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La fabrique scolaire des dominants

Lien publiée le 8 septembre 2016

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.contretemps.eu/ecole-dominants-khan/

C’est dans la collection « L’ordre des choses » – dirigée par Sylvain Laurens, Julian Mischi et Étienne Pénissat – de la maison d’édition marseillaise Agone, qu’a récemment été publiée la traduction de l’ouvrage du sociologue états-unien Shamus Khan, Privilege, The Making of an Adolescent Elite at St. Paul’s School.

Intitulé en français La Nouvelle école des élites, le volume trouve toute sa place dans cette récente et stimulante collection qui se consacre spécifiquement aux logiques qui assurent la permanence de l’ordre social, mais aussi aux résistances que celui-ci suscite immanquablement du côté des dominés. Le livre de Shamus Khan s’intègre parfaitement au premier versant de ce projet éditorial puisqu’à partir d’une enquête ethnographique à la St. Paul’s School, un lycée d’excellence situé dans l’État du New Hampshire, aux États-Unis, S. Khan tente de mettre au jour la « fabrique » de ce qu’il nomme la « nouvelle élite ».

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De l’idéologie charismatique à l’idéologie méritocratique

L’étude est d’autant plus intéressante que S. Khan est lui-même passé par les bancs, et les chambres, de l’internat du lycée St. Paul entre 1993 et 1996. Fils d’un chirurgien pakistanais et d’une infirmière irlandaise, le pensionnaire Khan a connu une institution où les non-blancs et les filles, alors très largement minoritaires sur le campus, devaient loger dans des résidences « à part ».

Quinze ans plus tard, recruté à St. Paul comme enseignant, le sociologue Khan découvre une école où règne une étonnante diversité ethnique, de genre et même, parfois, de classe ; où « un jeune Latino-Américain pauvre du Bronx […] côtoie une jeune fille issue de l’une des plus riches familles WASP du monde » (p. 31). En France, les chantres de ce qu’on appelle l’ « ouverture sociale » des grandes écoles prendraient prétexte de ce melting pot pour affirmer l’avènement – en cours ou déjà réalisé –  d’une démocratisation (de l’école, de la culture, de la réussite sociale, etc.). Mais s’il arrive qu’un fils d’ouvrier devienne grand patron[1], il demeure que tous les fils d’ouvriers n’ont pas les mêmes chances, très loin de là, de devenir patron que les fils de patrons eux-mêmes. Ainsi se diffuse l’idéologie méritocratique, se nourrissant de l’exception – et même cherchant à produire et à mettre en scène l’exception – tout en prenant soin d’ignorer la règle qui reste celle de la reproduction sociale, particulièrement dans des sociétés de plus en plus inégalitaires.

En étudiant ce cas si particulier qu’est l’un des plus prestigieux lycées d’internat des États-Unis, S. Khan met le doigt sur ce qu’on pourrait appeler le double piège de la méritocratie[2]. En faisant des inégalités la conséquence logique d’une inégale répartition des talents et des mérites personnels entre les individus, l’idéologie méritocratique légitime ces inégalités à la fois auprès des « gagnants » et des « perdants » du jeu scolaire. Le passage de l’idéologie charismatique[3] à l’idéologie méritocratique consisterait essentiellement dans une transformation des croyances : quand chacun – dominant ou dominé – pouvait avoir le sentiment d’hériter de sa position sociale, les nouvelles élites sont convaincues que celle-ci se conquiert, notamment en travaillant dur et en cultivant méthodiquement leurs talents, tandis que les dominés peuvent développer le sentiment de n’avoir que ce qu’ils méritent[4].

À l’énigme de la reproduction sociale formulée il y a près de quarante ans par Paul Willis – « la difficulté, lorsqu’on tente d’expliquer pourquoi les enfants de la classe ouvrière obtiennent des boulots d’ouvriers, est de savoir pourquoi ils se laissent faire »[5] –, Shamus Khan semble esquisser une réponse à partir du camp des « winners » : pour comprendre comment se maintient l’ordre social, nous dit-il, il faut aussi savoir comment les élites se convainquent (et convainquent les autres !) de la légitimité de leur position. Ainsi, ce qui fonde le contexte actuel d’ « inégalité démocratique », selon l’auteur, réside notamment dans l’illusion d’une diversification des élites sur la base du cosmopolitisme qui caractériserait désormais le public des grandes écoles et universités états-uniennes.

