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Face au harcèlement policier, une réponse de jeunes artistes

répression Violences-Policières

Lien publiée le 19 octobre 2016

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http://www.bondyblog.fr/201610191400/face-au-harcelement-policier-une-reponse-de-jeunes-artistes/#.WAfVwfntlBd

Après avoir porté plainte contre des policiers qui officient dans leur quartier, des jeunes du quartier Reuilly-Montgallet, à Paris, se sont inspirés de leur quotidien pour écrire un court métrage.

Le printemps est dans l’air et les Parisiens s’installent aux terrasses des cafés. Pourtant, au cœur d’une cité du 12ème arrondissement de Paris, le local de l’association Soleil est plein à craquer. Vannes et private jokes fusent de partout. Incompréhensibles pour le commun des mortels, elles font mouche dans ce groupe d’amis qui connaissent toute la vie de leurs camarades, depuis le bac à sable. On retrouve trois jeunes filles, Vicky, Kumba et Julie, parmi ces ados réunis autour de leurs éducateurs, Kheira Sebbaghi, Patrice Touillet et Mohamed Aknouche. Quand Marc Cheb Sun, directeur de D’ailleurs et d’ici, débarque, la conversation s’anime autour de l’unique bouteille de soda vidée par les premiers arrivants. Règle de l’hospitalité oblige, les reproches épargnent l’auteur assoiffé de cet article, principal siphon de la bouteille.

Les salutations d’usage n’empêchent pas le tapage de monter en décibels et Marc Cheb Sun débute l’atelier dans un débit sonore… de grande ampleur ! Sans renoncer à ce qui est visiblement devenu son rituel : mettre dans le lecteur le DVD prévu pour l’atelier. Les lumières s’éteignent et, d’un coup, d’un seul, le silence s’installe. Plus un bruit. C’est le film Collision (2005, Paul Haggis) qui squatte l’écran. La scène montre un contrôle de police dans la nuit de Los Angeles. À l’écran, l’un des policiers blancs abuse de son pouvoir sur un couple afro-américain de la bonne société. Aucun coup n’est porté, aucune insulte n’est proférée mais l’humiliation est totale. Quelques gestes et peu de mots ont suffi. Le petit flic a passé son message : peu importe son statut social, un Noir reste un nègre. Les jeunes sont scotchés. “On a décortiqué cette scène tellement de fois, raconte Marc, plan par plan : le décalage de la musique, la tension créée par la lumière, les silences, les non-dits, les rancœurs accumulées, les frustrations sexuelles, tout cela leur parle énormément”.

L’art comme exutoire

Si la scène parle effectivement aux jeunes de cette cité nichée derrière les beaux bâtiments haussmanniens du quartier Reuilly-Montgallet, c’est parce que l’humiliation des contrôles de police, ils connaissent. Leurs mésaventures avec certains “Tigres“, comme ils surnomment les membres de la brigade de soutien de quartier, a même fait les gros titres des journaux. Las des contrôles répétés depuis des années, des coups, des injures racistes lors des palpations imposées, dix-huit jeunes ont porté plainte, avec le soutien de leurs éducateurs : “Quand les premiers faits nous ont été rapportés, on a d’abord cru à des exagérations, raconte Mohamed Aknouche. Mais les témoignages se recoupaient avec trop d’exactitude pour garder un doute sur leur véracité”.

Éducateurs, avocats et parents gèrent la réponse légale, Marc Cheb Sun apporte son soutien d’une autre manière : “En leur proposant de raconter une histoire. On ne peut exister dans l’humiliation et l’oppression, on reprend sa place dans la création. Il fallait donc qu’ils inventent leur propre voix”. De là est née l’idée d’un atelier écriture de scénario. En show runner accompli, Marc a donné le postulat de départ : un travail qui recoupe leur quotidien mais qui implique aussi l’imaginaire, pour apporter une distance. Dans cette optique, prendre Collision comme modèle semble un bon choix : l’histoire se passe dans un autre pays. “Les États-Unis ont traité ce problème dans une infinité de productions au cinéma. En France, il n’y a pas grand-chose, quasiment rien», déplore Marc.

Au fil des séances, les jeunes de l’atelier ont accouché d’un futur court métrage qui, parmi d’autres personnages, met en scène Sara et Walid. Ce dernier, bon élève, est confronté à un choix cornélien : voir sa famille expulsée de son appartement (mais en restant honnête) ou rembourser-en une nuit de business- les arriérés de loyer. Le dénouement final se fera lors d’un contrôle d’identité tendu où intervient Sara, jeune policière issue du quartier. «Toutes les idées viennent d’eux. Je n’ai fait qu’impulser et rassembler», confie Marc. Et Kevin, seize ans, d’ajouter : “C’est inspiré de faits réels. Pendant cinq mois les parents d’un ami ont été menacés d’expulsion”. L’atelier du jour est spécial. Après une première heure consacrée aux ajustements du scénario, le projet est soumis à l’appréciation du réalisateur Adnane Tragha. Verdict positif : Adnane serait ravi de réaliser le court métrage, avec les jeunes au casting. Reste à trouver un budget.

Un arrondissement, deux réalités

Les visages de ces ados, dont le travail -pour la première fois- a été jugé par un professionnel, respirent la joie. Chacun y va de sa remarque et veut améliorer le scénario. Hatim, seize ans, est le plus prolixe :“Pourtant, au début, je n’y croyais pas. Je pensais que ça n’allait pas servir à grand-chose. Mais j’ai vite compris que l’image pouvait avoir un impact plus fort que de longs discours”. Étudiant en restauration, Hatim est-il concerné par les contrôles de police abusifs ? “Bien sûr, comme tout le monde ici. L’irrespect, c’est la règle, les insultes aussi. Parfois on nous gaze, ou on nous menace de nous embarquer là où tout peut arriver”. Le témoignage de l’une des filles, âgée de dix-neuf ans, est traumatisant : “J’ai peur des chiens. Pendant un contrôle, un molosse de la police m’a foncé dessus, j’ai tellement paniqué que je suis presque tombée dans les pommes. La policière m’a relevée à grands coups de gifles”.

Chacun a son anecdote, même Julie, blonde aux yeux bleus, “traitée de tous les noms” pour avoir défendu un ami lors d’un contrôle. Les difficultés que ces jeunes vivent quotidiennement dans le cadre très parisien du 12ème arrondissement, semblent irréelles. Pour Mohamed Aknouche, “c’est plutôt logique. Ils rencontrent des problèmes sociaux à quelques mètres des plus beaux monuments de la capitale. D’une rue à l’autre, la réalité change complètement”. Il ne croit pas si bien dire. Le réalisateur américain Richard Linklater, pour Before Sunset, a filmé un coin verdoyant du quartier Reuilly-Montgallet, parfaite carte postale du Paris romantique. À deux pas de la cité où pourrait être tourné le film écrit par ces jeunes victimes de harcèlements policiers…

Idir HOCINI