organisaient un sit-in pour protester contre leurs conditions de travail.

Dans le ville industrielle de Mahalla, l’étincelle est partie avec plus de 1500 ouvriers de l’entreprise Abu El-Subaa, qui ont manifesté en coupant les routes afin d’exiger le paiement des salaires. Ce sont ces mêmes travailleurs qui organisent régulièrement des sit-in depuis deux ans pour leurs droits.

Plus de 2000 travailleurs de l’entreprise pharmaceutique Sigma dans la ville de Quesna, se sont déclarés en grève afin d’exiger de meilleurs salaires et le versement de leurs bonus, suspendus depuis plusieurs années. Les travailleurs demandent également la destitution de la direction de l’entreprise qui menait une politique de répression brutale des activités syndicales.

Le mardi 8 février, les enseignants universitaires ont réalisé une marche de soutien à la révolution qui a rejoint les occupants de la Place Al-Tahrir. Les travailleurs des télécommunications du Caire ont alors entamé une grève au Caire, tandis que plus de 1500 travailleurs du secteur du nettoyage et de l’embellissement des espaces publics ont manifesté face au siège de leur administration à Dokki. Leurs revendications incluaient une augmentation salariale mensuelle pour atteindre 1200 livres égyptiennes. Ils demandaient aussi la généralisation des contrats à durée indéterminée et le renvoi du président du conseil d’administration.

L’éviction des bureaucrates syndicaux liés au régime et la conquête des libertés syndicales sont également au cœur des ces luttes ouvrières : d’après Al-Ahram, « le Vice-président du Syndicat des travailleurs égyptiens est séquestré depuis lundi (7 février) par des employés qui exigent sa démission immédiate ». Le mercredi 9 février, des journalistes se rassemblèrent au siège de leur syndicat pour exiger la destitution de leur responsable syndical nommé par le régime, Makram Mohamed Ahmed.

Le personnel technique ferroviaire à Bani Souweif engagea une grève qui s’étendit à tout le reste du secteur. Au moins deux usines d’armement à Welwyn se mirent en grève tandis que plusieurs milliers de travailleurs du secteur pétrolier ont organisé une manifestation face au Ministère du Pétrole à Nasr City et à partir du jeudi 10 février, ils furent rejoint par des collègues venant du reste du pays.

C’est surtout à partir du mercredi 9 février que la vague de grève se généralise dans tout le pays après l’annonce faite par Moubarak d’une augmentation des salaires de 15% pour les fonctionnaires. Ce jour là également, les trois premiers syndicats indépendants du régime (celui des collecteurs d’impôts, des techniciens de la santé et de la fédération des retraités) ont manifesté ensemble face au siège de la Fédération égyptienne des syndicats afin d’exiger des poursuites judiciaires contre son président corrompu et pour la levée de toutes les restrictions imposées à l’encontre de la création de syndicats indépendants. Ce sont ces trois premiers syndicats autonomes qui, ensemble avec des travailleurs indépendants d’autres secteurs, ont créé le 30 janvier dernier la première Fédération égyptienne des syndicats indépendants (voir leur déclaration ci dessous).

Il faut souligner ici le remarquable manifeste des métallos de la ville sidérurgique d’Helwan, qui ont organisé une grande marche le vendredi 11 février jusqu’à la place Al-Tahrir. Ce manifeste demandait :

« 1) Le départ immédiat du pouvoir de Moubarak et de tous les représentants du régime et la suppression de ses symboles

2) La confiscation, au profit du peuple, de la fortune et des propriétés de tous les représentants du régime et de tous ceux qui sont impliqués dans la corruption

3) La désaffiliation immédiate de tous les travailleurs des syndicats contrôlés par le régime ainsi que la création de syndicats indépendants et la préparation de leurs congrès afin d’élire leurs structures organisationnelles

4) La récupération des entreprises du secteurs public qui ont été privatisées, vendues ou fermées et leur nationalisation au profit du peuple, ainsi que la formation d’une administration publique pour les diriger, avec la participation des travailleurs et des techniciens

5) La formation de comités pour conseiller les travailleurs dans tous les lieux de travail et pour superviser la production , pour la fixation et la répartition des prix et des salaires

6) Convoquer une Assemblée constituante représentant toutes les classes populaires et tendances afin d’approuver une nouvelle constitution et élire des conseils populaire sans attendre le résultat des négociations avec le régime actuel. »

Mais ce qui aura sans doute été déterminant dans la chute de Moubarak, c’est qu’à partir du jeudi 10 février les travailleurs de la Compagnie du Canal de Suez des villes de Suez, Port-Saïd et Ismaïlia ont lancé une grève avec occupation illimitée des installations portuaires, menaçant de perturber ainsi le trafic de navires.

