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Pourquoi tout le monde a perdu les élections espagnoles
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
http://www.slate.fr/story/111833/perdu-elections-espagnoles
La grande fête sur les cendres du bipartisme a des relents de gueule de bois.
En Espagne, la grosse fête qui devait enterrer le bipartisme connaît un réveil plus difficile que prévu. Si les résultats du scrutin soulignent clairement que l’hégémonie des deux grands partis historiques, le Partido popular et le Psoe,appartient au passé, les électeurs espagnols se retrouvent au lendemain des élections face à un paysage politique totalement fragmenté et sans réel vainqueur.
Concrètement, le Partido popular, droite conservatrice du président du gouvernement sortant, arrive en tête du scrutin avec 28,72% des voix et 123 sièges au Parlement. Mais son score reste cependant trop juste pour atteindre la majorité absolue, y compris en s’alliant avec les centristes de Ciudadanos, qui n’ont obtenu que quarante députés. Du côté gauche de l’échiquier, le Psoe, parti socialiste espagnol, se maintient en seconde position mais n’obtient que quatre-vingt-dix sièges au Parlement. Très largement dévalorisé dans les sondages pré-électoraux, Podemos a, lui, créé la surprise en obtenant soixante-neuf sièges en grande partie grâce à sa stratégie de coalition dans les régions.
Des jeux d’alliance dignes de GoT
Malgré les scores en hausse de la formation d’Iglesias, la grande fête sur les cendres du bipartisme a des relents de gueule de bois. Aucune des alliances perçues comme «naturelles» ne suffit à garantir la majorité absolue nécessaire pour gouverner: ni un pacte entre le PP et Ciudadanos, ni même une large coalition à gauche entre Psoe, Podemos et IU (Izquierda Unida).
En bref, le jeu des alliances post-électorales en Espagne s’annonce encore plus complexe et mouvementé qu’une fin de saison dans Game of Thrones (ce qui ravira sans doute Pablo Iglesias). Un contexte ultra complexe qui n’a pas empêché les différents leaders de se plier au rituel le plus convenu des soirs d’élections: s’attribuer la victoire.
«En fonction des attentes, tout le monde a plus ou moins de raisons d’être content. Le PP a le plus de voix, le Psoe s’est maintenu au second poste, ce qui n’était pas gagné, Podemos est au-dessus de ses espérances et Ciudadanos peut encore jouer un rôle-clé malgré une baisse des résultats», analyse Kiko Llaneras, sociologue et spécialiste des sondages.
Mais, en dehors des parades au pied des urnes, les chiffres sont formels: aucun parti à l’heure actuelle n’a gagné les élections espagnoles. Plus encore, on peut affirmer qu’en réalité tous les partis ont perdu. Chacun à leur manière et à une échelle différente. Et voici comment.
Le PP dans une position inextricable.
Commençons par les soi-disant vainqueurs naturels. Le Partido popular était placé en tête dans les sondages et, bien que cette donnée ne soit pas à démentir, le résultat obtenu par Mariano Rajoy est bien en dessous de ses attentes. Avec 123 sièges au Parlement, le PP reste très loin de son objectif initial, fixé à 140. De plus, il a perdu perdu soixante-trois sièges par rapport aux élections de 2011.
Pour autant, il semblerait que Mariano Rajoy soit le candidat que le roi proposera à la première session d’investiture, comme le veut la tradition. En effet, bien que rien de tel ne soit inscrit dans la Constitution ni dans le règlement du Congrès, c’est toujours le candidat qui obtient le plus de voix qui est proposé au vote. Une tradition qui remonte à 1977, lorsque le pays s’est ouvert à la démocratie, et qui place aujourd’hui Mariano Rajoy dans une situation inconfortable. Car, dans l’état actuel des choses, l’unique option de ce dernier pour obtenir la majorité absolue serait de former une grande coalition avec le Parti socialiste. Or la posture de Pedro Sanchez, qui possède plus d’options à gauche et qui a qualifié le président du gouvernement sortant«d’indécent» lors de leur unique face-à-face, laisse peu de doutes sur ses intentions de faire un pacte avec Rajoy.
De plus, le PP se prépare à un double camouflet: si le premier vote ne donne pas de vainqueur, un deuxième tour est prévu, toujours à l’initiative du roi. Dans ce second tour, la majorité absolue n’est pas nécessaire, il suffit simplement d’obtenir plus de votes en sa faveur que contre soi. Rajoy aurait alors besoin de l’appui des partis de la Coalition canarienne, de Ciudadanos mais surtout de l’abstention du Psoe et de Podemos. Un scénario encore moins probable que le premier.
Ciudadanos victime des sondages
L’autre ultra perdant incontestable des élections, c’est Ciudadanos. Chouchou dans les sondages pré-électoraux, qui allaient jusqu’à le placer devant le Parti socialiste, le parti de Rivera accuse le plus mauvais score et termine au pied du podium avec quarante députés. Pour Kiko Llaneras, l’échec du parti pourrait tenir à trois facteurs précis. «Tout d’abord, Ciudadanos a fait une mauvaise campagne. Ils ont fait des erreurs, ils n’ont pas eu un bon feeling. Les actions qu’ils ont mises en place n’ont pas convaincu ces derniers jours», déclare le spécialiste. Par la suite, d’autres facteurs ont probablement joué contre le parti de Rivera, et notamment l’abstention:
«Comme la participation a été plus basse que ce que l’on attendait, il est possible qu’il y ait eu des électeurs de l’environnement du PP et de Ciudadanos qui se soient abstenus. Car, si l’on regarde les chiffres de participation dans le détail, on s’aperçoit que les régions où on a le plus voté sont celles où Podemos est le plus fort.»