Entrer dans la fabrique des élites

La grande force de La Nouvelle école des élites est donc de parvenir à ouvrir la « boîte noire » de la fabrication des élites et d’en présenter certains rouages. Ce « privilège » que possèdent les dominants, rappelle Khan, n’a rien d’inné ; il est le fruit d’un lent et long travail de socialisation. Et pour le sociologue, l’acquisition et la culture du « privilège », qui consiste pour ces nouvelles élites en « une perception de soi et un mode de perception qui les avantage » (p. 33-34), est au principe de leur formation.

À travers une immersion dans la formation de ces lycéens, l’auteur essaie de comprendre comment ceux-ci acquièrent cette « marque du privilège », non pas en s’intéressant aux programmes d’enseignement ou aux cours, c’est-à-dire aux savoirs cognitifs transmis explicitement par les enseignants aux « Paulies » (les pensionnaires du lycée), mais grâce à un minutieux travail d’ethnographe, c’est-à-dire en observant le quotidien fait d’interactions avec les enseignants ou les personnels de service de l’établissement, les rituels de l’institution ou encore la construction de goûts culturels distinctifs. Il faut en effet souligner la richesse des matériaux d’enquête – en particulier issus de l’observation ethnographique – à propos desquels l’auteur formule, à la fin de l’ouvrage, quelques précieuses remarques.

Après un premier chapitre socio-historique qui présente les différentes causes de l’émergence d’une « nouvelle élite » dans un pays où domine depuis longtemps le discours idéologique du « self-made-man », S. Khan se livre à l’exploration des multiples aspects qui caractérisent la socialisation au rôle de dominant dans un lycée d’élite. Dans un « établissement scolaire de l’Église épiscopale » comme St. Paul, on peut s’attendre à ce que les rites soient nombreux. Ils jalonnent en effet le quotidien des « Paulies » qui, dès leur arrivée dans l’établissement, participent à la cérémonie d’attribution des places des nouveaux élèves dans la chapelle. Ce lieu central, dans le campus, l’est aussi pour la plupart des « rituels officiels » (comme l’annonce du décès d’anciens élèves avec sonnerie du glas, les offices du soir célébrés chaque trimestre, etc.).

Bien que ces rituels fondent le prestige de St. Paul, Khan montre bien que les échanges et les interactions plus informels du quotidien contribuent, peut-être encore plus fortement que les grandes cérémonies officielles, au positionnement des élèves dans l’institution et, plus largement, dans la société. Si le fait de se voir attribuer un siège est « un marqueur symbolique important » (p. 87), les nombreuses occasions de côtoyer le personnel de l’école, qu’il soit au sommet (les enseignants) ou au bas (le personnel de service) de la hiérarchie professionnelle, donnent aux Paulies la possibilité de « prendre [leur] place » dans l’espace social en « [navigant] au sein d’une hiérarchie établie » (p. 120). Ces interactions sont facilitées du fait que, comme le signale l’auteur, à St. Paul « les adultes consacrent leur vie aux jeunes » (p. 121), ce qui contribue également à transmettre le sentiment d’importance sociale.

L’observation de la vie quotidienne de St. Paul permet donc à l’auteur de mettre en relief la manière dont l’apprentissage d’un « mode de perception et d’interaction avec autrui » permet la construction d’un rapport spécifique aux hiérarchies. Considérées comme « naturelles » et « justes » par les élèves, celles-ci doivent être envisagées comme « des échelles plutôt que comme des plafonds » (p. 33). Et alors que « c’est la hiérarchie qui définit les relations dans la société » (p. 139), il est impératif de savoir manœuvrer avec aisance dans une société ainsi structurée.

L’aisance ou la marque du privilège

Si la formation de la nouvelle élite commence par l’intériorisation du rôle futur de dominant, il reste encore aux élèves à acquérir les attitudes et les goûts de la « haute société ».

Shamus Khan considère que les anciennes élites se caractérisent par un principe de fermeture sur les goûts et les pratiques les plus légitimes contrairement à la nouvelle élite qui, elle, « a troqué son éthique de l’exclusion pour une éthique de l’inclusion ». Ainsi, comme cela a été observé dans différentes études françaises et américaines[6], les normes de la légitimité culturelle se sont déplacées au cours des cinquante dernières années, si bien que les manifestations de la « distinction », théorisée par Bourdieu en 1979[7], ont subi une « métamorphose », pour reprendre le terme de Philippe Coulangeon[8] et tendent aujourd’hui davantage vers la construction d’un répertoire de pratiques divers que vers des pratiques exclusivement proches des formes culturelles les plus légitimes.