Plus de 6000 travailleurs se sont rassemblés également devant le siège de l’entreprise jusqu’à la satisfaction de leurs revendications salariales, contre la pauvreté et la détérioration des conditions de travail. Le canal de Suez est une source vitale de devises étrangères pour l’Égypte et un million et demi de barils de pétrole y transitent quotidiennement. Sa fermeture obligerait les cargos à faire le tour de l’Afrique et donc à rallonger leur voyage de sept à dix jours, ce qui aurait un impact sur les prix du pétrole et tous les échanges commerciaux en Europe et dans le monde.

Il ne fait aucun doute que cette vague de grèves massives et la perspective d’un Canal de Suez bloqué ont été les éléments décisifs qui ont précipité la chute de Moubarak en renforçant la pression de Washington et des chefs de l’armée, peu rassurés quant à capacité et à l’obéissance des troupes du rang d’écraser ces grèves par une répression sanglante.

En Libye, il est plus difficile de connaître le rôle propre de la classe ouvrière et les éléments d’auto-organisation, mais on sait que l’insurrection des jeunes, des travailleurs et des opprimés s’est immédiatement armée à cause de la répression féroce de Khadafi et même si des chefs de tribus entières et des secteurs de l’armée sont passés du côté des insurgés pour leur propres intérêts. Les insurgés contrôlent Benghazi, la deuxième ville du pays, mais aussi tout l’Est et plusieurs villes de la région de Tripoli, soit les deux tiers du pays. À l’heure où nous écrivons, les combats restent intenses et l’armée fidèle à Khadafi réussit à stopper ou entraver la progression des insurgés, mais il semblerait que le dictateur tente en même temps de négocier son départ.

L’un des principaux problèmes auxquels doivent faire face les révolutionnaires est la préparation d’une intervention militaire des impérialistes : sous couvert de venir en aide aux insurgés et après avoir vendu à Khadafi les armes dont il se sert aujourd’hui contre eux, les impérialistes veulent les empêcher de prendre en main leur destin. Ils veulent mettre en place un gouvernement à leur botte qui leur assure l’accès au pétrole libyen et le contrôle politique de la situation révolutionnaire dans les pays arabes. Notre soutien inconditionnel au peuple libyen en lutte contre Khadafi et son régime s’accompagne bien évidemment d’un refus de toute intervention impérialiste, avec ou sans couverture de l’ONU et quelle que soit sa forme. Si elle est mise en œuvre, nous combattrons pour sa défaite sans pour autant apporter le moindre soutien politique aux chefs de tribus et aux officiers qui combattent aujourd’hui Khadafi pour leurs propres intérêts, voire au service de l’impérialisme dans certains cas. Mais nous condamnons les prétendus « révolutionnaires » Chavez et Castro qui, sous prétexte d’anti-impérialisme, apportent aujourd’hui un soutien politique au dictateur Khadafi alors qu’il s’est soumis aux impérialistes ces dernières années et qu’il est en train de massacrer les jeunes et les travailleurs révoltés contre son intolérable dictature.

Les gouvernements provisoires tentent d’arrêter la mobilisation révolutionnaire pour sauver les régimes au service de la bourgeoisie et des impérialistes

En Tunisie, en Égypte, en Libye et bientôt dans les autres pays arabes, le combat pour en finir avec les régimes dictatoriaux eux-mêmes est à l’ordre du jour. Il s’agit de refuser toute confiance aux transfuges du régime ou du parti unique comme aux généraux de l’armée soudain reconvertis en partisans d’une prétendue « démocratie » — tous aux ordres en fait des impérialistes.

