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Tariq Ali parle du Brexit
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
TARIQ ALI PARLE DU BREXIT INVITÉ AU MEETING D’UNITÉ POPULAIRE À ATHÈNES
Chers amis,
Je suis très heureux d’être parmi vous aujourd’hui. Comme vous le savez déjà, la campagne en Grande-Bretagne faveur du Brexit a été largement dominée par la droite. Le Lexit (ndlt: Left + Exit = campagne des mouvements et partis de gauche en faveur du Brexit) a mis un peu de temps à démarrer, mais nous avons mené une campagne plutôt dynamique. Notre problème fut que pas un seul représentant d’envergure du Parti Travailliste ne s’est déclaré en faveur du Brexit, et cela a été un problème énorme pour nous.
Jeremy Corbyn, le leader de gauche du Parti Travailliste, a déclaré « nous ne mènerons pas une campagne conjointe avec les Conservateurs », ce qui était très positif, et il a passé le plus clair de son temps à attaquer le néolibéralisme, l’austérité, mais il s’est finalement déclaré en faveur du Remain (ndlt: du maintien dans l’UE).
Et la gauche grecque nous a fait un cadeau pas vraiment bienvenu. Ce cadeau avait pour nom Yanis Varoufakis. C’était un bien mauvais cadeau, parce qu’il a passé presque tout son temps à faire campagne en faveur du Remain, et quand je l’ai interpellé lors d’un débat public, il a répondu qu’il était d’accord avec la plupart de mes vues, mais que, pour changer l’UE, il est nécessaire de lutter de l’intérieur. Donc on a dit: « Mais comment? » « … Comment peut-on changer cette UE-là? »
Non pas que nous ne soyons pas internationalistes, non pas que nous ne soyons pas Européens. Ce contre quoi nous luttons, c’est l’UE en tant qu’institution. Et à cette question-là, ils n’ont pas de réponse.
En fait, nous proposons maintenant d’essayer d’organiser, en septembre ou en octobre, une petite conférence afin que les opposants de gauche à l’UE se rassemblent et discutent l’idée d’une institution alternative, avec d’éminents économistes comme Costas Lapavitsas et d’autres, pour prendre ensemble le temps de se poser la question: « peut-on trouver une alternative? » parce que c’est notre responsabilité.
Voilà donc à quoi nous nous sommes attelés, en ce qui concerne l’UE.
Cette campagne du Remain a présenté un aspect très intéressant, même de la part de ceux à gauche qui défendaient le Remain, c’est qu’ils étaient très provinciaux. Ils prétendaient lutter pour l’Europe, mais ne savaient pas ce qu’est vraiment l’Europe. . L’Europe en tant qu’Union Européenne, était perçue comme une abstraction. Les seuls à avoir pointé ce que l’UE a fait à la Grèce, ce sont les partisans du Lexit.
Et moi-même, et John, et beaucoup d’autres, pendant la campagne, nous avons dit « pour nous, l’une des principales raisons pour lesquelles il faut mettre un coup de pied aux fesses de l’UE, c’est pour les punir de ce qu’ils ont fait à la Grèce. Mais du côté du Remain, il n’y a eu aucune critique, même les personnes qui se considéraient comme critiques, n’ont jamais formulé la moindre critique sur le mode de fonctionnement de l’UE.
Ne nous y trompons pas: le vote pour le Brexit est une grande claque en plein dans la figure de l’establishment britannique, l’establishment financier britannique et pour l’establishment de l’UE, et je dois dire que ceux ont été battus en sont déjà à discuter de comment ils pourraient retourner leur défaite, et ils se glissent discrètement l’un à l’autre, à l’oreille: « Tsipras l’a bien fait, lui, en Grèce. Apprenons de son expérience! »
Mais le problème, pour eux, est le suivant: il leur faut arbitrer entre le coût politique et le coût économique. Et je pense que les plus intelligents parmi eux réalisent réalisent que le coût politique, s’ils décident de passer outre le résultat du référendum, sera bien plus élevé que le coût économique, et Jeremy Corbyn, le leader du Parti Travailliste, a appelé publiquement à la mise en application de l’article 50 (ndlt: pour la sortie de l’UE).
Nous avons actuellement une triple crise au Royaume-Uni: la première est une crise de légitimité du Royaume lui-même : les Ecossais se prononcent très clairement pour leur indépendance, et le débat va s’ouvrir pour déterminer dans quelle mesure ils peuvent être indépendants dans le cadre de l’UE. Ils jugeront eux-mêmes s’il vaut mieux entrer dans l’UE ou avoir un bloc du Nord avec la Norvège, l’Islande, comme cela a été suggéré.
