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Grèce: retour de la crise ?
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/grece-le-retour-de-la-crise-564062.html
Le gouvernement grec a annoncé qu'il déposerait au parlement les réformes de la fiscalité et des retraites sans l'accord des créanciers. Une tentative de passage en force qui est le fruit du blocage des créanciers et qui pourrait rallumer la flamme de la crise.
Alexis Tsipras tente un nouveau coup de poker. Mardi 12 avril au soir, le ministre des Finances grec, Euclide Tsakalotos a annoncé que le gouvernement soumettrait à la Vouli, le parlement hellénique, « la semaine prochaine » les réformes de la fiscalité et des retraites. Cette décision est un défi lancé à la face des créanciers. La procédure prévue par le mémorandum signé en août dernier prévoit en effet que le gouvernement grec ne soumette au vote des députés que des textes qui ont été validés par les créanciers. Ceci était inscrit en toutes lettres dans l'accord signé : la Grèce ne devait pas procéder à des mesures unilatérales.
Passage en force
Or, Euclide Tsakalotos a retrouvé des accents martiaux ce mardi soir, mettant en avant la « souveraineté » de la Grèce, comme lors des moments de tension du premier semestre 2015. « Le gouvernement grec est souverain et c'est à lui que revient la décision sur la manière de réaliser les objectifs du mémorandum », a-t-il déclaré. Autrement dit, Athènes envisage de briser la logique du mémorandum qui, précisément, remettait en cause ce fait même. La menace est donc sérieuse : Athènes est prête à prendre le risque d'une rupture avec les créanciers.
Que s'est-il passé pour que le ton monte si haut et que l'on retrouve dans la bouche des ministres grecs des accents que l'on n'avait plus entendus depuis l'été dernier ? C'est que les négociations avec les créanciers n'avancent guère. La revue du programme, la première, est toujours en cours et elle s'éternise. Le discours officiel restent que les discussions « avancent » et que les divergences se « réduisent. » Mais il n'en est rien. Le problème principal reste la question du Fonds monétaire international (FMI). On sait que le gouvernement d'Alexis Tsipras souhaite exclure le FMI du nouveau programme, tandis que les créanciers souhaitent l'intégrer. Mais derrière cette querelle se cache un élément beaucoup plus concret : la question des excédents primaires (hors service de la dette) et des mesures à prendre pour les atteindre.
Le FMI, cheval de Troie de nouvelles mesures d'austérité
Le FMI juge les efforts proposés par les Grecs insuffisants. Il demande notamment des coupes dans les pensions actuelles, ce qui n'est pas prévu par le gouvernement grec. Ces exigences sont indépendantes de la demande du FMI d'une réduction du stock de dettes de la Grèce. C'est ce que la conversation entre deux dirigeants du Fonds révélée récemment par Wikileaks a clairement mis à jour : le FMI veut avant tout ce qu'il appelle des « réformes crédibles. » Or, il apparaît que le FMI est, pour les créanciers de la zone euro, un argument commode pour faire accepter des mesures supplémentaires aux Grecs. Les Européens refusent certes toute coupe dans leurs créances grecques, Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des Finances, l'a précisé encore lundi dernier, mais ils n'en exigent pas moins que le FMI fasse partie du programme. Là aussi, le ministre allemand l'a rappelé et il a été accompagné par Benoît Cœuré, membre du directoire de la BCE qui a appelé à inclure le FMI dans le programme et s'est dit « entièrement d'accord » avec l'institution de Washington sur ses exigences.
Pour Alexis Tsipras, le risque est donc de voir le FMI intégré au programme et exigeant de nouvelles mesures d'austérité derrière lesquelles les créanciers de la zone euro pourront se retrancher. C'est ce qui est en train de se passer pour les retraites, par exemple. Alors que les créanciers européens semblaient accepter le principe de la réforme proposée par Athènes, d'une préservation des pensions actuelles et d'une surcotisations des entreprises, le FMI a réclamé plus : une baisse des pensions actuelles. Dès lors, les discussions s'éternisent et les créanciers de la zone euro en viendront logiquement, pour débloquer la situation, à réclamer « un geste » de la Grèce vers le FMI, donc une coupe dans les pensions.
Le temps joue contre Athènes
Le temps joue donc contre le gouvernement grec. Plus on se rapproche de l'été, plus le besoin d'argent va se faire sentir pour Athènes qui a des échéances importantes de 4 milliards d'euros à honorer en juillet. Là aussi, les fuites de Wikileaks ont révélé une potentielle stratégie du FMI visant à exercer la pression sur la Grèce et les créanciers européens en faisant traîner la revue du programme. Or, après deux semaines de pause pour Pâques, les discussions ont encore été suspendues mardi 12 avril pour permettre aux représentants du FMI de tenir conseil avec leurs supérieurs en fin de semaine à Washington. Comme rien ne semble devoir avancer, le risque de voir les créanciers jouer la montre était donc patent. D'où la décision grecque de passer en force pour contraindre les créanciers de la zone euro à prendre une décision.
Le mémorandum respecté ?