En Égypte les jeunes et travailleurs qui ont renversé Moubarak viennent d’imposer par leurs manifestations la démission du Premier ministre Ahmed Chafik. Mais il a été remplacé par un autre ancien ministre de Moubarak, Essam Charak, et l’armée a pris les rênes du pays pour tenter d’empêcher la poursuite du processus révolutionnaire, notamment contre les grèves. Le risque d’un régime militaire est d’autant plus élevé que l’armée contrôle une partie de l’économie elle-même et que, tout en ayant été un pilier du régime de Moubarak, elle jouit encore d’un certain prestige — même s’il tient à un nationalisme arabe rendu largement mythique depuis la soumission totale du régime égyptien aux intérêts des États-Unis et de l’État sioniste voici trente ans. Le Conseil suprême des forces armées prétend assurer la transition démocratique en lieu et place du peuple et a promis quelques avancées sociales (notamment un salaire minimum de 1200 livres) ; mais il n’a toujours pas levé l’état d’urgence en vigueur depuis 30 ans, ni libéré les prisonniers politiques, encore moins ouvert la frontière avec Gaza, et il multiplie les menaces et intimidations contre les grévistes, les manifestants et les journalistes. Par exemple, l’armée a bloqué la circulation et interdit de s’approcher de l’usine textile en grève pendant cinq jours de Mahallah, qui est la plus grande du Moyen-Orient avec 24 000 ouvriers — celle dont est partie la grève généralisée d’avril 2008. D’un côté, les militaires ont pris eux-mêmes en main les négociations, cédant aux revendications et virant la direction corrompue de l’usine pour empêcher la contagion qui commençait vers d’autres secteurs. Mais, d’un autre côté, ils ont utilisé leur contrôle des opérateurs de téléphonie mobile pour envoyer des menaces claires à toute la population : « Pour des raisons de sécurité nationale, tous ceux qui participent à des manifestations ou des actions qui ne sont pas expressément autorisées par l’armée seront arrêtés. » (4)

En Tunisie aussi l’armée, qui n’a pas le même poids dans le régime que son homologue égyptienne, jouit d’un certain prestige, d’autant plus qu’elle n’a pas encore tiré massivement sur la foule, contrairement à la police et aux milices de Ben Ali. Cependant, les travailleurs et le peuple tunisiens en sont à une étape supérieure de leur mobilisation : par centaines de milliers, ils ont d’emblée refuser le gouvernement de Ghannouchi. Les manifestations contre lui ont été de plus en plus nombreuses et déterminées, devenant quotidiennes, et ont fini par gagner : après Ben Ali, les Tunisiens ont réussi à balayer son remplaçant, au prix du sang de cinq nouveaux martyrs.

Le président par intérim, Foued Mebazaa, a nommé un « nouveau » Premier ministre, Béji Caïd Essebsi — en fait un vieux pilier du régime de 84 ans, même s’il avait pris ses distances avec Ben Ali depuis 1994, ancien ministre de l’Intérieur de Bourguiba et artisan de la féroce répression contre les militants révolutionnaires dans les années 1960. Cela montre la volonté de la bourgeoisie tunisienne d’assurer la continuité de l’appareil d’État. Cependant, comprenant que ce changement de Premier ministre ne peut pas suffire à calmer la colère populaire, le président par intérim a aussi annoncé la convocation d’une Assemblée constituante, dont l’élection aura lieu le 24 juillet. C’était l’une des exigences des manifestants, concentrant l’aspiration à en finir avec le régime de la dictature. De plus, la police politique et le RCD viennent d’être dissous, la Chambre des députés suspendue et la libération des prisonniers politiques, officiellement décidée par Ghannouchi mais en fait appliquée très partiellement, enfin mise en œuvre. Il s’agit là d’une série de victoires importantes de la mobilisation. Mais le président et le gouvernement tentent aussi par là de mettre fin à la poursuite de la révolution, notamment sur le terrain des revendications sociales. De fait, Foued Mebazaa a terminé son annonce de la Constituante en demandant aux Tunisiens de « se remettre au travail » et à renoncer à leurs revendications catégorielles : la bourgeoisie craint la fuite des investissements étrangers qui ont été l’un des principaux facteurs du « miracle tunisien » depuis trente ans. Enfin, il a rendu hommage et à la police et à l’armée qui « ont conjugué leurs efforts » pour réaliser une « amélioration notable de la situation sécuritaire en Tunisie ».

