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A Barcelone, la gauche radicale imprime sa marque
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(Le Monde) La politique sociale de la maire, Ada Colau, relègue au second plan le débat sur l'indépendance de la Catalogne
Un vent de changement souffle sur Barcelone. Et ce parfum de renouveau n'a rien à voir avec la vague indépendantiste qui secoue la ville depuis trois ans. Le président du gouvernement catalan, Artur Mas, a bien annoncé, lundi 3 août, la tenue d'élections régionales anticipées le 27 septembre. Nationalistes de droite et indépendantistes de gauche ont à présent décidé de faire front commun avec un seul programme : proclamer l'indépendance dans les neuf mois qui suivent le scrutin si leur liste obtient la majorité absolue. Mais la capitale catalane ignore le débat territorial. Et c'est en soi une nouveauté.
La plate-forme citoyenne " Barcelone en commun ", soutenue par le parti anti-austérité Podemos, qui a remporté la mairie en mai, a recentré le débat sur des questions sociales et sociétales, le modèle touristique, la pauvreté ou le logement. A l'échelle régionale, Podemos présente des listes " Oui c'est possible ", avec les écolo-socialistes et des militants associatifs, et pourrait court-circuiter la tentative d'Artur Mas de polariser le débat politique autour de la seule question de l'indépendance, pour le recentrer sur la politique sociale et la lutte contre la corruption.
" Dialogue " et " écoute "
Place Jaume-Ier, la nouvelle maire de Barcelone, Ada Colau, est le symbole de ce changement. L'ancienne porte-parole de la Plate-forme des victimes des crédits immobiliers (PAH) a troqué ses jeans élimés pour le tailleur, le mégaphone pour le micro de la salle de conseil municipal, les manifestations devant les banques pour les réunions en tête à tête avec le patronat. En quarante jours, malgré quelques polémiques, elle est parvenue à séduire ses interlocuteurs. " Je n'ai pas vu de rupture, reconnaît, sous couvert d'anonymat, le président d'une importante association patronale catalane. C'est une personne aimable, qui sait dialoguer et écouter et qui, étant donné son idéologie, semble raisonnable. "
Arrivée au pouvoir le 13 juin, elle a augmenté les fonds destinés aux enfants en risque de pauvreté, " un quart des enfants de Barcelone ", rappelle-t-elle. Elle a tenu des réunions avec les présidents des principales banques pour leur demander de mettre à disposition de la ville leurs logements vides, en les vendant à bon prix ou en les cédant de manière temporaire en échange de leur réhabilitation. " La priorité de notre mandat est d'augmenter le parc de logements sociaux, qui représente à peine 1 % du total, explique-t-elle au Monde. Nous faisons preuve de bonne volonté pour dialoguer. De leur côté, les banques se sont engagées à examiner nos requêtes. Mais s'il n'y a pas d'avancée, nous les sanctionnerons pour les logements vides qu'elles détiennent. S'il faut mettre des amendes, nous le ferons. "
Plus récemment, elle a fait enlever le buste de l'ancien roi Juan Carlos de la salle du conseil municipal, car " les débats municipaux n'ont pas à se dérouler sous l'image d'un monarque qui ne l'est plus et qui commença son règne sous la dictature ", a-t-elle lancé, provoquant la colère du Parti populaire (PP, droite). Mais c'est une autre mesure qui a suscité le plus de commentaires dans la presse : celle de paralyser les ouvertures de nouveaux hôtels durant un an, le temps d'effectuer une radiographie du secteur touristique barcelonais. Il n'en fallait pas plus pour faire bondir l'opposition qui craint que la ville ne fasse fuir les investisseurs.
" Le tourisme est un actif qui représente 14 % du PIB de Barcelone, mais il est hors de contrôle, estime Ada Colau. Il a augmenté de 18 % en quatre ans. Cela nous rappelle la bulle immobilière. Nous devons apprendre de nos erreurs et affronter ce débat : quel est le nombre maximal de touristes que la ville peut accueillir, comment répartir la richesse que produit le secteur, réguler les emplois ou l'impact environnemental… On a vu de véritables cas d'exploitation professionnelle. Il y a aussi la question des bateaux de croisière, des résidus qu'ils génèrent et de la pollution des moteurs qui restent allumés à quai. Celle des appartements illégaux, des prix qui flambent, des commerces de proximité remplacés par des franchises qui modifient l'aspect de quartiers entiers… Tout cela risque de détruire l'âme de la ville et nuire au tourisme lui-même. "
Dans les rues de Barcelone, les habitants semblent lui donner raison. " La ville est en train de se transformer en Disneyland, affirme Neus Maronas, architecte de formation et serveuse dans un bar du quartier de Ciutat-Vella. Enfin une mesure qui favorise les gens, et pas les hautes sphères. " " Il est temps de mettre Barcelone au service de ses habitants ", affirme Antonio Cano, jardinier municipal et habitant du quartier populaire de la Barceloneta, qui a participé l'an dernier aux manifestations contre les appartements touristiques illégaux loués à des jeunes " bruyants, saouls et sales ".
" Le centre est saturé par les touristes ", souligne Eloi Marti, propriétaire du Bar del Pi, un établissement historique du quartier gothique situé près de la basilique Santa Maria del Pi, autour de laquelle onze bars se font aujourd'hui concurrence. " La pharmacie, la boutique de jouets et l'antiquaire ont été remplacés par des bars, relève-t-il. Le tourisme ne peut pas dénaturer le caractère original des quartiers. "
Marge de manœuvre limitée
L'élection d'Ada Colau a suscité beaucoup d'espoir de changement chez ceux qui l'ont soutenue, mais avec à peine 11 des 41 élus municipaux, sa marge de manœuvre est limitée. Elle n'est ainsi pas parvenue à faire baisser le salaire des élus municipaux de 24 % comme elle le souhaitait. Elle continue donc à percevoir 100 000 euros annuels, comme son prédécesseur, mais elle et les 10 autres élus de " Barcelone en commun " ont limité leur salaire à 2 200 euros net mensuels et reversent la différence à un fonds qui devra nourrir des projets sociaux.
Afin de définir le nouveau modèle touristique de Barcelone, la mairie a voté la création d'un organe de participation citoyenne, le conseil de tourisme et de ville destiné à représenter les opinions des partis politiques, des professionnels du secteur, des syndicats ou encore des riverains. Car quand on lui parle d'indépendance, Ada Colau répond " souveraineté du peuple ", synonyme pour elle de " démocratie réelle et radicale ".
Sandrine Morel