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Héloïse Nez, voyage à l’intérieur de Podemos
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://blogs.mediapart.fr/robert-duguet/blog/090216/heloise-nez-voyage-l-interieur-de-podemos
Notes de lecture et réflexions sur l’ouvrage d’Héloïse Nez « Podemos, de l’indignation aux élections », éditions Les petits matins. Cet ouvrage est une contribution fort intéressante pour comprendre le mouvement Podemos, son histoire et sa situation actuelle sur l'échiquier politique espagnol.
A partir du 15 mai 2011 va se développer en Espagne le mouvement des indignés, traduisant une offensive de la classe ouvrière et de la jeunesse paupérisée contre la politique de la droite et de la gauche : le projet mouvement Podemos va surfer sur cette vague et porter le projet de « convertir l’indignation en changement politique ». Lors des élections européennes qui suivront Podemos remportera 5 sièges de parlementaires et s’affirmera comme la 4ème force politique du pays avec 8% des voix, soit 1,2 millions d’électeurs. Cette percée électorale se produit sur fond de sévère crise économique entrainant des conséquences sociales désastreuses : augmentation du chômage et de la pauvreté, multiplication des expulsions des logements, diminution de l’accès aux soins. Ceci allant de pair avec la perte de confiance de la population à l’égard des partis institutionnels et des élus.
Les origines de Podemos
Son Manifeste est publié le 14 janvier 2014 par une trentaine d’intellectuels et de militants : Pablo Iglesias en est issu, s’y ajoute un des leader de la gauche anticapitaliste, Errejon et des représentants du mouvement pour la santé et l’éducation publique. Juan Carlos Mondenero le présente lors d’un meeting public le 17 janvier comme un mouvement politique qui prolonge le mouvement social : « Si les marées citoyennes ont agité le monde du travail, nous voulons agiter le monde politique ». Et ce propos de Rita Maestre daté de mai 2014, étudiante de 26 ans devenue porte-parole du gouvernement municipal de Madrid :
« J’attendais cela depuis longtemps. J’en parlais avec les gens qui sont maintenant à Podemos. Pendant des années on a dit qu’il y avait besoin d’une expression politique institutionnelle et électorale du mécontentement. »
Les universitaires qui lancent ce mouvement sont pour la plupart des précaires, sauf Iglesias qui est fonctionnaire : s’ils sont issus de familles plutôt aisées ils ne sont pas épargnés par la précarité. Podemos est issu de la convergence de deux générations, ceux qui répètent depuis 20 ans qu’on ne peut plus continuer comme cela et les jeunes directement frappés par la vague du néo-libéralisme. Les plus âgés viennent des courants contestataires radicaux des années 1970, issus de familles qui ont joué un rôle dans la lutte contre le franquisme. Comme l’explique l’un d’entre eux :
« Nous sommes dans une certaine mesure des militants transversaux, c’est-à-dire des militants qui sont passés par beaucoup de structures dans lesquelles nous ne pouvions pas faire tout ce que nous voulions. Nous sommes tous passés par Izquierda unida, avec une implication plus ou moins intense… Nous avons essayé de faire partie de structures syndicales et nous en avons vu les limites. Et bien sûr nous avons vu les limites du monde des ONG. »
Ainsi donc la politisation des cadres de Podemos est bien antérieur au mouvement des indignés.
Quel est l’itinéraire de Pablo Iglésias : à 14 ans il milite aux Jeunesses communistes, puis fait des études de droit. Il vient d’une famille qui a lutté contre le franquisme : « la lutte pour la démocratie est gravée dans mon ADN. Je viens d’une famille qui a tout risqué dans la lutte pour la démocratie, certains en sont morts. » Il s’engagera ensuite au sein de Refondation Communiste. Fasciné par les nouvelles techniques de communication, il met tout d’abord son savoir-faire au service d’Izquierda Unida. Aux élections régionales il milite pour l’Alternative Galicienne de Gauche qui va s’imposer comme 3ème force électorale. Il va s’inspirer de cette expérience dont pour le lancement de Podemos.
Le 2ème groupe important dans la fondation de Podemos est Izquierda anticapitalista, section de la 4ème internationale, celle à laquelle appartient l’ex-LCR française, courant qui avait fait scission de izquierda unida en 2008 : cette composante militante jouera un rôle important dans la formation des cercles locaux de Podemos.