De leur côté, les médias qui, tout en se prononçant soudain pour la démocratie, restent en fait liés au régime, se livrent à une campagne contre l’UGTT, visant surtout en fait les syndicalistes lutte de classe et les sections combatives qui ont tant contribué au développement de la révolution et agitant la menace d’un prétendu « complot » contre la « transition démocratique ». Se mettant immédiatement au garde-à-vous comme au temps de Ben Ali, la direction de l’UGTT a bien compris le message de son successeur : Ali Ben Romdhane, secrétaire général adjoint de l’UGTT, a déclaré à l’AFP : « Place au travail et à l’arrêt des sit-in, y compris à la Kasbah. Nous allons travailler avec les autres forces politiques pour aider l’autorité publique à réaliser sa mission. Le programme est clair, il n’y a plus de flou. » Cela revient à demander la fin des grèves.

Pour le démantèlement complet des régimes dictatoriaux et des appareils de la répression ! Pour l’auto-organisation des travailleurs, vers leur propre pouvoir !

En Tunisie comme en Égypte, les masses mobilisées veulent en finir avec le régime et voir satisfaites leurs revendications démocratiques et sociales. Mais cette prise en main de leur propre destin, tout comme le développement réel des comités de défense, du contrôle ouvrier dans les entreprises et des conseils dans certaines localités posent inévitablement la question du pouvoir des travailleurs eux-mêmes. Pour les révolutionnaires de Tunisie, la priorité immédiate est d’aider au développement de l’auto-organisation, de combattre dans l’UGTT contre la bureaucratie et pour une orientation lutte de classe, d’impulser des grèves et de faire progresser l’idée qu’il est possible et nécessaire de poursuivre la révolution jusqu’au gouvernement des prolétaires, des jeunes et des paysans.

De ce point de vue, les élections à l’Assemblée constituante doivent être l’occasion de développer cette orientation en présentant dans tout le pays les candidats des comités d’auto-organisation. Il s’agit de continuer à combattre le gouvernement provisoire et la tentative par laquelle la bourgeoisie et les membres de l’ancien régime tentent de maintenir les bases mêmes de celui-ci, c’est-à-dire tout l’appareil d’État : ils ne voient dans la Constituante à laquelle ils sont obligés d’appeler qu’un moyen de les repeindre sous de nouvelles couleurs. Le président Mebazaa a remis à une commission composée de membres liés au clan de Ben Ali le soin de définir le mode de scrutin et les modalités pratiques pour la convocation de la Constituante. Ils voudraient pour que celle-ci se réduise à l’écriture d’une nouvelle Constitution, sans toucher aux institutions essentielles du régime. Tout au contraire, c’est aux masses mobilisées et auto-organisées de définir les tâches de la Constituante, de lui donner les pleins pouvoirs pour liquider de fond en comble l’ancien régime et pour prendre l’ensemble des mesures sociales et économiques qui lui sembleront nécessaires.

Si la bourgeoisie réussit à conserver le pouvoir politique et économique, elle continuera de surexploiter les travailleurs pour son propre compte et pour celui des multinationales dont elle est la vassale. En même temps, la démocratisation du régime sera limitée à quelques acquis pouvant être repris tôt ou tard par la réaction et, en tout cas, l’essentiel du pouvoir restera dans les mains d’une minorité, les appareils de répression continueront de fonctionner contre les travailleurs et les jeunes, les conditions de vie ne seront pas fondamentalement changées.

Or ce sont les travailleurs qui font tourner le pays, qui peuvent décider de le paralyser par la grève et qui pourront demain prendre le pouvoir politique et s’approprier les entreprises et les administrations pour imposer leurs choix. Pour les communistes révolutionnaires, il s’agit non seulement de participer à l’auto-organisation et aux luttes des travailleurs, des jeunes et des paysans, mais aussi de les convaincre qu’il est urgent et possible d’en finir avec la tutelle de l’impérialisme, de rompre avec le néo-colonialisme, notamment celui de la France, de nationaliser sans indemnités ni rachat et sous contrôle des travailleurs toutes les entreprises impérialistes et tous les grands groupes capitalistes tunisiens, de planifier le développement économique de façon démocratique, au service des besoins des travailleurs et de la jeunesse, de mettre en place des institutions qui assurent le pouvoir de la majorité, les travailleurs eux-mêmes...