S’appuyant sur ces travaux en sociologie de la culture, Shamus Khan a développé la notion d’ « aisance » afin de caractériser ce qui constitue non seulement l’objet d’un travail de socialisation, plus ou moins explicité, mais aussi « la marque du privilège » des élites. Mais qu’entend-il par là ? Si l’on considère que l’élite d’aujourd’hui « n’érige pas de rempart autour de la culture comme pour empêcher les autres d’accéder à ce qu’elle possède » (p. 152), c’est peut-être parce que la numérisation des savoirs et des biens symboliques, qui a considérablement libéré leur accès, ne permet plus aux dominants de se réserver ces ressources. Ainsi « c’est pratiquement à la portée de tous de se documenter sur Platon, sur la musique classique ou sur le choix d’un vin », remarque l’auteur, alors qu’ « il est bien plus complexe d’apprendre comment se comporter dans le monde » (p. 152).

Ce qui distingue les élites des autres groupes sociaux ne serait donc plus la capitalisation de savoirs cognitifs, que tout le monde peut acquérir, mais le fait de posséder des savoirs corporels qui se développent, eux, par expérience, sur le temps long, et qui fondent ce que Shamus Khan appelle donc l’ « aisance ». À la suite des travaux de Bourdieu et de Foucault[9], l’auteur procède donc à une sociologie de l’incorporation afin de dévoiler la manière dont de jeunes individus parviennent à « inscrire en eux la marque du privilège et à lui donner une expression corporelle » (p. 175).

Un exemple particulièrement éloquent est celui du récit des « dîners placés » qui réunissent deux fois par semaine élèves et enseignants, chacun sur son trente-et-un, et où l’on mange aux côtés d’un convive différent à chaque fois. On pourrait penser que ces soirées mondaines sont l’occasion pour les jeunes pensionnaires d’apprendre les bonnes manières de se tenir et de converser à table. Mais Shamus Khan qui, en tant qu’enseignant, a pu participer à ces diners, montre que le principal objet de savoir, à St. Paul n’est pas la simple connaissance des règles d’un diner protocolaire mais le fait d’avoir vécu ce moment et, plus encore, d’en avoir fait la douloureuse expérience, c’est-à-dire d’avoir ressenti la gêne et l’ennui qu’ils procurent, afin d’apprendre à dominer ces états du corps pour être capable de ne plus manifester que le « naturel » de l’aisance en de pareilles circonstances.

La puissance du phénomène d’incorporation, comme l’avait montré Pierre Bourdieu avant lui, c’est que, résultant de la familiarisation et de l’imprégnation, c’est-à-dire d’apprentissages inconscients et implicites, et les faisant passer pour de simples qualités que les uns possèderaient naturellement et dont la majorité serait privée, elle masque le long processus de formation pour n’en conserver que le résultat final, c’est-à-dire une manière culturelle – donc socialement située et acquise – d’être au monde mais qui a pour elle « l’évidence du naturel et le naturel de l’évidence », pour citer une formule de  Christine Detrez.

L’aisance des élites, selon Shamus Khan, se manifeste autant lors de ces dîners de gala que dans le choix d’une tenue vestimentaire adaptée aux circonstances ou, encore, dans la capacité à connaître et manier des répertoires culturels diversifiés, c’est-à-dire d’être en mesure de citer un vers de Beowulf, un poème épique anglais du septième siècle, tout en sachant tenir une conversation autour du film Les dents de la mer, pour reprendre le titre du dernier chapitre. Mais, outre les connaissances qu’il est possible de mobiliser autour d’un savoir, quel qu’il soit, le sociologue des élites insiste sur le fait que la marque du privilège se construit principalement à partir d’un certain rapport au savoir, qui peut être d’indifférence ou d’aisance, ainsi qu’à partir de l’utilisation que l’on en fait.

Sur ce dernier point, les pensionnaires de St. Paul sont davantage invités à exploiter les savoirs auxquels ils ont accès pour établir des correspondances plutôt qu’à approfondir véritablement ces connaissances. Dans un contexte où « le savoir n’est plus l’apanage de l’élite » (p. 275) et où les informations semblent circuler librement, l’éducation à la St. Paul School « ne consiste pas à enseigner aux élèves des choses qu’ils ne savent pas, mais plutôt à leur apprendre de se frayer un chemin dans le monde par la pensée » (p. 276). Ainsi en recevant des enseignements qui sont moins des savoirs que des « habitudes de pensée », des connaissances que des « façons de connaître », les Paulies apprennent à « “penser en grand“ comme si c’était la chose la plus naturelle du monde » (p. 280).