Les désaccords entre les deux composantes vont s’accentuer avec l’institutionnalisation du parti, en particulier lors de l’assemblée constituante d’octobre 2014 : l’interdiction de la double appartenance défendue par les universitaires exclut les militants de Izquierda anticapitalista de la direction de Podemos. Teresa Rodriguez, une des responsables de IA écrira : « après beaucoup de débats et de frictions dans certains cas, nous avons pris la décision de donner la priorité à l’espace commun qu’est Podemos, plutôt que de garder l’identité, le discours, les sigles, la tradition. »
La directio s’adjoindra des militants du mouvement contre les expulsions de logements : Irène Montero déclarera : « bien sûr je suis prête à aller empêcher des expulsions de logements, mais ce que je veux, c’est qu’il y ait un changement dans la loi. »
Les influences latino-américaines
Les universitaires de la Complutense considèrent l’Amérique latine comme « le laboratoire le plus puissant d’élaboration et de pratique d’alternatives à la crise capitaliste »
« Les mouvements sociaux ne sont plus les seuls porteurs de projets de transformation, mais de plus en plus de gouvernements sont prêts à suivre une tendance progressiste attestée par les résultats positifs des politiques sociales, les niveaux de popularité des dirigeants de gauche et le rôle de l’Amérique latine comme référent global du changement. »
Le groupe des universitaires fondateurs considèrent quand ils lancent Podemos que l’Espagne en 2010 est dans la même situation que l’Amérique latine en 1990. le cas du MAS bolivien et de l’arrivée au pouvoir d’Evo Morales sera un référent central pour Indigo Errejon. Les promoteurs de Podemos ont appris des expériences latino-américaines que « la différenciation gauche/droite était épuisée et (qu’ils étaient incapables) de construire une majorité sociale avec ce discours. Il y a un ennemi qui est en train de voler la démocratie, là-bas c’étaient les Etats Unis et ici c’est le modèle néo-libéral ». Le projet tel qu’il ressort des influences latino-américaines est assez bien défini par Monedero :
« Le Vénézuela nous a donné l’importance de l’émotion et du leadership pour en finir avec les façons de penser habituelles. De la Bolivie nous avons copié la volonté d’accéder au pouvoir qu’obtenait Garcia Linera et le soutien populaire qu’obtenait Evo Morales. De Correa nous avons appris l’importance d’avoir un discours très solide institutionnellement. Du Brésil, nous avons appris la nécessité de trouver une bourgeoisie nationale prête à investir dans notre pays. »
On comprend mieux grâce à cette citation, l’exclusion de la direction d’un courant se réclamant de l’anticapitalisme.
La crise de la représentation politique et la fenêtre d’opportunités politiques
Podemos se construit contre le pacte de 1978, qui avait vu le soutien du PSOE et du PCE, assurant la transition du franquisme à une forme de monarchie constitutionnelle. Ce n’est pas souligné dans le livre, mais faut-il rappeler que le pacte de la Moncloa a été soutenu par le PSOE et le PCE, jusqu’à entériner comme emblème de la monarchie constitutionnelle le drapeau sang et or de la dictature franquiste et non le drapeau de la République espagnole. Le document de « principes politiques de Podemos » stipule :
« l’Etat espagnol traverse une crise qui va plus loin que la perte de légitimité de ses élites politiques et qui affecte des éléments centraux du système politique et des institutions, de l’articulation territoriale de l’Etat, du modèle de développement et de l’équilibre entre les groupes sociaux. Cette crise, nous sommes plusieurs à l’appeler depuis des années « la crise du régime de 1978 », pour rendre compte d’une période d’épuisement organique qui, dernièrement, s’exprime de manière accélérée avec un déclin politique et moral des élites traditionnelles. »
La situation sociale est si alarmante qu’on voit dans un premier temps la jeune génération continuer à vivre chez leurs parents, alors que la deuxième vague de paupérisation aura des conséquences encore plus profondes. La conséquence directe c’est que le niveau de discrédit des partis officiels, PSOE et PP, est encore plus élevé qu’en France. En plus de la corruption, c’est le PSOE qui met en place les premières mesures d’austérité à partir de 2010.
