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Pour en finir avec l’UE capitaliste et l’euro en crise
Une récente note économique de Natixis (banque d’investissement du groupe BPCE, issue de la fusion des groupes Caisses d’épargne et Banque populaire) - http://cib.natixis.com/flushdoc.aspx?id=66607 - distingue trois issues possibles à la crise de la zone euro :
- l’appauvrissement des pays du Sud qui ferait disparaître leur déficit commercial extérieur ;
- la mise en place de transferts des pays de l’Europe du Nord vers ceux du Sud ;
- l’explosion de l’euro.
Même si cette note fait abstraction de la lutte des classes, elle dessine avec clarté les trois issues possibles.
Pour les gouvernements bourgeois de l’UE, l’option (3) est le scénario de l’horreur :
- L’explosion de l’euro impliquerait la dévaluation des monnaies des pays de l’Europe du Sud, et leur défaut de paiement vis-à-vis de leur dette libellée en euros. Cela signifierait que les banques et les États de l’Europe du Nord se retrouveraient avec des créances qui ne vaudraient plus rien : la crise des dettes publiques prendrait alors un tour dramatique, avec une vague de faillites bancaires et un effondrement économique ;
- Les pays de l’Europe du Sud regagneraient en compétitivité (grâce à la dévaluation de leur monnaie), mais avant de renouer avec les profits à moyen terme, les faillites d’entreprises endettées en euros se multiplieraient tandis que la flambée du prix des importations renchérirait les coûts de production.
L’option (1) correspond aux intérêts objectifs des bourgeoisies les plus puissantes de l’UE, et c’est d’ailleurs cette voie qui est suivie aujourd’hui. Merkel et Hollande sont en première ligne pour imposer aux prolétaires grecs la baisse des salaires et les coupes dans les dépenses publiques, afin que la Grèce continue à rembourser sa dette, c’est-à-dire les banques et les États allemands et français. C’est aussi l’intérêt des bourgeoisies de l’Europe du Sud qui comptent sur la baisse des salaires pour augmenter leurs taux de profit. Le TSCG (traité sur la stabilité, la coordination, et la gouvernance en Europe) matérialise cet intérêt commun des bourgeoisies à réduire le niveau de vie des prolétaires, en particulier ceux de l’Europe de Sud, en renforçant le pouvoir des institutions européennes sur les décisions des États parfois trop faibles face à un prolétariat remuant.
L’option (2) est défendue par les intellectuels sociaux-démocrates et les principales forces antilibérales. Il faudrait réformer l’UE et construire une Europe solidaire avec un mécanisme de transferts budgétaires allant des territoires les plus riches vers les plus pauvres. Il s’agirait donc de mettre en place un État européen homogénéisant les conditions de vie des populations, avec des critères de convergence sociaux. Cette vision apparaît aujourd’hui utopique puisqu’elle ne correspond pas à l’intérêt des bourgeoisies les plus puissantes de l’UE, dont le premier choix ne peut pas être de mettre la main à la poche. Dans le cadre de la monnaie unique, avec la liberté de circulation totale des capitaux et marchandises, et en l’absence d’un budget européen conséquent, la seule variable d’ajustement est l’abaissement drastique du niveau de vie des populations des pays les moins compétitifs. Si les résistances des travailleurs et travailleuses se développent et limitent l’abaissement possible des salaires, les bourgeoisies allemande et française pourraient aller plus loin qu’aujourd’hui dans le sens d’un fédéralisme budgétaire, combinant l’option (1) et l’option (2). Ces deux options ne s’opposent pas, elles se complètent, même si les bourgeoisies les plus puissantes de l’UE ont intérêt à maximiser l’austérité et à minimiser les mécanismes de transferts vers l’Europe du Sud.
Nous n’avons rien à attendre des options (1) et (2) qui sont des choix politiques possibles de la bourgeoisie pour maintenir l’euro. La monnaie unique est conjointement une arme de la bourgeoisie dans la guerre qu’elle mène contre le prolétariat d’Europe et un instrument pour servir les intérêts des bourgeoisies les plus puissantes au détriment des plus faibles. Le développement de la lutte de classe en Europe fragilise le cadre de l’euro et pourrait mener à son explosion : c’est pour cela qu’il est absurde de vouloir simultanément défendre les intérêts des travailleurs (et donc leurs luttes) et sauver l’euro. Conjuguer les deux, c’est se positionner abstraitement du côté des travailleurs et concrètement du côté des capitalistes, puisque le maintien de l’euro impose de contenir les luttes dans certaines limites (ce qui est précisément le rôle et l’utilité des bureaucraties syndicales pour les capitalistes) et de perfectionner les institutions de l’Europe capitaliste.