 

Faire de sa position sociale dominante une évidence dans une société méritocratique

D’ailleurs si les élèves croient que c’est uniquement leur mérite et le travail acharné qui leur ont permis d’entrer dans un établissement d’élite (alors que les 40 000 dollars annuels de frais d’inscription ne permettent évidemment pas à toutes les familles de financer – ou simplement d’envisager – une telle scolarité…), cette foi aveugle en la valeur du travail contraste avec l’apparence de désinvolture ou de décontraction qu’il est préférable d’afficher sur le campus sous peine d’être dénigré par ses pairs.

Ainsi, à l’opposé du comportement de Mary, une pensionnaire qui passe son temps à courir de la bibliothèque à sa chambre, transportant un sac remplis d’ouvrages pour montrer qu’elle est débordée de travail, la marque de l’aisance consiste, pour les Paulies, à ne pas faire du travail « l’aspect central de leur identité » (p. 214). Les fêtes, les bizutages et les premiers flirts ont donc toute leur place dans la formation de ces jeunes gens puisque chacune des étapes qui jalonnent la vie d’un lycéen est l’occasion, à St. Paul, d’apprendre à « incarner le privilège » (p. 238). Ce privilège, comme le genre chez Judith Butler[10], serait donc une « performance ». Ainsi, S. Khan avance qu’ « être membre de l’élite n’est pas une simple propriété » mais constitue plutôt « un acte performatif ancré dans le corps, que l’on peut produire à la fois grâce à ce que l’on possède en propre et par l’empreinte corporelle des expériences vécues dans des structures d’élite » (p. 240).

Cherchant à donner à voir l’apprentissage par incorporation de la marque du privilège, Shamus Khan ne renonce pas à illustrer sa démonstration par la description des échecs de certains élèves ou des tentatives de résistance de certains transfuges de classe, par exemple[11]. Ces portraits d’élèves, tout en nuances, et qu’on voit évoluer tout au long de leur scolarité, permettent de comprendre combien le processus de socialisation est laborieux, voire périlleux, pour certains pensionnaires, et combien il tranche avec l’impression d’aisance et de facilité qui semble caractériser cette caste dorée, une fois le processus d’acculturation terminé.

Dans cette perspective, la particularité de l’établissement scolaire d’élite que constitue St. Paul, par rapport aux autres lycées, « réside, non dans le fait [que les élèves] apprennent plus de choses, mais qu’ils les apprennent autrement » (p. 123), et notamment en expérimentant de multiples situations, qu’elles relèvent de l’exceptionnel (prendre un vol pour New York le matin, déjeuner avec des artistes d’une troupe d’opéra puis assister, le soir, à leur représentation au Metropolitan Opera) ou de l’ordinaire (débarrasser la table lors des « dîners placés », tenir une conversation avec un enseignant, faire le choix d’une tenue adaptée à la circonstance, etc.). Sans oublier le rôle amplificateur que constitue le régime d’internat qui offre aux pensionnaires l’expérience singulière de vie au sein d’un entre-soi dans lequel ils apprennent ensemble, et au quotidien, à former l’élite qu’ils constitueront demain, dans le monde social.

En définitive, le travail de Shamus Khan nous éclaire, certes, sur l’élite et la manière dont une institution scolaire la façonne dès l’âge adolescent, mais ils nous permet également d’entrevoir les « mécanismes de l’inégalité dans une méritocratie » (p. 37). Dans le contexte états-unien, « l’inégalité est toujours présente mais les élites estiment désormais qu’elle est juste » (p. 339-340).

Ce portrait d’une élite américaine construite autour de la notion d’aisance combinée avec « le cadre dogmatique du travail et du mérite » (p. 151) invite à la réflexion et à la comparaison avec le cas français. Les récents travaux de Muriel Darmon[12], développant une approche similaire via une sociologie « dispositionnaliste » telle que la recommande Bernard Lahire, ont pu mettre au jour certains aspects de la formation des élèves en classes préparatoires aux grandes écoles. Mais dans la perspective de comprendre, comme l’ambitionne Shamus Khan, « comment les élites s’adaptent aux paysages changeants du XXIème siècle » (p. 338), il serait souhaitable, pour la sociologie française, de multiplier les études qualitatives[13] sur les lieux de formation et de socialisation de la classe dominante.