Mouvement des Indignés, les masses interviennent dans le champ politique par les Assemblées populaires
Le 15 mai 2011, le 15M tel qu’il est nommé par les protagonistes, surgit le mouvement des indignés, tournant majeur dans la vie politique et sociale du pays. Elle n’est pas convoquée par des organisations syndicales ou politiques, mais par des collectifs récents de citoyens. Alors que les masses descendent dans les rues, le système politique espagnol semble être d’une grande stabilité ; c’est le PP qui obtient une majorité. La réponse électorale de cette vague de fond n’est pas immédiate. Elle vient donc de ce groupe d’universitaires politisés depuis longtemps, qui a digéré les leçons de l’Amérique latine. Podemos va apparaître comme la traduction électorale de ce mouvement social : c’est la version officielle, celle qui sera défendue par Podemos. « Convertir l’indignation en changement politique » D’emblée il y a de profonds désaccord sur le rapport au politique.
Le mouvement des indignés fonctionnait sur la base de la convocation des assemblées populaires : il ne passe pas par la voie électorale mais par celle de l’expérimentation sociale et de la prise en charge par les citoyens mobilisés pour affronter les questions d’urgence sociale. Revendiquer un droit au logement, oui mais forger une contre-culture pour faire la démonstration que la société peut fonctionner autrement. Les uns veulent intervenir en direction des élus, les autres veulent mener leur propre combat en dehors du calendrier électoral. Plusieurs expériences sont faites en ce sens, mais le groupe qui anime Podemos finit par imposer que le changement passe par la voie institutionnelle. Une enquête réalisée en 2011 indique que la méfiance à l’encontre du système des partis est majoritaire mais en fait, à l’étape actuelle du processus révolutionnaire, les indignés aspirent à une démocratisation pour orienter les partis vers l’intérêt public. La question de la représentation n’est pas majoritairement rejetée.
Des assemblées aux cercles locaux
Citons le professeur d’université Joan Subirats: « avec le 15M, la crise de la forme partisane comme dispositif de médiation des demandes des citoyens s’est exprimée avec force. Mais les blocages institutionnels continus ont montré la nécessité de mettre en place des partis politiques d’une nouvelle génération. » Podemos va se présenter comme un instrument pour redonner le pouvoir aux citoyens.
A partir de là des cercles locaux jaillissent un peu partout dans le pays et rationnalisent par la délégation de pouvoir le fonctionnement qui était celui des assemblées populaires où les décisions étaient prises au consensus.
Les dirigeants de Podemos reprennent à leur compte la nécessité d’agir sur les problèmes urgents de la vie quotidienne, ce sur quoi le travail des assemblées populaires s’était fondé. Toutefois l’implication dans les institutions et aussi la nécessité d’avoir une image médiatique pour gagner la majorité de la population et pas seulement ceux qui sont descendus dans la rue, les place déjà en opposition avec les militants des cercles.
Un parti électoraliste dans le système monarchiste de l’Espagne?
Podemos touche aux formes de la vie politique : à la question comment dépasser l’impuissance des partis de gauche, la direction répond en se débarrassant des discours et des références traditionnelles de la gauche. Par exemple on abandonne le drapeau rouge et on ne chante plus l’Internationale. Autre exemple : être défavorable à la participation à la réunion du parlement européen lors de la visite du roi d’Espagne, comme le souhaitait l’extrême gauche, est négatif pour Podemos : on règle le problème en y allant en pantalon jean. « Nous ne voulons pas être une force politique minoritaire qui fasse pression sur la gauche institutionnelle pour la pousser sur sa gauche. » Il s’agit d’être la centralité politique. La lutte contre le franquisme s’inspirait à gauche d’une culture de l’échec : « il faut comprendre aussi le contexte d’où nous venions, un contexte dans lequel nous étions vaincus et où notre tradition était celle de la défaite. »
Podemos prend des mesures contre les aspects les plus corrompus de la vie politique : les candidats se présentent comme « des citoyens qui font de la politique » et non comme des « professionnels de la politique ». Le mouvement établit des restrictions pouvant conduire à la professionnalisation : plafonnement des indemnités, limitation du cumul des mandats, interdiction des « portes tournantes » entre les institutions publiques et les entreprises privées…
Etre dans la centralité politique, mais dans le cadre de la construction d’un leader charismatique, Pablo Iglesias, par l’utilisation des médias et dans un cadre strictement électoral.