Le second problème, c’est la crise énorme, aujourd’hui, en Angleterre. Je parle bien de l’Angleterre, pas de l’Ecosse., mais bien de l’Angleterre.
Il y a encore une autre crise de légitimité. Nombreux sont ceux qui veulent un parti de gauche, et l’establishment, au sein même du Parti Travailliste, s’oppose à cette volonté très forte. On est ainsi témoin de scènes ignobles, chaque semaine, avec les tentatives de la plupart des députés du Parti Travailliste pour se débarrasser de leur leader élu.
Et, en soutien à leur leader, nous avons des chiffres incroyables: depuis la tentative faite pour se débarrasser de Jeremy Corbyn, une centaine de milliers de personnes ont rejoint le Parti Travailliste en moins de 2 semaines, la plupart l’ont fait pour le soutenir à l’intérieur du Parti Travailliste. Donc le Parti Travailliste a un quart de million de membres, ce qui en fait, je crois, le plus grand parti politique d’Europe.
Et cette crise est loin d’être résolue.
Corbyn rend les coups, il se bat fort, de son côté; il est soutenu par les membres du parti, et la plupart des représentants parlementaires, qui ont été élus sous les mandats des Premiers Ministres précédents, tels que Blair et Brown, refusent de l’admettre. Il s’agit donc d’une situation critique au sein du Parti Travailliste. Et puis il y a une situation, aussi bien en Ecosse qu’en Angleterre, qui ne va pas disparaître comme par enchantement.
L’avantage du Brexit, c’est que c’est un grand pays d’Europe qui a décidé de le faire, et non un petit pays. Concernant la façon dont le débat va se développer, à l’échelle européenne, nous pouvons d’ores et déjà voir, au Danemark, que tous les sondages montrent une revendication de référendum. En France, Hollande est si inquiet à la perspective de ce Brexit qu’il a fait ce dont on ne l’aurait jamais cru capable – il ne s’agit que d’une menace, mais significative, en soi. Il a dit que la France opposerait son veto à un pacte de l’UE avec le TTIP.
Le dernier point que je voudrais évoquer ici, c’est la question du racisme et de l’immigration.
Bien entendu, l’extrême droite a joué un rôle important dans cette campagne, et le UKIP a fondé son argumentation sur cette position.
Mais permettez-moi de vous faire part d’une chose étrange et intéressante, qui s’est produite il y a 48 heures. La femme qui est sans doute promise aux fonctions de Premier Ministre d’Angleterre, Theresa May -elle était pour le Remain-, a déclaré qu’il convenait de statuer sur la situation des étrangers ressortissants de l’UE. Farage a alors réagi vivement, s’indignant : » c’est une déclaration absolument révoltante. Les étrangers devraient avoir le droit de séjour ».
Vous voyez que l’idée selon laquelle les partisans du Remain sont de blanches colombes antiracistes est un non-sens total.
Deux des plus grandes villes comptant de larges minorités -parfois même des majorités- ethniques, Birmingham et Bradford, ont voté pour le « Leave ».
Donc c’est un argument simpliste que d’affirmer que ce n’était qu’une question de racisme.
Ce l’était effectivement, si l’on évacue le fait que le Brexit procède de la volonté de 17 millions de personnes de mettre une claque magistrale à l’establishment britannique et de dire « on en a marre de vous, marre de vos politiques, marre du néolibéralisme, marre de vivre des vies invivables », voilà de quoi il est question.
Voilà de quoi il s’agit, et c’est pourquoi nous disposons maintenant d’une base de travail en commun avec les socialistes européens, les syndicats, les réseaux informels, les mouvements sociaux, pour tenter de construire quelque chose de meilleur. Voilà à quoi nous devons travailler.
Traduction Marie-Laure Veilhan
* Tariq Ali est un historien, écrivain et commentateur politique britannique, d’origine pakistanaise1. Il est l’auteur d’un grand nombre d’ouvrages, en particulier sur l’Asie du Sud, le Moyen-Orient, l’histoire de l’Islam, l’empire américain et la résistance politique.
Il est membre du comité de rédaction de la New Left Review, et contribue régulièrement à The Guardian,CounterPunch (en) et à la London Review of Books. Il est directeur éditorial de la maison d’édition londonienne Verso.