Enfin, selon le spécialiste, la position ambivalente de Ciudadanos, capable de faire gagner la gauche comme la droite, ce rôle-clé que nous évoquions dans un article publié un jour avant l’élection, aura probablement fini par nuire au parti:
«Pas mal de gens ont exercé un vote de rejet. Les gens qui ne voulaient pas du PP ne pouvaient pas voter pour Ciudadanos, qui laissait planer le doute sur un possible pacte avec eux. De même pour le Psoe et Podemos. Au final, leur position ambivalente leur a sans doute porté préjudice.»
Psoe, le perdant avec le plus d’options
Dans le camp des «vieux compétiteurs», le Psoe a également perdu. Le parti de Pedro Sanchez, avec 22% des voix, passe sous la barre des cent sièges au parlement et perd près de 1,5 millions de voix par rapport à 2011. Le tribut à payer à la fin du bipartisme. Pour autant, le parti de Sanchez est encore celui qui dispose de plus d’options pour gouverner. De quoi faire dire à de nombreux analystes, dont Kiko Llaneras, qu’il a «sauvé les meubles». Voici résumée l’étendue de ses options aux lendemain de ce scrutin en forme de sudoku.
Les coalitions envisageables pour pouvoir investir un président du gouvernement espagnol |Tableau récapitulatif publié sur le site El Español et reproduit sur Slate avec l’aimable autorisation de Kiko Llaneras
Ainsi, si le premier candidat proposé par Felipe VI, à savoir Mariano Rajoy, n’est élu ni lors du premier vote ni lors du second, comme le prédisent les spécialistes, l’usage veut que le roi convoque un nouveau vote avec un tout nouveau candidat. Sanchez, qui dispose de plus d’options que son rival pour obtenir une majorité simple, apparaît comme le choix le plus indiqué dans ce second vote de la seconde chance. Pour autant, il semble difficile au Psoe d’arriver à ce scenario sans s’entendre avec Pablo Iglesias.
Cette victoire en second temps prend donc la forme d’un pari ardu pour le Psoe, qui devra composer avec certaines exigences de Podemos, notamment la tenue d’un référendum en Catalogne. La mesure faisant déjà bondir les barons du Psoe, Pedro Sanchez a donc du travail sur la planche s’il veut transformer son quasi-échec en victoire en demi-teinte.
Podemos, gagnants… pour l’instant
Dans ce casting spécial loser qui ferait passer un court-métrage de Gus Van Sant pour un hommage à l’esprit d’initiative, Podemos fait, il est vrai, figure de grand vainqueur. Tout d’abord, il a remporté plus de sièges que ce qui était prévu dans les sondages et le grand mantra de sa campagne, «la remontée», a fini par entrer en corrélation avec le résultat des urnes.
Contrairement à Ciudadanos, il est difficile de reprocher à Podemos d’avoir fait une mauvaise campagne. Les interventions d’Iglesias se sont améliorées: ce dernier a appris à gérer son niveau de colère et a arrêté de bassiner les électeurs avec les séries de HBO pour se positionner comme un vrai leader et non comme un phénomène de mode. Mais surtout, le parti a réussi à apprendre de ses erreurs. Trop flou sur la question indépendantiste lors des élections régionales catalanes, Podemos s’est clairement positionné en faveur de la tenue d’un référendum lors de ces élections générales. Alors qu’il avait refusé de «diluer» sa marque lors des précédents scrutins régionaux, le parti a cette fois parié sur ses candidatures régionales. Une stratégie qui a cartonné: première force au Pays basque et en Catalogne, deuxième en Galice, ces candidatures associées lui ont apporté près de vingt-sept sièges sur les soixante-neuf obtenus au total.
Une technique électorale qui n’est pas sans risque. Pour le politologue Jorge Galingo, «Podemos va être confronté à une série de dilemmes. Notamment avec la question du référendum, qui va s’avérer un point délicat à l’heure de parler avec le Psoe ou Ciudadanos. Tout cela met Pablo Iglesias dans une position plus délicate qu’il n’y paraît».
Autre gros challenge pour ce grand gagnant en apparence: garder l’équilibre. «Le risque, c’est que toutes ces coalitions deviennent des groupes uniquement intéressées par leur propres revendications au sein du Parlement.» Selon le spécialiste, essayer d’analyser la victoire ou la défaite de Podemos dès aujourd’hui serait une erreur. «Les attentes ont tellement changé cette dernière année que cela dépend avec quoi on les compare. Gagnants ou perdants, on verra plus tard, en fonction des politiques qu’ils mettront sur la table et de celles dont ils ne parleront pas.»
Une chose reste cependant sûre: après quarante ans d’alternance convenue, les électeurs espagnols vont assister à de vrais efforts politiques de la part de leurs élites pour arriver à des accords. Ce sont sans doute eux les véritables gagnants de ces élections.