Un tel programme doit donc être défendu clairement par les marxistes révolutionnaires de Tunisie, en toute indépendance à l’égard de l’ensemble des forces bourgeoises. C’est le programme de la « révolution permanente » : la seule façon pour les travailleurs et les jeunes de ne pas perdre la révolution qu’ils ont commencée eux-mêmes, c’est de la continuer et de l’étendre aux autres pays, jusqu’aux États-Unis socialistes arabes et berbères.

Faut-il participer au « Front du 14 janvier » ?
Oui au front unique pour les revendications démocratiques et pour la Constituante !
Non à l’accord programmatique avec des organisations bourgeoises, aucun soutien à un gouvernement bourgeois, pour l’auto-organisation et le gouvernement des travailleurs !

Le Front du 14 janvier regroupe des organisations ouvrières qui se réclament du communisme, comme le Parti Communiste des Ouvriers Tunisiens (PCOT, organisation se revendiquant du « marxisme-léninisme », qui a lutté courageusement dans la clandestinité et regroupe plusieurs centaines de militants) ou la Ligue de la Gauche Ouvrière (également dans la clandestinité pendant la dictature, ces camarades sont liés au NPA via le « Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale »), mais aussi des organisations bourgeoises nationalistes (les Unionistes nasséristes, le Mouvement National Démocratique, les nationaux démocratique (WATAD), le Mouvement Ba’ath, le Mouvement de la Gauche Indépendante et le Parti National et Démocratique du Travail).

Le Front du 14 janvier défend une série de revendications démocratiques et sociales très justes qui, dans le cadre de la lutte pour en finir avec la dictature et le néo-colonialisme, peuvent et même doivent faire l’objet d’un front unique pour aider à la mobilisation des masses, y compris avec des organisations bourgeoises réellement partisanes des libertés démocratiques et de l’anti-impérialisme. Nous devons soutenir ainsi les revendications suivantes : « 1- faire tomber le gouvernement de M. Ghannouchi et tout gouvernement qui compterait dans ses rangs des symboles de l’ancien régime ; 2- la dissolution du Rassemblement Constitutionnel Démocratique (l’ancien parti-État) et la confiscation de ses sièges et comptes en banque, qui sont des biens du peuple tunisien ; (...) 4- La dissolution de la chambre des députés, de l’assemblée législative, du Conseil supérieur de la magistrature ;  le démantèlement de la structure politique de l’ancien régime ; l’élection, dans un délai ne dépassant pas six mois, d’une assemblée constituante dont la mission sera de doter le pays d’une nouvelle constitution et de législations garantissant les droits politiques, économiques et culturels de notre peuple ; 5- La dissolution de la police politique et l’élaboration d’une nouvelle politique de sécurité, respectueuse des droits de l’Homme et de la primauté de la loi ; 6- La traduction devant la justice de toute personne qui aurait procédé à des arrestations illégales, commis des actes de torture ou de meurtre, ainsi que de toute personne  qui aurait commis des actes de corruption ou de détournement de biens publics ; 7- La confiscation des biens de l’ancienne famille ‘‘régnante’’, de ceux de ses proches et de tous ceux qui s’étaient servi de leur statut ou qualité officielle pour s’enrichir sur le dos du peuple ; 8- La création immédiate d’emplois, ainsi que d’une allocation-chômage, d’une assurance-santé et l’amélioration du pouvoir d’achat des citoyens. (...) 10- La garantie des libertés publiques et individuelles, en particulier, la liberté de manifester, de s’exprimer, de s’organiser dans le cadre politique de son choix, la liberté de la presse, ainsi que la liberté de conscience ; la libération des prisonniers politique et l’adoption d’une amnistie générale. » Redisons-le : ces mots d’ordre sont justes et justifient pleinement en eux-mêmes la constitution d’un front unique pour la mobilisation des travailleurs et des jeunes.