Dans cet objectif apparaissent toutes les tares de l’électoralisme classique. Par exemple, on dit qu’il faut apprendre des gens qui font le travail sur le terrain. Mais à ce point de la démarche interviennent les experts : on s’inspire du travail des cercles locaux, les experts établissent un programme, mais après les cercles n’ont plus à donner leur avis. Par exemple, à leur écrasante majorité, les cercles exigent une loi qui impose un salaire minimum universel ; cette revendication est bloquée par les experts. Le leadership de Pablo Iglesias produit de fortes tensions au sein de Podemos. German Cano, membre de la direction nationale dit : « C’était un leadership remis en question depuis le début par les mouvements sociaux, mais pour la grande majorité des gens, Pablo était un pari politique. » En fait dans la réalité militante de Podemos le leadership est rejetté ; la direction s’appuie sur le fait que dans le corps électoral, il est accepté.
Certes il y a une utilisation intelligente de la télévision et des réseaux sociaux : le positionnement du nouveau parti dans ce domaine dépasse de très loin le savoir-faire des autres formations politiques. L’équipe qui s’en charge est composée d’une vingtaine de jeunes militants de 25 à 30 ans qui ont fait leurs armes dans le mouvement des indignés. Un système de vote électronique permet de soumettre à la discussion et au vote des internautes des projets qui sont ensuite entérinés par le parti. Mais si ce sont les experts qui décident, in fine, ce qui peut être appliqué dans la vie, je ne vois pas en quoi Podemos fonctionne autrement que les autres partis.
L’obsession de gagner par les institutions conduit à privilégier le leadership et à diminuer le pouvoir des militants. Des propositions concurrentes à celles de l’équipe Iglesias étaient plus horizontales et plus en accord avec les pratiques des indignés. Le nouveau parti a choisi un mode de fonctionnement vertical qui restreint fortement le pluralisme démocratique en interne.
Les résistances à l’électoralisme ?
« l’horizon électoral » affecte le développement de tous les partis, Podemos n’est pas une exception à cette règle constante de la démocratie bourgeoise formelle. On a donc une tension permanente qui se manifeste sur la manière de faire de la politique. L’organisation pyramidale est privilégiée pour les législatives de 2015, quitte à abandonner une implantation territoriale plus ancrée dans la population.
Prenons l’exemple de l’assemblée de Vistalegre en octobre 2014 : les militants des cercles rejettent l’hyperpersonnalisation du leader et réclame l’autonomie politique des cercles locaux. « Nous luttons depuis des années, nous n’avons besoin d’aucun haut dirigeant… Nous avons eu des leaders et nous n’avons rien obtenu. »
Francisco Jurado, qui travaille dans l’équipe de direction en Andalousie explique :
« Podemos se dote de documents instaurant un nouveau fonctionnement, mais cette structure se superpose à celle déjà existante. Il y avait une structure informelle très dynamique, et on met par-dessus une autre très rigide et très verticale… On n’enlève pas l’autre mais on la tue. Parce que la capacité exécutive des cercles disparait, on la lui retire pour les conseils citoyens. Les cercles en sentant qu’ils ont de moins en moins de pouvoir de décision, sont donc en voie de disparition. Et aujourd’hui la participation dans les cercles a diminué de moitié par rapport à l’an dernier. »
Dans la direction de Podemos, l’opposition entre le pouvoir des militants et des cercles et la perspective strictement institutionnelle se traduit par une divergence entre Pablo Iglesias et Pablo Echenique. L’un est légitimé directement par les 380 000 inscrits des cercles Podemos, l’autre veut que le pouvoir soit rendu aux 20 000 militants actifs des cercles.
Pablo Echenique considère que le système des primaires est en fait complètement antidémocratique. L’auteur s’inspire de travaux de chercheurs sur la France et le Mexique qui expliquent que les procédures de démocratie directe à l’intérieur des partis, renforce en fait le pouvoir des dirigeants nationaux et régionaux. Les militants des « bases » se sentent dépossédés de leurs prérogatives militantes et se dissolvent finalement dans la masse des sympathisants transformés en électeurs. A Podemos cette tendance est renforcée par le fait que le courant qui obtient plus de 50% des voix obtient la totalité des postes en jeu, ce qui restreint considérablement la démocratie en interne.
