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France et Europe : le temps des « réformes structurelles »

Par Gaston Lefranc (21 octobre 2014)
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Croissance nulle. Hausse du chômage. Six ans après le début de la crise, la France et une grande partie de l'Europe sont plongées dans une longue dépression. L'échec du gouvernement Hollande est total, à la fois vis-à-vis des aspirations populaires, mais aussi par rapport à ses propres engagements européens. Le déficit public ne sera pas réduit en 2015, et la France est sous la menace de sanctions européennes pour « déficit public excessif ». Désormais, les États doivent envoyer leur projet de budget à la Commission européenne avant qu'il ne soit débattu et voté par les parlements. Et la Commission peut proposer des sanctions financières qui s'appliqueraient alors désormais automatiquement sauf si une majorité qualifiée d’États s'y opposaient.

Tout cela pousse le gouvernement français à durcir et à accélérer les contre-réformes, d'autant plus que la France apparaît de plus en plus comme le maillon faible de l'UE.

Voilà ce que disait Richard Lesser, PDG du Boston Consulting Group (cabinet de conseil en stratégie) dans le journal Le Monde du 9 octobre :

Quand un patron veut investir dans un pays, il regarde trois éléments : les coûts de production, la stabilité législative et fiscale et la flexibilité pour s'adapter en permanence. En ce qui concerne les coûts, selon nos récents calculs, seules la Suisse et l'Australie sont plus chères que la France. L'instabilité fiscale y est très forte et, enfin, la législation sociale rend très complexes les restructurations. Celles-ci prennent généralement deux fois plus de temps que dans la plupart des pays comparables. C’est vraiment dommage pour un pays au cœur de l’Europe qui dispose d’autant de talents, d’infrastructures de qualité et qui abrite tant de grandes entreprises[1]

Standard and Poor's, qui avait déjà privé la France de son triple A en janvier 2012, a mis le pays sous  « perspective négative », ce qui signifie qu’il a au moins une chance sur trois de voir sa note encore dégradée dans l’année qui vient.

Après avoir temporisé tactiquement à l'université d'été du PS, Valls s'affiche ostensiblement que le représentant des patrons. Le 6 octobre, à la City de Londres, il a déclaré sans ambages : « My government is pro-business » [mon gouvernement est favorable au monde des affaires]. Macron a dit tout aussi clairement qu'il y avait « trop de hausses de salaires »[2] en France. Et ils ont raison du point de vue des exigences du système capitaliste. Il faut taper plus dur et plus fort, et c'est le sens des annonces de ces derniers jours.

Les chômeurs/ses pris pour cible

L'offensive contre les chômeurs est particulièrement obscène. Faute de réduire le chômage, le gouvernement pointe du doigt les chômeurs, qui ne rechercheraient pas assez activement du travail. Pour accréditer cette idée, le gouvernement nous a ressorti l'idée reçue diffusée par les officines patronales selon laquelle il y aurait beaucoup d'offres d'emplois non pourvues... parce que les chômeurs n'en voudraient pas. En effet, les chômeurs seraient tellement gavés d'allocations qu'ils auraient pris goût à la fainéantise.

Manque de chance pour le gouvernement : Pôle emploi vient de sortir une étude qui explique que seules 3 % des offres d'emploi n'aboutissent pas faute de candidatures satisfaisantes[3] (enquête de Pôle emploi). Mais cela n'empêche pas l'offensive concertée contre les chômeurs de se déployer :

  • début septembre, s'appuyant sur les fameux emplois non pourvus, le ministre du travail Rebsamen avait dit vouloir « renforcer le contrôle des chômeurs »
  • le 7 octobre, Le Guen,  secrétaire d'État aux relations avec le Parlement et très proche de Valls, déclarait dans l'émission Preuves par trois, sur Public Sénat : « On le sait, il y a des gens qui ont un certain niveau de rémunération de substitution pour lequel ils peuvent se dire légitimement, 'dans le système actuel, je peux attendre six mois un an avant de rechercher un travail' »
  • le 8 octobre à l'assemblée nationale, Valls lui-même évoquait implicitement l’instauration d’allocations dégressives pour inciter à la reprise plus rapide d'activité des chômeurs, mais renvoyait le dossier à 2016
  • le 12 octobre dans le Journal du dimanche, Macron affirmait : « il ne doit pas y avoir de tabou, ni de posture. L'assurance chômage est en déficit de quatre milliards d'euros ; quel responsable politique peut s'en satisfaire ? Il y a eu une réforme, elle est insuffisante. On ne pourra pas en rester là »