Mais le Front du 14 janvier n’est pas seulement un front unique pour l’action ponctuelle. Il revêt également le contenu d’un « front populaire », c’est-à-dire d’un accord programmatique contre-nature entre des organisations ouvrières et des organisations bourgeoises, qui se concentre par là même inévitablement sur un projet de collaboration de classe et de respect du capitalisme, fût-il régulé par l’État. C’est ainsi que, dans les bases constitutives du Front du 14 janvier est fixé l’objectif d’un « gouvernement d’unité nationale digne de la confiance de notre peuple, notamment celle de sa jeunesse,  des forces progressistes et démocratique et des organisations associatives et syndicales » — formule vaseuse dont il ressort que ce ne serait pas en tout cas un gouvernement des travailleurs et des paysans eux-mêmes. De fait, il s’en tient à des revendications sociales élémentaires et, au lieu de proposer un programme révolutionnaire, il se fixe le but d’élaborer « une politique économique au service du peuple qui devrait se traduire par une rupture immédiate avec le capitalisme sauvage, notamment à travers la nationalisation des entreprises qui ont été privatisées ainsi que celle des secteurs vitaux de notre économie » ; il ne s’agit donc pas de rompre avec le capitalisme en général, mais de le réguler par des nationalisations et l’intervention de l’État bourgeois, sans même l’objectif d’un contrôle ouvrier, encore moins de l’auto-gestion et de la planification démocratique. Corrélativement, sans délimitation de classe, le Front du 14 janvier ne propose aucune stratégie sérieuse pour la conquête du pouvoir : il « appelle les masses populaires et l’ensemble des forces nationales progressistes à continuer le combat jusqu’à la réalisation de ces objectifs, ceci notamment en maintenant les manifestations quotidiennes », mais il ne parle pas une seule fois de l’objectif de la grève générale et de l’arme de la grève. À juste titre, il « salue toutes les formes d’auto-organisation inventées par notre peuple et appelle à l’élargissement de leurs champs d’intervention pour couvrir tous les aspects de notre vie publique », mais ne fixe pas l’objectif du pouvoir des comités ou conseils où les travailleurs et les jeunes s’auto-organisent.

En un mot, le programme du 14 janvier reste réformiste à l’égard du capitalisme et ne définit aucune stratégie de classe pour faire chuter le régime et que les travailleurs prennent le pouvoir. Cela conduit inévitablement à une orientation confuse et opportuniste. De fait, alors même qu’elles se battent depuis le début contre le gouvernement provisoire et que les manifestations de masse contre Ghannouchi se multipliaient, les organisations du Front du 14 janvier ont décidé de participer au prétendu « Conseil national pour la Sauvegarde de la Révolution » fondé le 11 février, qui rassemble 28 organisations (dont la direction bureaucratique de l’UGTT, l’Association des Magistrats Tunisiens, le Conseil des Avocats, etc.) et des partis bourgeois laïques ou islamistes dits « modérés », interdits sous Ben Ali (comme Ennahda). Or, sous prétexte de mettre sous contrôle le gouvernement provisoire de Ghannouchi, ce Conseil lui a apporté en fait une caution « révolutionnaire » au lieu de le dénoncer comme le principal agent de l’ancien régime ! Après la chute de Ghannouchi et l’annonce des élections pour une Assemblée constituante, ce Conseil a appelé le président Mebazaa à dissoudre le gouvernement provisoire, mais aussi à engager de larges concertations « en vue de garantir le consensus national autour du choix du premier ministre et de former un gouvernement provisoire de gestion des affaires courantes, avec pour membres des personnes réputées pour leur compétence et qui ne son pas impliqués avec l’ancien régime » (dépêche de l’Agence tunisienne de presse, TAP, 1er mars). Ce Conseil prône donc une collaboration de classes au nom du « consensus national », une transition institutionnelle qui n’a rien à voir avec la logique de la lutte des classes, mais revient à remettre le sort de la révolution dans les mains des bourgeois qui font aujourd’hui profession de « démocratie ».