Tout changer pour que rien ne change[14] : voilà comment l’on pourrait résumer ce qui s’est joué au cours des vingt dernières années dans nombre d’établissements scolaires d’élite, non simplement aux États-Unis dans l’établissement étudié par Shamus Khan mais également en France. Qu’on pense par exemple à SciencesPo Paris qui, en modifiant à la marge ses modes de recrutement et de formation, n’a pas seulement cherché à redorer son blason mais également à promouvoir une nouvelle conception de l’élite sociale, plus ouverte et diversifiée (au moins en apparence), donc plus légitime. On ne peut s’empêcher de remarquer, pour conclure, que cette fièvre réformatrice, qui a touché les écoles où se reproduisent les habitusdominants, est contemporaine de l’explosion des inégalités sous l’effet des politiques néolibérales, comme si celles-ci avaient nécessité une transformation des modes de légitimation.

[1]    J. Naudet, Grand Paton, fils d’ouvrier, Paris, Seuil, 2014.

[2]    Alors que le terme « méritocratie » peut revêtir une connotation très positive aujourd’hui en désignant un système de sélection des individus sur la base de leurs « mérites », S. Khan rappelle les origines du mot qui a été forgé par le sociologue britannique Michael Young dans les années 1940. À la demande du Parti travailliste anglais dont il était membre, ce dernier prit part à un groupe de réflexion autour de la conception d’un nouveau système éducatif dont l’objectif était d’offrir une instruction de qualité à tous les jeunes britanniques capables d’assimiler ces savoirs et connaissances. Cependant Young manifesta rapidement un certain scepticisme à l’égard de ce qui lui apparaissait comme « un froid processus de bureaucratisation scientiste de la compétence et du talent » (p. 23). « En quête d’un mot pour décrire ce nouveau système, il s’est inspiré des termes “aristocratie“ et “démocratie“. Au lieu de “la loi des meilleurs“ (aristos) ou de “la loi du peuple“ (demos), ce système instaurait “la loi des plus intelligents“ » (p. 23). Voir M. Young, The Rise of the Meritocracy [1958], New York, Transaction Publishers, 1994.

[3]    Sur l’idéologie charismatique, voir  P. Bourdieu et J. C. Passeron, Les héritiers. Les étudiants et la culture, Paris, Éditions de Minuit, 1964.

[4]    P. Bourdieu, P. Champagne, « Les exclus de l’intérieur », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 91, 1992.

[5]    P. Willis, L’école des ouvriers. Comment les enfants d’ouvriers obtiennent des boulots d’ouvriers, Marseille, Agone, « L’ordre des choses », 2011, p. 3.

[6]    Voir notamment les travaux de Richard. A. Peterson aux États-Unis et ceux d’Olivier Donnat en France.

[7]    P. Bourdieu, La distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Éditions de minuit, 1989.

[8]    P. Coulangeon, Les métamorphoses de la distinction. Inégalités culturelles dans la France d’aujourd’hui, Paris, Grasset, 2011.

[9]    Les travaux de Michel Foucault (Surveiller et Punir, 1975) et ceux de Pierre Bourdieu (Méditations Pascaliennes, 1997) sont cités par l’auteur.

[10]  J. Butler, Trouble dans le genre, Paris, La Découverte, 2006.

[11]  Sur la question des transfuges de classe, voir J. Naudet, Entrer dans l’élite. Parcours de réussite en France, aux États-Unis et en Inde, Paris, PUF, 2012.

[12]  M. Darmon, Classes préparatoires. La fabrique d’une jeunesse dominante, Paris, La Découverte, 2013.

[13]  Parmi les travaux existants, voir notamment Y-M. Abraham, « Du souci scolaire au sérieux managérial, ou comment devenir un “HEC“ », Revue française de sociologie, Vol. 48, n°1, 2007 ; P. Pasquali, Passer les frontières sociales. Comment les « filières d’élite » entrouvrent leurs portes, Paris, Fayard, 2014 ; W. Lignier La petite noblesse de l’intelligence. Une sociologie des enfants surdoués, La Découverte, 2012. Signalons aussi la parution en 2016 d’un numéro thématique de la revue Sociétés Contemporaines, « Faire l’excellence », auquel M. Darmon, P. Pasquali et W. Lignier, ont pris part.

[14]  G. Tomasi di Lampedusa, Le Guépard, Paris, Seuil, 1959.