Même si Hollande a indiqué que la réforme n'était pas immédiatement à l'ordre du jour, nous savons qu'elle est désormais dans les cartons. Et il fallait l'annoncer maintenant, pour donner des gages à l'Union européenne. Gattaz s'est d'ores et déjà engouffré dans la brèche en demandant le 14 octobre aux syndicats de discuter à partir de janvier sur le sujet. Il peut s'appuyer sur la caste des économistes libéraux de « gauche » et de « droite », le nouveau prix nobel Tirole ou encore Cahuc qui déclarait (propos rapporté par Le Monde le 16 octobre) : « Les pays avec une générosité comparable à la nôtre prévoient notamment des entretiens fréquents, et les chômeurs ont l'obligation d'accepter des emplois ou des formations. Il faudrait d'abord travailler sur ce point ». Soit on diminue les allocations, soit on renforce les contrôles pour sanctionner les chômeurs, faîtes votre choix...

Projet Macron contre les « rigidités » du marché de la force de travail

Montebourg avait largement préparé le terrain. Macron avance sur ses pas avec son projet de loi « pour l'activité et l'égalité des chances économiques » dont il a présenté les grandes lignes le 15 octobre. Son objectif est d'en finir avec les « rigidités du système » : professions trop réglementées, interdiction du travail le dimanche, prud'hommes trop rigides, épargne salariale pas assez développé, etc.

Et Macron ajoute également la poursuite de la grande braderie des actifs de l’État. Pour 2015, Macron prévoit 5 milliards de cession d'actifs, dont 4 milliards qui seront affectés au désendettement. Voilà à quoi en est réduit le gouvernement : faire les fonds de tiroir de ce qui n'a pas encore été privatisé pour récolter quelques milliards pour réduire le déficit public et implorer la clémence de Bruxelles.

Offensives européennes contre les droits des travailleurs/ses

L'offensive ne concerne pas seulement la France, qui est un des pays les plus en retard dans la mise en place des contre-réformes. Petite sélection non exhaustive des dernières attaques, qui concernent des gouvernement de « gauche » ou de « droite », qui sont avant tout des gouvernements bourgeois qui mettent en place les mêmes mesures dictées par la logique du système capitaliste.

Belgique

Le nouveau gouvernement de droite, investi le 16 octobre par la chambre des représentants, intègre les nationalistes flamants (33% en Flandres) du N-VA, ultra-conservateurs et ultra-libéraux. Ceux-ci détiennent désormais les ministère clé de l'intérieur, des finances, de la fonction publique, et de la défense.

L'orientation réactionnaire du nouveau gouvernement ne fait aucun doute. Les travailleurs vont subir une accélération des attaques :

  • report de l'âge légal du départ à la retraite, de 65 ans aujourd'hui à 66 ans en 2025 et 67 ans en 2030
  • instauration d’un « service minimum » en cas de grève à la Société nationale des Chemins de fer (SNCB) [c'est la réponse politique de la bourgeoisie à la grève de la SNCB au début de l'été[4]
  • baisse des cotisations patronales
  • travail forcé pour les chômeurs avec une obligation de « jours de travail communautaire » pour les chômeurs coupables de ne pas réussir à retrouver un emploi

Italie

Alors que l'économie italienne est au plus mal (baisse du PIB de 0,4% en 2014, une dette publique record à 136% du PIB), le premier ministre de « gauche » Renzi est déterminé à infliger une défaite majeure à la classe ouvrière. Il s'attaque à la « réforme du marché du travail » avec un projet de loi appelé « Jobs Act » qui s'attaque notamment à l'emblématique article 18 – ou plutôt à ce qu'il en reste – du Code du travail.