La participation du PCOT au Front du 14 janvier et au Conseil pour la sauvegarde de la révolution relève d’une orientation de « révolution par étapes », typique de la politique du stalinisme historique (y compris sa variante maoïste) dans les pays dominés. Pour ce parti en effet — quels que soient par ailleurs ses mérites et son action durant plusieurs décennies de clandestinité — il s’agit de faire d’abord la « révolution démocratique », qui justifierait l’alliance avec des forces bourgeoises « progressistes » et la mise sous le boisseau du programme proprement prolétarien et socialiste, et plus tard, si possible, une révolution socialiste. Mais entre-temps, comme le montre l’histoire des processus révolutionnaires dans les pays dominés au XXe siècle, le pouvoir aura été confisqué soit par la réaction qui saura profiter du retour au calme social pour se refaire une santé et se renforcer, soit par le retournement des bourgeois « démocrates » eux-mêmes contre la classe ouvrière et ses revendications, voire contre les libertés démocratiques elles-mêmes.

De ce point de vue, il est particulièrement problématique qu’une telle orientation soit reprise de fait par les camarades du Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale (SUQI) et sa section tunisienne, la LGO, qui participe elle aussi au Front du 14 janvier (pas même de façon critique) et a signé même la déclaration constitutive du « Conseil national pour la Sauvegarde de la Révolution ». C’est une conséquence logique de l’orientation défendue par le SUQI, dont la déclaration du 22/02 contient beaucoup de choses justes, souligne l’importance de l’auto-organisation et note même en passant qu’il s’agit d’un « processus de révolution permanente » ; mais elle se prononce pour un « gouvernement provisoire révolutionnaire » sans contenu de classe, défini comme un vague « gouvernement au service des travailleurs et de la population » ; et, si elle affirme certes qu’il faut « s’appuyer sur l’organisation des comités, coordinations et conseils populaires qui ont émergé dans la population », elle ne trouve rien à redire au programme et aux choix du Front du 14 janvier, elle ne fixe nullement l’objectif que les conseils prennent eux-mêmes le pouvoir, elle ne définit aucune véritable stratégie de mobilisation immédiate pour le prolétariat en tant que tel (5).

Contre Sarkozy, l’État et l’impérialisme français, complices des dictatures !

Le rôle des révolutionnaires et des organisations du mouvement ouvrier de France est d’abord d’apporter un soutien inconditionnel aux travailleurs et aux peuples qui se soulèvent dans les pays arabes. Mais il est aussi et surtout de dénoncer, combattre et affaiblir par la lutte de classe ici « notre » propre impérialisme.

Depuis l’indépendance formelle de la Tunisie en 1956 et tout particulièrement depuis l’arrivée de Ben Ali au pouvoir sous Mitterrand, l’État français est le principal responsable de la dictature en Tunisie, que le gouvernement soit de droite ou de gauche — la responsabilité du PS étant ici d’autant plus criante que Ben Ali, tout comme d’ailleurs Moubarak, étaient membres de l’« Internationale socialiste » jusqu’à... la veille de leur chute ! Les 219 privatisations totales ou partielles réalisées sous la dictature de Ben Ali ont profité surtout aux entreprises françaises, qui étaient déjà bien présentes en Tunisie et se taillent la part du lion notamment dans le secteur industriel : textile, habillement, mécanique, électricité, électronique, plasturgie, aéronautique (Airbus)... Avec 280 millions d’euros d’Investissements Directs à l’Étranger (IDE), la France apparaît au 3e rang (en valeur) des pays investisseurs en Tunisie, derrière les Émirats arabes unis et le Royaume-Uni (présent dans l’énergie). C’est aussi le premier pays par le nombre d’entreprises établies en Tunisie, qui se monte à 1250, dont les trois quarts sous le régime offshore, et par le nombre d’emplois directs induits (106 000). Il y a notamment Valeo, Sagem, Danone, Sanofi-Aventis, entreprises du tourisme comme Fram, Accor, Club med, établissements bancaires (BNP-Paribas, Société générale, Groupe Caisse d’épargne) et plus récemment assurance (Groupama) et centres d’appels (Téléperformance). Dans la grande distribution, les enseignes Carrefour et Casino sont présentes avec des partenaires locaux majoritaires.