En faisant voter sans accord des créanciers deux réformes importantes, le gouvernement d'Alexis Tsipras cherche à pousser les créanciers européens à choisir entre la Grèce et le FMI. La position grecque est logique : Athènes estime se conformer aux exigences du mémorandum puisque ces textes permettent, selon le gouvernement grec, d'entrer dans les clous tracés par ce dernier. Selon le quotidien Kathimerini, par exemple, il est envisagé de relever encore la TVA de 23 % à 24 % sur de nombreux produits qui, déjà, avait vu leur taux de TVA passer de 13 % à 23 % à l'automne dernier. C'est un signe important de "bonne volonté" de la part d'Athènes, car ce sera un élément négatif pour l'économie hellénique. L'abaissement du seuil de revenu non imposable de 9.550 euros annuels à 9.100 annuels et le relèvement de l'impôt sur le revenu sur la classe moyenne est également prévu, ainsi qu'une surtaxation des grandes propriétés. En tout, de quoi ramener 1 % du PIB pour atteindre l'objectif d'excédent primaire en 2017. L'objectif pourrait aussi être soutenu par une croissance moins faible qu'initialement prévu (-0,2 % en 2015 contre -2 % prévu, par exemple). Enfin, Athènes a tenté une nouvelle fois d'apporter la preuve de sa bonne volonté en lançant mardi la privatisation des chemins de fer et la mise aux enchères des fréquences télévisuels, comme prévu par le mémorandum.
Ce que cherchent les Grecs
Le gouvernement grec peut donc se prévaloir du respect du mémorandum. Mais dans la logique de ce dernier, il est cependant évident que ce n'est pas à lui d'en juger. Ce troisième mémorandum n'est pas qu'une liste d'objectifs chiffrés, c'est aussi un document de « contrôle » du gouvernement grec. Un passage en force pourrait donc être perçu comme une « rupture du contrat » par l'Eurogroupe. Alexis Tsipras fait donc un pari, celui que les Européens ne prendront pas le risque de rallumer la crise grecque alors même que la Vouli a adopté des mesures conformes au mémorandum. Ils choisiront alors de ne pas faire entrer le FMI. En retour, Athènes abandonnerait ses demandes de réduction de la dette et se contenterait d'une restructuration des maturités et des taux. Selon Reuters, Athènes demanderait une limite de 15 % du PIB pour le remboursement de la dette chaque année, une proposition émise jadis par Bruxelles. De toute façon, la question finira par revenir, cette dette étant à terme insoutenable. Entre la réduction de la dette et l'alliance avec le FMI et une maîtrise de l'austérité, Alexis Tsipras a choisi la deuxième option.
Un pari risqué
Ce pari est cependant risqué. L'Eurogroupe est dominé par Wolfgang Schäuble qui n'a pas abandonné son rêve d'une Grèce exclue de la zone euro pour « faire un exemple ». Or, l'Allemagne est à cran sur la politique monétaire de la BCE. Angela Merkel doit certes éviter toute nouvelle crise grecque, surtout avec le risque de Brexit. Mais elle ne peut sans doute pas accepter une « défaite » face à un passage en force grec qui pourrait rallumer la popularité et la critique de Wolfgang Schäuble. Un tel passage en force pourrait être en effet perçu comme une « dépossession » par les créanciers. Et conduire à une escalade qui amène à un défaut cet été de la Grèce si, in fine, Athènes ne renonce pas à ses demandes en cédant à celles du FMI. Le gouvernement grec n'a pas la maîtrise du calendrier et il est loin d'être certain qu'Alexis Tsipras soit prêt à aller jusqu'à un défaut cet été. Les créanciers pourraient donc refuser le fait accompli et continuer à jouer la montre pour faire céder Alexis Tsipras.
Dans ce cas, il n'y aurait pas davantage de coupes dans le stock de dettes, mais le prix à payer pour le gouvernement grec serait une cure d'austérité plus lourde et plus douloureuse. Si ce scénario se réalise, preuve aura été faite alors que le gouvernement grec n'a qu'une marge de manœuvre des plus limitées et n'est qu'une « courroie de transmission » des créanciers. Il n'est pas sûr que la majorité actuelle y résiste.
L'espoir d'une solution « politique »
C'est dire si Alexis Tsipras joue gros. Il compte beaucoup sur ses appuis en Europe pour faire pencher la balance. A peine la déclaration d'Euclide Tasakalotos effectuée, on apprenait qu'Alexis Tsipras se rendrait à Paris, Strasbourg et Bruxelles aujourd'hui et demain pour des rencontres non prévues avec François Hollande, Martin Schulz et Jean-Claude Juncker. Trois dirigeants qu'il considère comme des alliés contre Berlin et Washington. Comme voici un an, le premier ministre grec cherche donc une solution « politique. » Il cherche à provoquer une décision au niveau des chefs d'Etat pour faire céder l'Eurogroupe. C'est l'impossibilité d'obtenir cette solution qui avait conduit Alexis Tsipras en juillet à accepter l'inacceptable. Reste à voir si, après avoir donné des preuves depuis lors de sa « bonne volonté » à réformer, il est davantage aujourd'hui en position de force. Et si Paris est, cette fois, en mesure d'imposer un choix favorable à la Grèce à Berlin.
Période cruciale pour Alexis Tsipras
L'épreuve de force se rapproche donc et pourrait occuper les deux prochains mois. Euclide Tsakalotos a indiqué qu'il était encore prêt à réaliser des modifications, la loi devant n'être votée par la Vouli qu'à la fin du mois. « Il y a le temps pour faire des ajustements », a-t-il jugé ajoutant qu'il était « prêt au dialogue. » Il a, ainsi, assuré s'attendre à un accord lors de la prochaine réunion de l'Eurogroupe, les 25 et 26 avril prochain. Mais le gouvernement a fixé ses « lignes rouges » : le seuil du revenu non imposable et le niveau des pensions. Autrement dit, le cœur du problème. Si rien n'avance d'ici à la fin du mois, une nouvelle étape de la crise grecque s'ouvrira donc en mai. Pour Alexis Tsipras, la période est délicate et cruciale : il s'agit de prouver de sa capacité à « peser » sur le programme. C'est donc toute la justification de son « choix » du 13 juillet qui est en jeu : avoir montré sa volonté de « réformer » sera-t-il suffisant pour obtenir des concessions et une part de liberté ? Derrière cette question, c'est son avenir politique qui se joue.