Essouflement et/ou débordement
Après une période de développement fulgurant, Podemos est violemment attaqué par ceux qui risquent de perdre leurs postes d’élus. On verra la croissance d’un parti concurrent de droite, Ciudadanos, qui se développe sur les thèmes de la lutte contre la corruption et la transparence, mais sans remettre en cause les politiques néo-libérales. Son leader, Albert Rivera, est un ancien du PP.
Les déceptions : des dirigeants nationaux comme Monedero expliquent que Podemos a trop insisté sur la facette électorale et « nous avons négligé les cercles, dans le développement interne de notre formation politique, il y a deux moments où nous avons trop ressemblé aux vieux partis. »
Le manifeste « abriendo podemos » (en ouvrant nous pouvons) de juin 2015 veut revenir aux origines du mouvement. Le texte souligne que Podemos n’est plus le seul instrument du changement. Dans un certain nombre de villes des candidatures d’unité populaire renforcent les pressions pour le pluralisme et se tourner vers l’extérieur. Les cercles « doivent récupérer leur rôle d’espace de débats et de décisions politiques. » L’appel insiste sur les mesures, comme le revenu minimum universel, qui ont été abandonnées par la direction. Ou sur la nécessité de faire des alliances avec d’autres forces politiques et sociales. Les signataires, s’ils ne rejettent pas la médiatisation et les élections insistent sur l’auto organisation des cercles. La ligne officielle de Podemos consiste à dire qu’il est la centralité politique et le candidat naturel de l’Unité Populaire. En fait aux échelons locaux des militants d’Isquierda Unida et de Podemos défendent des accords entre organisations sur une ligne de candidature d’unité populaire, permettant l’exercice d’une plus grande démocratie et une liberté de choix des candidats.
La logique Podemos qui imposait de ne pas se présenter en son nom dans les élections locales pour préserver la logique nationale conduit les unités politiques de base à chercher l’autonomie, y compris par rapport à Podemos.
Les conclusions d’Héloïse Nez
Podemos a fait exploser le bipartisme PSOE - PP. Certes la progression électorale est spectaculaire mais les partis traditionnels se maintiennent, surtout le PP. Certes il y a rajeunissement des cadres politiques, mais avec de profondes divergences entre la base et la tactique institutionnelle.
Héloïse Nez explique : « Podemos est bien devenu un nouveau parti politique, qui s’inscrit dans les règles du jeu de la démocratie représentative. Il est peu probable qu’il échappe à la loi « d’airain de l’oligarchie », selon laquelle les organisations politiques se bureaucratisent à mesure qu’elles se développent et que leurs dirigeants acquièrent des savoir-faire spécifiques. Une élite est bien en train de se former au sein de Podemos, et elle se confronte de plus en plus aux militants des cercles, qui ont tendance à déserter l’organisation faute de pouvoir avoir un impact sur les décisions prises. »
L’auto-organisation des cercles à l’origine a été coiffée par un processus classique de détournement des aspirations du mouvement social vers une perspective strictement électorale.
Le programme de Podemos est resté très flou en particulier sur la question de l’indépendance de la catalogne : face à la montée des indépendantismes, les résultats électoraux en catalogne sont faibles.
L’attitude vis-à-vis de Tsipras et l’accord conclu avec l’UE amenant la direction nationale à dire que « c’était malheureusement la seule chose qu’il pouvait faire » va poser de sérieux problèmes. Les militants d’Izquierda anticapitalista, animateurs des cercles locaux, soutiennent le nouveau parti créé par les dissidents de Syriza, unité populaire, qui s’oppose aux politiques d’austérité mises en place par le gouvernement grec.