En retour la Tunisie, comme d’autres États du Maghreb, est l’alliée privilégiée de la politique contre l’immigration des États de l’Union européenne (dispositif Frontex). Le régime collabore notamment avec les polices italienne et française : la Tunisie est un filtre pour traquer les immigrés clandestins en provenance des pays du Maghreb et d’Afrique sub-saharienne. Elle participe à l’« Union pour la Méditerranée », le projet néo-colonial de Sarkozy visant à faire du bassin méditerranéen une vaste zone de libre-échange qui soumettrait encore plus les pays arabes au poids des multinationales françaises et européennes.

L’étroitesse du lien entre l’État français et la dictature tunisienne a été révélée crûment par le soutien apporté par le gouvernement à Ben Ali jusqu’à la veille de sa chute et notamment par le double scandale du soutien d’Alliot-Marie à la répression et de ses vacances en Tunisie offertes par un milliardaire suppôt de Ben Ali. La démission forcée de la ministre des Affaires étrangères prouve la gravité de la crise qui frappe la politique étrangère de Sarkozy à un moment où l’impérialisme français subit la concurrence de plus en plus féroce de ses rivaux dans ses prés carrés africains. De fait, à force de se faire le valet des États-Unis, Sarkozy subit leurs décisions unilatérales en Côte d’Ivoire comme en Tunisie : on sait que la fuite de Ben Ali a été rendue inévitable malgré le soutien de l’État français lorsque les États-Unis ont décidé de miser sur la « transition démocratique » pour tenter de sauver les intérêts généraux de l’impérialisme contre le soulèvement des peuples. Cependant, Obama ne peut pas tout régler directement et le gouvernement de Sarkozy continue de jouer aujourd’hui encore un rôle décisif dans les faits et gestes du gouvernement provisoire tunisien, sous couvert d’un soi-disant « gouvernement de technocrates » censé préparer les élections et la « transition démocratique ».

Pour une grande campagne de solidarité ouvrière avec les travailleurs et peuples arabes

Pour les révolutionnaires internationalistes, la meilleure façon d’aider les travailleurs et peuples arabes est de dynamiser la lutte de classe en France contre Sarkozy, pour en finir avec ce gouvernement sans attendre 2012 et en nourrissant cet espoir, toutes choses égales par ailleurs, de l’exemple vivant des héroïques mobilisations révolutionnaires en cours dans les pays arabes. C’est ce que font les travailleurs du Wisconsin aux États-Unis mêmes : mobilisés par dizaines de milliers contre la remise en cause de leurs statuts dans le secteur public et des droits syndicaux et n’hésitant pas à s’en prendre au Parlement, ils se réfèrent aux révolutions arabes ! Le gouverneur, Scott Walker, n’a pas hésité à les traites d’« espèces d’Égyptiens » et ils lui ont répondu par les slogans « Scott Moubarak » et « Walker dégage » ! A quand des manifestations en France pour que Ben Sarkozy dégage ?

Cela suppose de surmonter l’obstacle majeur des bureaucraties syndicales et des réformistes du PCF et du PG, qui s’illustrent aujourd’hui non seulement par leur focalisation sur la préparation des élections cantonales et de la présidentielle de l’an prochain, mais par un soutien à la « transition démocratique » bourgeoise en Tunisie et en Égypte.

Nous devons aussi nous battre dans les syndicats pour qu’ils soutiennent le processus révolutionnaire en poussant à des prises de position de structures syndicales, en proposant des motions qui demandent aux dirigeants nationaux une campagne de solidarité, en prenant l’initiative d’organiser la discussion dans nos syndicats pour appeler les syndiqués et les travailleurs à participer aux manifestations et autres meetings de soutien aux révolutions en cours, pour nouer des liens fraternels avec des structures combatives de l’UGTT ou avec des syndicats égyptiens indépendants, pour organiser des actions contre les entreprises françaises qui participent depuis tant d’années au pillage de la Tunisie et de l’Égypte sous la protection de la dictature.

Enfin, nous devons lutter — en convaincant la direction du NPA d’aller jusqu’au bout de cette démarche — pour construire un grand front unique des partis du mouvement ouvrier, des syndicats, des organisations démocratiques, anti-racistes et internationalistes, des associations de quartiers intervenant dans les cités populaires où se concentre la majorité des travailleurs et des jeunes immigrés ou enfants d’immigrés, etc. Il s’agit de mener une grande campagne nationale de solidarité politique avec les mobilisations révolutionnaires des travaill

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