En tant qu’anticapitalistes, nous devons rejeter les options (1) et (2) et donc assumer un projet de rupture avec l’Union européenne et sa monnaie. Bien sûr, l’explosion de l’euro, même si elle ne peut être que la conséquence d’une lutte de classe très importante des prolétaires d’Europe, ne constitue pas la chair de notre projet politique. Si le développement de la lutte des classes conduisait à l’effondrement de l’euro, une issue communiste révolutionnaire ne serait pas automatique. D’une part, si l’effondrement devenait imminent, la mise en place de régimes autoritaires pro-UE pourrait être une « solution » pour les bourgeoisies. D’autre part, si la montée des luttes ouvrières était couplée à une montée des tensions intra-européennes, les bourgeoisies nationales pourraient se tourner vers les fascistes pour reprendre le contrôle de la situation chaotique qu’ouvrirait l’effondrement de l’euro. Bref, si le scénario (3) n’implique pas nécessairement la victoire d’un processus révolutionnaire socialiste, le refus d’envisager ce scénario nous condamne soit à diluer notre projet politique pour le rendre UE-compatible, soit à défendre abstraitement un projet révolutionnaire, soit plus sûrement à combiner un radicalisme abstrait et un opportunisme concret. Ce refus d’articuler concrètement notre projet politique avec la rupture avec l’UE nous discrédite et laisse l’extrême droite incarner seule l’option (3), c’est-à-dire l’option de « rupture » avec le système en place. Bien évidemment, nous devons critiquer l’impasse d’une sortie de l’euro dans un cadre capitaliste et tout particulièrement la démagogie d’extrême droite qui tente de s’appuyer sur le discrédit de l’UE dans la classe ouvrière pour distiller son poison raciste et son nationalisme réactionnaire. La racine de la crise réside dans les contradictions de l’accumulation du capital, et une simple sortie de l’euro (sans remise en cause de la propriété privée des grands moyens de production) entraînerait faillites, licenciements et baisse du niveau de vie des masses.
Mais exiger, comme le fait la majorité du NPA, un processus constituant au niveau de l’UE pour rompre avec les institutions de l’UE et aller vers une Europe socialiste est absurde. Un tel processus ne ferait que légitimer et renforcer les institutions bourgeoises (réformées ou non) de l’UE. La médiation vers une Europe (et un monde) socialiste n’est pas la « démocratisation » de l’Europe, mais la mise en place de gouvernements des travailleurs issus des mobilisations, rompant avec l’UE et se coordonnant entre eux.
Dans chaque pas, il faut poser la question du pouvoir de façon concrète. Si les luttes en Europe sont combinées, le mouvement ouvrier n’est pas organisé au niveau européen, mais au niveau national. Elles ne pourraient pas déboucher directement sur la mise en place d’un gouvernement des travailleurs à l’échelle de l’Europe. Le ou les premiers gouvernements des travailleurs ne pourront que rompre avec les institutions nationales et européennes (et donc avec l’euro) pour exproprier le grand capital et s’engager dans la voie d’une révolution qui s’étende en Europe et avance dans la perspective d’une unification socialiste du continent (à l’opposé de la conception bourgeoise de l’Europe comme une construction technocratique par en haut). Il ne s’agit ni de sortir de l’euro puis de sortir du capitalisme, ni de sortir du capitalisme puis de sortir de l’euro. Ce serait un processus conjoint, une sortie anticapitaliste de l’euro allant de pair avec des mesures de rupture avec les institutions bourgeoises nationales, l’expropriation des grands groupes capitalistes, la création d’un monopole bancaire entre les mains des travailleurs, la suppression des marchés financiers, la mise en place d’une monnaie socialiste (unité de compte) inconvertible sur les marchés, la remise à plat de la division du travail et le contrôle des travailleurs sur l"organisation du travail…