Rédigé il y a bientôt 45 ans, l’article 18 fait partie de la loi dite « Statut des travailleurs » de 1970 qui était une concession de la bourgeoisie à la lutte de classe très intense du prolétariat italien[5]. Le texte permet à chaque travailleur en CDI dans une entreprise de plus de 15 salariés qui s'estime licencié « sans juste cause » de faire appel à un juge qui peut alors, soit décider du paiement d’une indemnité, soit d’une réintégration dans l’entreprise. Cet article était insupportable pour le patronat : comment accepter qu'un juge puisse imposer au patron de reprendre un salarié licencié ? Monti avait déjà porté un cou très dur à l'article 18 en 2012 en limitant la possibilité de réintégration aux licenciements « discriminatoires » et pas aux licenciements « sans juste cause ». Aujourd'hui, le nombre de travailleurs réintégrés à la suite d’une décision de justice est très faible : guère plus de 40 à 50 par mois. Mais Monti tient à infliger une défaite symbolique majeure au prolétariat.

Au delà de l'article 18, Renzi veut mettre en place des nouveaux CDI qui permettraient aux patrons de licencier quasiment sans aucune entrave les trois premières années. La protection des salariés serait croissante et dépendrait de son ancienneté dans la boîte. Le projet de loi prévoit également que l'entreprise puisse modifier le poste de l'employé dans le cadre d'une réorganisation ou restructuration, à condition que son salaire soit sauvegardé. Le salarié est réduit à son statut de marchandise dont le patron peut disposer à sa guise pendant son temps de travail.

L'aile gauche du parti démocrate, les « frondeurs » italiens, ont couiné. Mais quand il s'est agi de voter, ils se sont couchés, suivant la consigne de vote du parti, et votant ainsi la confiance. Le gouvernement a ainsi obtenu le 9 octobre la confiance du Sénat sur son projet de loi par 165 voix pour, 111 voix contre et 2 abstentions.

Outre ces « réformes structurelles », Renzi n'oublie pas de faire des cadeaux sonnants et trébuchants aux patrons. Il prévoit pour 2015 une baisse de 6,5 milliards des cotisations patronales et 5 milliards de réduction de l’impôt régional sur les activités productives.

Irlande

Le gouvernement d'alliance entre le « centre-droit » (Fine Gaël) et la « gauche » (parti travailliste), au pouvoir depuis 2011, a présenté un budget de « sortie de l'austérité ». En fait, il s'agit de la fin de l'austérité pour les patrons ! En effet, la croissance est revenue en 2014 (+4,7% pour le PIB) grâce aux attaques très fortes contre les travailleurs qui ont redressé le taux de profit. Les coupes dans les dépenses sociales et les baisses de salaires (-11% en moyenne chez les fonctionnaires depuis le début de la crise) ont considérablement dégradé les conditions de vie des travailleurs. Aujourd'hui, la croissance est revenue et le déficit public devrait passer sous la barre des 3% du PIB en 2015. Le gouvernement compte profiter de ces marges de manœuvre budgétaire... pour faire des cadeaux supplémentaires aux patrons et continuer les attaques contre les travailleurs :

  • instauration du paiement de l'eau (encore gratuite en Irlande) à partir de 2015
  • baisse de 1 point de l'impôt sur le revenu de la tranche supérieure
  • aides aux promoteurs immobiliers pour encourage le secteur du BTP
  • baisse des cotisations sociales

[1]    Cf. http://www.lemonde.fr/economie-mondiale/article/2014/10/08/la-france-est-l-un-des-pays-les-plus-chers-du-monde_4502488_1656941.html

[2]    Cf. http://tendanceclaire.npa.free.fr/breve.php?id=10119

[3]    Cf. http://www.lesechos.fr/journal20140925/lec1_france/0203801974314-seules-3-des-offres-demploi-naboutissent-pas-faute-de-candidatures-satisfaisantes-1046467.php

[4]    Cf. http://tendanceclaire.npa.free.fr/breve.php?id=8836

[5]    Nous conseillons la lecture de l'ouvrage de D. Giachetti et M. Scavino : « La Fiat aux mains des ouvriers. L’automne chaud de 1969 à Turin » (éditions  Les nuits rouges, Paris 2005)

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