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Adoption du référendum : une nuit au Parlement grec
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Il était près de quatre heures du matin, ce dimanche, lorsque les députés ont voté à Athènes en faveur du projet de consultation populaire sur les réformes exigées par les créanciers du pays.
Les Grecs viennent d’inventer un nouvel hashtag qui risque de faire fureur cette semaine sur les réseaux sociaux : après le #Grexit, qui évoque la possible sortie de la Grèce de la zone euro, voici donc le #Greferendum. En référence au référendum du 5 juillet, dont le principe a été adopté très tard dans la nuit de samedi à dimanche, par la Voulí, le Parlement grec. Avec 178 voix pour et 120 contre.
Il sera toujours temps, plus tard, d’analyser les curieuses recompositions de la scène politique locale, qui ont abouti à ce vote sur les réformes exigées par les créanciers du pays. Dans le camp de ceux qui s’opposent à ce «Greferendum», on a vu en effet des communistes purs et durs s’allier aux conservateurs de Nouvelle Démocratie, aux socialistes du Pasok, ainsi qu’aux inclassables de To Potami, un jeune parti créé par un ancien journaliste télé. Alors que dans le camp de ceux qui favorisent«l’appel au peuple grec» se trouvent Syriza, le parti de gauche anti-austérité au pouvoir, allié aux nationalistes des Grecs indépendants, avec lesquels Syriza gouverne, inopinément renforcés par… les néonazis d’Aube dorée.
Mais quels que soient les enseignements à tirer de ces alliances quelque peu contradictoires, les observateurs de l’actualité grecque ont désormais intérêt à être insomniaques (toujours) et fumeurs (souvent). Car ces temps-ci, en Grèce, l’histoire s’écrit souvent la nuit dans un nuage de Karelia, la marque de cigarettes locale la plus répandue en Grèce. Après avoir annoncé vers minuit vendredi soir la tenue du référendum, le gouvernement grec a en effet imposé une nouvelle nuit interminable pour en acter le principe par le vote de la Voulí, comme le veut la Constitution du pays.
«LES GRECS ENTRE LA COLÈRE ET LA PEUR»
Une nuit au Parlement offre une vision saisissante de la vie politique grecque. On n’ose imaginer ce qu’en aurait pensé Friedrich von Gärtner, l’architecte allemand de cette immense bâtisse de trois étages qui fut, jusqu’en 1929, la résidence des rois allemands de la Grèce (Othon Ier et Georges II) et qui domine la place Syntagma («place de la Constitution»).
Premier constat : ici, comme ailleurs en Grèce, l’interdiction de fumer dans les lieux publics non seulement ne s’applique pas, mais les élus de cette république parlementaire semblent faire preuve d’un zèle particulier à l’enfreindre, toutes tendances politiques confondues. On clope donc beaucoup dans le salon comme à la cafétéria, où le bar est pris d’assaut par des consommateurs visiblement avides aussi bien de café frappé que de gin tonic.
Deuxième constat : la cafétéria est plutôt à gauche et le salon plutôt à droite. C’est d’ailleurs sur un confortable canapé du grand salon très XIXe siècle qu’on croise le député crétois de Nouvelle Démocratie, Ioannis Kefalogiannis. Grand, barbu, très jeune (il est né en 1982), cet avocat devenu député en 2012 s’affiche «très cool» : «Le vote est acquis d’avance, il n’y a pas de surprise : le gouvernement bénéficiera d’assez de voix pour le faire adopter», expliquait-il samedi soir vers minuit, en haussant les épaules. Et comment voit-il l’issue de ce référendum crucial pour l’avenir du pays, dimanche prochain ? «Si les Grecs votaient aujourd’hui, l’accord proposé par les créanciers serait rejeté. Mais nous avons une semaine et, d’ici là, la peur va monter. Vous avez vu ? Déjà l’Eurogroupe a refusé ce samedi d’accorder un délai supplémentaire au gouvernement grec. Le sort du référendum ne se joue pas en Grèce, mais à Bruxelles : quand les Grecs comprendront à quoi ils vont se heurter, ils vont accepter l’accord et rejeter le gouvernement. Le peuple grec balance toujours entre la colère et la peur.» Au moins, ça a le mérite d’être cash.
D’ailleurs, si les conservateurs de Nouvelle Démocratie étaient encore au pouvoir, notre jeune député aurait-il accepté les réformes exigées par Bruxelles et le FMI dans leur dernière mouture ? «Probablement pas»,répond sans détour le député crétois.
Au bar, côté cafétéria donc, on croise Liana Kanelli, célèbre députée communiste, qui fume clope sur clope, et dénonce un projet de référendum«inconstitutionnel» : «Relisez l’article 44 de la Constitution : le référendum ne peut pas porter sur une question financière !»
Un peu plus loin dans les couloirs, voilà qu’apparaissent Yánis Varoufákis, le désormais célèbre ministre grec des Finances en compagnie de Níkos Pappás, ministre d’Etat qui est aussi l’un des plus proches collaborateurs du Premier ministre, Aléxis Tsípras. Un attroupement se forme. Au milieu d’un petit groupe de journalistes grecs, les deux ministres évoquent les discussions à huis clos des derniers Eurogroupes. C’est assez technique. Mais tous deux semblent avoir eu du mal à comprendre les réactions de leurs interlocuteurs, jugées absurdes ou contradictoires.
Quelques minutes plus tard, passe Dóra Bakoyánni, célèbre députée et ancienne ministre de Nouvelle Démocratie, héritière d’une des grandes dynasties politiques grecques. Cigarillo à la main, très élégante, elle s’adresse avec un sourire vénéneux à un député de Syriza : «Vous vous rendez compte que si l’issue du référendum conduit à la sortie de l’euro, vous allez surtout favoriser les plus riches avec le retour à la drachme ?»
Bref, la nuit, au Parlement grec, on croise des conservateurs conscients que l’enjeu est plus politique qu’économique (ce qui a toujours été le credo de Syriza dans les négociations avec les créanciers), des communistes qui jouent les constitutionnalistes et des ministres dépassés par l’intransigeance de leurs interlocuteurs dans les négociations.
«NE PAS ACCEPTER L’EUROPE DE LA PUNITION»
Dernier constat : il ne peut y avoir de débat politique en Grèce sans clash et hurlements. C’est vrai à la télé, où les interminables talk-shows feraient passer une émission politique française pour une réunion de neurasthéniques. C’est vrai aussi au Parlement, où l’on se scandalise, crie et, parfois, quitte l’hémicycle en claquant la porte. Ce fut le cas vers une heure du matin cette nuit-là, lorsque Antónis Samarás, ancien Premier ministre et leader de Nouvelle Démocratie, a brutalement interrompu son discours à la tribune en intimant à tous ses députés de sortir. La cause du scandale, un détail réglementaire : la présidente du Parlement, Zoé Konstantopoulou (haïe par la droite), avait regagné son perchoir pendant le discours du chef de file de l’opposition. «Ce qui est interdit par le règlement du Parlement !» a martelé outré Samarás, qui finira quand même par regagner la salle.
Il est près de trois heures du matin quand démarre le vote, juste après le discours du Premier ministre, Aléxis Tsípras, invitant à «ne pas accepter l’Europe de la punition». Peu à peu, la cafétéria et le salon se vident. «On en est à la lettre gamma [la troisième lettre de l’alphabet grec, ndlr]», soupire, épuisée, une journaliste grecque. Le vote au Parlement grec est en effet nominatif et à main levée.
C’est déjà dimanche, une longue semaine commence. Au cours de laquelle le «Greferendum» promet encore de nouvelles longues nuits d’insomnie.