L’auteur appelle de ses vœux un changement de politique à l’international : si l’Espagne était dirigée par une coalition antiaustérité, elle devrait s’adresser à d’autres formations politiques, Syriza, le bloc de gauche au Portugal, le Sinn Fein en Irlande ou le parti national écossais. Ajoutons la victoire de Jérémy Corbyn opposé aux politiques d’austérité à la direction du parti travailliste britannique…
Quelques éléments de réflexion
Ce qui différencie la situation espagnole de la française, selon l’auteur, c’est l’impact de la crise économique sur les conditions de vie de la majorité de la population et de la jeunesse paupérisée. Sans doute, toutefois je ne partage pas les conclusions d’Héloïse Nez, lorsqu’elle énonce le fait qu’un mouvement du même type ne peut pas présentement avoir lieu en France : il faudrait, selon elle, attendre que le capitalisme néo-libéral s’attaque de manière plus frontale à nos conditions de vie. Plus les gens sont opprimés et plus ils deviennent révolutionnaires, c’est un prédicat, souvent utilisé par certains courants gauchistes, qui est manifestement faux. Le mouvement des indignés ne s’est pas développé à partir d’une impulsion donnée par des partis politiques ou des syndicats, mais par des groupes informels de citoyens, s’appuyant du reste sur les nouveaux moyens de communication. Un tel élément de même nature peut en France à un moment donné permettre aux masses d’intervenir sur la scène publique, non seulement pour résister, mais pour prendre en charge leurs propres problèmes. Trotsky définit dans son « Histoire de la révolution russe », le processus révolutionnaire comme « l’intervention des masses en un lieu où se règlent leurs propres destinées ». C’est très exactement ce que représentait le mouvement des indignés en Espagne. Certes la situation française devient de plus en plus mouvante, des secteurs de la population entrent en résistance contre le gouvernement, mais nous n’avons pas pour l’instant un mouvement d’ensemble pour arrêter la casse. Un tel retard s’explique par le verrouillage institutionnel et politique et par l’état de la représentation politique à« gauche » du PS. Je ne pose même pas la question du PS, sa place est dans les poubelles de l’histoire. Le mouvement des indignés espagnols a brisé l’alternance PSOE – PP, mais aussi a permis de dépasser le frein représenté par Izquierda Unida, cartel d’appareils politiques, à l’image du Front de Gauche français, essentiellement contrôlé par le PCE.
Si l’émergence de Podemos a pu se faire sur la base d’une modification des rapports de force sociaux, l’intervention des indignés étant l’élément décisif, ce parti est aujourd’hui en face de vraies difficultés. Tout d’abord la faiblesse de son programme : le cercle de direction, très largement influencé par les expériences latino-américaines et par le chavisme, cherche des solutions en s’appuyant sur le capitalisme national contre le néo-libéralisme européen, tout en restant dans les structures de l’UE. Ce jeu d’équilibriste ne pourra pas durer très longtemps. Le caractère flou des positions sur la question de l’indépendance de la Catalogne les a d’ores et déjà mis en grande difficultés. L’Etat espagnol, issu de la guerre civile et de la dictature franquiste, s’est toujours opposé aux revendications des minorités régionales. Dans la revendication de l’indépendance de la Catalogne, il y a à la fois la volonté de se débarrasser des restes du franquisme à gauche et en même temps des mouvements indépendantistes réactionnaires défendant les intérêts d’une région riche contre les régions pauvres. La question de la constitution de la Nation par le programme d’une république sociale reste entière. Podemos n’y répond pas, sa direction reste dans le flou : pour y répondre il faudrait entrer dans une logique anticapitaliste.
Le point qui va à mon sens poser le plus de problèmes dans la vie interne du mouvement est celui de la démocratie. Nous avons eu à pâtir de cette question dans la crise du Front de Gauche français. Un cartel électoral c’est l’absence de démocratie, c’est-à-dire de contrôle des citoyens sur leur propre mouvement : ceux qui ne sont pas membres d’un appareil politique sont de fait exclus des centres de décision. Au Parti de Gauche c’est là que cette question est apparue de la manière la plus crue et scandaleuse – exclusions, mises à l’écart, mises sous tutelle – au service d’un destin présidentiel, celui de Jean Luc Mélenchon. La démocratie, cela ne veut pas dire que le parti est une auberge espagnole, où chacun peut monter sur la table, mais qu’il est un outil, une mémoire permettant aux opprimés de régler leurs propres problèmes. L’électoralisme à tout crin de la gauche et de l’extrême gauche française nous a conduit à oublier cette chose pourtant primordiale et que nous rappelle Rosa Luxembourg :
« Ce qui compte avant tout c’est l’organisation générale de notre agitation et de notre presse afin d’amener les masses laborieuses à compter de plus en plus sur leurs propres forces et sur l’action autonome et à ne plus considérer les luttes parlementaires comme l’axe central de la vie politique. » (Social-démocratie et parlementarisme).